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Bachelard : L’opinion est-elle un obstacle à la science ?

la science ne pense pas dissertation

La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort.

L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter.

Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.

Gaston BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique (1938), chapitre 1

Questions de compréhension :

  • Quel est le raisonnement qui pousse Bachelard à affirmer que “l’opinion a, en droit, toujours tort” ? Expliquez la formule “en droit” qu’il utilise ici.
  • Expliquez la phrase : “L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances”. Quel est le paradoxe ? Expliquez ce que veut dire Bachelard avec vos propres mots.
  • Un scientifique peut-il avoir des opinions ? Justifiez.

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Cours : La science

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Introduction :

La science est un mode de connaissance. À la différence du mythe, de la magie ou de la religion, elle représente pour nous un modèle de rigueur et une méthode de recherche de la vérité. Pour autant, parler de la science au singulier ne va pas de soi si on prend en compte l’étendue du champ scientifique : il y a d’abord des sciences. L’usage du singulier implique pourtant qu’il y ait des points communs entre les différentes disciplines scientifiques. C’est sur ces points de convergence que repose l’essence de la science. Pour comprendre ce qu’est la science, il nous faut donc mettre à jour les spécificités de la pensée et de la pratique scientifique. Mais il faut aussi nous demander si la science est la seule détentrice du savoir : est-ce qu’il ne revient pas à d’autres formes de connaissance de s’interroger sur la fonction de la science et sur ses limites ?

Pour répondre à cette question, nous chercherons d’abord à définir la science dans son rapport à la vérité et à la connaissance. Nous verrons ensuite que toute science s’applique selon une démarche scientifique. Enfin, nous nous demanderons si la science est capable de prendre en compte ses propres limites en réfléchissant sur elle-même.

La science et son rapport à la vérité

Avant d’être caractérisée par des méthodes et des démarches qui lui sont propres, la science est d’abord une recherche de connaissance et de vérité.

Une recherche de vérité

La science est avant tout guidée par un but : la recherche de vérités certaines. Elle se construit donc en opposition avec l’opinion, qui est une connaissance incertaine et non prouvée. Socrate initie cette démarche en rejetant systématiquement la doxa.

Doxa  :

Doxa est un terme grec que l’on peut traduire par « opinion ». La doxa n’est pas nécessairement fausse, il se peut qu’elle corresponde à la vérité, mais elle ne constitue pas un savoir pour autant. Elle repose sur la croyance : nous répétons ce que nous avons entendu dire, sans être capable de prouver ce que nous disons.

La science cherche donc d’abord à savoir plutôt qu’à croire .

  • La croyance ne fait pas l’objet d’une démonstration et ne peut justifier ce qu’elle prétend.

Au contraire, le savoir repose sur des justifications et des démonstrations .

Si cette distinction entre croire et savoir est essentielle, elle ne suffit pas à définir la spécificité de la science.

Un monde intelligible

Nos connaissances ne sont pas nécessairement de nature scientifique, elles peuvent également être d’ordre pratique , reposant ainsi sur nos expériences et l’observation du monde qui nous entoure.

Hume fait ainsi remarquer que c’est par habitude que nous savons que le soleil se lèvera demain, et non par connaissance scientifique.

  • L’expérience répétée quotidiennement du jour qui se lève ne constitue pas en soi une connaissance scientifique.
  • Il n’en reste pas moins que l’astronomie explique parfaitement le mouvement des planètes et que l’alternance du jour et de la nuit correspond à des connaissances scientifiques.
  • Quelle est donc la différence ?

Entre l’expérience pratique (ou l’observation) et la connaissance scientifique, nous passons d’un modèle pratique à un modèle intelligible . Même si la science peut prendre comme point de départ l’observation du monde sensible, elle s’efforce ensuite de le rendre intelligible, c’est-à-dire de construire un modèle théorique qui permette d’expliquer entièrement les phénomènes sensibles .

Empirisme/rationalisme :

L’empirisme et le rationalisme sont deux manières d’aborder la démarche scientifique. L’empirisme soutient que la vérité repose sur l’expérience sensible. Pour les rationalistes, elle se révèle par l’usage de la raison.

Ordonner le monde

Même si la connaissance scientifique a une valeur par elle-même, elle n’est pas coupée des autres dimensions de la vie humaine.

Plus que la seule vérité, la science cherche des principes d’explication , et c’est en cela qu’elle s’oppose à l’opinion et à la croyance.

Lucrèce , philosophe latin du I er  siècle avant J.-C. et appartenant au courant épicurien , a vu dans la science une méthode de pensée permettant aux hommes de se détacher des superstitions et de s’émanciper . Selon lui, la méconnaissance des phénomènes naturels a conduit les hommes à inventer des explications divines parce que l’esprit humain cherche un sens et une explication à ce qu’il vit. Si nous connaissions mieux les causes réelles, qui pour lui sont matérielles, des phénomènes qui nous entourent, nous serions libérés de la peur et de la culpabilité.

  • La science permet donc d’expliquer les phénomènes qui nous entourent.

Il ne s’agit pas seulement de se détourner de la superstition : par l’explication scientifique, nous forgeons un autre modèle de la nature et du monde matériel. Au lieu d’un monde chaotique, livré au hasard, et de ce fait incompréhensible, la science propose de considérer un monde rationnel , régi par des lois et explicable par des mécanismes de causalité.

  • Ce n’est donc plus un monde désordonné et dépourvu de sens, mais un monde reposant sur des principes universels .

Les lois physiques sont en effet, par définition, universelles : elles sont valables en tout temps et en tout lieu. Elles permettent donc d’avoir une vision déterministe du monde : elles ne permettent pas seulement d’expliquer ce qui s’est produit, mais également de prévoir ce qui se produira, dès lors qu’on sait qu’une même cause sera toujours suivie d’un même effet. La connaissance scientifique donne un sens au monde puisqu’elle révèle que le monde est un système stable et constant.

Par ses effets, la science dépasse le seul cadre de la connaissance et induit donc un rapport au monde . Notre monde n’est plus celui de l’incertitude, du mythe ou de l’intervention divine, mais un monde cohérent, prévisible, dans lequel on peut prévoir, comprendre et expliquer les phénomènes.

L’esprit scientifique et la démarche scientifique

Les conséquences de la pensée scientifique dépassent donc le seul domaine de la science et celle-ci est un élément définissant une culture humaine, au même titre que d’autres pratiques telles que l’ art , la technique ou la politique. Il n’en reste pas moins qu’elle se distingue de ces autres pratiques par une démarche qui lui est propre.

La démarche scientifique et les différents types de science

Toutes les sciences ont en commun de reposer sur une méthode stable plutôt que de se laisser guider par le hasard ou les circonstances. Le type de méthode adopté permet de distinguer différents types de science.

On peut tout d’abord effectuer une distinction entre la méthode par induction et la méthode par déduction .

  • L’induction consiste à partir de faits observés pour construire une théorie permettant de les expliquer : elle part donc du particulier pour aller vers le général.
  • La déduction procède en sens inverse : à partir d’une loi, elle déduit les phénomènes qui s’en suivront.

L’induction et la déduction fondent la démarche expérimentale propre à la science. Plutôt que de se baser sur des théories métaphysiques, comme le faisait Aristote lorsqu’il expliquait le monde par les quatre éléments (le feu, l’air, l’eau et la terre), elle part de l’observation même, du réel que l’on peut expérimenter. On comprend aussi que l’induction seule ne suffit pas : une même observation répétée un très grand nombre de fois nous permet d’affirmer que le phénomène est très probable, mais non qu’il est certain.

La démarche scientifique repose donc à la fois sur l’induction et la déduction, et son point de départ peut même être l ’intuition  : une idée initiale, une piste de recherche, un étonnement, que le scientifique va ensuite analyser avec les outils de sa discipline.

C’est ainsi que fonctionne la démarche hypothético-déductive :

  • on forme une hypothèse ;
  • on déduit ce qui doit se passer si l’hypothèse est juste, c’est-à-dire quelles seraient les conséquences observables ;
  • on peut ensuite élaborer un protocole d’expérience permettant de tester l’hypothèse ;
  • l’expérience effectuée permet de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse initiale.

Ce dispositif est valable pour les sciences expérimentales, c’est-à-dire reposant sur des données de l’expérience.

Mais il existe aussi des sciences formelles, dont les mathématiques sont le principal représentant. Les mathématiques ne relèvent pas du monde sensible et expérimental mais sont autoréférentielles , c’est-à-dire qu’elles créent le monde dont elles parlent. C’est la cohérence interne qui est alors source de vérité, et non la conformité avec un réel extérieur.

La science construit son objet

Les mathématiques ne sont pourtant pas les seuls à construire leur objet, on peut même affirmer que toutes les sciences construisent leur objet.

Bachelard dit à ce sujet qu’il n’y a pas de fait brut en science mais que le fait scientifique est construit . L’observation scientifique implique une construction théorique et un dispositif expérimental qui sont des constructions humaines, non des données de la nature. Les instruments, tel que le microscope, sont déjà des outils de transformation du monde : ce que nous voyons dépend alors de l’instrument que nous utilisons. Nous n’avons pas accès à l’objet lui-même mais à un objet reflété et parfois modélisé par l’instrument qui sert de médiation.

La physique newtonienne, par exemple, explique l’attraction des planètes à l’aide de la force gravitationnelle. Mais il ne faut pas croire que cette force « existe » au même sens que les objets du monde : c’est un outil explicatif. Ainsi, le modèle d’ Einstein peut expliquer l’attraction sans recourir à cette force, et il n’est ni plus ni moins « vrai » que celui de Newton .

Le découpage des sciences en différents domaines est lui-même artificiel et se calque sur l’esprit humain, non sur la nature.

Par ailleurs, formuler des problèmes faisant intégralement partie de l’activité scientifique, la science cherche à répondre aux questions qu’elle pose et délimite elle-même.

Pour Bachelard, le travail scientifique commence par la capacité à poser un problème :

«  […] dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » .

Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique , 1938.

Dire que la science construit elle-même les problèmes auxquels elle essaie de répondre, et que ce faisant elle construit son objet d’étude, ce n’est pas dire que la science est subjective et ne peut aboutir à aucune vérité. C’est seulement souligner son mode de fonctionnement et être conscient, d’une part, qu’elle ne peut voir que ce qu’elle regarde, et d’autre part, qu’elle ne peut pas tout regarder.

La science, vers une pratique réflexive

Cela signifie-t-il que la science est par essence limitée ?

Ce n’est pas le cas si la science inclut dans sa démarche la conscience et la connaissance de ses limites, de la même manière qu’un·e chercheur·se en psychologie sera conscient·e qu’il·elle peut inconsciemment influencer les résultats d’une expérience et qu’il·elle cherchera soit à réduire cette influence, soit à faire en sorte que cette influence fasse partie des données de l’expérience. Autrement dit, la science n’est pas seulement une recherche de vérité, elle inclut également une réflexion sur elle-même, c’est-à-dire une pratique réflexive.

La science, une histoire d’erreurs ?

Les sciences ont une histoire, qui est l’histoire d’une suite d’erreurs peu à peu rectifiées. Ce que les hommes ont pu croire vrai s’est révélé faux par la suite.

Ainsi, on a longtemps pensé que « la nature a horreur du vide », avant les expériences de Torricelli prouvant l’existence du vide. La médecine n’a découvert la circulation sanguine qu’au XVII e  siècle, et Einstein a d’abord conçu un modèle statique de l’univers.

La seule connaissance de l’histoire des sciences, qui est une histoire des erreurs scientifiques, doit inciter les scientifiques à la modestie. On peut bien sûr en déduire que la science est susceptible d’erreur, mais il faudrait plutôt l’analyser ainsi : les êtres humains peuvent se tromper, et les modèles théoriques que nous élaborons peuvent ne pas correspondre à la réalité. Mais dès lors que la science prend en compte sa propre capacité d’erreur plutôt que de la nier, il est faux de dire que « la science se trompe ».

C’est d’ailleurs cette capacité à rectifier ses erreurs qui définit la science selon Karl Popper .

Pour Popper, la particularité d’une théorie scientifique est qu’elle est « falsifiable » , c’est-à-dire réfutable.

  • On peut prouver et démontrer qu’une théorie est fausse, alors qu’on ne peut prouver qu’elle est vraie que provisoirement.

C’est ce qui explique que l’histoire des sciences soit faite d’une série de réfutations.

Si nous forgeons une théorie selon laquelle tous les moutons sont blancs, il suffira de trouver un mouton noir pour prouver qu’elle est fausse.

  • Mais comment prouver que la théorie est vraie ?

Ce n’est pas possible, il faudrait pouvoir observer tous les moutons présents, passés et futurs.

Cela ne constitue pas une faiblesse mais au contraire une force, puisque c’est ce qui distingue la science de l’idéologie et des pseudosciences. Ainsi, on ne peut réfuter l’hypothèse psychanalytique de l’inconscient, puisqu’on pourra toujours objecter que c’est justement notre inconscient qui nous pousse à nier son existence. Pour cette raison, Popper estime que la psychanalyse ne peut constituer une science.

La science, une marche vers le progrès ?

Peut-on déduire de la conception de Popper que la science est un parcours ininterrompu vers le progrès ?

Il faut nuancer cette idée, du point de vue de Popper lui-même : pour ce philosophe en effet, la science ne peut prouver la vérité mais seulement réfuter l’erreur. Le progrès consiste donc à se rendre compte de ses erreurs plutôt que de parvenir à de nouvelles certitudes.

Il n’en reste pas moins que les découvertes scientifiques ont effectivement modifié notre monde, accru notre maîtrise technologique, diminué notre vulnérabilité face aux phénomènes naturels, augmenté notre espérance de vie, etc.

  • Cela signifie-t-il que la science s’accompagne toujours de progrès ?

Il faut distinguer ici la science de son usage et de ses implications. La découverte de la fission nucléaire concerne le domaine de la connaissance, et de ce point de vue-là, constitue un progrès du savoir. Choisir d’appliquer ces connaissances à des usages mortels, comme la bombe atomique, ne relève pas de la science, qui est innocente de ce point de vue-là.

Mais cette innocence est justement une critique que l’on pourrait adresser à la science : elle n’inclut pas dans son principe même une réflexion sur la valeur et la portée de ses découvertes et de ses actes. Puisque la science construit son objet et émet des hypothèses réfutables, plutôt que de déterminer de manière certaine la vérité, elle ne peut prétendre à une parfaite objectivité : en tant que discipline humaine, pratiquée par des sujets, elle est, elle aussi, subjective .

  • Elle n’échappe donc pas aux objections et aux critiques quant à son usage.

Heidegger concentre cette critique dans une formule provocatrice : « La science ne pense pas » . En effet, la science peut, avec Galilée, proposer une conception mathématique de la nature, sans se demander quels sont les enjeux et les conséquences pratiques d’une telle vision du monde, sans s’interroger non plus sur la légitimité de ces représentations à donner sens au réel.

Il faut alors distinguer la science d’une part et les scientifiques et utilisateur·rice·s des connaissances scientifiques d’autre part.

Si la science, en tant que méthode de connaissance, est innocente et n’a pas pour fonction de s’interroger sur ce qu’elle fait, les scientifiques, en tant que sujets, peuvent par contre se poser la question de la légitimité de leurs actions. C’est une approche que les sciences modernes intègrent de plus en plus à leur pratique, notamment en généralisant le recours à des comités d’éthique . Il ne s’agit plus seulement de savoir comment on peut réaliser telle opération (par exemple cloner un être humain), mais également s’il est légitime de le faire et quelles en sont les implications.

La science n’est donc pas dépourvue de pensée, dès lors qu’elle est pratiquée par des individus qui acceptent d’être des sujets pensants.

Conclusion :

On peut retenir que le singulier de « science » recouvre en réalité plusieurs pratiques. La science repose en effet sur une démarche méthodique et rationnelle qui procède à la fois par induction et par déduction, afin de vérifier des hypothèses. Mais la science est également un paradigme de pensée, proposant une conception du monde : un monde rationnel, prévisible, régi par des lois de causalité, que l’on ne peut entièrement expliquer à cause des limites de notre technique ou de notre intelligence. Ce modèle est précieux dans la mesure où il permet de dépasser les conflits et les incertitudes auxquelles les croyances peuvent mener. Mais il peut également devenir dangereux lorsqu’il n’est plus perçu comme un modèle valable parmi d’autre : ce que sa rigueur et sa démarche lui confèrent de supériorité, la science le perd si elle oublie de penser et se dispense de réfléchir sur elle-même et ses propres limites.

PhiloSophie

Gaston bachelard. la formation de l'esprit scientifique..

Avertissement : Vous allez lire une fiche de lecture de l'ouvrage majeur de Gaston Bachelard publié en 1934 : La formation de l'esprit scientifique. Nous essayons d'en donner un résumé chronologique fidèle, préférant laisser parler le texte lui-même.

Discours préliminaire

Gaston Bachelard entend montrer dans ce livre « le destin grandiose de la science abstraite ». Par là, il entend désigner les sciences telles qu'elles se sont constituées au début du 20ème siècle : la Théorie de la Relativité d’Einstein et la mécanique de Dirac.

Or ces sciences se caractérisent par leur  abstraction . Cette notion est décisive. Elle est la démarche « normale et féconde de l'esprit scientifique. Elle désigne la mise en ordre du réel, un représentation géométrique qui en ordonnent les phénomènes.

Mais avant cette mise en ordre du réel, la science abstraite doit d'abord se libérer d'un certains nombres d'expériences ou de connaissances « naturelles », « immédiates » qui font  obstacle  au progrès de la science. Bachelard parle « d'obstacles épistémologiques » et c'est le chapitre 1 qu'il va en donner une définition plus précise. L'abstraction est donc d'abord une catharsis.

Selon Bachelard, la pensée scientifique est passé par trois âges :

  • La première période représentant  l'état préscientifique  comprendrait à la fois l'antiquité classique et les siècles de renaissance et d'efforts nouveaux avec le XVIe, le XVIIe et même le XVIIIe siècles.
  • La deuxième période représentant  l'état scientifique , en préparation à la fin du XVIIIe siècle, s'étendrait sur tout le XIXe siècle et sur le début du XXe.

En troisième lieu, nous fixerions très exactement  l'ère du nouvel esprit scientifique  en 1905, au moment où la Relativité einsteinienne vient déformer des concepts primordiaux que l'on croyait à jamais immobiles.

Ces trois âges se doublent d'une « loi des trois états scientifiques » :

  • 1º  L'état concret  où l'esprit s'amuse des premières images du phénomène et s'appuie sur une littérature philosophique glorifiant la Nature, chantant curieusement à la fois l'unité du monde et sa riche diversité.
  • 2º  L'état concret-abstrait  où l'esprit adjoint à l'expérience physique des schémas géométriques et s'appuie sur une philosophie de la simplicité. L'esprit est encore dans une situation paradoxale : il est d'autant plus sûr de son abstraction que cette abstraction est plus clairement représentée par une intuition sensible.

3º  L'état abstrait  où l'esprit entreprend des informations volontairement soustraites à l'intuition de l'espace réel, volontairement détachées de l'expérience immédiate et même en polémique ouverte avec la réalité première, toujours impure, toujours informe.

Enfin, la science contredit l'expérience commune.

CHAPITRE I : La notion d'obstacle épistémologique

Dans l'acte même de connaître, la connaissance scientifique doit faire face à des obstacles épistémologiques qui sont causes de lenteur, d'inertie, de stagnation.

La science doit accepter son passé faits d'erreurs dans un véritable « repentir intellectuel ». Mais elle doit aussi détruire ces obstacles qui sont « des connaissances mal faites » et qui font obstacle à l'abstraction et à la « spiritualisation ». Accéder à la science, c'est, spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.

La science s'oppose donc à  l'opinion . L'opinion de Bachelard sur l'opinion est sans appel :

« l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances ! En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. »

Ce qui manque à l'opinion, c'est le « sens du problème ».

« La notion d' obstacle épistémologique  peut être étudiée dans le développement historique de la pensée scientifique et dans  la pratique de l'éducation.  Dans l'éducation, la notion d'obstacle pédagogique est également méconnue. J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. »

« Ainsi toute  culture scientifique  doit commencer, comme nous l'expliquerons longuement, par une  catharsis intellectuelle et affective . Reste ensuite la tâche la plus difficile : mettre la culture scientifique en état de mobilisation permanente, remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique, [19] dialectiser toutes les variables expérimentales, donner enfin à la raison des raisons d'évoluer. Un éducateur n'a pas le sens de l'échec précisément parce qu'il se croit un maître. »

CHAPITRE II : Le premier obstacle : l'expérience première

Voici alors la thèse philosophique que nous allons soutenir  l'esprit scientifique doit se former contre la Nature , contre ce qui est, en nous et hors du nous, l'impulsion et l'instruction de la Nature, contre l'entraînement naturel, contre le fait coloré et divers.

Bachelard se livre à une critique féroce des livres scientifiques du XVIIIème siècle qui font la part belle à la curiosité, au pittoresque de l'observation première, à la facilité, à la variété. C'est un «  empirisme coloré . » Mais il lui manque le « sens du problème » qui fait le véritable esprit scientifique : « L'esprit préscientifique veut toujours que le produit naturel soit plus riche que le produit factice. »

Exemple : le diner électrique donné chez Benjamin Franklin.

Dans  l'éducation , « le pittoresque et les images exercent les mêmes ravages. »

A contrario, le bon enseignant retournera au plutôt du concret à l'abstrait :  « On ne saurait trop conseiller au professeur d'aller sans cesse de la table d'expériences au tableau noir pour extraire aussi vite que possible l'abstrait du concret. Il reviendra à l'expérience mieux outillé pour dégager les caractères organiques du phénomène.  L'expérience est faite pour illustrer un théorèm e. »

Plus loin, Bachelard enfance le clou : « Un éducateur devra donc toujours penser à détacher l'observateur de son objet, à défendre l'élève contre la masse d'affectivité qui se concentre sur certains phénomènes trop rapidement symbolisés et, en quelque manière, trop intéressants. »

Le cas de  l'alchimie  : « Il semble en effet que l'alchimiste « symbolise » de tout son être, de toute son âme, avec son expérience du monde des objets. Tous les symboles de l'expérience objective se traduisent immédiatement en symboles de la culture subjective. Infinie simplicité d'une intuition pure ! »

CHAPITRE III : La connaissance générale comme obstacle à la connaissance scientifique

  • Rien n'a plus ralenti les progrès de la connaissance scientifique que la fausse doctrine du général qui a régné d'Aristote à Bacon inclus et qui reste, pour tant d'esprits, une doctrine fondamentale du savoir. Nous allons nous efforcer de montrer que cette science du général est toujours un arrêt de l'expérience, un échec de l'empirisme inventif.
  •  Au gré de nos adversaires, au gré des philosophes, nous devrions mettre à la base de la culture scientifique,  les généralités les plus grandes . À la base de la mécanique : tous les corps tombent. À la base de l'optique : tous les rayons lumineux se propagent en ligne droite. À la base de la biologie : tous les êtres vivants sont mortels. On mettrait ainsi, au seuil de chaque science, de grandes vérités premières, des  définitions  intangibles qui éclairent toute une doctrine. Au fond, comme on l'a dit souvent, ces lois générales définissent des mots plus que les choses. En résumé, même en suivant un cycle d'idées exactes, on peut se rendre compte que la généralité immobilise la pensée, que les variables relatant l'aspect général portent ombre sur les variables mathématiques essentielles.
  • Comme nous le disions dans notre premier chapitre, l'esprit scientifique peut se fourvoyer en suivant deux tendances contraires  l'attrait du singulier  et  l'attrait de l'universel.  Au niveau de la conceptualisation, nous définirons ces deux tendances comme caractéristiques d'une connaissance en compréhension et d'une connaissance en extension.
  • Le phénomène si spécial de la  coagulation  va nous montrer comment se constitue un  mauvais thème de généralité . Nous allons donc voir les phénomènes les plus divers, les plus hétéroclites s'incorporer sous la rubrique : coagulation.Que ce soit chez le géologue ou chez l'alchimiste, on voit le symbole de la coagulation s'enrichir de thèmes animistes plus ou moins purs : l'idée de semence et de levain sont en action dans l'inconscient. Avec ces idées de croissance animée et vivante apparaît une valeur nouvelle. Comme nous aurons bien souvent l'occasion de le faire remarquer, toute trace de valorisation est un mauvais signe pour une connaissance qui vise l'objectivité. Une  valeur , dans ce domaine, est la marque d'une préférence inconsciente.
  • Nous étudierons ainsi le concept de  fermentation  en nous adressant à un auteur important, voué à l'esprit nouveau. La comparaison entre la fermentation et la  digestion  n'est pas occasionnelle ; elle est fondamentale et elle continue à guider la recherche, L'intuition première n'a pas bougé, l'expérience n'a pas rectifié l'hypothèse première, l'aspect général, saisi de prime abord, est resté l'attribut unique du concept immobile.
  • Un des aspects les plus frappants de la  Physique contemporaine , c'est qu'elle travaille presque uniquement dans la  zone des perturbations . Ce sont les perturbations qui posent actuellement les problèmes les plus intéressants. 
  • Pour englober des preuves expérimentales nouvelles, il faudra alors déformer les concepts primitifs, étudier les conditions d'application de ces concepts et surtout incorporer les conditions d'application d'un concept dans le sens même du concept. C'est dans cette dernière nécessité que réside, d'après nous, le caractère dominant du nouveau rationalisme, correspondant à une forte  union de l'expérience et de la raison .  La division classique qui séparait la théorie de son application  ignorait cette nécessité d'incorporer les conditions d'application dans l'essence même de la théorie.
  • Comme l'application est soumise à des approximations successives, on peut dire que le concept scientifique correspondant à un phénomène particulier est le groupement des approximations successives bien ordonnées. La conceptualisation scientifique a besoin d'une série de concepts en voie de perfectionnement pour recevoir le dynamisme que nous visons, pour former un axe de pensées inventives.
  • Théorie des concepts proliférants.  C'est alors qu'on s'aperçoit que  la science réalise ses objets , sans jamais les trouver tout faits. La  phénoménotechnique  étend la phénoménologie. Un  concept  est devenu scientifique dans la proportion où il est devenu  technique , où il est accompagné d'une technique de réalisation.
  • Un idéal de limitation et de précision.  Un  savant moderne  cherche plutôt à  limiter  son domaine expérimental qu'à multiplier les instances. En possession d'un phénomène bien défini, il cherche à en déterminer les variations. Ces variations phénoménologiques désignent les variables mathématiques du phénomène. Les variables mathématiques sont solidarisées intuitivement dans des courbes, solidarisées en fonctions. Dans cette coordination mathématique, il peut apparaître. des raisons de variation qui sont restées paresseuses, éteintes ou dégénérées dans le phénomène mesuré. Le physicien essaiera de les provoquer. Il essaiera de compléter le phénomène, de réaliser certaines possibilités que l'étude mathématique a décelées. Bref, le savant contemporain se fonde sur une compréhension mathématique du concept phénoménal et il s'efforce d'égaler, sur ce point, raison et expérience. Ce qui retient son attention, ce n'est plus le  phénomène général , c'est le  phénomène organique , hiérarchique portant la marque d'une essence et d'une forme, et, en tant que tel, perméable à la pensée mathématique.

CHAPITRE IV : Un exemple d'obstacle verbal : L'éponge

Extension abusive des images familières

Dans cet ordre d'idées,  les obstacles les plus puissants  correspondent aux intuitions de la  philosophie réaliste . Ces obstacles fortement matérialisés mettent en jeu, non pas des propriétés générales, mais des qualités substantives. C'est là, dans une expérience plus sourde, plus subjective, plus intime, que réside la véritable inertie spirituelle. C'est là que nous trouverons les véritables  mots obstacles .

CHAPITRE V : La connaissance unitaire et pragmatique comme obstacle à la connaissance scientifique

  • Mais on peut saisir la séduction de  généralités bien plus vastes . Alors il s'agit, non plus de pensée empirique, mais vraiment de pensée philosophique.
  • C'est ainsi qu'au XVIIIe siècle, l'idée d'une  Nature  homogène, harmonique, tutélaire efface toutes les singularités, toutes les contradictions, toutes les hostilités de l'expérience. Nous allons montrer qu'une telle généralité - et des généralités connexes - sont, en fait, des obstacles à la pensée scientifique.
  • A contrario,  la science contemporaine  s'instruit sur des systèmes isolés, sur des unités parcellaires. Elle sait, maintenir des systèmes isolés. En ce qui concerne les principes épistémologiques, la science contemporaine affirme que les quantités négligeables doivent être négligées.
  • L'induction utilitaire  : Dans tous les phénomènes, on cherche l'utilité tout humaine, non seulement pour l'avantage positif qu'elle peut procurer, mais comme principe d'explication. Trouver une utilité, c'est trouver une raison.

CHAPITRE VI : L'Obstacle substantialiste

  • L'idée substantialiste est souvent illustrée par une simple contenance. Il faut que quelque chose enferme, que la qualité profonde soit enfermée. En analysant de telles intuitions, on se rendra vite compte que, pour l'esprit préscientifique, la substance a un intérieur ; mieux, la substance est un intérieur. Aussi la mentalité alchimique a été souvent dominée par la tâche d'ouvrir les substances, sous une forme beaucoup moins métaphorique que celle du psychologue, cet alchimiste moderne.
  • Si la substance a un intérieur, on doit chercher à la fouiller.
  • Exemple de l'électricité : elle est assimilée dans l'expérience commune à une « colle ».
  • A contrario, pour mieux voir le défaut de cette orientation sensualiste de la science, il suffirait de mettre en regard, sur ce problème précis, l'orientation abstraite et mathématique que nous croyons décisive et juste.  Le concept abstrait qu'Ohm  mit en usage quelques années plus tard pour désigner les différents conducteurs est  le concept de résistance . Ce concept débarrasse la science de toute référence à des qualités sensibles directes. Peut-être pourrait-on objecter ce qu'il y a encore de trop imagé dans le concept d'une résistance ? Mais, en liaison avec les concepts d'intensité et de force électromotrice, le concept de résistance perd peu à peu sa valeur étymologique pour devenir métaphorique. Ce concept est désormais l' élément d'une loi complexe , loi au fond très  abstraite,  loi uniquement  mathématique , qui forme une sorte de nœud de concepts. Alors on conçoit que l'urine, le vinaigre, le lait puissent avoir des effets spécifiques, mais ces effets ne sont enregistrés que par l'intermédiaire d'une notion véritablement abstraite, c'est-à-dire sans signification immédiate dan$ la connaissance concrète, sans référence directe à la sensation première. La résistance électrique est une résistance épurée par une définition précise ; elle est incorporée dans une  théorie .
  • Sur un exemple précis, nous venons ainsi de développer une des thèses principales de notre livre qui est la  suprématie de la connaissance abstraite et scientifique sur la connaissance première et intuitive.  L'origine substantielle est toujours très difficile à exorciser.

CHAPITRE VII : Psychanalyse du Réaliste

La psychanalyse qu'il faudrait instituer pour guérir du substantialisme est la psychanalyse du sentiment de l'avoir. Le complexe qu'il faudrait dissoudre est le complexe du petit profit qu'on pourrait appeler, pour être bref, le  complexe d'Harpagon . C'est donc dans l'acte même de connaître qu'il nous faut déceler le trouble produit par le sentiment prévalent de l'avoir.

Les matières précieuses.

CHAPITRE VIII : L'Obstacle animiste

Le fétichisme de la vie . Ce qui peut sans doute montrer le plus clairement le caractère mal placé du phénomène biologique, c'est l'importance donnée à la notion des trois règnes de la Nature et la place prépondérante qu'on donne aux règnes végétal et animal à l'égard du règne minéral.

Il semble que la  végétation  soit un objet vénéré par l'inconscient. Elle illustre le thème d'un devenir tranquille et fatal. Si l'on voulait étudier systématiquement cette image privilégiée du devenir, on verrait mieux la juste perspective d'une philosophie tout animiste, toute végétale, comme nous paraît être la philosophie de  Schopenhauer .

Indépendamment de ces vues philosophiques générales, certains progrès techniques se sont faits en majorant encore le privilège d'explication des phénomènes biologiques. Ainsi le  microscope  a été, de prime abord, appliqué à l'examen des végétaux et des animaux. Son objet primitif, c'est la vie. Ce n'est que par accident et rarement qu'il sert à l'examen des minéraux. La valorisation essentielle du microscope est la découverte du caché sous le manifeste, du riche sous le pauvre, de l'extraordinaire sous l'usuel.

Nous allons montrer en effet qu'à un certain stade du développement préscientifique, ce sont les phénomènes biologiques qui servent de moyens d'explication pour les phénomènes physiques. C'est alors le phénomène complexe qui prétend servir à l'analyse du phénomène simple.

CHAPITRE IX : Le Mythe de la Digestion

La digestion est une fonction privilégiée qui est un poème ou un drame, qui est source d'extase ou de sacrifice. Elle devient donc pour l'inconscient un thème explicatif dont la valorisation est immédiate et solide. On a coutume de répéter que l'optimisme et le pessimisme sont questions d'estomac. Mais on vise la bonne humeur ou la mauvaise humeur dans les relations sociales : C'est près des hommes que Schopenhauer cherchait des raisons pour soutenir son système, ou, comme il le disait d'une manière si clairement symptomatique, des aliments de misanthropie. En réalité, la connaissance des objets et la connaissance des hommes relèvent du même diagnostic et, par certains de ses traits, le réel est de prime abord un aliment. L'enfant porte à la bouche les objets avant de les connaître, pour les connaître. Le signe du bienêtre ou du malaise peut être effacé par un signe plus décisif : le signe de la possession réaliste. La digestion correspond en effet à une prise de possession d'une évidence sans pareille, d'une sûreté inattaquable. Elle est l'origine du plus fort des réalismes, de la plus âpre des avarices. Elle est vraiment la fonction de l'avarice animiste. Toute sa cénesthésie est à l'origine du mythe de l'intimité. Cette « intériorisation » aide à postuler une « intériorité ». Le réaliste est un mangeur.

L' aliment solide  et consistant a une prime immédiate. Le boire n'est rien devant le manger. Rien n'est tant raisonné que l'alimentation chez les bourgeois. Rien n'est davantage sous le signe du substantiel. Ce qui est substantiel est nourrissant. Ce qui est nourrissant est substantiel.

On veut toujours que le semblable attire le semblable, que le semblable ait besoin du semblable pour s'accroître. Telles sont les leçons de cette assimilation digestive.

La valorisation conduit à donner à  l'estomac  un rôle primordial. L'antiquité le nommait le roi des viscères

Nous touchons ici à la propriété pivot autour de laquelle va tourner sans fin l'esprit préscientifique : la digestion est une lente et douce cuisson, donc toute cuisson prolongée est une digestion.

Au mythe de la digestion se rattache, de toute évidence, l'importance donnée aux  excréments . Nombreux sont les psychanalystes qui ont caractérisé la phase anale dans le développement psychique de l'enfant.

CHAPITRE X : Libido et connaissance objective

Le mythe de la digestion est bien terne quand on le compare au  mythe de la génération  ; l'avoir et l'être ne sont rien devant le devenir. Les âmes énergiques veulent avoir pour devenir. C'est donc avec raison que la Psychanalyse classique a marqué la suprématie de la libido sur l'appétit.  L'appétit  est plus brutal, mais la  libido  est plus puissante. L'appétit est immédiat ; à la libido, au contraire, les longues pensées, les projets à longue échéance, la patience. Un amant peut être patient comme un savant. L'appétit s'éteint dans un estomac repu. La libido, à peine est-elle apaisée, qu'elle renaît. Elle veut la durée. Elle est la durée. À tout ce qui dure en nous, directement ou indirectement, s'attache la libido.  Elle est le principe même de la valorisation du temps.  Le temps gratuit, le temps vidé, le temps d'une philosophie du repos est un temps psychanalysé. Nous y travaillerons dans un autre ouvrage. Retenons simplement que la patience est une qualité ambiguë, même lorsqu'elle a un but objectif. Le psychanalyste aura plus de travail qu'il ne pense s'il veut bien étendre ses recherches du côté de la vie intellectuelle.

CHAPITRE XI : Les Obstacles de la Connaissance quantitative

Une  connaissance objective immédiate , du fait même qu'elle est qualitative, est nécessairement fautive. Elle apporte une erreur à rectifier. Elle charge fatalement l'objet d'impressions subjectives ; il faudra donc en  décharger  la connaissance objective ; il faudra la psychanalyser. Une connaissance immédiate est, dans son principe même, subjective. En prenant la réalité comme son bien, elle donne des certitudes prématurées qui entravent, plutôt qu'elles ne la servent, la connaissance objective. Telle est la conclusion philosophique que nous croyons pouvoir tirer de l'ensemble des chapitres précédents.

CHAPITRE XII : Objectivité scientifique et Psychanalyse

Psychologiquement, pas de vérité sans erreur rectifiée. Une psychologie de l'attitude objective est une histoire de nos  erreurs  personnelles.

Il faut donc accepter une véritable rupture entre la connaissance sensible et la connaissance scientifique. Nous croyons en effet avoir montré, au cours de nos critiques, que les tendances normales de la connaissance sensible, tout animées qu'elles sont de pragmatisme et de réalisme immédiats, ne déterminaient qu'un faux départ, qu'une fausse direction.

Il faut d'ailleurs remarquer que toute doctrine de l'objectivité en vient toujours à soumettre la connaissance de l'objet au  contrôle d'autrui . L'ordre de précision croissante est un ordre d'instrumentalisation croissante, donc de socialisation croissante. La science du solitaire est qualitative. La science socialisée est quantitative.

Dans l' éducation , il faudrait donc pousser les, élèves, pris en groupe, à la conscience d'une raison de groupe, autrement dit à l'instinct d'objectivité sociale, instinct qu'on méconnaît pour développer de préférence l'instinct contraire d'originalité, sans prendre garde au caractère truqué de cette originalité apprise dans les disciplines littéraires. Autrement dit, pour que la science objective soit pleinement éducatrice, il faudrait que son enseignement fût socialement actif. d'après nous, le principe fondamental de la  pédagogie  de l'attitude objective : Qui est enseigné doit enseigner. Une instruction qu'on reçoit sans la transmettre forme des esprits sans dynamisme, sans autocritique. un enseignement reçu est psychologiquement un empirisme ; un enseignement donné est psychologiquement un rationalisme

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La science - dissertations de philosophie

  • L’expérience n’est-elle qu’empirique ?
  • Apprendre est-ce seulement s'informer ?
  • À quoi servent les sciences ?
  • Comment les notions mathématiques dépendant de l'esprit peuvent-elles expliquer un réel qui n'en dépend pas ?
  • D'où vient la force des préjugés ?
  • En quoi consiste l'objectivité scientifique ?
  • Est-ce le recours à l'expérience qui garantit le caractère scientifique d'une théorie ?
  • Est-ce leur confirmation expérimentale qui fait le succès des sciences humaines ?
  • Faut-il croire pour savoir ?
  • La connaissance de soi comporte-t-elle des obstacles ?
  • La philosophie a-t-elle encore une place dans un monde surtout dominé par la science ?
  • La science découvre-t-elle ou construit-elle ses objets ?
  • La science et la technique nous autorisent-elles à considérer notre civilisation comme supérieure aux autres ?
  • La science ne fournit-elle que des certitudes ?
  • La science se limite-t-elle à constater les faits ?

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Pensée philosophique et pensée scientifique

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Indifférence réciproque, cohabitation pluridisciplinaire ou engagement interdisciplinaire ?

Vincent Citot, agrégé et Docteur en philosophie, directeur de la revue Le Philosophoire

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I- Les rapports de la philosophie à la science doivent se comprendre à partir de la genèse historique de ces disciplines

Pourquoi il revient à la science [1] de définir la philosophie

                  C’est une idée largement répandue chez les philosophes que la définition de la philosophie relève de leur compétence propre. « Qu’est-ce que la philosophie ? » serait une question éminemment philosophique. Les philosophes se sont toujours demandés quelle était la nature de leur réflexion, et y ont répondu en philosophant. De même, la religion a toujours prétendu définir elle-même sa nature profonde, en refusant que les historiens et sociologues des religions légifèrent sur son identité à sa place. On pourrait en dire autant des artistes, des moralistes, des juristes, des politiques, etc. : chacun s’estime spontanément le mieux placé pour penser ce qu’il fait. Mais comme ces disciplines sont à la fois théoriques et normatives (il y a des valeurs religieuses, morales, esthétiques, politiques), l’internalisation disciplinaire des questions de définition aboutit à la pluralité des engagements et des opinions. En effet, quand la visée normative se joint au propos descriptif, la réflexion prend tendanciellement un caractère personnel . La tentation est grande de définir une discipline en général à partir de l’usage que l’on en fait soi-même. L’essence de la pensée et de la pratique politique/artistique/juridique est conçue différemment selon les engagements politiques/artistiques/juridiques singuliers de celui qui se charge de la déterminer. De même, le philosophe a tendance à ériger (souvent inconsciemment) sa philosophie comme norme et définition de la philosophie. Au lieu de penser ce qu’est la philosophie, il cherche ce qu’elle devrait être ou ce qu’il voudrait qu’elle fût. En effet, comme nous le verrons, l’acte de philosopher engage, de près ou de loin, une dimension normative. La conséquence est qu’il y a presque autant de définitions de la religion que de religions, de définition de l’art qu’il y a de courants artistiques, de définition de la philosophie qu’il y a d’écoles philosophiques : l’internalisme méthodologique débouche sur la dispersion et la confusion.

Source : Stock.Xchng

Source : Stock.Xchng

En revanche, il n’y a pas autant de définitions de la science qu’il y a de programmes de recherche scientifiques. La raison de cette singularité est que, contrairement aux disciplines cognitivo-normatives, la science restreint son ambition à l’étude des faits et des lois : elle n’a pas d’autre ambition que de connaître. Si donc nous cherchons à connaître l’identité de la religion, de la politique, de l’art ou de la philosophie, il est peut-être plus raisonnable, plus instructif et moins naïf de demander à la science de la déterminer, plutôt que de collectionner les avis des religieux, des politiques, des artistes ou des philosophes. Cela n’allège pas la tâche intradisciplinaire d’énoncer ce que ces disciplines devraient être. D’une façon générale, le gain d’intelligibilité suppose un décentrement, une objectivation . C’est le meilleur moyen pour distinguer l’ être du devoir-être .

En cherchant dans la science – l’histoire et la sociologie principalement – une définition de la philosophie, nous nous engageons déjà dans une certaine compréhension de leurs rapports. On peut donc légitimement se demander si cette méthode n’est pas circulaire et n’a pas toujours déjà présupposé ce qu’elle cherche à montrer, à savoir que le rapport de la philosophie à la science est asymétrique, au bénéfice de la science. Il nous semble qu’il s’agit moins d’un présupposé que d’une thèse instruite par l’expérience et la réflexion, et nous espérons que les lignes qui suivent livrent quelques arguments en ce sens. En outre, notre but n’est pas de dévaloriser la philosophie mais, tout au contraire, de la sauver dans ce qu’elle a de spécifique. Comme toute démarche philosophique, le présent travail tâche de penser ensemble vérité et valeur – il se demande notamment ce qu’est la philosophie et ce qu’elle devrait être. C’est au nom de sa propre exigence de vérité que la philosophie doit reconnaître les limites de l’entreprise d’autodéfinition ; c’est pour être fidèle à l’esprit critique bien compris que la philosophie doit s’autocritiquer . La reconnaissance par la philosophie de ses propres bornes n’est pas suicidaire, mais salvatrice.

La philosophie comme pensée religieuse rationalisée

                  Que nous apprend donc la science historique sur la philosophie et ses rapports avec la science en général ? Dans le champ des disciplines théoriques, c’est-à-dire des entreprises intellectuelles de recherche de vérités universelles, la pensée religieuse est première. Quand les hommes ont cherché les principes de la nature, les lois du monde, la place de l’homme dans ce monde, etc., ils ont commencé par penser religieusement (nous distinguons la pensée religieuse, qui est une doctrine, de la religion proprement dite, qui est un ensemble de pratiques associées aux croyances, aux normes et dogmes de la pensée religieuse [2] ). Toute pensée religieuse propose une vision-du-monde d’une part, et une morale d’autre part : elle est à la fois explicative et normative.

                  Dans certaines sociétés, l’évolution des rapports socio-économiques, des mentalités et des besoins spirituels, a rendu les explications religieuses insuffisantes. C’est ainsi que dans l’Antiquité grecque, indienne, chinoise, romaine, puis dans la pensée arabo-musulmane et finalement dans la pensée européenne, il est apparu de plus en plus nécessaire de rationaliser la vision-du-monde religieuse. Non pour en finir avec la religion, mais, le plus souvent, pour la sauver. La pensée doit venir au secours d’une foi qui ne se soutient plus elle-même au sein d’une société complexe, individualisée et rationalisée – du fait d’une division et d’une spécialisation du travail –, et devant le développement de savoirs positifs. La philosophie est apparue, moins comme une antithèse de la religion, que comme une façon de perpétuer sa fonction intellectuelle et morale dans un monde nouveau. Ce monde plus technique, plus savant et plus urbanisé exige plus de rationalité. En Occident comme en Orient, la philosophie apparaît d’abord comme une pensée religieuse questionnée, réfléchie et rationalisée.

                  On retrouve donc dans la philosophie les deux fonctions essentielles de la pensée religieuse : expliquer le monde et donner à l’homme des règles de conduite. La philosophie associe une vision-du-monde à une sagesse , des valeurs cognitives à des valeurs morales ou existentielles. Si la philosophie a d’abord soutenu la pensée religieuse en la réformant, elle évolue ensuite vers une indépendance croissante, de sorte qu’elle finit souvent par l’affronter (et pas seulement en Occident). Mais quel que soit son degré d’autonomie, la philosophie a toujours cette double fonction d’expliquer le monde et de donner à l’homme des règles pour l’habiter au mieux. Elle est une pensée du monde et une pensée du rapport de l’homme au monde : tout en visant une certaine objectivité cognitive, le penseur ne saurait faire abstraction de sa condition existentielle.

L’apparition des sciences et ses conséquences sur la philosophie

                  La religion a dû déléguer à la philosophie une partie de sa fonction cognitive, puisqu’il est apparu nécessaire que la connaissance soit rationalisée pour être une connaissance authentique. Concomitamment, la pensée religieuse se replie de plus en plus sur ce qui lui revient en propre : la croyance, la foi, la révélation, les dogmes. La philosophie, qui s’est faite une spécialité de l’exercice de l’esprit critique et de la pensée rationnelle, laisse à la religion ses dogmes et ses mythes. En matière de connaissance, son autorité et son indépendance ne font que croître. En tant que discipline du savoir, elle est la « science ». Faut-il rappeler que toutes les sciences aujourd’hui autonomes étaient d’abord incluses dans la religion puis dans la philosophie, qui ont joui successivement du monopole du savoir ? Les différentes sciences naissantes n’étaient que des sous-parties de la philosophie : aucune contestation ne pouvait avoir de sens entre le tout et les parties.

                  Mais petit à petit (à partir du XVII e siècle en Europe), il est devenu clair que la science dispose de méthodes d’investigation spécifiques, qui tranchent avec les questions « métaphysiques ». Quand la science devient expérimentale, sa différence avec les questionnements spéculatifs devient patente. Le processus d’autonomisation des sciences positives par rapport à la pensée philosophique est en marche. Mais ce processus ne prend pas la tournure que les philosophes auraient pu espérer : voir les sciences s’autonomiser comme une mère admire ses enfants grandir tout en restant fidèles et reconnaissants. C’est bientôt contre la philosophie que la science doit gagner sa place dans le monde intellectuel. Comme la philosophie a fini par s’opposer à la religion, la science se pose en s’opposant à la philosophie. L’histoire noogénétique (l’histoire des formations spirituelles) est celle d’un matricide toujours recommencé.

                  Face aux amputations qu’elle a dû subir (l’autonomisation successive des différentes sciences), “la” philosophie a réagi au moins de trois façons. La première peut être dite “ fair-play ” : les philosophes se réjouissent de la bonne santé d’une science indépendante, car leur souci de voir les connaissances s’accroître est plus fort que les jalousies et les querelles académiques – l’humanisme transcende le chauvinisme disciplinaire. La deuxième réaction marque une position intermédiaire : les philosophes abandonnent à la science la connaissance positive mais cherchent en quelque sorte à “sauver les meubles” : si la philosophie n’est plus la discipline du savoir, au moins restera-t-elle celle qui fonde les savoirs. Elle demeure légitime – et même dominatrice – en se faisant discipline du “fondement”. Aux sciences particulières reviennent les savoirs particuliers, mais la philosophie seule pourrait penser le savoir dans toute sa généralité et dans ses conditions de possibilité – et donc établir une « théorie de la connaissance ». La troisième réaction est une réaction de défense qui peut prendre l’aspect d’un anti-scientisme militant. La philosophie résiste, se cabre, devient proprement réactionnaire (par rapport au mouvement de l’histoire qui voit s’épanouir les différentes sciences). [3] On dissocie ce qui était auparavant complémentaire, et on promeut le sentiment contre la raison, l’existence contre le savoir, la beauté contre la vérité, la nature contre la technique et la philosophie contre la science.

Quand le modèle de rigueur scientifique a fini par s’imposer dans les esprits et dans l’institution universitaire (vers la fin du XIX e siècle), une ultime réaction philosophique a consisté à inventer des “sciences philosophiques ” dont le but implicite ou explicite est de concurrencer  – et, pour certaines, de dominer – les sciences positives [4]  : la psychologie philosophique (la « phénoménologie » [5] ), l’anthropologie philosophique (l’« existentialisme », l’« herméneutique », le « structuralisme » et le « marxisme » dans leurs versions philosophiques), la linguistique et la logique philosophiques (le « positivisme logique », l’« empirisme logique », la « philosophie analytique », voire la « grammatologie »), l’histoire philosophique (le « matérialisme historique », la « dialectique », l’« archéologie », l’« histoire philosophique de la philosophie » [6] ), la théorie de la connaissance philosophique (la « philosophie de l’esprit » et l’aspect philosophique des « sciences cognitives ») – liste non exhaustive. Aujourd’hui, ces écoles de pensées dominent largement le paysage philosophique.

Certaines de ces entreprises ont indéniablement permis d’enrichir la compréhension de l’homme, de sorte que la contre-offensive des philosophes a eu et a encore des effets réels dans le champ intellectuel. Mais quel que soit l’avenir des tentatives de conserver au sein de la philosophie une dimension cognitive, il faut reconnaître qu’aucune n’est parvenue à concurrencer sérieusement la science, et encore moins à s’y substituer. En lieu et place des procédures de vérification scientifique, le philosophe n’a pour lui que son génie propre, ce qui se révèle rarement suffisant sur le long terme pour faire progresser le savoir. Il n’est donc pas étonnant de constater que les diverses “sciences philosophiques” sont largement plus influencées par l’évolution des sciences proprement dites qu’elles n’ont déterminé celle-ci en retour. Pour ne prendre qu’un seul exemple : tandis que les progrès de la neurobiologie sont capitaux pour les « philosophes de la cognition », les doctrines de ces derniers n’ont guère d’effet sur la neurobiologie. En outre, ce n’est guère la philosophie qui rend féconde l’interdisciplinarité des « sciences cognitives ». Le philosophe cherchant à imiter la rigueur scientifique se condamne à une posture qui ressemble un peu à celle du mauvais élève “louchant” sur la copie de son camarade de classe, au lieu de réfléchir par lui-même au problème qui lui est soumis, avec ses moyens propres et en le reformulant à nouveaux frais. Après avoir été la science, puis l’avoir dominé , imité ou ignoré , la philosophie doit à présent s’en instruire – et cela sans renoncer à son ambition intellectuelle.

En effet, même si la philosophie devait céder de plus en plus de terrain face à la science, il lui reste tout de même la dimension axiologique à laquelle la science n’a pas d’accès direct, et sur laquelle bien des philosophes choisissent de se replier. La morale, le sens de la vie, le bonheur, la sagesse : voilà des objets dignes de penser, que la science ne pense pas, ou pense à sa manière (par des procédés d’objectivation, de quantification et de modélisation). La science, quelle que soit sa puissance présente et future, ne peut absorber complètement la philosophie. L’histoire noogénétique n’est pas celle d’un remplacement de la religion par la philosophie puis de la philosophie par la science : les trois disciplines ont vocation à cohabiter parce que, après certains ajustements, chacune peut trouver son domaine spécifique sur lequel aucune autre n’empiète.

Philosophie et science : rivalité ou complémentarité ?

                  Cet aperçu historique – qui peut être considéré comme une introduction à notre problème – permet de comprendre les enjeux des rapports de la philosophie à la science autonomisée. Sur le plan théorique, ce sont principalement des rapports de substitution et de contestation. Ils sont aussi conflictuels que ceux que la philosophie a entretenus historiquement avec la religion. L’époque actuelle cherche des relations plus pacifiques, et se demande s’il serait possible de mettre en place des collaborations interdisciplinaires entre la science et la philosophie. Autrement dit, après la relation d’ identité (la science incluse dans la philosophie) puis de rivalité (la science contestant à la philosophie sa compétence en matière cognitive), on se demande si une relation de complémentarité est possible.

D’un point de vue historique, il est aussi incongru de demander une complémentarité entre la philosophie et la science qu’entre la religion et la philosophie. Peut-on imaginer un travail interdisciplinaire entre la religion et la philosophie, entre la religion et la science, entre des alchimistes et des chimistes, des astrologues et des astronomes ? On pressent que, si la science prétend dépasser la religion et la philosophie sur le terrain des connaissances, elle ne leur demandera pas de la compléter sous cet aspect .

Ceci dit, la religion et la philosophie ne se réduisent pas à leur caractère cognitif, puisqu’elles sont aussi pourvoyeuses de normes. Mais une nouvelle difficulté se présente s’il est question d’interdisciplinarité sur des problèmes aussi hétérogènes que les problèmes cognitifs et axiologiques. D’une façon générale, en effet, pour qu’une interdisciplinarité fasse sens, il faut que des disciplines indépendantes puissent travailler ensemble sur un problème commun . Nous devons donc au total nous poser principalement deux questions :

– La philosophie et la science ont-elles un intérêt à travailler ensemble sur les questions qui leur seraient communes ? (Partie II)

– Sur les questions qui ne le seraient pas, quelle forme de collaboration peut s’établir ? (Partie III)

Science et philosophie

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Vous écrivez, incroyable, « Quand le modèle de rigueur scientifique a fini par s’imposer dans les esprits et dans l’institution universitaire (vers la fin du XIXe siècle) ». Et c’est qui Aristote? Croyez-vous vraiment que les philosophes académiques ne savent pas dire ce qu’est la philo, ou qu’aveugles ils pratiquent sans savoir ce qu’ils font, ceci depuis les millénaires passés? Non mais croyez-vous que ces spécialistes s’occupent encore d’une définition aussi basique, sinon de ses applications, alors qu’elle a été donnée déjà et selon la même idée et en des termes adaptés depuis par exemple Parménide, Anaxagore ou Platon notamment République VIII: donner à voir, en conclusion ou en deuxième puissance, ce qui est donné à voir en première puissance?! Voyez, c’est encore cela, l’entendement kantien! Qu’il suffit de lire les titres des matières qui composent, disons une licence, sur lesquelles cette ambition d’ascension royale s’applique? Comment voulez-vous philosopher si les bases ne sont pas acquises? Croyez-vous vraiment que la philo académique se réinvente à chaque auteur?

Les philosophes se sont toujours demandés. Énorme faute qui en dit long… Demandé…SANS. « S »!

Je croyais qu’il s’était écrit quelques livres depuis Auguste Comte, j’ai dû me tromper. Mon pauvre ami il y a belle lurette que la notion de « science » a explosé ,en faire un concept rigide comme vous le faites est étonnant: lisez un peu, je ne sais pas , Canguilhem c’est un minimum, puis Bruno Latour, commencez par « La vie de laboratoire » puis vous finirez bien par tomber sur un livre de Ellul. La science ne se vit plus ne se construit plus,ne s’élabore plus en vase clôt depuis très longtemps depuis au moins 70 ans, la « science » est en interaction permanente avec la société et croire comme vous le faites qu’elle serait un pur savoir est une illusion grave. Lisez Canguilhem au moins c’est le premier à l’avoir montré

Pardonnez moi Coursier mais « demandés » prend bien un s puisqu’il s’accorde avec les philosophes l’auxiliaire utilisé étant l’auxiliaire être. Avant de reprendre les autres, veillez à vérifier ce que vous affirmez. Cordialement.

Le philosophe est un scientifique, mais le scientifique n’est pas forcément philosophe. Pour moi est « scientifique » l’homme de science qui cherche coûte que coûte à augmenter les connaissances que nous avons sur le monde. Le philosophe est scientifique dans le sens où il cherche à comprendre le monde mais pas coûte que coûte. En gros est philosophe un bon scientifique, et simplement scientifique un scientifique pas bon.

Bonjour, Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser.

https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ

Cordialement

Désolé, Théodore, mais « demandé » ne doit pas prendre de « s ». En effet, le pronom « se » n’est pas complément d’objet direct, mais indirect. « Les philosophes ont toujours demandé à eux-mêmes ». Règle de grammaire indiscutable que vous semblez avoir oubliée et qui rend inapproprié, ou même comique votre désir de vouloir donner des leçons syntaxiques à Coursier… Mais tout cela est secondaire et je remercie Monsieur Citot de cette belle étude.

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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine

Jean-Luc Marion : "Le sceptique doute des réponses, le philosophe doute des questions"

À quoi reconnaît-on un philosophe ? À ce qu’il remet sans cesse en jeu les questions qui le taraudent afin d’en trouver de meilleures ! Ce qu’il cherche à penser résiste aux simplifications : un excès qui, dans les choses telles qu’elles nous sont données, se dérobe à la prise des sciences et de la logique mathématique.

Comment avez-vous découvert la philosophie ?

J’ai commencé très tôt à avoir des interrogations qui, rétrospectivement, me paraissent philosophiques. J’ai été notamment frappé par la lecture de certains auteurs, Descartes, Kierkegaard ou même Marx, dont je ne comprenais pas vraiment ce qu’ils voulaient dire mais cette obscurité même me semblait plus intelligente que les banalités qu’on me racontait ailleurs : j’expérimentais que, d’un coup, un certain mot me tombait en tête que l’on ne pouvait remplacer par aucun autre, parce qu’il possède un sens qui s’impose même s’il nous échappe encore. Et ce mot accomplit une opération car, à partir de lui, même obscur, on peut éclairer d’autres choses, supposées claires. J’étais, pour résumer, frappé par la puissance des mots quand ils devenaient des concepts. La philosophie, de ce point de vue, ne m’a d’abord pas été une affaire de théorie mais bien de pratique : de pratique théorique ou, mieux, de production d’intelligibilité. Un philosophe produit ou provoque de l’intelligibilité par des énoncés d’apparence inintelligibles. Par exemple, quand Kant dit que l’espace est une dimension de la subjectivité, comment n’être pas estomaqué ? Tout le monde sait bien que l’espace caractérise le monde, pas le sens interne.

" La philosophie ne pense rien. Mais ce rien n’est pas rien. Il ouvre la dimension où se trouve tout ce qui ne se réduit à aucun étant"  Jean-Luc Marion  

Mais, finalement, peu à peu, on réussit à dépasser sa perplexité et on finit par comprendre que le monde matériel ne devient intelligible qu’une fois réduit à « l’étendue des géomètres » – pour citer Descartes –, laquelle étendue n’a rien de matériel et tout de l’imagination ou de l’intuition. Seul ce genre de paradoxe à comprendre fait entrer en philosophie. On n’en devient pas idéaliste, matérialiste, kantien ou ce qu’on voudra pour autant, car tous ces labels relèvent de l’idéologie. Or la philosophie ainsi expérimentée me devint le meilleur, peut-être même le seul remède contre l’idéologie, à une époque où elle dominait la vie intellectuelle (comme toujours, sans doute). Nous subissions, quand j’étais jeune, l’assaut de ces gens qui avaient réponse à tout parce qu’ils ne se posaient en fait aucune vraie question, aucune question à laquelle ils n’avaient pas déjà la réponse. La philosophie ne consiste pas en un amour naïf des questions pour les questions, mais en la mise en cause des réponses déjà toutes faites à des questions déjà toutes figées et admises sans aucune critique. Bref, la philosophie remet en cause, pour le dire autrement, les dispositifs tout prêts de question-réponse qui évitent justement le fond des questions – leurs biais, leurs présupposés jamais abordés. Mon idée de la philosophie est, vous le voyez, fort peu dogmatique mais aucunement sceptique. Le sceptique doute des réponses, le philosophe doute des questions.

C’est ce qui a motivé, pour vous, le choix d’étudier la philosophie ?

Je me suis lancé en philosophie parce que le discours philosophique me semblait de loin le plus puissant. Mais comment y entrer et s’y faire ? M’étant très vite penché sur l’histoire de la philosophie, je conseillerais volontiers à chacun d’en faire autant. Faire de l’histoire de la philosophie, non pas en accumulant des faits et des thèses historiques pour le plaisir de l’anecdote, bien sûr, mais pour se mettre à l’école des grands -penseurs, pour essayer de comprendre avec eux ce qu’ils ont compris alors que leurs contemporains n’y parvenaient pas. J’eus d’abord quelques illuminations auprès de Jean Beaufret, qui avait une singulière capacité à ouvrir les textes plutôt qu’à les refermer, considérant qu’ils disent toujours plus que ce qu’ils semblent dire ou que ce qu’on leur fait dire – ils disent aussi et surtout ce qu’ils laissent impensé. J’ai ensuite été formé à la lecture de Descartes et de son moment spéculatif par Ferdinand Alquié qui, contrairement à beaucoup d’autres, n’essayait pas de transformer les auteurs en penseurs systématiques et parfaitement cohérents. Alquié s’intéressait plutôt aux évolutions génétiques de la pensée – contre la tendance alors dominante qui poussait certains à inventer des pans entiers de doctrine, à la compléter et donc à la déformer afin de la rendre systématique.

"Le philosophe n’est pas quelqu’un de particulièrement intelligent, mais plutôt celui qui encaisse des coups, qui a le courage de l’aporie"   Jean-Luc Marion

Pour Alquié, l’intérêt résidait dans les difficultés rencontrées par l’auteur, celles qu’il n’avait pas réussi à résoudre et qui le poussaient parfois à changer de paradigme, à poser d’autres questions ou autrement la première question. Pourquoi les grands penseurs sont-ils des grands ? Parce qu’ils ne s’en tiennent pas à leur première trouvaille, parce qu’ils entreprennent sans peur une « nouvelle navigation », osent modifier non seulement leurs réponses antérieures, mais plus encore leurs questions. Le vrai philosophe ne considère pas qu’il faille simplement changer de réponse quand celle-ci lui paraît insatisfaisante, ou renoncer à répondre. Il comprend que la difficulté vient d’une question mal posée, qui configure un problème selon des coordonnées inappropriées. En somme, il s’interroge sur la manière dont les questions furent posées et les met à leur tour en question par une question plus essentielle. Le philosophe n’est par conséquent pas quelqu’un de particulièrement intelligent, mais plutôt celui qui encaisse des coups, qui a le courage de l’aporie [difficulté logique apparemment insoluble, ndlr]. Ce n’est pas tant un théoricien que quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’idées fixes mais qui se laisse impressionner par l’apparente inintelligibilité des choses. La philosophie doit devenir une critique parce qu’elle se demande d’abord « Que veux-je dire quand je dis quelque chose ? » C’est un long travail. Le philosophe essaie de se dire explicitement ce qu’il avait déjà dit implicitement, ce qu’il avait pressenti sans parvenir à le dire. Il veut comprendre ce qu’il avait dit précédemment sans vraiment le comprendre. Un philosophe, en somme, c’est quelqu’un qui ne lâche pas la question, quoi qu’il lui en coûte – et pas quelqu’un qui cherche à maintenir à tout prix ses positions. Ça n’est surtout pas celui qui, ayant une seule intuition originelle, la poursuit obstinément devant toute nouvelle interrogation.

Quel est l’effet produit par la rencontre des grands penseurs ?

Un grand penseur, qui questionne vraiment, transforme l’horizon et ouvre un nouveau commencement. C’est la force d’Aristote, Descartes, Kant, Husserl, etc. De Heidegger, aussi, qui a parfaitement raison de dire que la question de l’être, finalement, fut dès le départ mal posée, et qu’il faut la reprendre en se demandant ce qui a été manqué, oublié, occulté. Nietzsche aussi a été un tel questionneur : sa grandeur a consisté à ne fournir, au fond, aucune réponse, mais à trouver en dernière instance la question du nihilisme, jusqu’à remettre définitivement en cause la métaphysique parce que, précisément, celle-ci ne questionne pas sa manière de poser les questions et s’accroche à des présupposés jamais interrogés, les idoles de la conscience de soi, de la substance, de la causalité, de la « mort de Dieu », etc.

Vous accordez une grande place à la lecture et à la confrontation avec les grands penseurs. L’étonnement spontané, celui de l’enfant par exemple, est-il l’origine du questionnement philosophique ou une image naïve ?

Je pense en réalité que l’on ne s’étonne pas beaucoup, ni facilement. Les choses ne sont d’ailleurs pas faites pour qu’on s’étonne spontanément. Au contraire, nous avons un besoin irrépressible de leur familiarité, d’autant plus que nous sommes soumis à la dictature de l’actualité, ce qui par principe empêche de s’étonner : nous sommes chaque jour attirés, tels des insectes autour d’une lumière, par une nouveauté, mais une nouveauté qui ressemble toujours à ce qu’elle remplace. Nous recevons les mêmes informations, les mêmes images, à une variante insignifiante près. Nous sommes sans distance. Certes, l’origine du conformisme change : autrefois, il s’agissait de « la tradition », alors que le conformisme lui-même la réveille sans cesse. L’étonnement, de ce point de vue, ne semble pas se situer au début, comme l’aiguillon de la démarche philosophique : c’est plutôt ce que l’on finit par atteindre lorsqu’on effectue un pas de retrait ou de côté, lorsqu’on réussit à s’affranchir des cadres imposés. Ce pas de côté, assurément, s’apparente à une libération, une victoire sur l’aliénation, à travers laquelle nous nous ressaisissons nous-mêmes. La philosophie, ainsi comprise, n’a, je crois, rien de spontané. Elle implique un travail considérable. Lire, en particulier. Et j’ajouterais qu’il faut, en matière de livres, privilégier ceux qu’on ne comprend pas, car la philosophie s’oppose à la facilité de l’évidence. Un livre qu’on ne comprend pas, du reste, réserve des promesses. Il faut, pour découvrir ces promesses, aller au combat avec le texte. De ces lectures exigeantes, on ressort grandi.

Pour beaucoup de lecteurs, ces grands textes paraissent souvent très abstraits !

La concrétude de la question échappe en effet souvent. Mais imaginez-vous, sans aucune connaissance de notation musicale, devant une partition de Mozart : vous n’y comprenez évidemment rien. Vous commencerez à comprendre si quelqu’un vous joue la pièce. Les gens, face à un livre de philosophie, se trouvent en quelque sorte dans la même position ; ils ne comprennent pas ce dont il s’agit. Peut-être arrivent-ils à suivre, formellement, les phrases et leur enchaînement dans un raisonnement ; mais ils ne saisissent pas la chose en jeu derrière les mots. Il faut un professeur pour leur jouer la partition, ou leur apprendre à la jouer. Pourtant cette chose derrière les mots se révèle, bien souvent, éminemment concrète. La lecture de la Science de la logique de Hegel ou des Recherches logiques de Husserl le prouve parfois éminemment.

Mais quelle est cette chose derrière ? Les gens semblent souvent déconcertés de voir que la philosophie semble ne pas avoir d’objet spécifique, qu’elle semble parler de tout.

Certes, la philosophie n’a pas d’objet puisque l’objet désigne justement ce que l’esprit peut constituer, par conséquent ce sur quoi il exerce une maîtrise. Rien n’est donc plus subjectif que l’objet. Au contraire, toutes les sciences (par définition régionales) se font des objets particuliers. Elles s’organisent à partir de leurs méthodes pour construire leurs objets. Leur manière d’aborder le monde sous le mode de l’objet procède par la démonstration, l’explication causale, les concepts a priori, etc. – autant de choses que l’on peut ramener, si l’on veut, au calcul. La philosophie, elle, n’est pas une science : depuis l’origine, peut-être, elle essaie de penser sans calculer, sur un autre mode, qui tient bien davantage de l’approfondissement, de l’enfoncement dans la profondeur des choses. Heidegger a tout à fait raison de ce point de vue de soutenir que « la science ne pense pas ». La philosophie pense parce qu’elle aborde ce qui, précisément, échappe à toute constitution possible par l’homme, ce qui se donne en une forme d’excès sur sa propre maîtrise. On dira alors que la philosophie, dans une certaine mesure, ne pense rien. Mais ce rien n’est pas rien. Ce rien ouvre la dimension où se trouve tout ce qui ne se réduit à aucun étant [ce qui est]. Certains nommeront cette dimension « l’être », sans savoir dire très exactement de quoi il retourne sous ce mot. Mais on voit bien ce que l’on cherche alors à désigner : une chose qui n’est aucun étant ou aucun groupe d’étant, qui n’est pas même l’effet d’un étant suprême qui en serait la cause (Dieu, au sens où l’entend la métaphysique). D’autres parleront plus volontiers de sens, de finalité, de monde, d’inconditionné. Mais ce qui se trouve en jeu, pour le dire plus simplement, consiste au fond de notre expérience. Car la vie d’un individu ne se joue jamais d’abord sur les objets qu’il maîtrise ; elle se joue sur ce qu’il ne maîtrise pas, sur l’indéterminé qu’il doit gérer, sur les décisions qu’il prend sans avoir de raison claire et suffisante de les prendre, mais qu’il ne peut pas ne pas prendre, et surtout sur les événements qui lui arrivent. Bref, la vie se joue sur tout ce qui n’est pas objet. Nous n’avons de destin ou de liberté que parce que tout n’est pas objectivable. C’est cet inobjectivable qui questionne la philosophie.

Dans quelle mesure faut-il, pour penser cet inobjectivable, renoncer à la logique ?

Il y a des phénomènes qui ne sont pas des objets ; on peut pourtant les décrire avec une rigueur logique. Il faut donc admettre, comme le disait Husserl, un « concept plus large du logos » , une logique qui n’a pas de rapport avec la logique mathématique. Le défi, qui fut en particulier celui de la phénoménologie, tient à cela : rester rigoureux dans les descriptions, mais sans réduire l’enjeu à un objet. C’est ce que j’ai essayé, par exemple, dans Le Phénomène érotique. Tout devait s’y enchaîner avec une parfaite logique sans qu’il ne soit jamais question d’objet. Comparez avec la description du rapport sexuel par Sartre dans L’Être et le Néant : il s’agit toujours d’un rapport d’objet, qui conduit à appréhender (et en fait à manquer) l’érotique sur le mode de la maîtrise, de la domination. Cela ne pouvait finir que par le sadisme et autres choses de ce genre. Il faut, en philosophie, parvenir au contraire à une description des phénomènes affranchie de la logique étroite de l’objet. C’est pourquoi les philosophes ont besoin de faire un effort littéraire. Ce n’est pas facultatif mais impératif pour éviter la langue de bois, à l’imitation des sciences. Tout, si l’on s’affranchit de la logique strictement mathématique, peut se trouver rigoureusement décrit, comme fit Husserl en recourant à des variations imaginatives, au flux irréductible du temps, aux synthèses passives, à la chair, voire à des descriptions des absurdités logiques. Mais, bien entendu, cela semble d’abord très déconcertant. Il faut en quelque sorte changer d’alphabet. La philosophie suscite ici une gêne, peut-être même une répulsion, parce qu’elle se dépouille de l’assise bien établie sur laquelle les sciences prospèrent.

L’entreprise philosophique a quelque chose de déconcertant mais elle peut, en même temps, parler des choses les plus ordinaires, n’est-ce pas ?

Bien entendu, le banal peut aussi se trouver -interrogé par la philosophie. À condition de montrer ce qui, dans le banal, relève en fait lui aussi – lui surtout – de l’extraordinaire. Prenez un exemple utilisé par Austin pour penser les énoncés performatifs qui ont la particularité d’accomplir ce qu’ils disent : le baptême d’un bateau. Ce n’est pas assez, à mon avis, pour faire ressortir l’extraordinaire. Il faut aller plus loin : saisir que le performatif n’est, en réalité, que l’imitation de la parole sacramentelle. Qu’il vaut comme un cas dérivé de la liturgie. Voilà qui mérite d’être exploré, approfondi. Voilà qui fait voir le banal sous un autre jour. La question de l’être, si l’on veut y revenir, est particulièrement frappante à cet égard.

En quel sens ?

L’être, c’est ce qu’il y a, pour nous, de plus familier, ce qu’il y a de plus proche. Nous sommes sans cesse, peut-être à jamais, dans un certain rapport à l’être. Cependant nous ne nous posons presque jamais aucune question à son propos. Nous sommes accaparés par les étants alentour, collés à eux, passant sans cesse de l’un à l’autre sans jamais interroger la dimension qui nous tient les uns par rapport aux autres, du mouvement qui nous confie les uns aux autres. C’est une question évidemment cruciale. Une angoisse aussi, comme le dira Heidegger : dès lors que l’on saute le pas de cette interrogation, quelque chose vacille. Les choses ne vont plus de soi comme des étants ; notre position dans le monde, et donc la manière dont nous nous y engageons, fait elle-même une question. Une sorte d’abîme sans fond, insaisissable, s’ouvre qui peut conduire au nihilisme ; un abîme à laquelle Heidegger n’a jamais échappé. Je crois avoir réussi à montrer qu’il fallait, pour retrouver un fond, resituer la question de l’être à partir de celle de l’événement : ce qui arrive sans cause, qui reste radicalement imprévisible, qui s’excepte du possible et pourtant existe quand même. Notre existence se découvre alors comme scandée par un nombre indéterminable d’événements qui nous adviennent sans que nous les comprenions et qui constituent l’extrême réalité de notre vie. Deux au moins nous arrivent à tous : la naissance et la mort. Nous cherchons, en vain, à contrôler ces événements qui, comme toutes les choses décisives, s’imposent à nous, malgré nous, en dépit de notre volonté. Nous rejoignons la question du non-constituable. L’inconstituable paraît, pour nos sociétés qui maîtrisent toujours davantage, une offense presque insupportable – une angoisse plus grande encore que celle dont parlait Heidegger. Cet inconstituable apparaît toujours plus nettement à mesure que nous gagnons en contrôle, comme ce qui ébranle irréductiblement cet affermissement de contrôle. Si la philosophie doit nous apprendre quelque chose, c’est peut-être précisément à renoncer à la volonté maladive de contrôle. Penser ce qui se donne, mais qui ne se possède pas – la philosophie n’a sans doute pas d’autre avenir que cette tâche.

Expresso : les parcours interactifs

la science ne pense pas dissertation

Kant et le beau

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Philosophie, Science et Société

Pensée philosophique et pensée scientifique

Il est indispensable aux philosophes, pour être à la hauteur de leur vocation, de garder un lien étroit avec la culture scientifique (en particulier celle des sciences humaines). Cette relation est asymétrique, puisque pour des raisons liées à la nature et la spécificité du problème philosophique, les savants ne bénéficient qu’indirectement de l’éclairage des philosophes, tandis que ceux-ci doivent être très directement informés des avancées scientifiques.

Pour citer cet article :

1. Philosophie et science : genèse historique

2. interdisciplinarité philosophie science, 3. pluridisciplinarité pour les problèmes axiologiques.

Texte intégral :

Les rapports de la philosophie à la science doivent se comprendre à partir de la genèse historique de ces disciplines

1.1 Pourquoi il revient à la science 1 de définir la philosophie

 C’est une idée largement répandue chez les philosophes que la définition de la philosophie relève de leur compétence propre. « Qu’est-ce que la philosophie ? » serait une question éminemment philosophique. Les philosophes se sont toujours demandés quelle était la nature de leur réflexion, et y ont répondu en philosophant. De même, la religion a toujours prétendu définir elle-même sa nature profonde, en refusant que les historiens et sociologues des religions légifèrent sur son identité à sa place. On pourrait en dire autant des artistes, des moralistes, des juristes, des politiques, etc. : chacun s’estime spontanément le mieux placé pour penser ce qu’il fait. Mais, comme ces disciplines sont simultanément théoriques et normatives (il y a des valeurs religieuses, morales, esthétiques, politiques), l’internalisation disciplinaire des questions de définition aboutit à la pluralité des engagements et des opinions. En effet, quand la visée normative se joint au propos descriptif, la réflexion prend tendanciellement un caractère personnel. La tentation est grande de définir une discipline en général à partir de l’usage que l’on en fait soi-même. L’essence de la pensée et de la pratique politique/artistique/juridique est conçue différemment selon les engagements politiques/artistiques/juridiques singuliers de celui qui se charge de la déterminer. De même, le philosophe a tendance à ériger (souvent inconsciemment) sa philosophie comme norme et définition de la philosophie. Au lieu de penser ce qu’est la philosophie, il cherche ce qu’elle devrait être ou ce qu’il voudrait qu’elle fût. En effet, comme nous le verrons, l’acte de philosopher engage, de près ou de loin, une dimension normative. La conséquence est qu’il y a presque autant de définitions de la religion que de religions, de définition de l’art qu’il y a de courants artistiques, de définition de la philosophie qu’il y a d’écoles philosophiques : l’internalisme méthodologique débouche sur la dispersion et la confusion.

En revanche, il n’y a pas autant de définitions de la science qu’il y a de programmes de recherche scientifiques. La raison de cette singularité est que, contrairement aux disciplines cognitivo-normatives, la science restreint son ambition à l’étude des faits et des lois : elle n’a pas d’autre ambition que de connaître. Si nous cherchons à connaître l’identité de la religion, de la politique, de l’art ou de la philosophie, il est peut-être plus raisonnable, plus instructif et moins naïf de demander à la science de la déterminer, plutôt que de collectionner les avis des religieux, des politiques, des artistes ou des philosophes. Cela n’allège pas la tâche intradisciplinaire d’énoncer ce que ces disciplines devraient être. D’une façon générale, le gain d’intelligibilité suppose un décentrement, une objectivation. C’est le meilleur moyen pour distinguer l’être du devoir-être.

En cherchant dans la science – l’histoire et la sociologie principalement – une définition de la philosophie, nous nous engageons déjà dans une certaine compréhension de leurs rapports. On peut donc légitimement se demander si cette méthode n’est pas circulaire et n’a pas toujours déjà présupposé ce qu’elle cherche à montrer, à savoir que le rapport de la philosophie à la science est asymétrique, au bénéfice de la science. Il nous semble qu’il s’agit moins d’un présupposé que d’une thèse instruite par l’expérience et la réflexion, et nous espérons que les lignes qui suivent livrent quelques arguments en ce sens. En outre, notre but n’est pas de dévaloriser la philosophie, mais, tout au contraire, de la sauver dans ce qu’elle a de spécifique. Comme toute démarche philosophique, le présent travail tâche de penser ensemble vérité et valeur – il se demande notamment ce qu’est la philosophie et ce qu’elle devrait être. C’est au nom de sa propre exigence de vérité que la philosophie doit reconnaître les limites de l’entreprise d’autodéfinition ; c’est pour être fidèle à l’esprit critique bien compris que la philosophie doit s’autocritiquer. La reconnaissance par la philosophie de ses propres bornes n’est pas suicidaire, mais salvatrice.

1.2 La philosophie comme pensée religieuse rationalisée

 Que nous apprend donc la science historique sur la philosophie et ses rapports avec la science en général ? Dans le champ des disciplines théoriques, c’est-à-dire des entreprises intellectuelles de recherche de vérités universelles, la pensée religieuse est première. Quand les hommes ont cherché les principes de la nature, les lois du monde, la place de l’homme dans ce monde, etc., ils ont commencé par penser religieusement (nous distinguons la pensée religieuse, qui est une doctrine, de la religion proprement dite, qui est un ensemble de pratiques associées aux croyances, aux normes et dogmes de la pensée religieuse2). Toute pensée religieuse propose une vision-du-monde d’une part, et une morale d’autre part : elle est à la fois explicative et normative.

 Dans certaines sociétés, l’évolution des rapports socio-économiques, des mentalités et des besoins spirituels, a rendu les explications religieuses insuffisantes. C’est ainsi que dans l’Antiquité grecque, indienne, chinoise, romaine, puis dans la pensée arabo-musulmane et finalement dans la pensée européenne, il est apparu de plus en plus nécessaire de rationaliser la vision-du-monde religieuse. Non pour en finir avec la religion, mais, le plus souvent, pour la sauver. La pensée doit venir au secours d’une foi qui ne se soutient plus elle-même au sein d’une société complexe, individualisée et rationalisée – du fait d’une division et d’une spécialisation du travail –, et devant le développement de savoirs positifs. La philosophie est apparue, moins comme une antithèse de la religion, que comme une façon de perpétuer sa fonction intellectuelle et morale dans un monde nouveau. Ce monde plus technique, plus savant et plus urbanisé exige plus de rationalité. En Occident comme en Orient, la philosophie apparaît d’abord comme une pensée religieuse questionnée, réfléchie et rationalisée.

 On retrouve donc dans la philosophie les deux fonctions essentielles de la pensée religieuse : expliquer le monde et donner à l’homme des règles de conduite. La philosophie associe une vision-du-monde à une sagesse, des valeurs cognitives à des valeurs morales ou existentielles. Si la philosophie a d’abord soutenu la pensée religieuse en la réformant, elle évolue ensuite vers une indépendance croissante, de sorte qu’elle finit souvent par l’affronter (et pas seulement en Occident). Mais, quel que soit son degré d’autonomie, la philosophie a toujours cette double fonction d’expliquer le monde et de donner à l’homme des règles pour l’habiter au mieux. Elle est une pensée du monde et une pensée du rapport de l’homme au monde : tout en visant une certaine objectivité cognitive, le penseur ne saurait faire abstraction de sa condition existentielle.

1.3 L’apparition des sciences et ses conséquences sur la philosophie

 La religion a dû déléguer à la philosophie une partie de sa fonction cognitive, puisqu’il est apparu nécessaire que la connaissance soit rationalisée pour être une connaissance authentique. Concomitamment, la pensée religieuse se replie de plus en plus sur ce qui lui revient en propre : la croyance, la foi, la révélation, les dogmes. La philosophie, qui s’est faite une spécialité de l’exercice de l’esprit critique et de la pensée rationnelle, laisse à la religion ses dogmes et ses mythes. En matière de connaissance, son autorité et son indépendance ne font que croître. En tant que discipline du savoir, elle est la « science ». Faut-il rappeler que toutes les sciences aujourd’hui autonomes étaient d’abord incluses dans la religion puis dans la philosophie, qui ont joui successivement du monopole du savoir ? Les différentes sciences naissantes n’étaient que des sous-parties de la philosophie : aucune contestation ne pouvait avoir de sens entre le tout et les parties.

 Mais petit à petit (à partir du XVIIe siècle en Europe), il est devenu clair que la science dispose de méthodes d’investigation spécifiques, qui tranchent avec les questions « métaphysiques ». Quand la science devient expérimentale, sa différence avec les questionnements spéculatifs devient patente. Le processus d’autonomisation des sciences positives par rapport à la pensée philosophique est en marche. Mais, ce processus ne prend pas la tournure que les philosophes auraient pu espérer : voir les sciences s’autonomiser comme une mère admire ses enfants grandir tout en restant fidèles et reconnaissants. C’est bientôt contre la philosophie que la science doit gagner sa place dans le monde intellectuel. Comme la philosophie a fini par s’opposer à la religion, la science se pose en s’opposant à la philosophie. L’histoire noogénétique (l’histoire des formations spirituelles) est celle d’un matricide toujours recommencé.

 Face aux amputations qu’elle a dû subir (l’autonomisation successive des différentes sciences), “la” philosophie a réagi au moins de trois façons. La première peut être dite “fair-play” : les philosophes se réjouissent de la bonne santé d’une science indépendante, car leur souci de voir les connaissances s’accroître est plus fort que les jalousies et les querelles académiques – l’humanisme transcende le chauvinisme disciplinaire. La deuxième réaction marque une position intermédiaire : les philosophes abandonnent à la science la connaissance positive, mais cherchent, en quelque sorte, à “sauver les meubles” : si la philosophie n’est plus la discipline du savoir, au moins restera-t-elle celle qui fonde les savoirs. Elle demeure légitime – et même dominatrice – en se faisant discipline du “fondement”. Aux sciences particulières reviennent les savoirs particuliers, mais la philosophie seule pourrait penser le savoir dans toute sa généralité et dans ses conditions de possibilité – et donc établir une « théorie de la connaissance ». La troisième réaction est une réaction de défense qui peut prendre l’aspect d’un anti-scientisme militant. La philosophie résiste, se cabre, devient proprement réactionnaire (par rapport au mouvement de l’histoire qui voit s’épanouir les différentes sciences).3 On dissocie ce qui était auparavant complémentaire, et on promeut le sentiment contre la raison, l’existence contre le savoir, la beauté contre la vérité, la nature contre la technique et la philosophie contre la science.

Quand le modèle de rigueur scientifique a fini par s’imposer dans les esprits et dans l’institution universitaire (vers la fin du XIXe siècle), une ultime réaction philosophique a consisté à inventer des “sciences philosophiques” dont le but implicite ou explicite est de concurrencer – et, pour certaines, de dominer – les sciences positives4 : la psychologie philosophique (la « phénoménologie »5), l’anthropologie philosophique (l’« existentialisme », l’« herméneutique », le « structuralisme » et le « marxisme » dans leurs versions philosophiques), la linguistique et la logique philosophiques (le « positivisme logique », l’« empirisme logique », la « philosophie analytique », voire la « grammatologie »), l’histoire philosophique (le « matérialisme historique », la « dialectique », l’« archéologie », l’« histoire philosophique de la philosophie »6), la théorie de la connaissance philosophique (la « philosophie de l’esprit » et l’aspect philosophique des « sciences cognitives ») – liste non exhaustive. Aujourd’hui, ces écoles de pensées dominent largement le paysage philosophique.

Certaines de ces entreprises ont indéniablement permis d’enrichir la compréhension de l’homme, de sorte que la contre-offensive des philosophes a eu et a encore des effets réels dans le champ intellectuel. Mais quel que soit l’avenir des tentatives de conserver au sein de la philosophie une dimension cognitive, il faut reconnaître qu’aucune n’est parvenue à concurrencer sérieusement la science, et encore moins à s’y substituer. En lieu et place des procédures de vérification scientifique, le philosophe n’a pour lui que son génie propre, ce qui se révèle rarement suffisant sur le long terme pour faire progresser le savoir. Il n’est donc pas étonnant de constater que les diverses “sciences philosophiques” sont largement plus influencées par l’évolution des sciences proprement dites qu’elles n’ont déterminé celle-ci en retour. Pour ne prendre qu’un seul exemple : tandis que les progrès de la neurobiologie sont capitaux pour les « philosophes de la cognition », les doctrines de ces derniers n’ont guère d’effet sur la neurobiologie. En outre, ce n’est guère la philosophie qui rend féconde l’interdisciplinarité des « sciences cognitives ». Le philosophe cherchant à imiter la rigueur scientifique se condamne à une posture qui ressemble un peu à celle du mauvais élève “louchant” sur la copie de son camarade de classe, au lieu de réfléchir par lui-même au problème qui lui est soumis, avec ses moyens propres et en le reformulant à nouveaux frais. Après avoir été la science, puis l’avoir dominé, imité ou ignoré, la philosophie doit à présent s’en instruire – et cela sans renoncer à son ambition intellectuelle.

En effet, même si la philosophie devait céder de plus en plus de terrain face à la science, il lui reste tout de même la dimension axiologique à laquelle la science n’a pas d’accès direct, et sur laquelle bien des philosophes choisissent de se replier. La morale, le sens de la vie, le bonheur, la sagesse : voilà des objets dignes de penser, que la science ne pense pas, ou pense à sa manière (par des procédés d’objectivation, de quantification et de modélisation). La science, quelle que soit sa puissance présente et future, ne peut absorber complètement la philosophie. L’histoire noogénétique n’est pas celle d’un remplacement de la religion par la philosophie puis de la philosophie par la science : les trois disciplines ont vocation à cohabiter parce que, après certains ajustements, chacune peut trouver son domaine spécifique sur lequel aucune autre n’empiète.

1.4 Philosophie et science : rivalité ou complémentarité ?

Cet aperçu historique – qui peut être considéré comme une introduction à notre problème – permet de comprendre les enjeux des rapports de la philosophie à la science autonomisée. Sur le plan théorique, ce sont principalement des rapports de substitution et de contestation. Ils sont aussi conflictuels que ceux que la philosophie a entretenus historiquement avec la religion. L’époque actuelle cherche des relations plus pacifiques, et se demande s’il serait possible de mettre en place des collaborations interdisciplinaires entre la science et la philosophie. Autrement dit, après la relation d’identité (la science incluse dans la philosophie) puis de rivalité (la science contestant à la philosophie sa compétence en matière cognitive), on se demande si une relation de complémentarité est possible.

D’un point de vue historique, il est aussi incongru de demander une complémentarité entre la philosophie et la science qu’entre la religion et la philosophie. Peut-on imaginer un travail interdisciplinaire entre la religion et la philosophie, entre la religion et la science, entre des alchimistes et des chimistes, des astrologues et des astronomes ? On pressent que, si la science prétend dépasser la religion et la philosophie sur le terrain des connaissances, elle ne leur demandera pas de la compléter sous cet aspect.

Ceci dit, la religion et la philosophie ne se réduisent pas à leur caractère cognitif, puisqu’elles sont aussi pourvoyeuses de normes. Mais une nouvelle difficulté se présente s’il est question d’interdisciplinarité sur des problèmes aussi hétérogènes que les problèmes cognitifs et axiologiques. D’une façon générale, en effet, pour qu’une interdisciplinarité fasse sens, il faut que des disciplines indépendantes puissent travailler ensemble sur un problème commun. Nous devons donc au total nous poser principalement deux questions : 

– La philosophie et la science ont-elles un intérêt à travailler ensemble sur les questions qui leur seraient communes ? (Partie 2)

– Sur les questions qui ne le seraient pas, quelle forme de collaboration peut s’établir ? (Partie 3)

Pour résoudre des problèmes cognitifs, l’interdisciplinarité philosophie science n’est requise que marginalement

La philosophie est (en première approximation) la coordination d’une vision-du-monde rationnelle (plutôt que dogmatique ou mystique) et d’une sagesse théorique (plutôt que simplement pratique). Séparons provisoirement ces deux dimensions pour examiner d’une manière plus précise les rapports de la philosophie à la science ; et commençons par ce qu’elles ont en commun : la vocation cognitive.

2.1 La science, une fois autonomisée, n’a pas besoin de la philosophie pour parfaire ses connaissances

 Personne ne conteste plus aujourd’hui à la science sa primauté pour la connaissance positive des choses du monde. La philosophie n’a rien à dire de plus ni de mieux que la science en ce qui concerne les lois de la nature. La physique, la chimie, l’astronomie, et les autres sciences de la nature ne sont plus sous tutelle philosophique – elles sont “libres” pour le plus grand bien de la connaissance. En ce qui concerne les sciences de la vie, et surtout les sciences humaines, la philosophie résiste encore et entend conserver son expertise. L’espace de cet article ne nous permet pas d’argumenter de façon précise pour montrer que le retrait de la philosophie est aussi nécessaire en sciences humaines qu’en sciences de la nature ; nous devons donc nous contenter d’affirmations : c’est quand la sociologie n’a plus de métaphysique (implicite ou explicite) qu’elle se fait plus rigoureuse, plus sérieuse, plus précise, plus prédictive, plus mathématique, plus légale. Il en va de même pour la psychologie, l’économie, l’histoire, etc. Plus la science vole de ses propres ailes, plus elle va loin dans la connaissance des choses.

Si l’on objecte que les sciences humaines, loin d’être philosophiquement neutres, véhiculent au contraire une métaphysique grossière selon laquelle la vérité de l’homme est son aspect le plus extérieur, le plus objectif, le plus quantifiable, le plus inhumain, en somme, il faut répondre que c’est là moins une métaphysique que le prérequis fondamental de toute étude scientifique. La recherche d’objectivité par des procédures de vérification (expérimentation, formalisation, modélisation) est la méthode scientifique comme telle. Si on la conteste au nom d’une autre idée de la nature, de la vie ou de l’homme, alors il faut renoncer à la science et adopter une perspective philosophique ou religieuse. Que la science ne dise pas Tout de l’homme et de la vie, c’est l’évidence même, mais qu’elle dise bien ce qu’elle cherche à en dire, c’est tout aussi évident. Sur le plan de la connaissance objective, la science est très supérieure à la religion et à la philosophie qui en tenaient lieu dans les stades préscientifiques de l’histoire noogénétique. Autrement dit, la science réalise mieux le programme qui était déjà celui de la religion et de la philosophie (dans leur prétention cognitive, et non morale, pratique ou sotériologique). Il ne faut pas exagérer l’opposition de la science avec la religion et la philosophie : une part importante de leur ambition théorique concerne exactement la même chose : l’explication du monde. La magie elle-même est une forme primitive de science, qui explique le monde à sa façon, avec des lois aussi précises que possible7.

Si ces remarques sont justes, une conséquence s’impose : la philosophie doit abandonner à la science le domaine de la connaissance, parce qu’elle est moins apte qu’elle à connaître – à connaître le monde8. De son côté, la science doit suivre sa vocation cognitive sans se soucier de la philosophie. Si on propose à un scientifique un programme de recherche interdisciplinaire qui le ferait collaborer avec des philosophes sur une question cognitive, il doit décliner l’offre, ou bien prendre le risque de perdre son temps ; de même qu’un philosophe n’aurait que faire d’une recherche interdisciplinaire avec des religieux sur des questions de philosophie.

Quand un scientifique se montre intéressé par une collaboration philosophique, il faut y voir davantage un motif de douter de son indépendance d’esprit qu’une occasion d’applaudir à son ouverture d’esprit. En effet, l’influence que la philosophie “main stream” exerce sur la science est principalement conservatrice. Tout fondateur d’une science nouvelle doit légitimer cette prise d’indépendance contre la philosophie qui rechigne à se voir amputer. Certes, la pensée scientifique s’élabore dans le contexte historique, culturel et intellectuel qui est le sien : nulle découverte n’est tout à fait désincarnée. C’est notamment ce qui fait dire à Koyré que « l’influence des conceptions philosophiques sur le développement des sciences a été aussi grande que celle des conceptions scientifiques sur le développement de la philosophie »9. Mais cette influence du contexte est celle d’un enracinement (la science naît de la philosophie), qui est à bien distinguer de l’influence intellectuelle brutale et innovante que la science exerce en retour sur la philosophie. L’influence qu’une mère exerce sur ses enfants n’est pas de la même nature que l’influence intellectuelle que ceux-ci, une fois adultes, peuvent exercer sur elle.

C’est se bercer d’illusions que de chercher dans la philosophie une force supérieure d’innovation et d’invention – tous les philosophes, hélas, ne sont pas des génies, et ceux-ci ont moins d’influence qu’on le croit. L’histoire des sciences montre que les grandes révolutions scientifiques se sont faites sans l’aval des philosophes, et même le plus souvent en faisant violence aux conceptions philosophiques dominantes. Ce ne sont pas les révolutions philosophiques qui font les révolutions scientifiques, mais bien les révolutions scientifiques – elles-mêmes sous conditions socio-économiques – qui engendrent des révolutions philosophiques. Si Copernic, Galilée, Newton, Darwin, Freud, Einstein, Durkheim, Heisenberg ou Piaget ont pratiqué la philosophie à leurs heures, c’est leur activité scientifique qui a bouleversé les conceptions philosophiques de leur temps. Ce n’est pas la philosophie de Newton qui est révolutionnaire, c’est sa science qui révolutionne la philosophie – et ce qui est vrai de Newton l’est aussi des autres savants. D’une façon générale, il est manifeste que les scientifiques n’ont pas besoin des philosophes pour progresser dans leur propre domaine.

L’aide que la philosophie peut apporter à la science est de la même nature que celle de la mère pour ses enfants. Quand une science n’est pas encore tout à fait adulte, elle est abritée, couvée, préparée, au sein de la philosophie. Toutes les sciences sont nées de la philosophie, et sont passées par un « stade de développement » philosophique. La branche de la philosophie qui est “enceinte” d’une science nouvelle n’a pas le caractère conservateur qui vient d’être reconnu à la philosophie “main stream” ; et justement pour cette raison, elle devra acquérir une légitimité contre le courant principal. Cette philosophie marginale des innovateurs et des libres penseurs joue pleinement son rôle cognitif. Cette dynamique d’invention de sciences nouvelles donne sa légitimité cognitive à la philosophie. « La philosophie est une anticipation des pensées et des pratiques futures », dit M. Serres : « elle doit inventer, mais elle invente le sol commun aux inventions à venir. Elle a pour fonction d’inventer les conditions de l’invention ».10

Comme certaines sciences déjà constituées peuvent s’intéresser aux sciences en formation, se rénover à leur contact, profiter de leurs innovations conceptuelles et théoriques, une certaine interdisciplinarité est concevable entre la philosophie qui héberge ces réflexions préscientifiques, et d’autres sciences plus matures. Aujourd’hui comme au cours des siècles précédents, des échanges interdisciplinaires fructueux peuvent s’établir entre des philosophes innovateurs et des scientifiques attentifs à ces innovations. Mais le moment interdisciplinaire de la philosophie ne dure que le temps de sa tutelle. Après, quand la préscience maternée prend son envol sous la forme d’une science authentique, la philosophie n’est plus guère sollicitée, sinon parce que l’on attend d’elle une nouvelle phase de fécondité – c’est-à-dire le nouvel abandon d’un territoire classiquement reconnu comme appartenant à la philosophie. En dehors de cette forme d’interdisciplinarité, relativement marginale, il est à craindre que les appels à l’interdisciplinarité science-philosophie soient essentiellement destinés à « moderniser à peu de frais une discipline menacée »11 ; une façon pour la philosophie de se mettre à jour sans avoir trop l’air de prendre des leçons. La plupart du temps, donc, la philosophie ne peut entretenir avec la science que des relations pluridisciplinaires, comme nous le verrons ci-après.

2.2 L’épistémologie est une spécialité scientifique plus que philosophique

 Les savoirs positifs sont principalement l’affaire des sciences, c’est entendu. Mais la réflexion sur ces savoirs, sur leurs conditions de formation, sur leurs possibilités de développement, sur leurs limites, etc., ne revient-elle pas à une discipline plus générale que les sciences particulières ? Cette discipline qui pense la connaissance dans ses principes les plus généraux n’est-elle pas la philosophie ? Il le semble : la « théorie de la connaissance » et l’« épistémologie » sont apparues au cours du XIXe siècle comme des branches de la philosophie. Mais précisément, il arrive à cette spécialité philosophique la même “mésaventure” qu’à la « philosophie naturelle », à la « philosophie mathématique » ou à la « philosophie sociale » : la prise d’indépendance par rapport à la philosophie, et l’autonomisation disciplinaire. L’étude de la connaissance comme telle devient de plus en plus une étude scientifique. Plusieurs sciences sont concernées, notamment l’histoire des sciences, la sociologie de la connaissance et la psychologie de la connaissance (qui comprend la psychologie génétique telle que l’a conçue Piaget). Contester le statut de science à l’histoire, à la sociologie ou à la psychologie, c’est simplement témoigner d’une ignorance des problèmes, des méthodes et des résultats de ces disciplines.

L’épistémologie au sens large ne se réduit pas à l’étude scientifique de la formation des connaissances : elle est aussi un exercice de conceptualisation de la théorie et de la pratique scientifique – qu’il s’agisse d’une science particulière, ou bien de la science en tant que telle. Elle explicite la méthode scientifique, sa rigueur et ses limites, la façon dont s’établit un fait ou un document, comment s’élabore une hypothèse, comment elle se vérifie, par quelles procédures d’objectivation puis d’interprétation. Bref, l’épistémologue analyse minutieusement comment “fonctionne” la science. La science est son objet, et lui, au niveau qui est le sien, fait une sorte de science de la science : il observe, conceptualise, fait des hypothèses, les vérifie, cherche le degré de généralité des rapports qu’il a mis en évidence. L’attitude de l’épistémologue n’est pas du tout celle du « philosophe des sciences », lequel prend autant de recul que possible pour penser le rapport de la science en général à l’homme, à la société ou à l’éthique. Le philosophe des sciences interroge la science dans ses conséquences et ses enjeux extrascientifiques. Au contraire, l’épistémologue reste au plus près de son objet (la science) pour en comprendre les mécanismes avec le plus d’objectivité possible.

Non seulement il pense à la façon d’un scientifique, mais il reçoit la majeure partie des problèmes qu’il a à résoudre des sciences elles-mêmes. Le problème épistémologique émerge à même la pratique scientifique. Un grand problème épistémologique apparaît d’abord comme un grand problème scientifique. Que l’épistémologue soit scientifique ou philosophe de formation, c’est l’évolution de la science qui lui assure le renouvellement périodique de ses interrogations. Il est donc nécessaire non seulement qu’il se tienne au courant des avancées scientifiques, mais encore qu’il comprenne de l’intérieur les difficultés rencontrées par les sciences. L’idéal serait qu’il ait lui-même une activité scientifique. S’il est rédhibitoire, pour un épistémologue, d’ignorer les sciences de son temps, il est en revanche assez indifférent qu’il soit parfait connaisseur des grands systèmes philosophiques, et qu’il ait lui-même sa philosophie propre sur tel ou tel sujet. Même sa « philosophie des sciences », s’il en a une, doit être sans importance majeure pour ses recherches épistémologiques – ne pas les influencer. On demande à l’épistémologue d’être le plus “objectif” possible, et non de mettre en œuvre une philosophie qui, comme nous le verrons en Partie III, l’engagerait à titre personnel.

Même les problèmes épistémologiques très généraux – ceux qui concernent les critères de scientificité, le rapport de la théorie à l’expérience, l’interrogation des sciences sur leur fondement12, ou ceux qui surviennent à l’occasion d’un changement de paradigme13 – sont pris en charge par les sciences elles-mêmes, ou par des épistémologues de formation philosophique mais ayant acquis la culture scientifique nécessaire pour les poser correctement. Pour déterminer quels sont les liens de dépendance réciproque de la théorie, de l’expérience et de l’interprétation, il est plus précieux d’avoir une culture scientifique qu’une culture philosophique. Etablir les conditions d’objectivité de l’observation savante est une question en continuité avec le travail scientifique. Il n’appartient pas au philosophe de mettre en garde le physicien des particules sur la façon dont son observation pourrait perturber l’observé. De même en sciences humaines : c’est la responsabilité directe de l’ethnologue de se méfier de ses propres « habitus » et schèmes de pensée culturels, afin d’étudier objectivement telle ou telle culture. Pour mettre à distance toute forme d’ethnocentrisme, l’ethnologue n’a pas besoin qu’un philosophe lui donne une leçon d’objectivité. Il lui revient de penser lui-même les conditions qui garantissent sa neutralité d’observateur. Est-ce au philosophe d’expliquer à l’historien qu’il doit faire attention à ne pas juger du passé en y projetant son présent ? L’historiographie (c’est-à-dire l’épistémologie de l’histoire) est internalisée depuis longtemps ; et elle est de plus en plus indifférente aux idées des philosophes sur l’histoire et aux « philosophies de l’histoire » en général. Donner à la philosophie la mainmise sur les questions épistémologiques, c’est prendre les scientifiques pour des esprits bornés ne parvenant pas à réfléchir sur ce qu’ils font.

Il nous semble au contraire que les problèmes épistémologiques sont soit des problèmes scientifiques, soit des problèmes qui prolongent immédiatement ces derniers. Le philosophe problématise d’une façon toute différente. Il demande par exemple : « Toutes les cultures se valent-elles ? » ; « Faut-il chercher dans le passé un modèle pour le présent ? » ; « Que faire des vérités scientifiques ? », etc. Et pour mener à bien ces réflexions, il aura notamment besoin de connaissances ethnologiques, historiques et épistémologiques. Ces savoirs positifs lui permettront de traiter son sujet d’une façon différente du simple moraliste, qui n’a pas pour vocation – comme le philosophe – de penser le lien des valeurs aux connaissances. Si, en plus de se poser ce genre de questions, la philosophie veut tenter de fonder la science, c’est son affaire, mais il nous semble que l’épistémologie devrait s’en garder. D’autant plus que l’entreprise paraît vaine : l’histoire des sciences montre que ces tentatives “fondationnalistes” sont rendues caduques à chaque changement de paradigme scientifique. Que l’épistémologie philosophique n’ait pas la capacité d’asseoir la science sur des principes stables à long terme est un indice éloquent que l’épistémologie devrait être scientifique. Les philosophes quant à eux doivent tirer les leçons du désintérêt que les scientifiques manifestent à l’égard du « fondement philosophique » de leur travail, et surtout du renouvellement périodique de ces philosophies du fondement en fonction de l’avancée des sciences.

En outre, la philosophie n’a pas le monopole de la réflexion générale : c’est le préjugé propre des philosophes de cantonner la pensée scientifique dans le détail des explications particulières. Il est abusif de proclamer “philosophe” tout scientifique qui pense les problèmes généraux de sa discipline. Faudrait-il qualifier de “philosophes” le moraliste, le religieux, l’artiste, le juriste, le médecin et le journaliste dès qu’ils s’interrogent en prenant un peu de recul sur leur pratique ? Cela reviendrait à identifier toute forme de pensée générale à de la philosophie, et ainsi à rendre incompétent tout honnête homme non philosophe. Il est plus juste de réserver le qualificatif de “philosophique” à une classe de problèmes spécifiques, et de convenir que tous les hommes peuvent réfléchir rigoureusement sur leur pratique sans que cette rigueur soit d’emblée qualifiée de philosophique. Au sens large et au sens courant, la pensée philosophique peut désigner n’importe quelle tentative spéculative argumentée, mais au sens strict, elle est une façon spécifique de problématisation théorique.

 Ainsi, l’épistémologie est soit une science (histoire, sociologie ou psychologie des connaissances), soit une méta-réflexion de la science sur elle-même. Dans tous les cas, elle est en continuité avec la science et doit être intégrée dans le projet scientifique global. L’avis du philosophe n’est pas requis pour éclaircir un problème épistémologique, sauf s’il s’agit d’une science en formation, et donc d’une épistémologie en formation. Pour reprendre les métaphores précédentes, nous dirons que, tant que la philosophie n’a pas “accouché” d’une science nouvelle, ou du moins tant que cette science est encore jeune, elle reste en partie philosophique, et son épistémologie également. Dans ce cas, une interdisciplinarité est concevable et praticable entre des sciences plus anciennes et ces philosophies innovantes. D’une façon générale, le travail interdisciplinaire entre épistémologues et scientifiques plus spécialisés est profitables aux uns et aux autres. Mais il ne s’agit pas, sauf marginalement, d’une relation d’interdisciplinarité entre science et philosophie. Que les épistémologues aient reçu une formation philosophique ne suffit pas à classer leur démarche du coté de la philosophie. Ce qui rend le travail de l’épistémologue pertinent pour les scientifiques, ce n’est pas la dimension cognitive de sa philosophie (s’il est philosophe par ailleurs), mais bien la culture scientifique qui nourrit ses thèses.

Quant à savoir si les scientifiques auraient besoin des philosophes comme des sortes de conseillés en “culture générale” ou comme coordinateurs, cela paraît également marginal. Un médecin généraliste est indispensable pour orienter ses patients vers tel ou tel spécialiste, mais enfin, c’est un médecin ; tandis qu’un philosophe ne paraît guère compétent pour distribuer du travail ou passer des commandes aux différentes spécialités scientifiques. En outre, la culture générale n’est pas du tout le propre de la philosophie. Il reste encore à déterminer si une interdisciplinarité est possible entre la science (épistémologie comprise) et la philosophie des sciences. C’est ce que nous verrons dans la Partie 3, car la philosophie des sciences s’interroge sur la valeur de la science en général plus que sur son aspect strictement cognitif.

2.3 L’acquisition par les philosophes d’une culture scientifique ne nécessite pas de relation interdisciplinaire

La science aurait donc globalement peu ou pas besoin de développer des relations interdisciplinaires avec la philosophie pour instruire les problèmes épistémiques et épistémologiques qu’elle se pose. Qu’en est-il des besoins de la philosophie ? Dans la mesure où elle se présente comme une vision-du-monde, la philosophie a tout intérêt à se tenir au courant du discours sur le monde, c’est-à-dire du développement des sciences. Discourir sur la matière, la nature, la vie, l’homme, l’histoire, la société, etc., sans intérioriser les savoirs positifs disponibles sur ces objets, en faisant confiance aux seules ressources de sa pensée, c’est à la fois prétentieux et naïf, et prendre le risque du ridicule. La recherche du savoir vrai a toujours été l’ambition des philosophes, du temps où la science était intégrée à la philosophie ; il n’y a aucune raison, maintenant que la science est indépendante, de rechercher l’ignorance. La culture scientifique est pour la philosophie une condition essentielle de son bon exercice. C’est vrai de toute recherche philosophique, et ça l’est a fortiori de ses prétentions plus spécifiquement cognitives.

L’esprit critique, en tant qu’exigence essentielle de la pensée philosophique, implique un effort de décentrement ou de “déterritorialisation” de la philosophie, dont la science offre une occasion de première importance14. C’est dans son propre intérêt que la philosophie doit faire l’épreuve de la culture scientifique : c’est pour mieux servir son exigence critique qu’elle doit intérioriser les savoirs positifs – étant entendu qu’intérioriser n’est pas prendre pour argent comptant. La science n’est nullement une menace pour la philosophie bien comprise : elle est sa chance, l’occasion pour elle de décupler son exigence critique.

Ceci dit, que les philosophes aient intérêt à s’instruire n’implique pas qu’il leur soit utile de se retrouver à la même table de travail que les savants pour mettre en œuvre ensemble un programme de recherche commun. L’instruction et l’exercice de l’esprit critique n’impliquent pas de travailler en communauté. Il se pourrait bien, au contraire, que le travail solitaire soit essentiel à la fois à l’acquisition des connaissances et à l’indépendance d’esprit. Pour se tenir au courant des avancées de la science, le philosophe peut se contenter de lire les études publiées et, au besoin, de suivre des cours. En outre, comme le philosophe n’a rien à apprendre au scientifique ni à l’épistémologue sur des problèmes cognitifs, un atelier de recherche commun prendrait plus la forme d’un enseignement unilatéral que d’une collaboration interdisciplinaire. 

Pour résoudre des problèmes axiologiques, seule la pluridisciplinarité est envisageable

3.1 Transition : science et philosophie des sciences

 Sur le terrain des connaissances, l’interdisciplinarité entre la science et la philosophie ne nous semble rarement utile, en raison du rapport asymétrique des deux disciplines : les scientifiques n’ont nul besoin des philosophes pour accroître ou approfondir leurs savoirs. Cette affirmation n’a de sens qu’une fois admis le fait que les problèmes épistémologiques sont des problèmes scientifiques – plus précisément, que l’épistémologie s’est autonomisée par rapport à la philosophie, et qu’elle l’a fait à bon droit.

Mais les questions relatives à la connaissance ne sont pas complètement absorbées par la science et l’épistémologie : il subsiste des problèmes encore plus généraux sur les limites intrinsèques de la science, sur les rapports de la science à la société, à la morale, à la politique, à la liberté, au bonheur, etc. Pour une partie d’entre eux, ce sont des problèmes de philosophie des sciences. Or la philosophie des sciences n’est pas du tout l’épistémologie : elle ne dit pas ce qu’est la connaissance, comment elle se forme et se développe, mais elle réfléchit sur les rapports de la connaissance avec les autres dimensions de l’existence humaine. La frontière science-philosophie passe entre l’épistémologie et la philosophie des sciences. Ce qui singularise la philosophie des sciences, et qui la rend irréductible à la science (épistémologie comprise), c’est qu’elle s’interroge sur la valeur de la science. Le problème cognitif fait place à un problème axiologique. Le présent travail, dans la mesure où il s’interroge sur la valeur de la connaissance scientifique au regard des exigences de la pensée philosophique, peut être compris en partie comme une réflexion de philosophie des sciences. Pour déterminer si une interdisciplinarité peut faire sens entre la science et la philosophie, il faut comprendre l’articulation de ces deux types de problèmes.

3.2 Vérité et valeur, objectivité et subjectivité, universalité et engagement personnel

Comme nous l’avons vu en commençant, l’histoire des formations spirituelles invite à définir la philosophie comme une vision-du-monde raisonnée (plutôt que religieuse), coordonnée rationnellement à une sagesse théorique (plutôt qu’une sagesse pratique ou une morale dogmatique). La philosophie a pour vocation de raccorder des connaissances à des valeurs, des vérités à des règles de conduite. Quand la science est sortie de son giron pour devenir la source indépendante de la connaissance vraie, la philosophie s’en est trouvée bancale et fragilisée. Devait-elle se reporter exclusivement sur les problèmes axiologiques et existentiels ? C’eût été impossible sans qu’elle eût trahi sa fonction : un discours sur les valeurs qui n’est plus rattaché à des vérités n’est plus philosophique – il relève de la morale ou de la sagesse pratique. La philosophie ne cherche pas à prescrire des règles de vie dont le but serait simplement la conformité à une morale présupposée ou un accès direct au bonheur : elle doit déjouer les présupposés par l’exercice d’une pensée critique et ne devenir normative que sur la base d’une recherche du vrai. Il s’agit pour la philosophie de coordonner des vérités à des valeurs, et pas simplement d’édicter des normes (éthiques, morales, juridiques ou politiques).

Ne pouvant lâcher la vérité, donc, comment la philosophie doit-elle envisager son rapport à la science qui s’est fait une spécialité de la recherche du vrai ? Comme nous l’avons vu dans la première partie, la réaction naturelle a été plutôt conservatrice : la philosophie refuse de se voir dépossédée. Il nous semble que toutes les tentatives qui visent à préserver une domination philosophique en matière cognitive sont vouées à l’échec. L’ignorance du champ scientifique dans sa complexité, son étendue et son heuristicité est la meilleure garantie pour croire qu’il incombe à la philosophie de fonder les savoirs, de légiférer sur les connaissances, ou de les accroître d’une quelconque façon15. Devant l’autorité des sciences de la nature, les philosophes ont aujourd’hui renoncé à l’idéal qui fut longtemps le leur d’une pensée philosophique autosuffisante parce qu’omni-englobante. Mais leur rapport aux sciences humaines est beaucoup plus ambigu.

La situation de dépendance de la philosophie par rapport aux sources extrinsèques du savoir est plus accentuée qu’on pourrait le penser, car la science ne s’interdit pas d’étudier le champ des valeurs. Il existe une sociologie, une ethnologie, une histoire, une psychologie, une psychanalyse, et même une biologie et une éthologie des valeurs, des morales et des « impératifs catégoriques ». Certes, la science des valeurs les étudie comme des faits. Elle rabat le devoir-être sur l’être. Mais n’est-ce pas la seule façon d’en dire quelque chose de vrai ? Comment discriminer le vrai du faux si l’on ne vérifie rien ? Quels sont les moyens dont dispose un esprit pur de vérifier la véracité de ce qu’il pense ? Aucun, sinon l’effort qu’il fait, de bonne foi, pour penser droit, pour réfléchir sur des intuitions justes, pour raisonner sans sophisme. Mais comme l’histoire de la philosophie est faite de doctrines contradictoires pourtant défendues pas d’honnêtes penseurs, nous sommes bien obligés de reconnaître l’insuffisance de la pensée pure pour trouver des vérités universelles16. Comme c’est une exigence philosophique essentielle d’exercer son esprit critique (y compris sur ses propres thèses), et que rien ne vaut la confrontation avec la science pour mettre à l’épreuve ses idées, il appartient au philosophe qui veut être à la hauteur de sa tâche de s’instruire des sciences. La vérité absolue n’étant pas accessible à l’homme, nous devons nous contenter, humblement, de vérifier nos idées par des procédures de vérification les plus efficaces connues à ce jour (l’observation, l’expérimentation, l’étude statistique, la formalisation, la confrontation avec ses pairs). Pourquoi donc nos théories sur les valeurs devraient échapper à cette exigence ?

Bien entendu, une fois que les valeurs ont été étudiées comme des faits objectifs, il reste encore à déterminer ce que l’on doit faire de ces faits. La science cède la place à la morale ou à la philosophie, car elle ne saurait déduire le devoir-être de l’être. Mais en quittant la sphère de compétence de la science, il se pourrait bien que nous quittions la sphère de la vérité universelle aussi. Enoncer ce qui doit être, même au sein d’une doctrine spéculative, c’est toujours s’engager à titre personnel17. Poser des normes, c’est désirer, c’est vouloir, c’est créer. Or il faut choisir : créer, innover, inventer, ou bien dire le vrai. Une norme ne saurait être vraie ou fausse. Le vrai et le faux concernent le réel – entendu comme on voudra –, tandis que le devoir-être cherche à anticiper ce qui est encore irréel. Que l’homme soit capable de transcender le réel dans la visée de l’irréel, c’est ce qui fait sa dignité, et qui rend possible sa liberté. Mais demander en plus que l’irréel soit vrai ou faux, c’est aller trop loin.

La philosophie, dans la mesure où elle coordonne des savoirs et des valeurs – même si cette coordination est rationnelle, même si la pensée se veut théorique de bout en bout – doit renoncer, pour une part, à la vérité et à l’universalité. Chacun espère penser et légiférer universellement, mais l’intelligence consiste peut-être à reconnaître avec Socrate que « Je sais que je ne sais rien », ou avec Lequier que « lorsque l’on croit de la foi la plus ferme que l’on possède la vérité, on doit savoir qu’on le croit, et non pas croire qu’on le sait »18. Le spectacle qu’offrent les doctrines philosophiques à travers l’histoire – toutes certaines d’être dans le vrai, mais néanmoins incompatibles19 et hétérogènes – devrait suffire à s’en convaincre. Le scepticisme bien compris (dynamique, constructif et hiérarchique plutôt que nihiliste20) est peut-être la sagesse intellectuelle la plus haute que puisse atteindre la philosophie. C’est là encore une tâche essentielle, et la philosophie ne devient pas dérisoire pour avoir reconnu sa finitude.

La vérité universelle était pourtant son ambition constitutive. Mais elle était aussi celle de la religion. La philosophie a travaillé à montrer que la religion était une question de croyances personnelles incompatibles avec l’exigence de vérité universelle ; la science a fait ensuite exactement le même travail de “déniaisement” à l’égard de la philosophie : les philosophes, en fait comme en droit, ne se décentrent que partiellement et donc n’accomplissent que partiellement leur tâche critique. Ils peuvent se consoler en faisant un peu d’épistémologie et d’histoire des sciences, l’une et l’autre montrant que la science n’atteint pas non plus la vérité universelle et éternelle, quoiqu’elle se donne des moyens d’autocritique (de vérification) supérieurs. Quelles que soient les limites intrinsèques de la pensée philosophique, cette dernière ne sera jamais un vain effort tant que l’engagement normatif instruit et réfléchi – fût-il irrémédiablement personnel – sera de nature à libérer l’homme de ses conditionnements.

3.3 L’hétérogénéité des problèmes scientifiques et philosophiques

Résumons la situation : sous son aspect cognitif, la philosophie doit se mettre à l’école de la science ; sous son aspect normatif, elle doit renoncer à la vérité universelle, car tout engagement normatif est irrémédiablement personnel. La différence entre la science et la philosophie – à l’issue du processus de différentiation que l’on a étudié précédemment –, c’est que la première fait abstraction, autant que possible, de la subjectivité particulière du scientifique (la prenant en compte éventuellement pour mieux en neutraliser les effets), tandis que la seconde doit intégrer, d’une façon ou d’une autre, la position singulière du penseur. La philosophie qui ne se préoccupe en rien de cette réflexivité englobante, et qui ignore aussi toute dimension axiologique, risque de n’être qu’une vision-du-monde, c’est-à-dire une pensée vouée à être dépassée par la science (épistémologie comprise).

Quelle sera alors la différence entre la philosophie et la pensée religieuse qui, elle aussi, a une double dimension cognitive et normative, et intègre tout autant la dimension personnelle et intime des actes de pensée et de foi – surtout dans certaines phases de l’évolution des religions et des théologies, et dans la pensée mystique ? La différence ne tient que dans le degré de rationalisation de la pensée : la philosophie est une sorte de pensée religieuse plus argumentée et plus rationalisée, donc plus sceptique – mais pas autant que la pensée scientifique. On trouve d’ailleurs tous les intermédiaires entre les deux types de pensée.

Une interdisciplinarité est-elle envisageable entre la philosophie ainsi comprise et la science ? Cela paraît bien difficile. Pour qu’une authentique interdisciplinarité soit possible, il faudrait qu’il existât des problèmes communs aux disciplines considérées. Or si des objets de réflexion peuvent être communs, la façon de problématiser semble irréductiblement distincte. Tandis que la science cherche les lois de l’être-en-soi21 en neutralisant autant que possible l’engagement normatif personnel qui l’oblitère, le travail spécifiquement philosophique ne commence que quand on se demande que penser et que faire de cette objectivité neutre. Le philosophe ne cherche pas seulement à bien savoir, mais aussi à bien vouloir. Il lui faut s’engager à titre personnel et créer une échelle de valeur dont il lui appartient de déterminer les critères. Certes, il réclame que son engagement intellectuel soit reproduit à l’identique par tout lecteur imaginable ; mais comme cet acte est partiellement normatif, il ne peut tout à fait se décentrer, se vérifier et ainsi s’universaliser.

Nous avons affaire à deux usages de la subjectivité pensante, et deux usages de la liberté. D’une façon générale, le scientifique s’intéresse au sujet et à la conscience essentiellement pour les ramener à leurs conditionnements non-conscients22. Ainsi, il peut mettre en évidence des déterminismes physico-bio-psycho-sociologiques sans qu’on lui objecte qu’il contredit, ce faisant, sa revendication implicite de penseur libre, autonome et rationnel. Cette “contradiction” ne le touche pas puisqu’il s’occupe du monde exclusivement, non de lui-même (ou de lui-même seulement dans la mesure où ce retour réflexif lui permet de mieux expliquer le monde). Au contraire, le philosophe devra tenir pleinement compte de cette objection et se penser lui-même pensant les choses ; pas seulement comme « sujet épistémique » abstrait, mais comme sujet singulier insubstituable23. La circularité paradoxale de la pensée est le jeu même de la philosophie, alors qu’elle est ce que la science doit neutraliser au nom de l’impératif d’objectivité.

Il est vrai que bien des philosophies ne s’occupent nullement de ce paradoxe, et certaines vont jusqu’à nier que les pensées doivent être référées à un sujet responsable. Soit. D’autres encore nient qu’il y ait un monde. Dans une certaine mesure, toutes les doctrines philosophiques sont défendables, puisque la raison est plastique, « ployable à tous les sens »24 et à toutes les dispositions psychiques. Il n’en demeure pas moins qu’une philosophie se reconnaît à sa double ambition cognitive et normative, et qu’il est assez insolite de voir un penseur prétendre dire le vrai et le juste en se jugeant lui-même inapte à le faire (en raison du doute qu’il porte sur sa liberté même de penseur). Ou bien il s’agit d’un scepticisme constructif dont l’objet est de renforcer la pensée dans sa lutte contre les chimères (l’hypostase d’un sujet souverain, d’une liberté absolue, etc.), et alors la circularité de la pensée est vertueuse ; ou bien il s’agit d’un vain nihilisme qui s’affirme comme la vérité ultime, et alors nous avons affaire à une pure contradiction performative et à un cercle vicieux. Dans tous les cas il y a cercle : le philosophe n’en sort pas.

Le scientifique cherche à libérer sa pensée en la dépouillant de tout ancrage particulier (par des formalisations, des déductions, des objectivations) ; de son côté, le philosophe veut une liberté suffisamment impersonnelle pour que la pensée ne soit pas lestée de préjugés idiosyncrasiques et de croyances contingentes, mais pas assez pour l’empêcher d’émettre des jugements de valeur. Un jugement de valeur pleinement assumé n’est pas et ne peut être impersonnel. Au pire, il a l’impersonnalité d’un déterminisme bio-socio-psychologique, au mieux il a la personnalité d’un libre engagement individuel.

3.4 La pluridisciplinarité est la principale forme de coopération entre science et philosophie

 Ainsi, l’hétérogénéité des problèmes scientifiques et philosophiques fait planer un doute sur la possibilité que les savants et les philosophes puissent travailler ensemble sur un problème commun. Comment concevoir un mixte de science et de philosophie dès lors que la science s’est autonomisée ? Seule une science encore dans son enfance peut demander à la philosophie un soutien interdisciplinaire pour ses recherches cognitives. Quant aux questions éthiques et normatives, la science en général ne s’en préoccupe pas : elle ne peut donc apporter son expertise sur ces questions – pas directement, du moins. Les scientifiques peuvent avoir une déontologie, mais qui n’est pas elle-même scientifique ; pas plus que la bioéthique n’est biologique.

Ceci dit, les connaissances scientifiques peuvent bien constituer un préalable utile pour le traitement de problèmes moraux : le scientifique n’a rien à dire de normatif en tant que scientifique, mais le questionnement normatif doit être instruit pas une culture scientifique préparatoire. Autrement dit : un problème normatif ne saurait être un problème scientifique (et donc aucune interdisciplinarité n’est concevable avec la science pour résoudre ce genre de problème), mais la science est essentielle à la bonne formulation de ces problèmes (en quoi une collaboration pluridisciplinaire peut s’avérer enrichissante).

On peut ainsi mettre en place une association pluridisciplinaire entre scientifiques, philosophes, religieux, moralistes ou juristes à l’occasion d’une réflexion bioéthique, morale, politique, juridique, etc. Mais elle ne prendra pas la forme d’un engagement dans un programme de recherche commun : l’hétérogénéité de toutes ces disciplines est trop marquée. Si le dialogue peut être constructif entre les spécialistes de ces différentes disciplines, c’est parce que chacun est homme avant d’être scientifique, juriste ou moraliste, et donc qu’une communauté intellectuelle peut s’établir par-delà les abîmes disciplinaires. Les échanges et les entretiens intellectuels entre spécialistes sont toujours profitables. Ils peuvent même donner des idées originales aux uns et aux autres, et ainsi leur ouvrir de nouveaux horizons pour leurs recherches disciplinaires. Mais cette forme de stimulation intellectuelle externe n’est pas de l’interdisciplinarité stricto sensu.

Pour parler d’interdisciplinarité, il faut qu’il existe plusieurs disciplines autonomes capables de traiter ensemble d’un problème qui se pose au sein de chacune de ces disciplines (et non un problème qui les surplombe et les invite à se transcender en tant que discipline). Par exemple, l’éthologie et la psychologie peuvent travailler ensemble sur des problèmes communs, comme la psychologie sociale et la sociologie, l’économie et l’histoire, la physique et les mathématiques, la géographie et la démographie. Si les sciences ont tout intérêt à s’organiser de façon interdisciplinaire quand les programmes de recherche qu’elles mettent en œuvre l’exigent, nous sommes globalement dubitatifs sur l’inclusion des philosophes dans ces travaux collectifs. Comme nous l’avons évoqué dans la Partie I, l’interdisciplinarité philosophie-science n’est féconde que sous deux conditions très particulières : d’une part, il faut ne considérer la philosophie que dans sa dimension cognitive ; et d’autre part, il faut que cet aspect cognitif soit innovant par rapport aux connaissances disponibles – c’est-à-dire qu’il bouscule les traditions philosophiques établies et anticipe sur la constitution d’une future science. Cette situation n’est pas exceptionnelle, mais elle n’est pas non plus courante. Surtout, elle ne fait pas droit à la spécificité de la pensée philosophique (la problématisation cognitivo-normative ou cognitivo-existentielle). A considérer la philosophie dans son unité et son projet intellectuel global, il faut reconnaître qu’il n’y a pas de “pensée interdisciplinaire” concevable entre la science et la philosophie. Cela n’ôte rien à la richesse des échanges qui peuvent s’établir entre spécialistes de disciplines différentes, ni à la fécondité des rencontres pluridisciplinaires.

1 Quand nous parlons de « science », nous désignons l’unité d’un mode d’interrogation du réel qui englobe toutes les sciences, y compris les sciences humaines. Il y a plus de proximité méthodologique entre la physique et l’histoire (recherche d’une vérité objective par des procédures de décentrement qui neutralisent, autant que possible, le caractère personnel de la démonstration) qu’entre l’histoire et la philosophie, qui n’est pas du tout une science à proprement parler, bien qu’elle en ait longtemps tenu lieu. 2 D’une façon générale, nous ne traitons dans cet article que des rapports théoriques que la philosophie entretient avec l’aspect théorique des disciplines qui peuvent lui être comparées. Nous interrogeons donc la prétention de ces disciplines à énoncer des vérités universelles, et leurs rapports de limitation réciproque au regard de cette ambition. Nous mettons donc de côté toutes les interactions imaginables entre la philosophie et les pratiques cliniques, artistiques, politiques, éthiques, pédagogiques, etc. 3 Pour comprendre cette réaction, rien n’est plus éclairant que les travaux des sociologues de la philosophie tels que P. Bourdieu (Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 2003 ; « Les sciences sociales et la philosophie », Actes de la recherche en sciences sociales, 47-48, juin 1983), J.-L. Fabiani (Les philosophes de la République, Paris, Minuit, 1988 ; Qu’est-ce qu’un philosophe français ?, Paris, éd. de l’EHESS, 2010), L. Pinto (La Théorie souveraine, Paris, Le Cerf, 2009 ; La Vocation et le métier de philosophe, Paris, Le Seuil, 2007) et R. Collins (The Sociology of Philosophies, Cambridge, The Belknap Press of Harvard Univ., 1998, chp 9 à 14 surtout). On complétera ces lectures par les essais de J.-F. Revel, F. Chatelet, J. Bouveresse, P. Thuillier, A. Sokal et J. Bricmont, L.-M. Vacher et R. Fortin, cités en bibliographie. 4 Voir sur ce point les analyses de J. Piaget, Sagesse et illusions de la philosophie, PUF, 1992 ; J.-F. Revel, Pourquoi des philosophes, La cabale des dévots, Histoire de la philosophie occidentale, Paris, Laffont, 2013 ; S. Auroux, Barbarie et philosophie, Paris, PUF, 1990 ; P. Thuillier, Socrate fonctionnaire, Bruxelles, Complexe, 1982. 5 La phénoménologie se présente chez Husserl comme une philosophie « transcendantale » rivalisant avec la psychologie « empirique » ; puis, chez ses continuateurs renonçant au transcendantalisme, comme une sorte de “psychologie” supérieure parce qu’enracinée dans « l’existence » ou « le vécu » plutôt que “condamnée” à l’objectivation et au mécanisme. Certains courants phénoménologiques entendent aussi fonder une psychanalyse philosophique (« existentielle »), une psychiatrie philosophique (« existentiale ») et même une sociologie philosophique (« compréhensive » plutôt qu’« explicative »). 6 Les philosophes ont tendance à s’approprier l’histoire de la philosophie comme une discipline relevant de la philosophie elle-même, comme si les historiens professionnels ne pouvaient comprendre les doctrines théoriques dont ils ont par ailleurs à penser les conditions d’apparition, ou comme si ces conditions externes devaient être d’emblées considérées comme inopérantes s’agissant de la pensée philosophique. Les religions (et toutes les disciplines en général) pourraient faire le même raisonnement, et réclamer d’avoir l’exclusivité du discours de leur histoire, sous prétexte qu’un historien ne peut les comprendre de l’intérieur, et que cet “intérieur” seul rend intelligible le processus historique. Sur cette question, voir notamment L. Febvre, « Leur histoire et la nôtre », in Vivre l’histoire, Paris, Laffont, 2009 ; P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit ; P. Macherey, « Entretien », Le Philosophoire, 20, 2003. 7 Voir R. Lenoble, Histoire de l’idée de nature (1958), A. Michel, 1990, P. I, 1. 8 Nous parlons ici de la prétention de la philosophie à connaître le monde par ses propres ressources, ou bien de proposer une synthèse de ces connaissances sous la forme d’une vision-du-monde. Quant à savoir s’il est légitime de parler encore de connaissance s’agissant de la saisie du sujet par lui-même, de la pensée de la pensée ou de la méditation sur les vécus, c’est une autre question. Mais il nous semble plus judicieux de réserver le terme de connaissance pour désigner un certain rapport entre un connaissant et un connu distincts l’un de l’autre, ou tout au moins supposant des procédures d’objectivation et de décentration permettant de les différencier davantage que ne le fait la simple réflexivité immanente. La pensée solitaire peut déboucher sur des évidences, des révélations, des certitudes – dont le cogito de Descartes est une forme parmi d’autres –, mais il n’est pas sûr qu’il faille alors parler de connaissance. 9 A. Koyré, « De l’influence des conceptions philosophiques sur l’évolution des théories scientifiques », in Etudes d’histoire de la pensée philosophique, Paris, Gallimard, 1961, p. 253-254. L’auteur considère comme de nature « philosophique » les hypothèses audacieuses que des savants formulent avant et indépendamment de toute vérification expérimentale. Il nous semble plus juste de penser cette audace intellectuelle comme faisant pleinement partie du travail scientifique (voir K. Popper, Conjectures et réfutations, Paris, Payot, 1985). 10 M. Serres, Eclaircissements, Paris, Flammarion, 1994, p. 129. Dans Sagesse et illusions de la philosophie, op. cit., J. Piaget montre à sa façon comment l’anticipation de sciences futures est la marque des grandes philosophies, sous leur aspect cognitif. 11 Voir P. Thuillier, Socrate fonctionnaire, op. cit., p. 255-256. 12 Par exemple en mathématique, en logique ou en physique, comme ce fut le cas au début du XXe siècle. 13 A chaque « révolution scientifique », selon les termes de T. Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983). 14 Nous avons développé cette thèse dans Le paradoxe de la pensée, Paris, Le Félin, 2011. 15 La philosophie ne peut remplir une fonction cognitive que dans les “vides scientifiques” (au sens où l’on parle de vide juridique) : quand une science n’est pas encore formée et qu’un secteur du réel ne correspond à aucune spécialisation scientifique, la philosophie peut (et doit) “vicarier” la science – comme elle l’a toujours fait par le passé. 16 Ce qui paraît le moins contestable à un auteur quelconque à une époque donnée ne manque jamais d’être nié par d’autres plus tard. Ainsi en va-t-il du cogito de Descartes : pour se poser comme vérité universelle, il doit tendre vers la tautologie ; et sitôt qu’il s’en éloigne, il ne cesse d’être contesté – à propos de la nature du « je », de la pensée, de la « chose pensante », etc. Chaque philosophe peut toujours se dire que lui seul a trouvé une vérité universelle, et refuser de conclure du pluralisme des philosophies de facto au relativisme de jure. Mais cette revendication d’exception nous semble, sinon naïve, du moins imprudente. En outre, que toute pensée philosophique soit relative à son auteur ne signifie pas que toutes les philosophies se vaillent : le relativisme peut être hiérarchique plutôt qui niveleur ou nihiliste – voir Le paradoxe de la pensée, P. III, op. cit. 17 Voir à ce sujet L. Lévy-Bruhl, La morale et la science des mœurs, Paris, PUF, 1953. 18 J. Lequier, La recherche d’une première vérité, Paris, PUF, 1993, p. 38. 19 Quoi qu’en pensent Hegel, Gueroult et les philosophes de l’histoire de la philosophie qui cherchent à rendre les systèmes compatibles au sein d’une « philosophia perennis ». 20 Voir V. Citot, Le paradoxe de la pensée, op. cit. 21 Que la science doive se contenter de décrire d’une façon cohérente des phénomènes, c’est possible, car nul n’a accès directement à l’En-soi ; mais c’est se tromper sur son ambition et sa vocation que de la restreindre à un positivisme prudent. 22 Et quand le sujet est compris comme acteur du processus cognitif, il s’agit du « sujet épistémique », et non du sujet individuel. Le « sujet épistémique », tel que le définit Piaget, c’est l’agent des connaissances, l’ensemble des structures d’action et de pensée communes à tous les sujets d’un même niveau de développement psychogénétique. C’est un dispositif dynamique d’assimilation et d’accommodation. Il ne s’agit pas du tout de la personne humaine singulière (voir, par exemple, Logique et connaissance scientifique, Paris, Gallimard, 1967, p. 14-15). 23 S’il veut penser l’Absolu, le philosophe devra montrer comment le rejoindre depuis la finitude de la condition humaine. A défaut, c’est du dogmatisme pur, c’est-à-dire de la croyance religieuse. 24 B. Pascal, Pensée (1662), éd. Sellier, n°455 (éd. Brunschvicg n°274), Paris, LGF, 2000.

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Vincent Citot

Cet article a été publié la première fois dans Implications Philosophiques en novembre 2013.

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Science et opinion : du procès de la connaissance

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  • Référence bibliographique

Schilling Éric. Science et opinion : du procès de la connaissance. In: Cahiers Gaston Bachelard , n°3, 2000. Témoignages. pp. 111-115.

DOI : https://doi.org/10.3406/cgbac.2000.910

www.persee.fr/doc/cgbac_1292-2765_2000_num_3_1_910

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Texte intégral

Eric SCHILLING

Pour Bachelard1, la science et l’opinion s’opposent complètement, l’opinion ayant, en droit, toujours tort. Ce rejet de l’opinion se situe dans la continuation du projet métaphysique du Platon de «l’Allégorie de la Ca-verne » 2 qui oppose un domaine de l’intelligible à celui du sensible. Peut-on les faire vraiment correspondre au domaine de la science chez Bachelard et à l’opinion que critique Bachelard, parce qu’elle pense mal et même ne pense pas du tout ? Dans «l’Allégorie de la Caverne » , comme dans la Formation de l’esprit scientifique, l’opinion et le sensible sont assimilés et sont montrés comme étant ce dont il faut se détourner. Il y a une morale de la connaissance. Le devoir du

1. 2. philosophe est d’interdire le sensible comme lieu du vrai et d’apprendre à voir la vérité, comme séparée du sensible et comme constituée par les modèles des ombres et par la lumière intelligible. La critique de l’opinion que fait Bachelard, dans la constitution de l’obstacle épistémologique, ressemble à la critique platonicienne des prisonniers de l’illusion sensible. Dans une première approche, on peut comprendre l’obstacle épistémolo-gique comme une ombre, quelque chose qui empêche la lumière de la vérité d’apparaître. Mais l’obstacle épistémologique ne fait pas qu’empêcher, il se constitue lui-même en discours de l’ombre, en une théorie la l’ombre aucune vérité à la une

Eric Schilling

112 rupture. Rien ne peut être utilisé du discours de l’ombre, il ne peut pas servir de fondement pour l’établissement de l’ordre du vrai, si ce n’est par contraste et opposition. Ces thématiques de l’ombre, de la rupture et du discours développé de l’erreur, sont celles même de l’Allégorie de La Caverne. Les prisonniers dans l’Allégorie platonicienne ne peuvent pas bouger la tête, de sorte que leur vision ne peut pas se diriger ailleurs que vers les réalités qu’ils ont devant eux sous leurs yeux, et qui sont des ombres. S’ils parlaient, ils diraient que n’existent que les réalités qu’ils ont sous les yeux, puisqu’ils ne peuvent pas voir autre chose. Bien qu’ils ne sachent pas que ce sont des ombres, ils ont un savoir qui, pour eux, est la vérité et qui, pour les délivrés des chaînes de l’igno-rance, est fausseté, puisqu’ils croient que ce que les délivrés appellent ombres sont les seules réalités vraies, soit parce qu’elles sont des modèles, soit parce qu’ils pensent pas que puisse exister la distinction de l’ombre et du modèle en ce qui concerne la vue et les objets sensibles. On pourrait dire que les prisonniers de la Caverne déve-loppent une théorie de la sensation comme donnant accès à la vérité et au réel, sans qu’il y ait la duplication du modèle et de l’ombre. De la même manière, la rupture épistémologique rappelle la délivrance des prisonniers. Le changement est complet, ils n’ont plus de chaînes, ils sont libres, ils peuvent bouger la tête et les membres. Ils peuvent voir autre chose que les réalités sensibles qu’ils avaient sous les yeux. Mais là Platon force son discours à ses préjugés philosophiques, métaphysiques et reli-gieux : au lieu que la libération des prisonniers soit l’accès à une infinité d’autres réalités possibles qu’ils ne pouvaient pas voir auparavant, au lieu d’une ouverture vers une sensibilité plus large et une vision plus riche et plus diversifiée d’un réel immense et plus nouveau dans son infinité, cette libération est un apprentissage étroit. Les réalités qu’ils voyaient auparavant étaient des ombres, et il faut se détour-ner de ces réalités sensibles et sombres, pour contempler la lumière et les figurines, modèles des ombres qu’ils voyaient. Ils apprennent qu’ils étaient dans l’erreur et esclaves de leur igno-rance. Maintenant ils savent en vérité qu’ils voyaient des ombres et ils voient la structure de leur erreur qui leur rend visible la raison pour laquelle ils ne pouvaient pas accéder à la vérité et savoir leur ignorance. Pourtant malgré les ressemblances entre l’Allégorie platonicienne et l’obs-tacle épistémologique bachelardien, ressemblances qui restent valables pour l’ambiance générale d’un rationalisme métaphysique s’appuyant sur la distinction de l’intelligible et du sensible, dans certains détails les démarches platoniciennes et bachelardiennes divergent.

113 Tout d’abord, le centre des diver-gences réside dans le sens et dans le rôle qu’il faut accorder au discours de l’opinion, à cette pensée sensible. Chez Platon, la condamnation de la pensée sensible est faite au nom de l’existence des réalités spirituelles et intelligibles comprises comme étant différentes des réalités corporelles et matérielles, les seules réalités acces-sibles aux sens et à la vue. Et en même temps il y a une vision sensible, par le prisonnier libéré, des réalités intelli-gibles ; il se promène avec son corps dans les réalités spirituelles, et le soleil lui-même, image et expression de l’Un-Bien se donne dans une expérience sensible et intelligible. La pensée sen-sible de l’opinion est condamnée parce qu’elle empêche le cheminement méta-physique vers le vrai comme Idée, la pensée sensible ne pense pas parce qu’elle n’est pas libre et qu’elle est pri-sonnière de son ignorance qu’elle ne sait pas. La pensée véritable ne peut pas être ignorante de son ignorance, de son erreur et de la manipulation dont elle est victime. A l’opposé l’expérience sensible et intelligible du vrai dans la contempla-tion et dans l’intuition des Idées n’est pas ignorante de sa démarche, elle n’est jamais naïve et dénonce les mani-pulations et les erreurs des marchands d’illusions. Chez Bachelard, la démarche n’est pas exactement la même : la condam-nation de la pensée sensible comme ne pensant pas englobe aussi cette vision des essences, dans l’intuition expéri-mentale à la fois sensible et intelligible des Idées. Dans une certaine mesure, l’Allégorie de la Caverne serait une pensée qui prend modèle sur la sen-sation et le visible, pour penser et raisonner comme elle voit. L’expérience intelligible et métaphysique que pro-pose Platon ressemble plutôt à la pensée de l’obstacle substantialiste qui fait de l’électricité une colle, parce que ce qui se donne à voir expérimenta-lement de l’électricité, c’est qu’elle attire comme une colle. Si sa substance cor-respond à une vision à la fois intellec-tuelle et sensible, on s’interdit toute approche scientifique du phénomène de l’électricité, et on ne peut que faire fausse route en raisonnant comme on voit. Dire que l’électricité est de la colle, c’est faire comme Platon qui dit que l’Idée est un modèle, une marionnette, une lumière, un soleil : l’Allégorie est plus qu’une métaphore pour faire comprendre des vérités plus subtiles, elle colle à ces vérités métaphysiques, elle est leur expression, la seule manière possible de les dire et de les montrer. De la même manière que la colle est l’expression substantielle de l’électri-cité, de la même manière la structure sensible du modèle et de la copie-ombre est l’expression substantielle de la théorie des Idées dans son rapport au sensible. Et enfin, si chez Bachelard la science ne surgit que par une rupture radicale d’avec l’opinion, ce qui semble tout à

114 fait en accord avec le mouvement de la libération des prisonniers dans l’Allé-gorie platonicienne, l’opinion comme l’ombre sont prises dans un mou-vement dialectique de négativité qui est non platonicien. S’il y a une rupture avec l’opinion dans le rationalisme scientifique, cette rupture n’est pas le fait arbitraire de la présence du sage qui délivre les prisonniers. Le sage aurait bien pu ne pas être là, il est une présence mira-culeuse, une présence qui sauve. Chez Bachelard il n’y a pas de sage, et pas d’arbitraire de la rupture. La rupture est d’autant plus liée au fonctionnement normal de la raison qui se développe et progresse que l’erreur elle-même de l’opinion est liée au commencement de tout savoir qui progresse par des repentirs intérieurs. Même si l’on ne peut rien construire en partant de l’opinion, et qu’il faut rejeter l’expérience première, opinion et sensation n’en font pas moins partie du processus nécessaire de la connaissance. L’obstacle épistémologique est interne à la connaissance. Le chemin de la connais-sance passe par des impasses qui em-pêchent la progression elle-même de la connaissance et obligent, par une rupture, à changer de chemin. Bien qu’il n’ait dû jamais exister, l’obstacle épistémologique est néces-saire et inévitable, comme il est néces-saire et inévitable de s’y opposer. Cette négativité de la connaissance s’explique comme la négativité de l’ombre qui est nécessaire pour qu’il y ait de la lumière, car c’est la lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Chez Platon, la connaissance est du côté du philosophe qui délivre les prisonniers, la connaissance du réel est dans le maître qui enseigne et apprend aux autres ce qu’il sait en leur enlevant leurs chaînes, la situation de prisonniers des ombres et de l’illusion n’est pas constitutive du procès de la connaissance qui n’a pas besoin de s’opposer à elle-même pour arriver au vrai. La structure de la connaissance est nécessairement tributaire d’un Sage-Sauveur qui libère. Si Platon a pu être une origine du rationalisme bachelardien en ce qui concerne la constitution de la science, sa négativité a pour origine une autre source qui s’est souvent combinée avec le platonisme, c’est l’enseignement de la Bible et du Christianisme tels qu’Hegel a pu les utiliser comme source du négatif dans le procès de la raison. Dans ses écrits sur la philosophie de la Religion3, Hegel interprète la repré-sentation de la chute comme présentant le procès de la négativité dans la consti-tution de la connaissance. La tentation du serpent envers Adam consiste à lui présenter le sens de la connaissance de

3. Hegel, Leçons sur la philosophie de la religion,

Vrin, 1975 : «la représentation de la chute » , pp. 120 à 127.

115 l’opposition du bien et du mal qu’il ne possédera que lorsqu’il aura mangé du fruit défendu. Alors il sera comme un Dieu, il connaîtra la mort et le mal. La chute présenterait donc la dialectique de la connaissance telle que Bachelard pourrait la comprendre. En effet si la connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres, la connais-sance du réel suppose toujours le passage par ce qui obscurcit cette con-naissance, ces ombres qui, dans la représentation de la chute, sont la trans-gression de l’interdit divin, la mort, le mal, la souffrance, l’erreur. La chute d’Adam, son passage par l’erreur et le mal, sont le commencement de la connaissance du réel, en quoi il devient effectivement semblable à un Dieu et accède au Savoir Absolu. Ce qui sauve n’est donc pas un sage extérieur au processus de la connais-sance, comme chez Platon ; bien au contraire chez Bachelard, la connais-sance se sauve elle-même en chutant dans l’opinion et la mauvaise raison qui pense comme elle voit. L’obstacle épis-témologique fonctionne donc comme la chute adamique qui sauve parce qu’elle est le passage par le mal et par ce qui est exclu. Ce qui sauve est donc interne au procès de la connaissance. Felix culpa. L’erreur fait voir le vrai. Le faux conduit au vrai. Le péché laisse resplendir la face divine.

111 Surtout dans La Formation de l’esprit scientifique,

Vrin, 1967, p. 14 : «La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion... L’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas ; elle traduit des besoins en connaissances » . Platon République, Livre VII, 514 a-518b, Gallimard, 1950. développée de l’erreur qui contrarie vision du vrai. Le discours de en lui-même ne peut conduire à vérité, puisqu’il ne pense pas. La de l’ordre rationnel qui est opposé l’ombre et qui est de l’ordre de lumière, ne peut s’établir que par

la science ne pense pas dissertation

  • Biographies

Chapitre 6 - La science

1 la science est une démarche rationnelle, 1. définir la science.

  • Au sens commun, la science est un savoir (au sens large, il existe donc une science de la pêche à la mouche, du jardinage ou des confitures)
  • Dans son sens philosophique, la science est un jugement qui porte sur le monde (la physique) ou sur un ensemble de propositions logiques (les mathématiques) et qui établit les lois de ce domaine par une méthode basée sur la vérification ou/et la cohérence des énoncés.
  • Parce qu’elle établit une connaissance, la science ne se confond pas avec le savoir , ni avec le savoir-faire . Un savoir est particulier, une connaissance est générale et à portée universelle  ; un savoir ne fournit pas les causes de son efficacité, une connaissance est établie par un travail profond de recherche des causes  ; une connaissance n’a pas forcément d’applications opératoires, un savoir est coordonné à un « agir » potentiel. Ainsi les Grecs, les Saxons et les Vikings savaient que les marées existent et, par habitude, ils pouvaient très partiellement les anticiper. Mais il faut attendre Newton et l’essor des mathématiques pour que l’on connaisse la cause des marées et que l’on puisse les prévoir avec suffisamment de précision pour établir un calendrier.
  • Difficile de trouver un dénominateur commun à toutes les sciences, tant leurs objets diffèrent. Il peut s’agir des êtres vivants ( biologie ), de la société ( sociologie ), de la structure du cosmos ( astrophysique ), des signes linguistiques ( linguistique ), ou de la quantification des répétitions et de leurs occurrences ( statistiques et probabilités ). Tant de diversité des objets d’étude se traduit par des approches méthodologiques variées, parmi lesquelles il est possible de trouver des cohérences dans la démarche rationnelle permettant de définir la science dans sa variété .

2. Induire et interpréter une observation

  • Induire consiste à observer des faits pour extraire une loi récurrente de comportement. Mais observer n’est pas voir, cela suppose de s’extraire des particularités du sensible pour ne prendre en considération que les éléments communs et répétitifs .
  • Ainsi la sociologie est une science de l’observation des comportements récurrents des hommes dans la société . Chacun de ces hommes est nié dans sa singularité au profit d’une prise en compte de cohortes. La sociologie, ainsi que l’exprime Durkheim , est une science de l’observation et de l’hypothèse . Mais les hypothèses ne peuvent pas être vérifiées par un protocole expérimental strict, car les faits humains reposent sur la liberté des agents et qu’ils ne sont pas reproductibles, donc non expérimentables. Il ne s’agit donc pas d’un protocole hypothético-déductif , mais d’ une démarche d’interprétation des répétitions de comportements mesurées statistiquement. De nombreuses sciences humaines reposent sur des méthodes scientifiques d’enquête qui se soldent par une interprétation des résultats , naturellement soumise à un débat.

3. La logique : le raisonnement déductif

  • Le raisonnement déductif tire de principes ou de prémisses des constats , puis des conclusions reliés logiquement.
  • La déduction ne peut donc, au sens strict, être déployée que dans les sciences formelles , dites aussi s ciences pures , sciences du symbole ou eidétiques (du grec eidos , l’idée). Ainsi la géométrie déduit de principes, postulats et axiomes des conclusions logiques , mais elle n’a pas la prétention de décrire le réel . La science ici ne cherche qu’à établir la cohérence interne de ses propositions.
  • Dans le cadre de ces sciences, l’intuition n’a pas droit de cité, car c’est à partir d’un objet défini, et non découvert dans la nature, que le raisonnement se construit et se déploie. Ainsi, on ne peut vérifier la valeur d’une proposition qu’en utilisant la démonstration , dans le système construit par la raison que l’on nomme «  l’axiomatique  ». Par exemple, démontrer le théorème de Pythagore consiste à remonter toutes les étapes logiques qui ont prévalu à son établissement et pouvoir rendre raison de chacune, en établissant le lien logique qui la relie à la précédente, jusqu’aux axiomes et postulats de la géométrie .

4. La vérification : le raisonnement hypothético-déductif

  • Les sciences expérimentales , dites aussi sciences de la nature , reposent sur une approche du réel par un raisonnement hypothético-déductif .
  • Cette démarche repose sur la vérification expérimentale d’une hypothèse formulée à propos des causes qui permettraient d’expliquer l’enchaînement des phénomènes naturels observés.
  • Il s’agit donc de prendre appui sur l’observation du réel — d’où l’importance des moyens techniques disponibles — pour s’en abstraire, en validant les hypothèses par un protocole expérimental et en les quantifiant par une mathématisation des données récoltées.
  • Les sciences expérimentales légifèrent sur la nature, elles émettent des « lois de la nature » considérées « vraies » tant qu’une observation contraire n’est pas réalisée.

2 Les critères de scientificité

1. l’évidence et l’universalité.

  • « Démarrer » est probablement le point le plus délicat d’une science, il faut trouver un point fixe pour « soulever le monde » comme le dit métaphoriquement Archimède à propos du levier.
  • C’est le rôle de l’ axiome d’être la pierre fondatrice de la démarche. Mais comme Euclide le remarque dans les Éléments , si l’axiome est évident, le postulat doit être admis et ne s’impose en rien à notre entendement.
  • Il existe donc un doute initial sur les fondations de la science. En géométrie, les bases seront remises en cause, ce qui aboutira à des géométries non euclidiennes , différentes de celle qui est enseignée à l'école, mais tout aussi cohérentes et parfois utiles pour s’approprier un réel complexe. Difficile donc de maintenir le critère de l’évidence , même dans les sciences eidétiques, à moins de miser sur des idées innées « claires et distinctes » , ainsi que le propose Descartes .
  • Que vaudrait une science hic et nunc (de l’ici et du maintenant) ? Au contraire, le critère le plus permanent de la science est de s’abstraire des conditions particulières pour établir une loi valable de tout temps, en tous lieux, et pour tout homme, c'est-à-dire une loi universelle .
  • La loi scientifique fixe bien sûr son contexte d’application, son domaine de définition, mais elle prononce aussi son universalité dans ce cadre.
  • Ce critère semble inatteignable non seulement pour les sciences humaines, mais aussi pour les sciences expérimentales. Ainsi, la gravitation universelle de Newton a-t-elle été intégrée comme une particularité locale à la théorie de la relativité générale d’Einstein . Il convient donc de parler d’une visée universelle , expression plus modeste, mais qui permet d’expliquer la dynamique du progrès de la science sans sanctifier idéologiquement ses conclusions.

2. La simplicité ou principe d’économie

  • Ce que l’on nomme souvent le rasoir d’Occam désigne un principe d’économie formulé par cet auteur. Il s’agit de toujours préférer l'explication qui mobilise moins d’éléments, d’axiomes ou de principes à une autre théorie, quand bien même cette dernière serait tout aussi efficace pour décrire, mais moins économe.
  • C’est aussi en ce sens que l’on utilise la notion de simplicité en science : elle ne désigne jamais la facilité à établir une loi ou à la comprendre, mais toujours le principe suivant lequel une économie dans la formulation peut permettre de déployer une grande intelligibilité . Ainsi, E = MC2 est une formule très simple, puisque trois variables (la masse, la célérité et la notion mathématique de carré) permettent de définir l’énergie et de mesurer la correspondance masse/énergie dans l’univers. Par contre, personne ne prétend que la formule soit facile ni à établir ni à comprendre.

3. Méthode et protocole

  • La raison scientifique n’est pas discursive et contradictoire, elle cherche à conduire ses recherches avec rigueur , pour aboutir à des certitudes . Cette double quête amène les sciences pures à établir une méthode de raisonnement , et les sciences de la nature à suivre un protocole expérimental . La méthode a notamment été exposée par Aristote dans son traité de logique, L’Organon , ainsi que par Descartes dans le Discours de la méthode . (voir le cours sur la raison)
  • Faire l’expérience du monde, observer la nature ;
  • Faire l’hypothèse d’une loi qui expliquerait l’observation ;
  • Faire l’expérimentation de l’hypothèse en « forçant » le réel à répondre ;
  • Faire une autre hypothèse si la première est invalidée ;
  • Faire une contre-expérimentation si l’hypothèse est validée.
  • Il faut bien noter que l’expérience est présente au début du protocole, puis elle est remplacée par l’expérimentation , qui est un réel contrôlé et encadré . Enfin, la loi n’appartient plus au réel, mais à la rationalité humaine appliquée au réel . Il ne s’agit donc pas de se satisfaire de l’empirisme , c’est-à-dire de ce que l’expérience permet d’ induire  . Claude Bernard déclare ainsi dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale  : « L’empirisme est un donjon étroit et abject d’où l’esprit emprisonné ne peut s’échapper que sur les ailes d’une hypothèse ».
  • Le protocole expérimental est utilisé dans de nombreux domaines, notamment dans l'industrie pharmaceutique. Lorsqu'on teste un médicament, on fait le pari –  hypothèse  – qu’une molécule aidera l’organisme à se défendre, puis on l’administre à un panel de patients – échantillon représentatif – et on observe les résultats – en quelque sorte, on « force » le réel à répondre. Si les résultats sont positifs, on administre à un panel de patients un placebo (un traitement sans aucun principe actif) et on soustrait l’efficacité du placebo à celle du médicament –  contre-expérimentation . Ainsi, admettons que le médicament se montre efficace pour 60 % des patients et que le placebo est efficace pour 20 % des patients atteints de la même affection, on en déduit que le médicament est plutôt inefficace, puisqu’il est efficace à 40 % (60 - 20).

4. La falsifiabilité

  • L’étape la plus importante du protocole expérimental est celle qui est souvent négligée par le grand public : la contre expérimentation . Sans elle, impossible de savoir si une hypothèse n’est pas infirmée par des mesures réalisées, donc aucune conclusion, serait-elle issue d’une expérimentation, ne fait loi .
  • C’est en suivant cette même idée que Karl Popper théorise le concept de falsifiabilité . Une loi n’est scientifique que si elle peut fournir une expérimentation susceptible de l' infirmer .

3 Penser la science : l’épistémologie

1. connaissance ou modèle .

  • La science légifère et son progrès permet d'accroître nos connaissances. Cette thèse rassurante et naïve se heurte à la réalité historique des sciences et à la complexité des objets. Il faut alors penser la science elle-même et non pas seulement ses objets de recherche. Tel est le rôle de l’ épistémologie  : enquêter et interroger les modes d’élaboration de la connaissance.
  • Heidegger notait que la science ne fait pas retour sur ses propres protocoles. De façon polémique, il déclarait ainsi : «  la science ne pense pas  ». Autrement dit, elle raisonne, elle établit des protocoles, elle suit des méthodes, mais elle ne se pense pas. On peut comprendre facilement la nécessité d’une épistémologie dans le domaine des sciences du vivant .
  • Contrairement à la physique ou aux mathématiques, dont les objets peuvent être distinctement définis, la biologie étudie une matière animée , sans cesse en changement et en réaction avec son milieu. Elle semble donc relever d’une certaine exception . C’est la raison pour laquelle le vivant semble exclure toute règle générale , car il est par essence marqué d’une originalité irréductible . Canguilhem soutient ainsi que « l’intelligence ne peut s’appliquer à la vie qu’en reconnaissant l’originalité de la vie. La pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant ». Avec l’exemple du hérisson traversant les routes, Canguilhem montre que le vivant qu’est le hérisson ne perçoit pas la route construite par des hommes comme construite par et pour des hommes, car elle lui est étrangère, elle n’appartient pas à son monde de hérisson. Sans une réflexion sur la manière dont la science pense son objet, en l'occurrence le vivant, ce dernier reste insaisissable par la science comme la route l’est pour le hérisson.
  • Pour établir une science du vivant, il pourrait être nécessaire, comme dans toute science, de penser en termes de méthode : or, s’agissant du vivant, la méthode est précisément ce qui pose problème . Par une boutade, Canguilhem fait remarquer : « Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous suffirait d’être anges, mais pour faire de la biologie, même avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes ». Autrement dit, il faut d’abord refuser d’appliquer des concepts figés au vivant du fait de son caractère unique.
  • On préférera alors à la notion de «  loi », figée, universelle et certaine , celle de «  modèle », évolutif et laissant une place à l’indétermination . Ainsi la théorie fixiste , qui considère que toutes les espèces sont créées par Dieu de manière définitive et fixe, est remplacée par le modèle évolutionniste de Lamarck , lui-même supplanté par le modèle de Darwin , lui-même nuancé et intégré dans le modèle phylogénétique contemporain.

2. Progrès ou révolution ?

  • Le scientisme du XIX e siècle, qui pose que les sciences expérimentales sont les seules connaissances fiables et qu’elles parviendront à rendre compte du tout de la réalité, était bercé par un espoir primitif : le progrès continu et cumulatif des connaissances .
  • Cette conception de la science néglige la réalité de son évolution. On doit au philosophe et épistémologie Thomas Kuhn un démenti érudit de cette superstition . Il démontre, en s’appuyant sur des exemples tirés de l’histoire des sciences, qu’ il n’y a pas de progrès en science, mais des révolutions . Une science évolue donc par des « sauts » , et chacun d’eux implique un changement de regard sur le monde.
  • La communauté scientifique commence par établir une première unification des connaissances dans un paradigme initial qui définit « la science normale » , c’est-à-dire communément acceptée par le plus grand nombre. Mais des faits discordants , des anomalies , sont observés, qui remettent en question le paradigme initial , pourtant maintenu tant qu’il est efficace. Ces anomalies sont explorées sous la pression d’enjeux souvent extérieurs à la science (philosophie, religion, économie). Cela conduit à la remise en cause du paradigme ancien et à la l'émergence d’un nouveau paradigme qui, lui-même, génère un champ expérimental nouveau ou/et repose sur des instruments récemment disponibles (lunette astronomique, microscope).
  • La confrontation des deux paradigmes (ancien et nouveau) crée la crise de la science, et lorsque le paradigme extraordinaire (c'est-à-dire nouveau) remplace celui de la science normale (c'est-à-dire ancien), nous assistons à une révolution scientifique  : le paradigme extraordinaire est finalement admis comme normal .

3. La notion de vérité scientifique

  • Il existe deux grandes définitions de la vérité en science. Les sciences pures établissent qu'un énoncé est vrai s'il est décidable et conforme à la cohérence du système , c’est donc une vérité de cohérence . Les sciences expérimentales considèrent qu’une loi de la nature est vraie lorsqu’elle est établie par une expérimentation et n’est pas contradictoire avec les observations du réel, c’est donc une vérité de conformité .
  • Mais cette notion de vérité est figée  ; or ce que montre Thomas Kuhn , c’est que tout paradigme scientifique sera « révolutionné » et avec lui, les vérités qu’il a générées. Ainsi plutôt que de parler de vérité en science, peut-être vaudrait-il mieux adopter le concept qu’utilise Popper à la suite de Leibniz  : la vérisimilitude . Une théorie vérisimilaire est une théorie qui est falsifiable , qui est testée, et qui résiste efficacement à la contradiction. Son degré de vérisimilitude augmente à chaque tentative de mise en cause qui échoue. Cette vérisimilitude à l’avantage de proposer une définition de la vérité scientifique qui prend en compte son élaboration historique, sans aboutir au scepticisme ou à une ère stérile de post-vérité .

4. Former un esprit scientifique

  • Plutôt que d’aborder la science comme un champ de connaissances constituées, de méthodes et de lois , on peut tenter d’approcher l’élaboration de ses connaissances en étudiant le fonctionnement psychologique des scientifiques, et tout particulièrement la manière dont ils sont formés.
  • Bachelard , dans La formation de l’esprit scientifique , expose l’objectif essentiel de la science et de la formation de l’esprit du scientifique : combattre l’opinion . L’opinion ne pense pas, elle pense mal, et s’il lui arrive d’aboutir à un résultat vérifiable, c’est sans construction rationnelle et sans valeur explicative.
  • Les scientifiques sont pourtant souvent sujets à l’opinion qui, dans le cadre de leur recherche, est un obstacle épistémologique majeur. Il s’agit d’abord d'affirmer que l’on ne peut connaître que contre une connaissance antérieure . Ensuite, une connaissance est une réponse à une question : sans cette phase de questionnement, la pensée démissionne au profit du dogmatisme . Il ne s’agit donc pas de privilégier l’instinct conservatif , mais de faire prévaloir l’instinct formatif des jeunes scientifiques. Bachelard parle d’«  instinct  » car il lui semble que l’idée scientifique est toujours, primitivement, chargée d’affects qui gênent sa « fine pointe abstraite ».

4 La responsabilité de la science

1. science sans conscience.

  • Si Rabelais rappelait déjà que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », c’est surtout à partir du XX e siècle que la question de la limite éthique de la science se pose.
  • C’est tout d’abord dans le cadre de la biologie qu’une limite éthique a semblé nécessaire, mais depuis que la connaissance de l’atome a rendu possibles Hiroshima, Tchernobyl, et Fukushima, la question de la responsabilité morale concerne toutes les sciences de la nature . Les sciences pures sont aussi concernées, à travers les algorithmes de traitement des données , le croisement des Big data , ainsi que l’accroissement de la surveillance qu’ils permettent.
  • On le voit, ce n’est pas tant la science, en tant que puissance de connaître qui est soumise au jugement moral, que la technoscience , définie comme l’unité entre la connaissance et le développement de techniques qui modifient la nature et la société, sans que l’assentiment du citoyen ne soit systématiquement interrogé.

2. Le principe de responsabilité

  • Il peut alors apparaître urgent de pouvoir suivre un principe directeur qui fixe des limites éthiques au développement technoscientifique . Hans Jonas le nomme « principe de responsabilité » . Il consiste d’abord à distinguer le champ du possible et le champ du réalisé  : tout ce qui peut être créé ne doit pas nécessairement l’être. Cela constitue une réelle mutation de notre rapport à l’agir humain . En effet, au lieu d’avoir une foi inconsidérée dans le progrès, il s’agit de critiquer les conditions de possibilité d’un tel progrès pour que l’humain cesse d’être « son pire ennemi », suivant le mot de Jonas .
  • La formulation du principe de responsabilité est corrélée à l’impératif catégorique de Kant et reçoit plusieurs itérations : «  Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre  » ou « inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir ».
  • Au fond, il s’agit toujours de juger la valeur de la technoscience dans ce qu’elle peut produire de pire dans le futur. On utilise souvent le principe de responsabilité comme fondement du principe de précaution , qui consiste à dire que le pire étant possible, en cas de doute, mieux vaut s’abstenir. Pourtant il s’agit plutôt de sacraliser le droit des générations futures . Il faut donc admettre que la limite de la science , dans ses applications pratiques, est une métaphysique, une idée du sacré , qui se distingue pourtant du religieux.

3. Religiosité scientifique

  • La religiosité n’est pas absolument absente de la science comme pourrait le laisser penser la distinction entre croire et savoir. Mais la religiosité peut prendre d’autres significations. Ainsi Einstein considère que le scientifique doit croire pour pouvoir établir une connaissance. Il porte donc la responsabilité de cette croyance primitive nécessaire à sa démarche.
  • La religiosité dont il est question n’est pas liée au respect ou à la pratique de rites, ni à l’observation stricte de préceptes de vie conformes à une révélation, ni à l’appartenance à une église. Elle consiste dans la foi en un ordre cosmique, un principe organisateur du monde . Le scientifique est pénétré par « l’admiration extasiée de l’harmonie des lois de la nature  ». Pourtant, l’idée même d’un ordre, d’une harmonie ou d’un cosmos n’est pas indifférente à l'histoire des valeurs occidentales. Ainsi le chercheur croit dans la vérité comme Nietzsche s’est attaché à le révéler.
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Sciences et connaissance

Science et connaissance : quelques thèses importantes

La science et la connaissance sont deux concepts très étudiés en philosophie et en épistémologie. Que sont-elles réellement ? A quoi doivent-elles servir ? Cet article propose d’y répondre.

PLATON, Cratyle : la connaissance requiert un objet stable

Privée d’un objet stable, permanent, identique à lui-même, la connaissance ne saurait être une vraie connaissance. L’Idée est exigée par la nature même de la connaissance. Seule l’essence peut être connue. De ce fait, l ’objet mouvant n’est pas susceptible d’être connu.

De même une connaissance mobile n’est pas une connaissance. Pour qu’il y ait une connaissance réelle, il faut un sujet stable et un objet stable, telle l’Essence. On peut rapprocher cette pensée de celle de Bergson dans L’évolution créatrice : “ l’intelligence a pour objet le solide inorganisé” , elle n’est pas adaptée au flux du devenir. En résumé, pour Platon il faut échapper au mobile universel ( Cf.  Fragments , Héraclite ) pour fonder la connaissance.

PLATON, La République , Livre VI : comment atteindre la vraie connaissance ?

Platon cherche ici à définir la ligne de la connaissance. Il distingue alors quatre champs de la connaissance :

  • celui des images (l’opinion) , il désigne le domaine des objets représentés par les images (la connaissance) . Aussi, “la division a été faite de telle sorte que l’image est à l’objet ce qu’elle reproduit comme l’opinion est à la science.”
  • celui construit sur les objets comme hypothèses
  • dans le quatrième, on atteint le principe absolu par les seules idées (théorèmes, lois, par exemple)

Seule la raison, saisissant les choses intelligibles, peut atteindre le principe absolu.

ARISTOTE, Ethique à Nicomaque : l’ami est un médiateur dans la connaissance de soi

Pour l’homme, l’apprentissage est un réel plaisir, la connaissance de soi plus particulièrement encore. Cependant, “nous ne pouvons pas nous contempler à partir de nous même” . Les remarques que l’on adresse aux autres en sont une preuve suffisante. Dès lors, pour se connaître, l’homme a besoin d’un alter ego, c’est l’ami .

”Un ami est un autre soi-même” , il est le miroir de nous-même. Ainsi pour Aristote,  “la connaissance de soi est un plaisir qui n’est pas possible sans la présence de quelqu’un” . L’amitié ne consiste pas en une simple relation de bénéfices matériels, émotionnels ou moraux, l’amité est une expérience privilégiée pour atteindre la connaissance de soi.

MONTAIGNE, Essais , Livre I : A quoi sert le savoir ?

“Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.” écrivait Rabelais . C’est précisément l’écueil pointé par Montaigne ici. En effet, nous nous remplissons la tête de science sans devenir meilleur , notre conscience reste vide. La connaissance scolaire, académique, le savoir dit intellectuel ne nous élève pas moralement.

Montaigne constate : “Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire, et laissons l’entendement et la conscience vides.” Notre savoir reste inutile, alors que son but devrait être la vertu. Ainsi, le savoir vise à la sagesse mais il nécessite une conscience active dans l’apprentissage.

DESCARTES, Principes : la connaissance claire et distincte

De cet extrait on retiendra uniquement cette définition phare : “J’appelle par connaissance claire la connaissance qui est présente et manifeste à un esprit attentif; distincte, celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres qu’elle ne comprend en soi que ce qui paraît manifestement à celui qui la considère comme il faut.”

DESCARTES, Règles pour la direction de l’esprit : arithmétique et géométrie sont plus certaines que les autres sciences

Pour Descartes, “l’arithmétique et la géométrie sont beaucoup plus certaines que toutes les autres sciences.” En effet, l eur objet est à la fois très clair et très simple . De fait, elles sont les plus faciles et les plus claires de toutes les sciences.

Malgré tout, il est extrêmement difficile de parvenir rationnellement à la vérité . C’est pourquoi Descartes prend la certitude mathématique comme modèle : “ceux qui cherchent la vérité ne doivent s’occuper d’aucun objet dont ils ne puissent avoir une certitude égale aux démonstrations de l’arithmétique et de la géométrie.” La mathématique doit donc servir de modèle pour parvenir à la vérité.

DESCARTES, Règles pour la direction de l’esprit : la mathématique, science de l’ordre et de la mesure

Dans cet ouvrage, Descartes a l’idée d’une mathématique universelle qui serait comme la méthode des sciences. En effet, “toutes les choses où l’on étudie l’ordre et la mesure se rattachent à la mathématique.” Cette mathématique universelle renfermerait toutes les raisons pour lesquelles les autres sciences sont dites des parties de la mathématique. Celle-ci ne serait pas étudiée car supposée trop facile, alors qu’elle est justement cette science de l’ordre et de la mesure, la méthode générale des sciences.

DESCARTES, Règles pour la direction de l’esprit : les voies de la connaissance

Descartes distingue deux voies pour parvenir à la connaissance. La première est l’intuition, la seconde est la déduction. L’intuition désigne “le concept que l’intelligence pure et attentive forme avec tant de facilité et de distinction qu’il ne reste […] aucun doute sur ce que nous comprenons.” Il s’agit d’un mode de connaissance rationnel qui repose sur l’évidence (vue précise et indubitable de l’esprit). L’intuition intellectuelle s’apparente à une sorte de mouvement. La déduction quant à elle, “emprunte plutôt en quelque manière sa certitude à la mémoire”. Elle n’est pas immédiate mais découle justement d’un raisonnement issu des premiers principes donnés par l’intuition.

Ainsi, l’intuition acquiert aux premiers principes et la déduction aux conclusions . La certitude scientifique exige ces deux moyens. Il est possible d’assimiler cette distinction à celle de Pascal entre le cœur et la raison , ou encore l’intuition et l’intelligence bergsoniennes (même si ce ne sont pas les mêmes).

SPINOZA, Ethique , Livre V : Maîtriser les passions par la connaissance

La connaissance doit permettre à l’homme de devenir plus vertueux en se libérant des passions. En effet chez Spinoza, une passion est une affection dont nous ne formons qu’une idée confuse. Alors, ”une affection qui est une passion, cesse d’être une passion sitôt que nous en formons une idée claire et distincte.” Mieux je connais mes affections, plus ma puissance progresse. De plus, “il n’est point d’affection du Corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct.”  

Voir plus : L’art en philosophie : quelques thèses incontournables

COMTE, Cours de philosophie positive : les trois états de la science

Dans l’état théologique , l’esprit humain tourne ses recherches vers les connaissances absolues (non subordonnées aux phénomènes naturels). L’état métaphysique désigne quant à lui la croyance en des entités. Enfin, l’état positif renvoie à la recherche des lois de la nature.

“Science d’où prévoyance: prévoyance d’où action” écrit Comte. La science permet l’action par la prévision. Ainsi, les connaissances naturelles, loin d’enchaîner l’homme à un aveugle destin, le libère en lui permettant de prévoir. Savoir et pouvoir sont unis dans la pensée de Comte.

Le but des sciences n’est pas simplement de satisfaire notre curiosité, un besoin de connaissance des lois de la nature de la part de notre intelligence. Le but des sciences est de satisfaire notre de savoir, le tout en vue d’agir. En bref, connaître et agir sont les buts fondamentaux de la science.

BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique : l’obstacle épistémologique

La pensée scientifique progresse par erreurs rectifiées, en luttant contre elle-même. Les résistances à la connaissance scientifique ne sont pas seulement extérieures, mais internes à l’acte de connaître (préjugés, prénotions, etc.).

Ainsi, “c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique.”

“La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine.” Elle est une difficile conquête contre l’esprit lui-même. Bachelard dresse un constat essentiel : toute notre connaissance scientifique est un travail de rectification contre nous-même .

BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique : Science et opinion

Il faut détruire l’opinion qui ignore toute pensée véritable : “L’opinion pense mal; elle ne pense pas: elle traduit des besoins en connaissances.” La première chose à faire en science, c’est de savoir poser des problèmes , de remettre en cause son opinion. N’oublions pas que “ toute connaissance est une réponse à une question” . En science, “rien n’est donné, tout est construit.” La science doit totalement répudier l’opinion.

BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique : Le fait scientifique est construit (Cf. Le Nouvel esprit scientifique )

La pensée scientifique moderne se caractérise par une abstraction croissante. “L’observation scientifique est toujours une observation polémique.” Tout d’abord, celle-ci ne fait jamais que confirmer ou infirmer une thèse antérieure. De plus, la pensée scientifique montre en démontrant, hiérarchise les apparences, transcende l’immédiat, reconstruit le réel. De fait, le phénomène scientifique est entièrement théorique, il est une production de l’esprit.

POPPER, Conjectures et Réfutations : la théorie scientifique

“Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique.” Y a-t-il une certitude absolue en science ? Pour Popper en tout cas, ce n’est pas le cas.

“La connaissance […] progresse grâce à des anticipations non justifiées.” Conjectures et réfutations ne permettent d’atteindre aucune certitude, e lles nous signalent toutefois des erreurs instructives et ne permettent d’avancer dans l’exactitude de nos connaissances. Ainsi, “la réfutation d’une théorie […] constitue toujours à elle seule un progrès qui nous fait approcher de la vérité.” En résumé, la science est toute relative et se fonde sur des hypothèses réfutables à tout moment.

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la science ne pense pas dissertation

Maintenance of Green Spaces in the City of Moscow and Its Impact on the Indicative Role of the Grass Layer in Soil–Ecological Studies. The Case of the Moscow State University Campus

  • Published: 25 March 2022
  • Volume 77 , pages 37–45, ( 2022 )

Cite this article

  • V. M. Telesnina 1 &
  • O. V. Semenyuk 1  

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This study discusses specific features of the grass layer in connection with the maintenance of typical urban plantings in the City of Moscow. The maintenance regime determines the main features of the ground cover to a greater extent than the cultivated tree species. As a result of the stand tending, nemoral shade-enduring species in the grass layer are actively replaced by meadow nitrophilous species and ruderal weeds represented by annual plants and sod grasses, which increases the biological cycle intensity. In urban ecosystems, the indicative role of plants in relation to soil properties is manifested to the lowest extent in stands maintained on a periodic basis due to the predomination of species with wide ecological amplitudes in the grass layer.

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This study was performed as part of the State Assignment, theme no. 121040800321-4 (Transformation Indicators for Biogeochemical Cycles of Biogenic Elements in Natural and Anthropogenic Ecosystems) and the Development Program of the Interdisciplinary Scientific and Educational School of the Moscow State University “Future of the Planet and Global Environmental Changes.”

Author information

Authors and affiliations.

Department of Soil Science, Moscow State University, 119991, Moscow, Russia

V. M. Telesnina & O. V. Semenyuk

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Corresponding author

Correspondence to V. M. Telesnina .

Ethics declarations

Conflict of interests . The authors declare that they have no conflicts of interest.

Statement on the welfare of humans or animals. This article does not contain any studies involving humans or animals performed by any of the authors.

Additional information

Translated by L. Emeliyanov

About this article

Telesnina, V.M., Semenyuk, O.V. Maintenance of Green Spaces in the City of Moscow and Its Impact on the Indicative Role of the Grass Layer in Soil–Ecological Studies. The Case of the Moscow State University Campus. Moscow Univ. Soil Sci. Bull. 77 , 37–45 (2022). https://doi.org/10.3103/S0147687422010069

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Received : 11 June 2021

Revised : 10 October 2021

Accepted : 03 December 2021

Published : 25 March 2022

Issue Date : March 2022

DOI : https://doi.org/10.3103/S0147687422010069

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Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Il était celui qui tombait sous les coups du régime et se relevait toujours, qui galvanisait la jeunesse et divisait l’intelligentsia. Celui qui fascinait et faisait peur, qui croyait en lui et se méfiait des idéologies, qui voulait tout changer et cultivait le pragmatisme. L’opposant russe et adversaire numéro 1 du Kremlin, Alexeï Navalny, est mort vendredi 16 février 2024 dans la prison de l’Arctique où il purgeait une peine de 19 ans de prison. En mars 2021, La Croix L’hebdo dressait son portrait.

  • Benjamin Quénelle et Olivier Tallès ,
  • le 19/03/2021 à 18:40 Modifié le 16/02/2024 à 13:32

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Lecture en 18 min.

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Alexei Navalny, le 30 septembre 2020.

Peter RIGAUD / DER SPIEGEL/LAIF/REA

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Dès son retour en Russie le 17 janvier dernier, Alexeï Navalny est arrêté à l’aéroport. Les services pénitentiaires russes (FSIN) lui reprochent d’avoir – en effectuant sa convalescence en Allemagne après son empoisonnement – violé les conditions d’une peine de prison avec sursis infligée en 2014.

ALEXANDER NEMENOV / AFP

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

L’opposant sait mettre en scène son couple. Le 21 septembre 2020, il publie cette photo sur son compte Instagram @navalny. Il est alors hospitalisé à Berlin à la suite de son empoisonnement.

Instagram Navalny / AFP

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Le 2 février, il est présenté à la justice et condamné à deux ans et demi de prison ferme.

Moscow City Court / AP/SIPA

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Avocate de la FBK, la Fondation anti-corruption, Lioubov Sobol est devenue le bras droit politique d’Alexeï Navalny (ici en septembre 2019).

D.CHIRCIU / Anadolu Agency/AFP

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

En 2013, Alexeï Navalny se présente aux élections municipales de Moscou face au maire sortant, Sergueï Sobianine. Le candidat anti-corruption récolte plus de 27 % des suffrages.

Denis Tyrin / AP

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Ioulia Navalnya, l’épouse d’Alexeï, le soigne après que des attaquants inconnus l’ont aspergé d’un produit vert lors d’un meeting à Moscou, le 27 avril 2017.

Evgeny Feldman / AP/SIPA

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Décembre 2017, Alexeï Navalny se prépare avant un entretien avec des journalistes étrangers. Sur son visage, on peut lire sa détermination mais pas ses intentions.

Alexander Zemlianichenko / AP/SIPA

Alexei Navalny, le 30 septembre 2020.

[Article initialement publié le 19 mars 2021]

La voix d’ Alexeï Navalny s’échappe de sa cage en verre. « Voulez-vous parler de Dieu ? » , lance-t-il à la cour. Ses propos, légèrement déformés par le son du micro, paraissent un peu étranges en ce samedi matin 20 février 2021. L’oreille tendue, les journalistes russes qui guettent ses faits et gestes depuis son retour de Berlin prennent des notes. Le juge de Moscou vient de rejeter son appel. Le condamné a droit au « dernier mot », avant son transfert vers une colonie pénitentiaire où il devra purger une peine de deux ans et demi de prison.

L’opposant fatigué a préparé son discours comme un prêche. Il cite la Bible qui « donnerait un sens » à ses sacrifices : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. » Dans l’assistance, on se jette des regards perplexes. « Peu de gens perçoivent Navalny comme une personne religieuse, alors que c’est peut-être la chose la plus importante pour lui » , nous explique l’écrivain contestataire Boris Akounine. Le soir venu, des commentateurs du pouvoir caricatureront à loisir le « dernier mot » du condamné.

En cette année 2021, aucun Russe ne peut ignorer celui dont Vladimir Poutine ne cite jamais le nom. Le combattant opiniâtre a lancé un double défi au tsar en choisissant de rentrer au pays après son empoisonnement et de diffuser une vidéo choc sur le palais du président. Cet homme banni de la grande politique a réussi à bousculer l’agenda du Kremlin qui, en réaction, déclenche le rouleau compresseur de la propagande aux heures de grande écoute. Le voilà sujet de conversation en Russie et même, au-delà, nouvel objet de brouille entre les Occidentaux et les autorités russes.

« Alexeï Navalny, c’est un croisé » Boris Akounine, un ami

À la force du poignet, ce trompe-la-mort est devenu l’homme fort de l’autre Russie, celle qui refuse d’adhérer au pacte de stabilité de Vladimir Poutine. « Alexeï Navalny, c’est un croisé » , poursuit son ami Boris Akounine, qui le connaît depuis dix ans.

On pourrait ajouter un homme politique acharné, qui n’a cessé depuis des années de mettre sa liberté et sa santé en balance avec la mission qu’il s’est fixée : créer une alternative au régime dans un espace politique totalement verrouillé par les hommes du président. À 44 ans, sa vie pourrait se résumer à ce combat contre le Goliath russe.

Un enfant de la Perestroïka

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Dès son retour en Russie le 17 janvier dernier, Alexeï Navalny est arrêté à l’aéroport. Les services pénitentiaires russes (FSIN) lui reprochent d’avoir – en effectuant sa convalescence en Allemagne après son empoisonnement – violé les conditions d’une peine de prison avec sursis infligée en 2014. / ALEXANDER NEMENOV / AFP

Du plus loin qu’il se souvienne, Alexeï Navalny s’est toujours défié du pouvoir. Né en 1976 dans la région de Moscou, l’enfant de militaire qui a grandi dans quatre villes de garnison différentes n’aime pas l’Union soviétique. « Petit, je faisais la queue tout le temps pour le lait, explique-t-il à son biographe Konstantin Voronkov. Je n’en ai aucune nostalgie. » À la caserne, il y a les fils de privilégiés qui ont servi à l’étranger et les autres. Même pour un enfant, « il était clair que tout ce système était construit sur la tromperie » , dira-t-il.

Chaque été, il séjourne chez sa grand-mère ukrainienne, dans un village près de la centrale de Tchernobyl, que la catastrophe n’a pas encore évacué. Il en garde des souvenirs de barbecues et de grandes tablées qui nourriront son goût pour la famille.

« Il suit scrupuleusement le Carême avant la Pâque » Evguenia Albats, journaliste

C’est lors de ses vacances que sa babouchka le baptise et l’initie à la prière sans avertir ses parents. Il retrouvera la foi des années plus tard en regardant ses propres enfants grandir. « Il suit scrupuleusement le Carême avant la Pâque » , témoigne son amie la journaliste et politologue Evguenia Albats.

Chez les parents du jeune Alexeï, les débats politiques s’invitent sans façon à la table. L’enfant lit les journaux qui traînent et connaît les sous-ministres de l’URSS du règne finissant de Leonid Brejnev. En ces dernières années de guerre froide, la famille écoute La voix de l’Amérique, la radio de l’ennemi, sur un récepteur à ondes courtes acheté après l’invasion de l’Afghanistan. On cultive l’ironie et les plaisanteries, qui deviendront la marque de fabrique de l’opposant. Lioudmila, la mère, sensibilise Alexeï aux valeurs démocratiques, bientôt incarnées par Mikhaïl Gorbatchev. Le père joue les patriarches.

Après la chute de l’URSS, le fils aîné part étudier à l’Université russe de l’amitié des peuples, qui a vu passer de nombreux étudiants africains. Il y apprend le droit et le métier d’avocat, avant de rencontrer, au hasard de vacances en Turquie, celle qui deviendra la mère de ses deux enfants, Ioulia.

« Ioulia a joué un rôle majeur dans le développement de sa vision politique. Il a toujours voulu lui démontrer qu’elle avait eu raison de l’épouser » Evguenia Albats

L’étudiante en économie, qui elle aussi peut réciter la liste des sous-ministres du gouvernement Eltsine, l’impressionne. « Ioulia a joué un rôle majeur dans le développement de sa vision politique, pense Evguenia Albats. Je l’appelle la reine de glace. Il a toujours voulu lui démontrer qu’elle avait eu raison de l’épouser. » Plus tard, il mettra en scène son image de bon père de famille, sorte de miroir inversé de Vladimir Poutine, qui a placé sa vie privée sous une chape de silence.

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L’opposant sait mettre en scène son couple. Le 21 septembre 2020, il publie cette photo sur son compte Instagram @navalny. Il est alors hospitalisé à Berlin à la suite de son empoisonnement. / Instagram Navalny / AFP

Un apprenti ambitieux

Dans le couple s’instaure vite un partage des tâches sur le mode de la famille traditionnelle russe. Au mari, le travail et l’ambition professionnelle. À l’épouse, le foyer et l’éducation de sa fille aînée et de son fils. Ioulia s’est toujours refusé à prendre la place de son époux quand celui-ci a été banni du jeu électoral.

« Ioulia est une dame de fer, un caractère solide qui aime l’ordre à la maison et dans la vie » , témoigne le rédacteur en chef de la radio Écho de Moscou Alexeï Venediktov, qui les a interviewés dans leur appartement. Ce jour-là, Ioulia a pris la parole une fois pour évoquer les études de leur fille Dacha. Elle a alors parlé bien plus qu’Alexeï.

Pour nourrir les siens, le jeune avocat se plonge dans le capitalisme sauvage des années 1990. La réalité est brutale, choquante même. Autour de lui, des anciens des komsomols (jeunesse communiste) et de la nomenklatura gagnent des millions en captant l’héritage de l’Union soviétique ou en jouant de la proximité du pouvoir.

« 80 % de ma motivation vient de la haine » Alexeï Navalny

Il ne se sent pas vraiment à sa place dans le monde post-soviétique. Il découvre la force des réseaux, l’ampleur de la corruption, le cynisme et l’individualisme. Il en veut à Boris Eltsine en qui il a cru, à l’instar de tant de Russes.

Des années plus tard, il racontera dans sa biographie : « 80 % de ma motivation vient de la haine. » La haine de la corruption érigée en système, des passe-droits, des mensonges, du régime incarné par Vladimir Poutine depuis deux décennies… L’année où l’ancien officier du KGB s’apprête à prendre la succession d’un Boris Eltsine malade, Alexeï Navalny décide de se lancer dans l’action politique.

Hiver 1999, un jeune homme frappe à la porte d’un bureau annexe de Iabloko, le parti libéral hostile au pouvoir. Avec sa haute silhouette – il mesure 1,88 m – et son profil d’acteur américain des films en noir et blanc, Alexeï Navalny ne passe pas inaperçu. L’accueil est glacial, les questions suspicieuses.

« Qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi ne vas-tu pas travailler ? » Au début de l’ère Poutine, les jeunes de son âge font carrière dans les affaires, voire dans les ONG s’ils sont démocrates, mais pas dans la politique. « On compte sur les doigts d’une main les hommes politiques de sa génération » , rappelle son ami Sergueï Gouriev, économiste exilé en France.

« Alexeï n’était pas un bon communicant . Il a appris tout seul à parler en public. C’est un vrai self-made-man qui a énormément évolué. » Igor Iakovlev

Alexeï Navalny, le provincial un brin conservateur, détonne au milieu des militants de Iabloko. « Il ne correspondait pas au profil type du parti, c’est-à-dire un intello modéré avec des principes » , admet Igor Iakovlev, jeune homme à l’époque, devenu porte-parole du mouvement. Les responsables de l’opposition viennent pour la plupart de milieux cultivés et plutôt aisés.

« Navalny, lui, n’est pas un petit-bourgeois. Sans être pauvre, il vit simplement » , rappelle le politologue Stanislav Belkovsky, qui a travaillé avec lui. Le couple Navalny habitera longtemps dans un trois-pièces d’un quartier excentré de la classe moyenne, avant de déménager en 2016 dans un quatre-pièces moins loin du centre-ville.

La journaliste Evguenia Albats a fait sa connaissance au hasard d’une des réunions de militants qu’elle organisait chez elle, en 2004. Ce jour-là, il est l’un des rares qui ne sortent pas d’une grande école. « Alexeï n’était pas un bon communicant, insiste-t-elle. Il a appris tout seul à parler en public. C’est un vrai self-made-man qui a énormément évolué. » À l’occasion de ses nombreux séjours en prison, il comblera ses lacunes en dévorant les ouvrages de politique et en apprenant l’anglais.

Au sein de Iabloko, Alexeï Navalny observe de près comment le nouveau président Vladimir Poutine instaure une verticale du pouvoir. Les voix discordantes sont étouffées. Iabloko disparaît des écrans avant d’être balayé aux législatives de 2003. Pour enrayer le déclin de sa formation, le jeune Alexeï décide alors de flirter avec la mouvance nationaliste, qui a le vent en poupe dans les années 2000.

Il participe à sa marche annuelle, regroupement hétéroclite de néonazis, d’ultranationalistes, de monarchistes, d’orthodoxes radicaux et de conservateurs très à droite. « Il parlait bien et réagissait vite, il avait de la fougue, du courage, des qualités qui nous plaisent » , se souvient Vladimir Tor, l’un des chefs de file de cette mouvance.

Alexeï Navalny et l’écrivain Zakhar Prilepine tentent de lancer le mouvement Narod, un parti qui irait des nationalistes à la gauche. L’aventure capote très vite. Tout le monde en aurait oublié l’existence si Navalny n’avait pas tourné deux vidéos avec le logo Narod, qui lui valent aujourd’hui d’être traité de nazi par les propagandistes du régime. Sur l’une, on le voit défendre les ventes d’armes, en comparant des terroristes tchétchènes à des cafards ; sur l’autre, il plaide l’expulsion de « tous ceux qui nous gênent » . Par la suite, il ne se repentira ni de ses vidéos, ni d’avoir participé aux marches de la droite extrême.

« Il n’est ni nationaliste, ni libéral. Il est lui. Il s’est créé, pragmatique avant tout. Il n’a jamais eu d’idéologie » Zakhar Prilepine, écrivain

Alexeï Navalny est-il un nationaliste refoulé ? Ses alliés d’hier n’y croient guère. « Il n’est ni nationaliste, ni libéral. Il est lui. Il s’est créé, pragmatique avant tout. Il n’a jamais eu d’idéologie. C’est un homme rationnel, sensé, sobre, courageux, têtu, sûr de lui, ambitieux. Une sorte de manager à l’américaine, toujours en train de préparer quelque chose et de sourire, sans dévoiler son vrai caractère » , martèle Zakhar Prilepine, qui s’est rapproché depuis de Vladimir Poutine.

C’est pourtant au nom de ses accointances avec les nationalistes que le jeune homme finit par être exclu du parti en 2007. Il quitte l’immeuble en criant « Gloire à la Russie » à son supérieur direct, Sergueï Mitrokhine, et au reste du bureau directeur. « Navalny a des positions suffisamment mouvantes pour pouvoir s’adapter à la situation du moment, mais il n’est pas un Le Pen ou un gars d’extrême droite » , précise son responsable d’alors.

Plus tard, la période à Iabloko nourrira sa légende noire : trop nationaliste, trop personnel, trop opportuniste. Sur l’instant, l’intéressé n’en a cure. Il a foi en lui et en sa mission. L’heure est venue de tracer sa propre voie, loin des partis croupions et des sentiers battus…

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Le 2 février, il est présenté à la justice et condamné à deux ans et demi de prison ferme. / Moscow City Court / AP/SIPA

Un justicier 2.0

Avril 2008, la ville de Surgout se réveille après le long hiver sibérien. Irina Malkova, l’envoyée spéciale du quotidien des affaires Vedomosti , est venue assister au conseil d’administration du géant Surgutneftegaz. L’idée la fait soupirer d’avance. Dans la salle, des hommes de plus de 60 ans, en costume gris, écoutent sans broncher le patron Vladimir Bogdanov, un membre de l’élite, réciter ses platitudes. Soudain, un grand gaillard en jean se lève, balance une rafale de questions au sujet de la gestion du groupe et crie : « Où est l’argent ? » C’est le choc dans l’assistance.

Irina Malkova croisera souvent le chemin du jeune homme en jean, qui n’est autre que Navalny, lors des assemblées générales des entreprises. « Il était drôle, énergique, toujours pressé » , se souvient celle qui deviendra rédactrice en chef de The Bell . Pour forcer le système politique verrouillé par Poutine, le militant a endossé un nouveau cheval de bataille : la corruption. Et n’hésite pas à dépenser ses économies, soit 20 000 dollars, en actions qui lui donnent droit de poser des questions.

« Il a été le premier homme politique à comprendre que c’est la corruption, et non les services secrets, qui constituait le cœur du système de Poutine et à concevoir une stratégie » Stanislav Belkovsky, analyste

Ses enquêtes fouillées sur les surfacturations, le gaspillage et la gabegie, qui forcent la justice à lancer des procédures, deviennent sa marque de fabrique. L’humour corrosif de l’impertinent actionnaire fait mouche, au point que son blog Navalny. Livejournal se transforme en média.

Dans l’espace public cloisonné par les partis du pouvoir, les réseaux sociaux lui offrent le moyen d’exister. « Il a été le premier homme politique à comprendre que c’est la corruption, et non les services secrets, qui constituait le cœur du système de Poutine et à concevoir une stratégie » , constate l’analyste Stanislav Belkovsky.

Le célèbre blogueur s’attire le soutien de jeunes libéraux et de patrons de PME dans le milieu des affaires. Frappé par sa « détermination et son sérieux » , l’économiste Sergueï Gouriev l’aide à décrocher en 2010 une bourse d’un an à Yale (États-Unis), où il part étudier le droit international.

À son retour, le justicier 2.0 renforce son arsenal avec le lancement de Rospil, un site dédié aux abus sur les marchés publics, financé grâce à une souscription en ligne. Un premier juriste est embauché, la jeune Lioubov Sobol. Elle lâche à son nouveau patron, dont elle deviendra plus tard le bras droit politique : « Je suis contente de voir qu’on n’a pas essayé de vous assassiner » …

En cet hiver 2011, la colère gronde dans les rues de Moscou. Des milliers d’électeurs anti-Poutine convergent vers la place du Marécage (Bolotnaïa), sur les bords de la Moskova, pour contester les fraudes massives aux législatives du 4 décembre.

Alexeï Navalny harangue la foule, pugnace et tranchant. Il est le plus applaudi des chefs de la contestation. Son qualificatif désignant Russie unie (la formation de Poutine) comme « le parti des voleurs et des escrocs » , a frappé les esprits autant que les enquêtes de son nouveau Fonds de lutte contre la corruption (FBK).

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Avocate de la FBK, la Fondation anti-corruption, Lioubov Sobol est devenue le bras droit politique d’Alexeï Navalny (ici en septembre 2019). / D.CHIRCIU / Anadolu Agency/AFP

Le héros de Moscou

On commence à s’intéresser à lui au-delà des cercles étroits de l’opposition. Le nationaliste Vladimir Tor lui organise une discussion avec le père Vsevolod Tchapline, ancien porte-parole du Patriarcat. Leurs échanges sont « constructifs » , selon le témoin, même si Navalny précise qu’il veut tenir la religion loin de la politique.

La rencontre restera sans lendemain. En prenant peu de temps après la défense des Pussy Riot, le groupe punk arrêté à la suite d’un concert non autorisé dans la cathédrale de Moscou, Alexeï Navalny renonce de fait à être le croisé des nationalistes du clergé orthodoxe.

Les Moscovites récompensent le tribun de la place Bolotnaïa lors des élections municipales de 2013. Autorisé in extremis à participer à la campagne, il déploie son énergie, sillonnant les quartiers, tenant meetings, toujours sur la brèche.

« Il a démontré qu’il était prêt à mener une campagne et à la gagner » Sergueï Gouriev, économiste

Depuis des années, il prépare sa tête et son corps à cet instant, n’hésitant pas à sauter des repas le soir pour garder la ligne. Par la suite, sa pratique régulière du jogging l’aidera à récupérer de son empoisonnement. « Il a démontré qu’il était prêt à mener une campagne et à la gagner » , observe Sergueï Gouriev, qui l’a aidé à concocter son programme.

Le soir du scrutin, c’est la stupeur au Kremlin. Le candidat Navalny récolte plus de 27 % des suffrages, un score historique dans la Russie de Poutine, au terme d’une élection entachée de fraudes. Le tsar a retenu la leçon : son adversaire ne sera plus jamais autorisé à participer à une élection. La contre- offensive s’organise aussitôt pour démolir la réputation du croisé anti-corruption.

L’entreprise française Yves Rocher, qui a travaillé avec lui et son frère Oleg, porte plainte contre X pour « suspicion d’escroquerie », après avoir été convoquée par les autorités locales. Elle conclut au terme d’un audit à l’absence de surfacturation, mais maintient sa plainte du fait de ses doutes sur les conditions du contrat avec la société des Navalny.

En 2014, le tribunal condamne Oleg Navalny à trois ans et demi de camp. Alexeï, lui, écope du sursis, une peine qui sera transformée, le 2 février dernier, en prison ferme. Le dossier sera porté devant la Cour européenne des droits de l’homme qui condamnera la Russie à 10 000 euros d’amende pour décisions « arbitraires et manifestement déraisonnables » .

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

En 2013, Alexeï Navalny se présente aux élections municipales de Moscou face au maire sortant, Sergueï Sobianine. Le candidat anti-corruption récolte plus de 27 % des suffrages. / Denis Tyrin / AP

Un combattant opiniâtre

Au moment où le régime se raidit, Alexeï Navalny déplace sa croisade à travers l’immense Russie. Ses fidèles ouvrent des bureaux dans une quarantaine de villes. On y accueille une nouvelle vague de militants épargnés par la fièvre patriotique qui a saisi la population au lendemain de l’annexion de la Crimée. « Navalny m’a ouvert les yeux » , confie parmi d’autres Andreï Peskov, qui a dirigé le QG d’Arkhangelsk, une ville sur la mer Blanche, durant une année marquée par quatre arrestations.

À Moscou, Alexeï Navalny se rend au travail à pied. Son siège occupe l’aile d’un étage d’un immeuble moderne près de son appartement. L’équipe s’affaire dans une grande pièce froide, aux murs blancs et bleus, où traînent des câbles et des projecteurs.

Un couloir conduit au studio de NavalnyLive où sont produites les vidéos sur la corruption. Le chef des troupes peut parler de religion à ses militants athées, évoquer les devoirs de ses enfants et parfois déclarer : « Je veux devenir président. » Ivan Jdanov, son bras droit réfugié en Europe, réfute l’image d’un patron autoritaire : « Chacun peut défendre sa position. »

« À l’occasion de sa tournée, Alexeï Navalny a pu mesurer le fossé entre le niveau de vie des Moscovites et celui du reste du pays » Sergueï Gouriev

Au micro, Alexeï Navalny laboure le champ social laissé en friche par Vladimir Poutine. Terminé, l’immigration illégale et les délinquants étrangers : l’opposant a gauchisé ses propos. Il insiste dorénavant sur la lutte contre les inégalités et la corruption, les nouvelles préoccupations des Russes frappés par la crise économique des années 2010. « À l’occasion de sa tournée, Alexeï Navalny a pu mesurer le fossé entre le niveau de vie des Moscovites et celui du reste du pays » , précise l’économiste Sergueï Gouriev.

Aux dires des médias au service du Kremlin, les pays étrangers financent le mouvement Navalny. L’intéressé, lui, évoque les centaines de donateurs dont les contributions assurent les salaires des 225 employés et la location des 37 bureaux régionaux, le Fonds de lutte contre la corruption et la chaîne NavalnyLive.

Une part importante des revenus de la marque Navalny provient aussi d’hommes d’affaires russes expatriés, dont Boris Zimine, qui a payé son transfert à Berlin lors de son empoisonnement, ou encore Vladimir Achourkov . Ce financier soutient Alexeï Navalny depuis leur rencontre en 2009 dans un restaurant japonais de Moscou.

« Ce gars simple et direct a les moyens de ses objectifs » Vladimir Achourkov, homme d’affaires

Leur amitié lui vaudra d’être licencié d’Alfabank, puis de partir se réfugier à Londres sous la pression de la justice russe. Un choix qu’il ne regrette pas. « Mes premières impressions étaient les bonnes, raconte Vladimir Achourkov. Ce gars simple et direct a les moyens de ses objectifs. Nous sommes unis dans une même volonté de changer les choses en Russie. »

En déployant ses bureaux à l’extérieur de Moscou, Alexeï Navalny attire à sa cause de nouveaux fidèles. Une « génération Navalny » émerge lors des manifestations anti-corruption des mois de mars et juin 2017. Ces marcheurs à peine sortis de l’adolescence disent rejeter le pacte de stabilité de Vladimir Poutine, l’unique président qu’ils ont connu au cours de leur vie. Enfants d’Internet, ils comprennent mieux le slang , l’argot utilisé dans les vidéos de NavalnyLive, que la propagande télévisée.

En Russie, plus la notoriété d’un adversaire du régime grandit et plus la machine répressive s’emballe. Entre 2011 et 2020, Alexeï Navalny passe 474 jours entre prison et résidence surveillée, dans une série d’affaires civiles et criminelles dont on perd vite le compte. Après les tracasseries administratives, la violence. Il est aspergé en 2017 d’un produit qui manque de peu de lui faire perdre un œil. En 2019, il affirme avoir subi un premier empoisonnement en prison, « une allergie » , selon l’administration carcérale.

L’opposant combatif vit sur la corde raide. Son téléphone est sur écoute, ses propos disséqués. En tournée, il ne reçoit pas de collaboratrices dans sa chambre de peur d’être accusé d’adultère. Ses ennemis sont légion parmi les oligarques, les fonctionnaires et les élus qu’il a épinglés dans ses vidéos.

On traque ses moindres faux pas. Konstantin Malofeev, un riche entrepreneur proche du pouvoir, confie « qu’il paie un journaliste à plein temps » afin de chercher des informations compromettantes sur Alexeï Navalny et sur sa vie de couple. À force, l’opposant ne prête plus attention aux hommes du FSB qui lui collent au train…

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Ioulia Navalnya, l’épouse d’Alexeï, le soigne après que des attaquants inconnus l’ont aspergé d’un produit vert lors d’un meeting à Moscou, le 27 avril 2017. / Evgeny Feldman / AP/SIPA

Un martyr lucide

Le 22 août 2020, un avion privé se pose à Berlin avec à son bord un célèbre patient russe. Alexeï Navalny est dans le coma, et tout le monde pressent qu’il a été empoisonné par ce qui se révélera être du Novitchok, d’après les analyses de la France, de l’Allemagne et de la Suède. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont uni leurs efforts au téléphone pour convaincre Vladimir Poutine de laisser l’homme blessé être soigné en Europe.

Au sortir de ses dix-sept jours de coma, Alexeï Navalny semble plus déterminé que jamais à poursuivre sa croisade contre le pouvoir. Il entame sa rééducation avec Björn Leber, un ancien skieur professionnel, dans une villa de la Forêt noire et lui confie « vouloir rentrer en Russie » . Ses amis n’essaient même pas de le raisonner.

« S’ils me tuent, vous continuerez mon combat » Alexeï Navalny

« Il a fait son choix il y a longtemps » , pense Sergueï Gouriev. En 2012, l’économiste avait organisé un débat entre Alexeï Navalny et les étudiants de l’université de Moscou. Ce jour-là, on demanda à l’invité : « Avez-vous peur d’être tué ? » La réponse tombe, sans hésitation : « S’ils me tuent, vous continuerez mon combat. » Sa femme Ioulia, qui l’écoutait sagement à la tribune, pleura en silence.

En descendant de l’avion qui le ramène de Berlin, le 17 janvier 2021, Alexeï Navalny a-t-il soupesé tous les risques ? « Il s’attendait à être arrêté mais pas aussi rapidement, précise son bras droit Ivan Jdanov. Il nous a laissé quelques grandes directions pour poursuivre notre travail. » L’enquête sur le palais de Poutine est déjà prête : sa sortie bouscule les consciences des Russes bien au-delà des cercles habituels anti-Poutine. De figure de la protestation, Alexeï Navalny en est devenu le moteur.

La majorité de la population, vaccinée contre les aventures politiques et les changements brutaux de régime, refuse cependant d’être enrôlée dans son combat. Même au soir de sa condamnation à deux ans et demi de camp, de nombreux protestataires exigeront sa libération au nom de la liberté d’expression, sans cacher leur réticence vis-à-vis du condamné.

« Il ne veut pas changer le système, il veut prendre la place de Poutine » Grigori Iavlinski, homme politique

Une partie de l’opposition le juge toujours trop clivant, trop ambitieux, trop populiste… Trop politique, en somme. « Il ne veut pas changer le système, il veut prendre la place de Poutine » , nous explique le vieux leader de Iabloko Grigori Iavlinski, une semaine avant la publication d’une tribune au vitriol.

Quel président ferait Alexeï Navalny ? La question peut paraître déplacée au moment où il séjourne dans une colonie pénitentiaire à régime sévère. Elle se pose néanmoins dans la tête de beaucoup de Russes. L’un de ses anciens camarades de lutte de la place Bolotnaïa, en 2011, s’interroge : « Je me suis souvent posé la question lors de mes rencontres avec Navalny : qui est-il vraiment ? Je ne l’ai jamais vu ni saoul, ni gai ni triste. Je l’ai toujours vu officiel, en démonstration. J’ai essayé de le comprendre. J’ai cherché. J’ai échoué. »

Mort d’Alexeï Navalny, un destin russe

Décembre 2017, Alexeï Navalny se prépare avant un entretien avec des journalistes étrangers. Sur son visage, on peut lire sa détermination mais pas ses intentions. / Alexander Zemlianichenko / AP/SIPA

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