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Éditions de la Sorbonne

Théorie critique et modernité négro-africaine

Ce livre est recensé par

Chapitre II. La philosophie africaine : discours de maitrise

Plan détaillé, texte intégral.

1 Notre propos étant de procéder à un examen des postulats, méthodes et thématiques structurateurs de ce discours, il ne sera question pour nous, ni de labourer les champs négro-africains pour trouver une quelconque philosophie, cette tendance idéologique obture la vraie recherche sur les problèmes fondamentaux de la praxis, ni de faire une herméneutique des traditions pour ressusciter une quiddité rationnelle garantissant au Nègre le brevet d'humanité, ni de chercher une philosophie dite du développement (vite récupérable par les pouvoirs autoritaires et utilisée aux fins d'obturation des possibles). Notre intervention sur le domaine du discours philosophique africain change de perspective et s'emploiera à étudier comment le discours des philosophes négro-africains s'érige en discours du pouvoir, en pouvoir obturateur des possibles qui prend pour alliées/alibis la rationalité et l'émancipation du Sujet négro-africain. Notre démarche voudrait explorer la réponse à cette question qui résume le paradoxe de la philosophie africaine : comment la philosophie africaine, initialement projet de déstructuration des postulats réducteurs et autoritaires issus de la colonisation et de ses adjuvants, est-elle devenue un discours de maîtrise fonctionnant avec des catégories autoritaires ? Comment, et en quoi l'émancipation se tourne-t-elle en son contraire de façon active et passive ? Pourquoi ce discours philosophique se transmue-t-il en discours de l'ordre ? Comment rendre compte que la mise en ordre de certains philosophèmes n'était qu'une mise en discours de la violence symbolique structuratrice de l'espace répressif en Afrique Noire ? Le devenir-pouvoir répressif du discours philosophique négro-africain ne peut être démasqué que par une mise en lumière des diverses tendances qui agitent à l'heure actuelle ce discours. De cette mise en évidence, nous dégagerons les "philosophèmes" (en vérité les idéologèmes) afin de voir les implications épistémologico-politiques de ce discours vis-à-vis de la praxis, de la temporalité, et en un mot, du possible. Ce procédé est méthodologiquement fécond dans la mesure où on observe un mouvement allant de l'étude du discours à la mise en question des conditions de production du discours, autrement dit de la réalité sociale.

II.1. Les tendances : classification et idéologie

2 On ne peut tenter une étude sur les enjeux idéologiques de la "philosophie africaine" sans esquisser un inventaire de l'état des lieux. C'est une vieille démarche aristotélicienne qui recommande, pour chaque question, d'explorer sa topique, autrement dit l'ensemble de ses lieux communs. Une évaluation de ces tendances revêt un triple intérêt. Elle permet d'une part de voir les différentes méthodologies structuratrices des architectoniques de ces "philosophies", ensuite une importance pédagogique accompagne la mise au clair de ces diverses tendances -car en Afrique Noire l'enseignement de la philosophie dans le Secondaire et le Supérieur est en partie conditionné par ces courants- et enfin, elle a un intérêt politique, dans la mesure où les tendances de ces courants de pensée ont une génèse socio-politique. Le contexte politique alimente les conditions de production du discours, celui-ci pouvant jouer le rôle de camoufleur et de manipulateur des possibles et de l'imaginaire social.

3 Il importe de faire état des classifications en cours en matière de "philosophie africaine", afin de dégager l'a priori idéologique impliqué dans ces classifications. La façon de classer, de coupler, peut obéir à une certaine conception que le Sujet veut se faire du mouvement et de l'interaction entre le temps, les doctrines, et partant, entre ceux-ci et la pratique socio-politique.

4 Après les débats concernant l'existence (ou la non existence) d'une philosophie en Afrique, vers les années 1970, les Africains se sont réunis au Colloque d'Addis-Abeba en 1976. Le thème de ce colloque était la "Problématique de la philosophie africaine". L'essentiel du propos tournait autour des grandes généralités sur la position à adopter devant les alternatives : "pour ou contre" l'existence de la philosophie africaine, pour ou contre l'ethnophilosophie, pour ou contre l'existence de la philosophie négro-pharaonique, pour ou contre une existence d'une philosophie éthiopienne (nègre et copte !). Poser déjà l'essentiel des questions du colloque autour d'une alternative (soit... soit...) relève d'un questionnement idéologique parce qu'anti-dialectique. En effet, la catégorie dialectique d'action réciproque interdit de poser les problématiques en termes d'alternative (ou bien on est pour la philosophie traditionnelle et collective alors on est un ethnophilosophe, ou bien on est contre, alors on est signalé à la vindicte des "authentiques" Africains qui vous baptiseront "europhilosophes"). L'alternative comme procédé de questionnement se révèle autoritaire, dans la mesure où l'énoncé binaire des termes de la question met le Sujet répondant en demeure de ne choisir qu'entre l'un des termes de l’alternative. Osera-t-il ajouter une réponse qui échappe à ce carcan binaire qu'il lui sera signifié que ce n'était pas là la question posée ni le problème à résoudre. Ce procédé autoritaire a figé et stérilisé le débat philosophique en Afrique. Et le colloque d'Addis-Abeba dont la problématique générale partait de cette alternative implicite, a débouché sur une première classification des "philosophies africaines" fortement sujette à caution comme les autres.

5 J.M. Van Parys 1 classe les communications de manière curieuse. Il distingue les textes dits de révolte, ensuite l'ethnophilosophie. De ces deux séries, il dégage quatre courants : la nouvelle problématique de la philosophie africaine, les études historiques, la philosophie éthiopienne et la philosophie sociale. Une classification/dissection analogue du champ philosophique en Afrique noire se fait observer chez Elungu Pene Elungu 2 . Celui-ci, avec un grand talent didactique, classe les courants philosophiques en Afrique sous trois rubriques : les philosophies ethnologiques, les philosophies idéologiques, et le courant critique. Le récent ouvrage de ce penseur ne fait qu'habiller ce schéma 3 . Ces deux classifications sont faites dans un contexte zaïrois, mais les mêmes schémas de classification se font voir au Sénégal et au Cameroun. Ce qui nous suggère l'étendue et l'importance de ce problème de classification.

6 Deux penseurs sénégalais attirent notre attention, Pathé Diagne et A.Aly Dieng. Le premier, dans un ouvrage sur l'europhilosophie 4 , s'emploie à "penser les possibles d'une histoire libératrice des hommes et des peuples" 5 . Sur ce, il n'entreprend pas de détecter les "images-souhaits" et la possibilité d'une utopie concrète libératrice du tissu social africain, mais il procède plutôt à une "redécouverte de l'esprit de la civilisation pharaonique et post-pharaonique en Afrique noire" 6 . Cette découverte est subordonnée au démasquage des puanteurs et pesanteurs de "l’euro-philosophie" dans le continent. Dans ce projet, la classification des philosophies en Afrique suit une démarche manichéenne ; d’un côté l'europhilosophie, et de l'autre, la pensée négro-africaine/pharaonique. Ce dualisme un peu trop intangible ignore la complexité et la subtilité des différents problèmes qui peuvent sous-tendre cette philosophie africaine que les classifications et présupposés idéologiques réduisent à un discours stérile voué à la répétition du même. Cette analyse oublie que chaque concept et chaque philosophie obéissent à une logique des multiplicités (Deleuze). Celle-ci introduit entre une philosophie et elle-même des écarts et un foisonnement incontrôlable des devenirs qui font qu'une philosophie n'a jamais un fond commun, à la fois présence à soi et absence. L'europhilosophie est à la fois elle-même et peut être autre chose qu'elle-même.

7 Le deuxième penseur, Aly Dieng, économiste sympathique et érudit, entreprend à la suite de son ouvrage Hegel, Marx et les problèmes d'Afrique Noire, d'étudier les "problèmes philosophiques d'Afrique Noire" 7 . Le but de cette oeuvre est de procéder à l'examen de la "pertinence du discours philosophique par rapport aux luttes des peuples africains" 8 . Et la classification qui est sous-jacente à cette analyse se trouve être la même que celles sus-évoquées. Il se profile, derrière ce discours, une répartition de la philosophie africaine en quatre secteurs : la philosophie ethnologique, les critiques de l'ethnophilosophie, la philosophie africaine d'obédience pharaonique et la philosophie africaine marxiste. Il importe de souligner avant l'examen de ces classifications que "l'Ecole Zaïroise" s'appuie énormément sur l'étude des traditions récentes du Négro-Africain tandis que "l'Ecole Sénégalaise" 9 se préoccupe non seulement des rapports de la philosophie au marxisme, mais surtout des liens de celle-ci à la tradition pharaonique.

8 Une autre manière de classer -très didactique-aussi les philosophies en Afrique est perceptible dans l'ouvrage d'Azombo et Meyongo 10 . Soucieux de ne pas trancher sur le débat stérile sur l'existence de la philosophie africaine, ils ne classent les philosophies ni chronologiquement, ni selon leurs affinités doctrinales. Toutefois, ce qui tient lieu de classification se résume en fait à une grande séparation entre, d'un côté, les "pro", et, de l'autre, les "anti" du problème de l'existence d'une philosophie africaine. L'ouvrage, destiné à former les élèves des classes de terminales, introduit déjà dans l'horizon intellectuel du jeune philosophe ce cercle de "l'existence/non-existence de la philosophie négroafricaine". Les catégories socio-anthropologiques qui y sont traitées ne constituent, à leur manière, qu'une caution pour l'existence d'une pensée africaine qui se veut philosophique. Nous ne sortons pas de l'engrenage. Cette présentation prédispose le jeune élève en Afrique à ne penser la philosophie que sous cet angle de l'existence ou de la non-existence de la philosophie en Afrique. Ces classifications obéissent à plusieurs a priori, entre autres, une conception de l'histoire linéaire, une idéologie du progrès continu par accumulation et, à la fin, un paradigme réificateur jouant un rôle génétique au niveau des catégories structuratrices de cette pensée africaine.

II.1.a. La conception de l'histoire : linéarité et nécessité

9 L'histoire en tant que lieu des luttes peut être appréhendée dans l'ordre du discours de manière idéologique. C'est vrai, l'histoire se spécialise, haussant de plus en plus sa démarche au rang de science rigoureuse par une soumission de ses conjectures à une "vérification" à l’aide des disciplines auxiliaires (l'archéologie, les statistiques, la géographie, l'héraldique, la numismatique, la sigillographie, la sociologie, l'anthropologie...), mais il n'en demeure pas moins que la phase herméneutique est sujette au choix d'une subjectivité qui veut connaître (la connaissance, comme le souligne Habermas, étant toujours liée à l'intérêt) en fonction de ses préoccupations. C’est ainsi qu'une certaine représentation du devenir historique peut avoir des incidences sur la façon dont les Sujets impliqués dans l'histoire se déterminent vis-à-vis de la société, au regard de l'action qu'ils doivent mener dans celle-ci. L'histoire et la façon de l'aborder peuvent se souder aux intérêts politiques. Il est clair que présenter le devenir de l'histoire (naturelle/sociale/humaine) comme le théâtre dans lequel tout est mû et converge vers la Christogenèse (point omega) serait, ni plus ni moins, soumettre l'action humaine à la nécessité et étouffer le possible 11 .

10 Ce qui est intéressant dans le cas qui nous préoccupe, consistera, non pas à voir la place que les Africains ont occupée dans l'histoire de la philosophie, mais à examiner les arguments et présupposés qui se trouvent à la base de la présentation de leurs philosophies. Notre démarche se propose de ne pas répondre à la question déjà trop débattue, à savoir ce qu'on a dit des Africains/Nègres concernant la philosophie, mais de s'interroger sur un problème brûlant et peu abordé par les Africains : que disent-ils d'eux-mêmes, comment se positionnent-ils dans la philosophie ? Il s'agit de travailler à dégager les implications idéologiques de ce dire des Africains ; ce qu'on dit d'eux est moins important que ce qu'ils disent d'eux-mêmes. La philosophie en Afrique, telle qu'elle se fait présenter par les penseurs de ce continent, tourne autour d'un point central qui semble être ce missionnaire belge, Tempels. Les tentatives sont faites de part et d'autre, soit pour le disculper, soit pour le dénoncer 12 . Dénoncé ou récupéré, il demeure d'après les présentations évoquées une figure incontournable. Les diverses présentations/classifications partent de l'ouvrage de Tempels 13 , en passant par ses promoteurs et critiques pour proposer soit un retour à l'Egypte pharaonique nègre, soit une avancée vers un marxisme bouilli à la sauce des traditions locales (Mbargane Guissé).

11 En partant de l'ethnologie coloniale réductionniste jusqu'aux tentatives suscitées, nous voyons se profiler une conception d'une histoire de la philosophie linéaire progressant par dépassements ! 14 . L'ethnologie réductionniste fut dépassée par les premiers critiques de l'ethnologie (Tempels, Kagame, Lufuluabo etc...). Ceux-ci "fondèrent" une "philosophie nègre", elle-même dépassée par les critiques de Tethnophilosophie (Towa, Hountondji, Eboussi Boulaga). La critique de l'ethnologie, qui se présentait comme philosophie elle-même, se voit dépassée par ceux qui esquissent une véritable philosophie africaine pharaonique et nègre, eux-mêmes étant dépassés par les tenants du marxisme version africaine (Y. Mbargane Guissé et A. Aly Dieng). Ces derniers viennent encore d'être dépassés par la tendance herméneutique gadamero-africaine (Okolo)...

12 Cette classification de la philosophie en Afrique en termes de dépassements suppose une vision de l'histoire très linéaire où les ethnologues et Tempels font figure de présocratiques rendant possible l'évolution de la philosophie critique, etc... La linéarité sous-jacente à cette présentation de la philosophie en Afrique est anti-dialectique dans la mesure où la dynamique d'opposition radicale des concepts et paradigmes n'est pas soulignée à l'intérieur des différents moments de ces philosophies. Cette classification évolue autour du "même", car la problématique générale : "existe-t-il ou non une philosophie capable de redonner au Nègre son brevet d'humanité ?" a retenu prisonnière l'élaboration des concepts nouveaux et féconds.

13 Le socle épistémologique et les démarches heuristiques, d'après les classifications mentionnées, évoluent dans un espace symbolique où le Nègre a la hantise de se venger et, par conséquent, la détermination historique de son soi ne peut qu'obéir à un schéma évolutionniste dans lequel la platitude cédera le pas à un "grand destin du peuple noir". Les dépassements que nous fait voir la classification de la philosophie en Afrique renvoient à une conception du temps qui sous-tend l'horizon intellectuel des présentateurs sus-nommés.

14 Le dépassement, supposé ou réel, des différentes philosophies africaines ne tient compte, ni de la lutte qu’il y a à l'intérieur de chaque système philosophique, ni même de l'abandon de l’évolution comme méthode de classification. La philosophie n'évolue pas en Afrique noire à travers une Odyssée comprenant le stade ethnophilosophique, le stade critique, le stade idéologique, et le stade de la refondation d'une philosophie à base des traditions pharaoniques ou tribales. Mais, en son sein, s'articule une lutte entre la nécessité et la possibilité, autrement dit, entre un discours institué (fût-il rationnel !) et les clameurs des discours instituants. La classification des philosophies en Afrique en termes d'évolution et non en ceux d'opposition dialectique s'adosse sur l'idée d'un progrès très linéaire.

15 En elle-même, l'idée du progrès ne semble pas avoir des retombées idéologiques susceptibles de barrer la voie à l'émergence du possible dans l'histoire. Cette idée revêt une certaine importance pour la compréhension du gauchissement idéologique et de son corollaire, l'idée du développement 15 . Notre intention est de mettre en lumière comment l’idée du progrès est devenue une idéologie fonctionnant/distribuant une certaine méconnaissance qui transparaît dans la classification évolutive et unilinéaire de la philosophie en Afrique. L'idée du progrès est liée à une certaine conception de l'histoire supposant soit un optimisme fondé, soit un pessimisme déclaré. Les utopies et certains millénarismes -croyant la plupart du temps au développement d'une histoire dont "l'arché" et le "telos", dans un ailleurs spatial ou temporel situés, réconcilieront l'être de l'homme avec lui-même- supposent une notion du progrès reposant sur un optimisme historique.

16 En revanche, les eschatologies avec leur vision cataclysmique de l'évolution et de sa finalité, fonctionnent implicitement avec la notion d'un progrès pessimiste. Que ce soit la variante doctrinale optimiste, que ce soit la pessimiste, toutes les deux peuvent, à des degrés divers, procéder à une démobilisation au niveau de l'action. Si la progression de l'histoire vise une fin heureuse s'imposant à nous, moyennant un certain réajustement de nos comportements, alors point n'est besoin d'introduire les ridicules histoires de lutte des classes ; "il n'y a qu'à...". A contrario, si le progrès suit la chute d'une humanité coupable, il va s'acheminer vers la catastrophe finale purifiant/régénérant cette humanité, alors "il n'y a qu'à... attendre la venue du Soler... ". Ces deux visions du progrès installent le Sujet dans une espèce de nécessitarisme où, croyant agir pour produire du neuf, il se fige dans la répétition du "même". A partir de ces visions du progrès, aucun discours pratique du possible ne peut émerger, nous évoluons à l'intérieur d'une vision nécessitariste de l'histoire, où les possibles divers que nous rencontrons/expérimentons, concourent à la réalisation d'un dessein eschatologique. Mais, pourquoi les philosophes africains s'acharnent-ils à présenter leur philosophie sous la démarche d'un progrès se dirigeant vers les formes supérieures de la rationalité ? Est-ce innocent de croire à un développement continu s'effectuant à coups de dépassements ? Pourquoi privilégier le dépassement et non le conflit qui se trouve à l'intérieur des divers paradigmes d'une même philosophie ? L'imaginaire obturateur des possibles et l'imaginaire instituant qui sont repérables dans chacune de ces philosophies sont-ils mis en valeur ?

17 La classification de la philosophie africaine sous la bannière du dépassement ou du progrès obéit à la première méconnaissance qui est la vision triomphaliste du devenir historique de l'Afrique noire. S'il est établi que la philosophie a évolué en Afrique à partir des balbutiements ethnophilosophiques (ou bien à partir des textes fondateurs des pharaons...) jusqu'aux systématisations critiques qui posent de "vrais" problèmes inhérents à la "vraie" philosophie, à savoir ceux de son statut au niveau de son existence en Afrique, du développement, etc..., il faut en conclure que ce qui est suggéré par cette présentation échappant ainsi au philosophe négro-africain classificateur, c'est le ferme désir des Africains de présenter leur histoire comme un triomphe dont la progression de la pensée, des balbutiements ethnophilosophiques à leur admission au brévaire philosophique, constitue un exemple patent. Une vision d'une histoire africaine en termes de triomphe, mais aussi une conception de la Raison déclinée sur le mode de la victoire des Lumières sur les ténèbres ! La philosophie africaine parvenue au stade mûr serait la preuve même du triomphe de la Raison (avec un grand R) et de son exercice dans ces cultures et ce continent toujours piégés. La vision triomphaliste de l'histoire africaine et de la rationalité parvenue à sa maturité en Afrique débouche sur une posture politique ignorée du philosophe africain, et par conséquent non prévue par lui au cours de sa classification.

18 La vision triomphaliste de l’histoire suggérée par ces classificateurs fait croire à un progrès ascendant. Une histoire dans laquelle le Nègre fut l'initiateur dans l'Egypte pharaonique, et à l'intérieur de laquelle- malgré quelques vicissitudes minimes- il reprend possession de son moi intime à l'aide de l'élaboration d'une nouvelle rationalité, ne peut que mettre le Sujet négro-africain en demeure d'espérer un avenir meilleur, pourvu qu'il donne créance à la bienveillance de ceux qui sont chargés de déchiffrer son bonheur. Tout est pour le mieux, le Nègre triomphe, sa philosophie et son histoire sont à l'acmé de leur réussite. Repenser la question de l'histoire africaine en termes de catastrophes et en termes de discontinuités serait aux yeux de cette conception triomphaliste et continuiste une vraie impasse. Un exercice universitaire aussi anodin que les classifications des philosophies revêt donc, au-delà de son caractère didactique, des implications idéologiques (la notion du progrès) et politiques, car le triomphalisme qui hante les Africains à travers ces classifications traduit et conduit au désamorçage politique consistant à ne plus "trop demander", ni aux politiques, ni aux intellectuels, ni à la société civile, puisque tous font ce qu'ils peuvent dans une histoire qui, somme toute, est ascendante. Le progrès dont il s'agit ici est un semblant de "croissance dans l'homogène" 16 .

19 La conception du progrès dont il s'agit dans ces présentations est abstraite et la Raison dont parlent ces philosophies se révèle être une Raison intemporelle et anhistorique qui chevauche de l'ethnophilosophie aux philosophies néo-négro-pharaoniques, via les philosophies critiques et celles du développement. Comment ces philosophies se sont-elles déterminées vis-à-vis de la production matérielle, autrement dit, quel lien pouvait-il y avoir entre la production/reproduction de la vie en Afrique et l'apparition de ces philosophies ? L'apparition ou la disparition de l'ethnophilosophie, par exemple, ont-elles été liées aux changements ou à la permanence d'une certaine économie de marché ou non ? Ce passage, des élaborations ethno-philosophiques aux philosophies africaines dites critiques, a-t-il été l'objet ou la conséquence du changement de l'organisation de l'Etat dans les post-colonies ? Quels sont les rapports entre les philosophies africaines, le Capital, le sexe et l'Etat ? Une présentation/classification de type triomphaliste ne tient compte, ni des contradictions internes des philosophies, ni du nécessaire (et parfois relatif) rapport qu'il peut y avoir entre la philosophie, l'économie, la sexualité et l'Etat.

20 Les articulations entre le discours philosophique africain, les contraintes de la production et la loi étatique sont ignorées. Quels investissements/désinvestissements se font entre les codes du discours philosophique, la catégorie d'échange en économie tropicale et le problème de l'obligation suggéré par la loi étatique ? Les Africains qui disent et classent leurs philosophies sont muets sur ces problèmes fondamentaux et se contentent de présenter des séquences conduisant vers le grand destin du Nègre reconnu et rénové ! A cette classification triomphaliste, il faut opposer une présentation qui prend les diverses élaborations de la philosophie en Afrique dans une structure qui met ses différents moments en relation avec des thématiques bien définies et répondant à une certaine organisation du social.

21 Ainsi, au schématisme réducteur de la présentation : ethnophilosophie, philosophie critique, le courant idéologique, le courant néo-négro-pharaonique, etc... il faut substituer des couples à l'intérieur desquels se dégageront des problématiques bien déterminées. Notre insistance sur cette classification est due au fait que c'est à l'intérieur d'elle que nous pourrons dégager comment le discours philosophique est devenu un discours de maîtrise sous les oripeaux de la rationalité en Afrique, et comment le philosophe négro-africain, apparatchick, vit/théorise/fantasme sa propre méconnaissance. La classification par couples nous permet de distinguer les pistes de recherche ; ces rapports s'articulent avec l'ethnologie et les traditions.

II.1.b. "L'ethnologie" : une ruse du capital et du sexe ?

22 Elle a d'abord été la forme première d'expression à prétention philosophique dans l'Afrique coloniale, elle était comme une arme idéologique avec laquelle la capture du moi profond du Négro-Africain devait être faite 17 .

23 Une grande querelle s'est engagée autour de ce qu'on a nommé l'ethnophilosophie. Il ne serait pas trop important de revenir sur cette notion et les polémiques qui l'ont entourée 18 , signalons que l'ethnophilosophie a été critiquée pour son gommage de l'historicité dans son traitement des problèmes africains. Sa méthode concordiste consistant à transposer dans une philosophie collective et anonyme "certaines catégories autoritaires de la métaphysique occidentale" a soulevé des objections sérieuses de la part de la jeune génération des philosophes 19 . On lui reprochait enfin la dé-mobilisation vis-à-vis des contradictions de la praxis et l'installation dans une Afrique éternelle, prospère in illo tempore et sans oppositions usque ad finem  !

24 Mais, ce qu'il convient d'ajouter à propos de ce mouvement dit ethnophilosophique, c'est que son étude, et sa critique, n'ont pas assez insisté sur ce qui nous semble essentiel, à savoir les rapports du concept à la production matérielle, sexuelle et à l'Etat. Il est à souligner que la critique de l'ethnophilosophie n'a pas tenu compte de mettre en rapport les catégories qu'emploie l'ethnophilosophie, la manière dont les Africains produisaient/reproduisaient leur vie dans le cadre d'une structure économico-sociale et sexuelle bien déterminée et les affects étatiques. Cette critique de l'ethno-philosophie fait mine d'ignorer les rapports qui peuvent exister entre le Sujet producteur des concepts, ceux-ci, et l'imaginaire véhiculé par les symboles sur lesquels s'appuie l'Etat. Quels rapports les catégories de l'ethnophilosophie entretenaient-elles avec l'Etat ? Pouvait-on voir une influence de l'Etat ou de la sexualité aux temps coloniaux sur l'élaboration de ces catégories ? Si oui, quelle était la nature véritable de cette influence ? 20

25 Une critique de l'ethnophilosophie qui ne tient pas compte de l'Etat, du sexe, et du Capital discriminera les présupposés de l'ethnophilosophie sous un angle idéaliste et logique. Certes, l'ethnophilosophie a semblé un délire autoritaire des Nègres nantis du système colonial et qui, tout en vivant une sexualité brimée par la nouvelle religion et, sous couleur de revaloriser la "rationalité nègre”, ont systématisé leurs propres fantasmes. Il est vrai, l'ethnophilosophie a été la fabulation et l'hystérie sotériomaniaque de quelques colons dont la sexualité était régie par le judéo-christianisme, mais une analyse de l'ethnophilosophie sous l'angle dialectique aurait pu privilégier le transit et l’interaction entre les catégories de l'ethnophilosophie, les catégories et affects que l'Etat colonial/néo-colonial met en jeu, les catégories et symboles que la production économique impose et le jeu sexuel de ces symboles.

26 Au lieu du discours, brillamment idéaliste, qui a enfermé le phénomène ethnophilosophique dans la problématique de "l'existence ou de la non-existence d'une philosophie africaine", il est possible de chercher la vérité du délire et de l'arrogance de l'ethnophilosophie en faisant l'autopsie de l'imaginaire que l'Etat mettait en marche. A travers cette exploration, nous serons instruits sur les représentations que le commerce du Sujet avec la production occulte en Afrique noire 21 .

27 La crise du Sujet négro-africain, avant d'être une crise de son "Identité" et de ses "modèles de représentation", se conjugue avant tout comme une crise économique. Les discoureurs africains, et en cela fidèles aux jeunes hégéliens que Marx critiqua jadis, ne descendent presque pas de leur piédestal pour se "compromettre" aux analyses des catégories économiques et de leurs réfractions sur la profonde et assidue dépossession de soi de l'Africain. Du discours ethnophilosophique, le mouvement en profondeur pourrait descendre à l'analyse du discours étatique, du Capital, et du sexe.

28 La critique des "singeries autoritaires" du discours ethnophilosophique tombe elle-même dans un discours de maîtrise qui, sûr de soi parce que transparent à soi, ignore, ou feint d'ignorer, la détermination politico-économico-sexuelle des catégories qui sillonnent le discours ethnophilosophique. Le manque d'analyse économico-politique lié au phénomène ethnophilosophique rend hautains et immaculés les discours de ces philosophes qui n'osent dans leurs écrits parler de sexualité, encore moins s'abaisser aux concepts liés à la "chrématistique". L'ethnophilosophie est née, elle fut critiquée, mais sa critique est retombée dans l'abstraction à cause de son manque d'analyse dialectique des rapports entre ethnophilosophie, Etat, production et, pourquoi pas, sexualité. La critique de l'ethnophilosophie (Eboussi, Towa, Hountondji) est aussi idéaliste par désexualisation du discours. Tout se passe comme si le discours ethnophilosophique n'exprimait pas la sexualisation du discours. Ces critiques de l'ethnophilosophie ne se rendent pas compte que le dicours philosophique fonctionne par concepts et, ceux-ci, comme le dit Deleuze, se divisent en percepts et affects. Etudier un discours comme s'il ne comportait que la dimension conceptuelle/consciente, c'est ignorer que toute conceptualité est sexuée parce que basée sur les affects. Qui s'est jamais demandé si le discours ethnophilosophique était une ruse du Capital ou de la logo-phallocratie ? Peut-être serait-il important dans le discours philosophique négro-africain d'étudier la dimension affective des concepts ? Voilà où en sont les rapports entre la philosophie en Afrique et l'ethnophilosophie, ces rapports s'appuient aussi sur un certain lien que cette philosophie entretient avec le problème du langage.

II.1.c. Le langage : de la "Selbsthasst" au mana

29 Les problèmes liés d'une part à l'adoption des langues coloniales, et, d'autre part à la communication entre les différentes tribus dans le cadre des proto-nations, sont à l'origine de la réflexion sur le langage chez la plupart des philosophes africains. Le but de ces recherches sur le langage était polémique et didactique.

30 L'étude des langues africaines entrait dans le contexte de l'affirmation de soi du Nègre. Bafoué par l'histoire, ses langues reléguées à la portion congrue de simples dialectes improbables sur le plan de la précision et trop rudimentaires sur le plan de l'élévation abstraite, le devenir-homme du Noir devait donc procéder à une réhabilitation des langues africaines. Cette réhabilitation s'est faite plus pressante à cause de l'imposition de la francophonie. Les courants "anti-francophonie" entreprirent donc de lutter contre l'abâtardissement des langues africaines. Ce but polémique était secondé, pour plus d'effacité, par une entreprise didactique, celle de refaire à travers le langage un inventaire des règles et des symétries permettant de trouver des moyens efficaces d'assimilation de ces langues. Ces analyses à bien les examiner, se regroupent en deux rubriques sécrétant toutes la méconnaissance. Le problème du langage chez le philosophe africain ne peut être compréhensible qu'à travers a) le concordisme/triomphalisme, b) le pacte avec le mana.

31 Le concordisme peut se définir comme une tentative de réplique au culte de la différence qui nourrissait une certaine forme de racisme. Le concordisme se veut un genre réfutatif consistant à trouver des ressemblances entre les langues dominées et les langues dominantes. Le Sujet discoureur en langue dominée veut, par cette réfutation, prouver sa sortie de la particularité pour se hisser au niveau de l'universalité décrétée et définie par le maître. Dire que le Ki-Swahili a aussi la table des dix catégories d'Aristote serait le sortir de sa particularité géographique, afin qu'il exprime, à sa manière, l'universalité des catégories de l'Organon. Le Kiswahili serait ainsi sauvé-du moins, pense le philosophe négro-africain-des pesanteurs de la particularité, afin d'adopter la "souplesse" des langues indoeuropéennes. Les tenants de ce concordisme furent ceux qu'on qualifia jadis d'ethnophilosophes 22 .

32 Les deux versants du concordisme 23 opèrent une hypostase du problème de la langue en Afrique. En posant les langues européennes comme modèles en fonction desquels seront analysées les langues africaines, on en fait par présupposition une substance immuable à laquelle les modèles périphériques que sont les langues africaines devront se conformer. Pourquoi vouloir à tout prix prouver, comme Kagame, que les langues bantoues déclinent la substance et les modes comme le grec du temps d'Aristote ? La même substantialisation du langage se retrouve chez les concordistes égyptophiles. Poser que l'égyptien ancien a des parentés avec le yoruba ou le haoussa, présuppose que l'égyptien est une substance immuable et, comme l'Idée platonicienne, il éclaire et fonde les langues négro-africaines devenues (comme les ombres de la caverne) de pâles reflets de cette substance divine et éternelle. Le concordisme égyptophile aboutit à deux conséquences. D'abord, nous observons un phénomène d'émanation plus ou moins métaphysique concernant le problème de la langue. Les langues africaines procéderaient -mystérieusement comme le Fils procède du Père- de l'égyptien antique... Ensuite, cette filiation quasi mécanique suppose que les langues africaines n'ont pas évolué. Le substantialisme, qui projette une langue essenceétalon, consiste en un réductionnisme anti-dialectique et moniste. Le travail philosophique sur ces langues pourrait laisser cet unanimisme pour analyser leur évolution contradictoire/dialectique, afin de ne pas éviter l'histoire présente, la nôtre, avec son poids de contradictions. A quelles conditions le langage concourt-il à l'émergence du possible en Afrique noire ? Puisque qu'on est rattaché aux pharaons, quelles ont été les langues des marginaux à cette époque ? Quelle était la langue des figures sociales de la contestation du pouvoir pharaonique comme les fous ? On est enfermé dans une vision triomphaliste et historiciste.

33 La deuxième tendance dans le traitement de la langue chez les philosophes négro-africains concerne le problème de l'extension, de la politisation et de l'alphabétisation dans les langues négro-africaines. Ce sujet, louable en soi, fondait la possibilité de l’expression du Nègre hors des canons et schèmes linguistiques imposés. Le but du projet était-paraît-il-de "décomplexer" le Négro-Africain vis-à-vis des langues importées. But politique, dans la mesure où il fut question d'"exporter" ces langues jusqu'à l'O.N.U., et surtout, de trouver une langue africaine pour tous dans ce "damier linguistique" qu'est l'Afrique. Tentative d'unité et tendance à l’auto-affirmation de soi se conjuguent ici. Ce projet se veut triomphaliste. Il est nécessaire, pour que nos langues soient exportées, de les articuler sur une problématique de la lutte pour la reconnaissance. Cette lutte fait dire au Nègre -tellement obnubilé par le complexe du "nous aussi" -que les langues africaines sont très aptes à l’abstraction, donc à la science et à la philosophie, et même à l'abstraction picturale. Le premier versant veut trouver des ressemblances dans les catégories des langues indo-européennes exprimées chez les philosophes grecs, tandis que le second tente de relier les langues négro-africaines actuelles à l'Egypte pharaonique ancienne.

34 "Nous devons parler et écrire nos langues (...) les utiliser de proche en proche dans les relations interafricaines et à l'extérieur de notre continent... Certains Etats ont déjà adopté à cet égard une politique saine et encourageante. C'est ainsi qu'au Zaïre quelques langues régionales ont été intégrées au programme de l'enseignement primaire... Même sans connaître le lingala..., j'éprouve beaucoup de plaisir à entendre le président Mobutu s'adresser au peuple en ce bel idiome... Pourquoi le Haoussa, le Yoruba, et le Ki-swahili, le Malgache... ne pourraient-ils pas devenir les instruments de travail pour de vastes régions africaines ? Quand le Président Idi Amin s'adressa aux Nations Unies en Ki-swahili, des millions de Noirs de par le monde... vibrèrent de fierté"... 24 .

35 Le projet de parler et d'écrire dans les langues africaines n'est pas dépréciable en soi, ce qui devient problématique reste l'indifférence vis-à-vis d’une question de fond, à savoir l'articulation de la parole et de l'écriture sur les problèmes de l'émancipation renvoyant à celui des modalités d'intégration du dire et de l'écrit dans les stratégies d'hibernation et de réification du Sujet. Qu'un dirigeant politique s'exprime devant le peuple ou ses pairs sur le plan international dans sa langue maternelle ne peut qu'assombrir davantage les pistes de recherche sur l'émancipation du Sujet. S'exprimer (intra-muros) à travers les antennes en langues locales, c'est souvent créer entre le peuple et le pouvoir (politique et intellectuel) une illusion de proximité et d'union qui occulte la coupure (très nette !) entre la bureaucratie au pouvoir et le peuple. Parler, faire un discours en langues africaines, c'est capturer par l'idéologie dominante tous les Sujets que la non compréhension du français (ou du portugais...) aurait pu sauver partiellement du doctrinarisme des intellectuels. L'incrustation des signifiants dans l'horizon imaginaire des Sujets passe -et c'est une technique fort connue et utilisée à diverses fins -dans le cadre des Etats autoritaires (voyez bien la notion de Volksprache) par l'entretien du chauvinisme et de l'orgueil national. S'exprimer dans les langues africaines à l'O.N.U. devient donc une tactique d'attiser l'orgueil national et le chauvinisme douteux. Le devenir-libre du Sujet négro-africain passe, certes, par le développement des langues africaines, mais il ne faut surtout pas croire qu'une fois ces langues étendues et bien parlées, le problème de l'émancipation trouvera mécaniquement sa résolution. Car, si les Noirs ont "vibré de fierté" quand Idi Amin s'exprima naguère en Ki-Swahili à l'O.N.U. comme le dit Hebga, ils sont aussi "fânés de honte", parce que, en Ki-Swahili, le Président Amin ordonna des tortures et des meurtres. Parler, enseigner, "exporter" les langues africaines ne pose ni ne résout le problème de l’autorité et de l'émancipation.

36 Un phénomène qui illustre le caractère illusoire de la problématique de l'extension des langues africaines et de la réappropriation de celles-ci par les institutions africaines (l'école, l'Etat, les Eglises) se trouve être, chez les théologiens catholiques africains, le fameux problème de l'inculturation. Après Vatican II, les Eglises catholiques africaines ont "africanisé" la liturgie. Les instruments de musique africains prirent la place des harmoniums, les langues locales chassèrent sympathiquement le latin. Le sérieux, la sévérité et l’austérité de la messe en latin firent place à la danse africaine à l'Eglise et à la jovialité hilare des fidèles. Ce changement aurait pu nous faire croire à l'émancipation, mais, illusion d'optique ou de perspective, plus que jamais ces Eglises ne sont pas pour autant libérées. Que le personnage du prêtre ne soit plus "Rex secundum ordinem Melchisedech" mais "chef de tribu" ne pose pas a priori les problèmes de l'autorité et de l'émancipation. Ce que nous voulons souligner réside dans le fait que la promotion de la langue dans les écoles, l'emprunt de l'alphabet latin 25 et arabe, l'explication des termes scientifiques dans les langues africaines ne résolvent pas en eux-mêmes le grand problème de l'émancipation à travers le langage. A preuve, les Eglises catholiques africaines qui ont traduit toute la liturgie en costumes et langues locaux n'échappent pas au problème de l'indépendance. Même si la messe est dite en Lingala (Zaïre), cela n'élimine, ni l'action disciplinaire des "épiscopocrates" de la curie romaine, ni la gestion symbolique des affects, ni la vassalité et la dépendance matérielle de ces Eglises vis-à-vis de l'Occident, ni l'impérialisme symbolique du judéo-christianisme. L'illusion triomphaliste consiste à mettre en marche les mécanismes de la célébration d'une victoire et d'une prospérité beaucoup plus supposées que réelles à l'aide de la catégorie du possible illusoire, "il n'y a qu'à...". Pour que les langues africaines parviennent à une meilleure élucidation du rapport entre le Sujet et son historicité... il n'y a qu'à... trouver les accointances avec les Pharaons..., prouver qu'elles sont aptes à la métaphysique..., les enseigner..., les exporter..., les exhiber à l’O.N.U, etc... Le triomphalisme veut exorciser l'histoire africaine en rendant impossibles ces possibles en gestation que notre rapport à la souffrance au cours de l'histoire appelle. En faisant croire à la grandeur de l'Afrique, (à la limite, c'est assez sécurisant psychologiquement pour nous Africains), en célébrant de façon ostentatoire les fêtes faisant suite à l'obtention de la reconnaissance, les intellectuels africains postulent/veulent une histoire africaine guidée par un grand dessein, une Afrique qui se vante d'avoir enseigné les Grecs, et qui considère ses maux présents comme des accidents de parcours qui n'entament en rien la majestuosité de ce "continent berceau de l'humanité". Ces tentatives de rattacher à tout prix le destin actuel de l'Afrique noire-dans ses douloureuses parturitions-à l'Egypte pharaonique relèvent d'une méconnaissance. Vouloir fonder l'historicité présente sur une Egypte éloignée dans le temps est une tentative de masquer les écueils présents ; les fondements cachent l'effondrement  ! ! 26

37 Le concordisme linguistique chez les philosophes africains a eu avant nous plusieurs critiques de direction et de talents différents. La plupart de ces critiques relevaient les incohérences méthodologico-historiques d'une telle démarche. Ce qui n'a pas été traité, et que nous voulons ici souligner, concerne le concordisme comme attitude pathologique qui se traduit par une "haine de soi" (Selbsthasst). Vouloir fonder son historicité à travers la concordance entre le grec d'Aristote et les langues bautoues traduit la haine de soi-même dans la mesure où l'auto-consistance de soi n'est garantie que par le prestige d'autrui. Cette situation de "haine de soi" est un phénomène qui s'était déjà produit dans l'histoire des Juifs de Vienne au début de ce siècle. Le cas du Juif viennois Karl Kraus est très éclairant. Celui-ci, dans son journal "Die Fackel" (la torche), a entrepris une campagne antisioniste contre Theodor Herzl. Pour Kraus, les sionistes voulaient constituer un nouveau ghetto pour les Juifs en Palestine. Selon lui, la décadence était due à la corruption judéo-libérale de la finance et de la presse. Il demanda aux Allemands de ne pas contaminer leur race par les Juifs. Ces recommandations sont dans Die Fackel, n. 413-417, 1915 (Au sujet de la "Selbsthasst", il faut consulter Jacques le Rider, Modernité viennoise et crise de l'identité, Paris, 1984). Dans son délire assimilationiste apparaît le problème du langage. Le rapport du Juif assimilé au langage était une sorte d'auto-exorcisme. Son propre langage était fort déprécié. Le "Mauschel" (Moïse, le pauvre juif errant en Hébreu-yiddish) symbolisait le "jargon" juif. Ce "Mauschel", méprisé par les Allemands l'était aussi par les Juifs comme Karl Kraus et Eduard Engel. Ceux-ci sont devenus de véritables obsédés du bon usage et du purisme de l'allemand. Les études comparatives entre le "Mauschel" et l'allemand était largement favorables à ce dernier, ce qui aboutissait à la dépréciation du "Mauschel". Le concordisme linguistigue des Africains est, malgré les apparences, fort dépréciable pour les langues africaines. Il naît en Afrique, un syndrome fréquent chez les opprimés : la haine de soi. Le concordisme n’est donc pas une simple affaire linguistique, mais un problème pathologique. Albert Memmi exprime bien cette attitude : "il existe une judéophobie du Juif, comme il existe une négrophobie du Noir et un anti-féminisme des femmes, qui sont l'aboutissement logique du refus de soi" (Albert Memmi, Portrait d'un Juif, II, Paris, 1966, p. 92 et sv.).

38 La vision triomphaliste est historiciste, dans la mesure où est présupposé méthodologiquement un principe de continuité (entre les langues africaines, et les catégories d'Aristote, cf. Alexis Kagame, et entre l'égyptien ancien et les langues africaines) lui-même s'inscrivant dans une lecture du développement historique très dix-neuvièmiste. Ce principe de continuité est unilinéaire et presque mécanique chez les philosophes africains. Ce principe continuiste présuppose, toujours dans un cadre très dix-neuvièmiste, un déterminisme rigoureux du passé sur le présent et l'avenir. Ainsi, suivant cette lecture d'une histoire africaine continuiste, le passé glorieux de l'Afrique pharaonique déterminera-t-il le futur de l'Afrique et, puisque ce passé était triomphant, le futur -par le principe de continuité- sera lui aussi triomphant. Le triomphalisme historiciste qu'occultent ces exposés sur les langues africaines, introduit une approche nécessitariste du devenir historique de l'Afrique. Il est vrai, les propos d'un Senghor ont assez agacé, mais la réaction du rétablissement de la dignité des langues africaines a insidieusement opté contre le possible. Senghor affirmait :

39 "Le français est une langue à vocation universelle... parce que le français est une langue "de gentillesse et d'honnêteté". Qui a dit que c'est une langue atone d'ingénieurs et de diplomates ?... Je sais ses ressources pour l'avoir goûté, mâché et enseigné, et qu'il est la langue des Dieux... Et puis, le français nous a fait don de ses mots abstraits-si rares dans nos langues maternelles-... chez nous les mots sont nécessairement nimbés d'un halo de sève et de sang, les mots français rayonnent de mille feux comme les diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit..." 27 .

40 La réfutation de l'auto-négation du Nègre (telle qu'elle transparaît chez Senghor) aurait dû pousser les philosophes africains à examiner les rapports entre le dit, le non-dit et le non-encore dit. Au lieu d'adopter le concordisme ou le triomphalisme, le rapport du Sujet négro-africain au langage-rapport non-encore bien circonscrit et par conséquent opaque-peut s'inscrire dans l'examen laborieux des divers codes à travers lesquels les stratégies de capture du Sujet s'investissent dans la vie des Africains. Comment se place la notion de code relativement à l'idéologie à travers la multiplicité des sociolectes en Afrique ? Tâche linguistique, mais aussi politique dans la mesure où les codes mis en marche par une certaine rhétorique peuvent contribuer au renforcement de la redondance autoritaire. Comment les codes rhétoriques, architecturaux, cinématographiques et iconiques en général peuvent-ils opérer chez les individus des changements de comportements, et, partant, modifier le cours du devenir historique de l'Afrique ?

41 Parlant du langage, Chomsky distingue deux types de discussion dans l'étude du langage et de la pensée : les problèmes et les mystères. Parmi les problèmes, il énumère ceux-ci : "Quels sont les types de structures cognitives développés par l'homme sur la base de ses expériences, et, spécifiquement, dans le cas de l'acquisition du langage ? Quelle est la base de l'acquisition du langage et de ses structures, et comment se développent-elles ?" 28 . A notre avis, le problème du langage posé en ces termes ne concernerait politiquement que très peu l'Afrique. Du point de vue politique, le traitement du langage consisterait à faire éclater ses problèmes en les étendant, des interrogations concernant les structures cognitives à l'action mobilisatrice ou démobilisatrice du langage dans l'histoire de la cité. Quel rôle jouent les effets de rhétorique (figures de pensée et figures de style) dans la distorsion de la communication en Afrique ? Comment les codes architecturaux (l'organisation de l'habitat en ville et en campagne, la disposition topographique, bref l'organisation/gestion de l'espace) et leur décryptage peuvent-ils conduire du simple langage architectural à une interrogation politique concernant la ville, et l'habitat en Afrique ? L'institution-ville en Afrique, avec une nette délimitation entre les quartiers luxueux et les bidonvilles, offre un espace ou plutôt un langage à travers lequel il devient possible de lire la reproduction des rapports de production qui sont dans une certaine mesure les rapports de classe. "La lecture des espaces urbains, périphériques ou centraux, ne se fait pas seulement sur les cartes, en construisant un code abstrait, c'est une lecture symptomale par excellence et non littérale" 29 .

42 Une approche du langage qui se cantonne dans le concordisme et le triomphalisme ne peut qu'éluder la vraie question concernant l'articulation du langage sur l'émancipation et le problème du possible. A notre avis, les philosophes africains n'ont jamais bien posé ce problème, mais ils articulent en toute bonne conscience le langage sur le mythe et le mana. "La religiosité est un prédicat essentiel dans la vie du Nègre". Ce refrain, repris en choeur par les Africains, a investi plusieurs domaines. Si on a pu dire que son art était originairement religieux, le problème relatif à la langue en Afrique ne manquera pas au rendez-vous de la "transcendance" et du "spirituel". La langue est ainsi inféodée à la magie et au mana.

43 Dans La pensée africaine, Alassane Ndaw, développe tout au long de son ouvrage un vitalisme spiritualiste et manifeste un intérêt pour la linguistique. A celle-ci, il assigne une tâche de description des langues africaines, mais, sans poursuivre l'argumentation et tirer les conséquences socio-politiques qui s'imposeraient, il tombe immédiatement dans l'incantation. "Nommer est un acte magique doué d'efficace". Parler, c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques. C'est aussi évoquer le monde non visible des ancêtres et des Dieux. Peut-être devrait-on, plus exactement, parler de mondes au pluriel, et du même coup... il faudrait s'attacher à l'étude des niveaux de langue... Peut-être devrait-on... s'acheminer vers une théorie linguistique de la magie" 30 .

44 Toute étude des langues africaines devra tenir compte de sa "vocation ontologique" 31 et, du coup, la linguistique doit y être "une ontolinguistique" 32 . L’originalité des langues africaines, poursuit Ndaw en toute sérénité, consiste à être des actes magiques, car elles sont substantiellement liées à l'Etre comme force vitale. Et si jamais on traite de ces langues sans en référer à ce qui suit, on ferait de belles théories "désincarnées" et "vides" 33 . L'étude de la linguistique devra s'occuper des niveaux de langue au sein d'une société, en établissant par exemple une nette différence entre le langage profane et celui des initiés (nous y sommes !). La langue aura alors ici une double fonction : "signifier et cacher" 34 , d'ailleurs, on doit conserver ces initiales et ce langage sacré.

45 "Il est juste que la langue profane ne puisse galvauder le sacré" 35 . Brillant, Alassane entreprend l'étude des différences entre la langue secrète Dogon (toujours !) et la langue profane de cette tribu. De la linguistique comparative, Alassane glisse vers une onto-cosmo-théologie qui débouche sur un acte de foi politique : "Le langage organise le monde, c'est-à-dire maintient le statu quo des forces vitales bénéfiques et maléfiques" 36 . Examinons cette inféodation du problème de la langue au mana.

46 D'abord, il n'est pas sûr que "nommer" ne soit qu'un acte magique. Alassane fait dans cette définition une curieuse concession au mythico-religieux. Cette conception de Ndaw se rapproche de la Genèse biblique où Dieu opère à travers la nomination des éléments. La parole, dans ce cas, a une fonction ontogénétique de nature métaphysique incompréhensible pour ceux qui, comme nous, sont habitués à voir dans la nomination un acte linguistique et politique de classification, de disposition et d'assignation des êtres dans leurs statuts respectifs. La seule parole ne crée pas, c'est plutôt l'action de l'homme sur la matière physique et sociale qui peut être porteuse de création. Dire que "parler, c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques" 37 , c'est supposer a) que la nature est animée des forces conscientes, b) qu'il y a une continuité et une connivence de type astrologique entre le Sujet humain et ces forces, c) qu'il existe un méta-monde ou un infra-monde qui contient ces forces bénéfiques. Ces forces mystérieuses, ce topos transhistorique, et ces existences invisibles ouvrent à de brillantes synthèses métaphysiques qui, malheureusement, ne posent pas le problème du rapport entre le langage et l'autorité.

47 La première supposition, à savoir que la Nature est animée de forces maléfiques/bénéfiques est assez curieuse. Historiquement, après la révolution galiléenne, il est tout à fait ahurissant de voir ceux qui prétendent à la philosophie présenter la Nature, non pas en termes de relations séculières, mais comme une espèce de participation vitale et mystérieuse. Cette Nature dont nous parle Ndaw et ses forces vitales rentrent à la fin du vingtième siècle dans un espace d’intelligibilité de la cosmologie pré-copernicienne.

48 L'ancienne conception de la Nature s'articulait selon le schéma astro-bio-anthropo-morphique. Celui-ci privilégiait la qualité et la Nature considérée comme un milieu vital plein d'intentions. Dotée d'une complexité qualitative, l'énergie y est force vivante. Ensuite, l'explication et la compréhension de la réalité/totalité étaient holistiques (le tout expliquait les parties). La causalité y était comprise comme une influence venant du ciel (des astres). La conséquence épistémologique était l’ordonnancement d'une science qui se déclinait sous le mode de la sécurité, car cette science portait sur les essences absolues. Les corollaires de cette science furent une conception d'un espace homogène et isotrope, et d’un temps cyclique isochronique. La vérité, quant à elle, était absolue et tout devait y être conforme aux lois de la mesure (aucune démesure n'était permise !). Dans cette conception de la Nature, le langage avait un statut particulier, celui de participer à l'ordonnancement des qualités de ce complexus. Le verbe y était secondé par une "âme", puisque toute chose nommée est animée et participe aux vibrations dues à l'individuation de la force vitale. La parole servait donc à communiquer des "âmes", ainsi pouvait-on par la simple parole insuffler une âme bienfaisante (les diverses bénédictions), ou une âme malfaisante (cf. toutes les histoires de jeteuses de mauvais sorts au moyen-âge). C'est à l’intérieur de cet espace mental qu'évolue Ndaw, avec des phrases comme "parler, c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques" 38 .

49 Cette conception de la Nature est irrecevable, ainsi que la conception du langage qui y est sous-jacente. La totalité naturelle se conjugue en termes de quantité. Cette totalité, loin d'être magique, se veut mécanique. Ce mécanisme s'articule non plus sur un espace vital d'une complexité insondable, mais sur un espace géométrique que l'on doit pouvoir déchiffrer, préserver, et non dominer en équations. L'énergie y est force calculable, et non vitale, et la compréhension de la Nature n'est plus holistique, mais atomique (les parties peuvent expliquer le tout). Ce qui aboutit à deux conséquences épistémologiques. D'abord, la causalité cesse d'être une influence venant du ciel (astres, etc...) pour devenir l'articulation/désarticulation improbable des structures. Le schéma nécessitariste cède ainsi le pas au schéma probabiliste/dialectique et ouvert. Ensuite, à la vérité des absolus se substituent la vérité du relatif et le caractère provisoire de toute connaissance. Dans ce nouveau schéma, le langage n'évolue pas au sein d'une ontologie de l'Etre vital, mais s'articule pour signifier (donner un sens qui n'est lié ni à une ontogénèse, ni à une cosmogénèse, ni à une ontophanie, ni à une hiérophanie, ni a fortiori à une théophanie !). La temporalité ne sera plus ce cours cyclique enfermé dans une logique répétitive et éternitaire, mais s'ouvrira à l'infinité. Le langage n'exprimera plus "l'être magique" comme le veut Ndaw, sa tâche ne consistera plus, comme il le souhaite, à protéger le sacré 39 , mais sera ce qui traduit intentionnellement ou inconsciemment des significations par la médiation des signes. Le langage sera donc, non pas l'aptitude à répéter, mais à inventer et à utiliser intentionnellement des signes.

50 A travers le rattachement de la problématique du langage au mana est occultée, outre la caducité de sa conception de la Nature, une méconnaissance de nature politique. Alassane Ndaw affirme que le langage a une double fonction : "signifier et cacher". Or, la distorsion de la communication n'a d'autre but à travers le langage que de "cacher", d'occulter, de soustraire à la vigilance et à l'analyse du Sujet certaines réalités. Une vue moins idéologique aurait assigné au langage la double fonction de "signifier et dévoiler/déconstruire la fausse harmonie des totalités répressives". Le Kant du Projet de paix perpétuelle nous a habitué à la notion de publicité concernant l'espace public ; toutes les maximes relatives au droit public dont on ne peut faire la publicité sont "injustes".

51 Le rattachement au mana vise moins à exorciser le langage profane qu'à défendre les intérêts des castes sacerdotales dans certaines sociétés africaines qui ont encore des chefferies et royautés de type féodo-esclavagistes. La défense des intérêts de cette caste vise aussi sur le plan historique à refuser à l'Afrique un langage porteur de négativité qui, ouvrant sur le possible, discriminerait la réalité africaine présente en établissant la tension dialectique en son sein, non entre le "est" (ce qu'elle est) et le "devrait" (ce qu'elle devrait être), mais entre le est et le non-encore. La problématique du langage produit une méconnaissance par la production des oublis.

II.2. Les oublis

Ii.2.a. l'oubli de la critique du langage technocratique.

52 Les rapports de la philosophie africaine avec l'ethnophilosophie opéraient une méconnaisance en voilant la nature politico-économico-sexuelle des catégories structuratrices de ce courant. La méconnaissance étant dans ce cas le décrochage d'un discours vis-à-vis de ses conditions politico-économico-sexuelles de production. De plus, le rapport entre la philosophie africaine et le langage semble également autoritaire par omission. L'omission est d'abord celle de ne pas rattacher les problèmes du langage au langage du pouvoir qui influence, aussi bien en amont qu'en aval, le "langage ordinaire". Le pouvoir dont il s'agit ici s'applique au langage administratif.

53 Pourquoi la référence au langage administratif ? Parce qu'il participe, avec plus ou moins d'efficacité, au discours technocratique dont le but inavoué est de contribuer de manière autoritaire à l’entreprise de dépossession de soi. Le langage administratif contribue à la célébration des attributs du pouvoir presqu’anonyme de la technocratie. On peut légiférer par l'écrit et par le dire, mais l'écrit -puisqu'il ne s'envole pas comme le verbe- reste l'un des meilleurs supports et le champ d'exhibition du pouvoir. L'étude de l'intensité et du poids du pouvoir devra passer par une anthropologie de l'écriture, car celle-ci, en tant qu'elle assemble, dispose, juxtapose, signes et symboles issus d'un champ socio-politique agité/déchiré par les intérêts, est le lieu de lisibilité et/ou d’occultation de l'imaginaire social. Prescriptif le plus souvent, le langage administratif produit des actes illocutoires (actes par lesquels l'emploi du langage a pour effet premier de modifier les comportements entre les interlocuteurs) 40 . La modification des comportements peut aller, soit dans le sens de la perte de soi, soit dans celui de l'émancipation du Sujet. En quoi le langage administratif peut-il intéresser le philosophe en Afrique ? En ce que, sous ce langage dépouillé, se profile le problème des valeurs résumé par ces interrogations : lorsque l'administration pourvoit à notre compréhension des énoncés linguistiques, que valent-ils ? Quels effets l'administration produit-elle par ces actes de langage ? A quelles conditions le fonctionnalisme du langage administratif peut-il réussir à être autoritaire ? Comment l'idéologie s'investit-elle dans l'écriture administrative, autrement dit, à quelles procédures linguistiques l'administration recourt-elle pour imposer son discours et ses symboles au niveau de l'échange symbolique ? Quels procédés discursifs utilise l'administration pour garantir une valeur et une autorité aux normes qu'elle définit ? Comment se tissent les rapports psychologiques, politiques et symboliques entre le texte administratif (le procès-verbal, le rapport, la note, le mémoire, le communiqué, la circulaire, la décision, le décret, l'arrêté...), le Sujet à qui s'adresse ce texte, le contexte dans lequel est émis le texte, et l'anonymat de l'administration cachant le principe d’autorité ?

54 Le langage administratif 41 joue parfois sur une ambiguïté fondamentale ; il se veut à la fois plus près du Sujet récepteur et très éloigné, en fait, de celui-ci. On recommande au rédacteur administratif d'avoir un style sobre à la portée de tout le monde, ce qui exclut le jargon et un style ampoulé. Cette transparence recommandée par le style administratif introduit au moins deux sortes de méconnaissances. La transparence linguistique est la preuve évidente du caractère "démocratique" des institutions. A un langage accessible correspondrait l'ouverture des institutions à tous. La deuxième méconnaissance réside dans "l'impartialité" et la "neutralité" du langage administratif. Si le langage administratif est sobre et accessible à tous, alors l'Etat n'appartient pas à une seule classe et a fortiori ne peut défendre les intérêts d'une faction. L'Etat est un, au-dessus et pour tous. La neutralité du langage administratif vise en fait à atténuer, et même à effacer, toutes les tensions qui peuvent surgir dans le langage issu du tissu social en devenir. Nous aboutissons au langage univoque et obscur à force de transparence. Ce langage monolithique est bien caractérisé par la mise en évidence de "l'oblativité" de l'Etat, car, par ce style limpide, ramassé, économique, et à la portée de tous, l'Etat se veut "Servus servorum" 42 . Le langage administratif 43 introduit une deuxième variante. S'il se veut accessible à tous, il lui faut un recul, une preuve de distinction, de majestuosité, de noblesse, et même d'autorité, susceptible de le distinguer du langage profane. Il se sacralise à travers l'écriture, il s'institue en code sacré agitant le spectre tricéphale (interdiction, transgression, punition). Le langage administratif devient ainsi à cause de sa majestuosité, l'idéal, "la langue promise" 44  ; et le "clerc administratif se mue en objet de désir et d'admiration aux yeux de ceux qui ne maîtrisent pas les codes de ce langage. Pour améliorer les facultés de rédaction, Gaudouin stipule :

"Règle seconde permettant de donner au style sa noblesse... -délicatesse, goût, choix judicieux des expressions, propriété du terme...

55 Règle troisième pour que le style ait à la fois de la force (gravité) et même de la majesté..." 45

56 Du simple problème de style, nous remarquerons une évolution vers l'incrustation des signifiants par lesquels l'autorité s'investit. Robert Catherine, dans son homélie sur le style, opère ce glissement des soins stylistiques à la célébration du pouvoir politique : "Etant donné son rôle et sa place dans l'Etat, le caractère officiel de ses actes, l'importance de ses décisions sur l'activité économique et sociale de ses concitoyens, le délégataire de l'autorité publique se doit non seulement d'écrire en français, mais sous une forme telle que la différence du ton permette à son lecteur de reconnaître qu'il est immédiatement en présence d'un document officiel qui participe à la dignité qui doit accompagner les affaires de l'Etat" 46 .

57 La majestuosité du style est chargée d'établir la distance et le caractère suprême de l'Etat. Les qualités linguistiques exigées du rédacteur administratif introduisent une méconnaissance par identification/substitution. Les qualités linguistiques du texte administratif (la noblesse, la délicatesse, le choix judicieux, la propriété du terme, la force, la gravité et la majestuosité) s'individuent, et par le procédé d'identification, c'est l’administrateur qui incarnera la noblesse, la délicatesse, le choix judicieux, la gravité, etc... Il s'opère ainsi une substitution, ce n'est plus le style qui est délicat, mais l'administrateur. En exigeant la majestuosité, l'administrateur veut se faire valoir. Le discours administratif, par son côté anonyme, prescriptif/menaçant, établit une dialectique entre son ambition de se vouloir transparent et la peur de la transparence caractérisée par le schématisme et la sécheresse de ses stéréotypes. C'est un discours qui suggère l'ordre, le respect, la hiérarchie, et dont "l’objectivité" vise-à travers l'accentuation du caractère impersonnel- le gommage de la subjectivité. Dans l'optique de cette impersonnalisation du, et par le langage administratif, l'expression de la liberté du Sujet se réduit à l'application des prescriptions du texte administratif. L'interrogation et la création s'effacent ainsi au profit de l'application, et la transcendance au profit de l'adaptation. Ce style participe à la reproduction du même par homogénéisation des consciences 47 .

58 Le philosophe négro-africain qui interroge son rapport au langage affiche une indifférence étonnante vis-à-vis du langage administratif (l’une des composantes les plus sophistiquées du langage technocratique). L'exercice du métier de philosophe en Afrique vit et évolue au sein du langage administratif. Non libéré des nécessités matérielles comme certains philosophes-aristocrates d'Athènes, les nécessités matérielles poussent le philosophe négro-africain à avoir comme employeur l'Etat. Celui-ci l'assigne (le consigne) dans une structure administrative bien huilée, l'exercice d'interrogation du philosophe négro-africain devrait donc naturellement porter sur la discrimination de ce langage qui conditionne son exercice en tant que "philosophe-salarié" 48 , mais, curieusement, rien n'est dit sur ce langage fonctionnaliste. On disserte à grands renforts de références sur la parenté entre les langues pharaoniques et les langues négro-africaines, on s'applique (et avec quel zèle !) à voir comment les langues négro-africaines "elles aussi" peuvent être aptes à l’abstraction (et Pathé Diagne de traduire un dialogue socratique en Wolof) 49 . D'autres encore veulent la philosophie en langues nationales, etc... Ce nombrilisme qui rive le problème du langage à l'exhibition des langues tribales et à leurs rapports soit avec l'activité philosophante, soit avec la science, a pour secret l'idéalisme et le refus de la dialectique.

59 Que la philosophie se fasse en Dogon ou en Malinké, que le Wolof exprime avec pertinence la relativité restreinte einsteinienne, qu'il y ait des filiations linguistiques entre l'égyptien ancien et les langues négro-africaines est fort bien, mais ne pose a priori et ne résout pas du tout le problème du rapport entre le discours, le langage et le pouvoir en Afrique. La position du philosophe africain vis-à-vis du langage est une fuite en arrière, on se réfugie dans l'Egypte pharaonique, on se hâte d'user du concordisme entre les catégories de la logique d'Aristote et les langues bantoues, ce qui, indirectement, dédouane aussi bien les clichés administratifs autoritaires que les instances émettrices de ces clichés.

60 Le mutisme du philosophe vis-à-vis du langage administratif s'explique en partie par la place qu'il occupe dans le procès de production en Afrique. Le philosophe est cette fine fleur qui, en Afrique, se veut héritière des Lumières, interprète de l'Etre et du Bien, représentant le Savoir dans une population quasi analphabète, et sismologue transcendantal qui détecte tous les mouvements et tremblements du royaume des Idées. Voilà pourquoi le philosophe négro-africain s'interdit de penser le rapport entre le langage et la technocratie, et entre celle-ci et le possible. La négation déterminée d'une histoire africaine devenue duperie peut aussi passer par la discrimination des clichés du discours du pouvoir.

61 Au lieu de l'exhumation de sa langue tribale à qui on a tôt fait de découvrir des correspondants ontologiques, phénoménologiques, existentialistes et marxistes, un travail de décryptage doit être fait sur le style de ces langues tribales, afin d'y surprendre les clichés autoritaires (passés et actuels). Le rapport du langage au pouvoir doit, en Afrique, partir des traditions africaines et se poursuivre dans la quotidienneté africaine. Dire que le Wolof peut exprimer la relativité n'exclut pas que le problème du pouvoir se soit posé et se pose encore dans la société Wolof. Comment le langage pouvait-il, à travers le discours, exprimer la répression et l'obturation des possibles dans la société traditionnelle Wolof ? Comment, avec l'avènement de la modernité, le changement de paradigmes sociaux, ces clichés autoritaires ont-ils perdu de leur efficacité ou non ? L'Etat sénégalais qui coiffe la société Wolof a-t-il récupéré, renforcé, atténué ou substitué ces clichés autoritaires ? Quelle dialectique pouvait-il y avoir, dans les sociétés traditionnelles, entre le langage officiel des chefs et courtisans féodaux, et les marginaux comme les "fous" dont le langage (consciemment ou inconsciemment) violeur des codes, exprimait la libération du non-encore dit ? Comment se traduisent dans les sociétés africaines actuelles la dialectique entre le langage stabilisateur et le langage de la créativité ? Comment et sous quelles modalités, à travers le langage, s'élabore, s'exprime et se communique le possible ? Si le langage, en nommant les choses, exprime une tension au sein de l'espace public africain, il faut bien démontrer certains oublis en commençant par celui du "faire-croire".

II.2.b. Mépris de l'analyse du "faire-croire"

62 Le problème du transit-du-croire revêt une importance capitale, non seulement pour saisir les liaisons entre le Sujet et la loi, mais aussi pour exprimer cette espèce de méconnaissance qui mine le devenir historique. Le problème de cette méconnaisssance n'a jamais été abordé par le discours philosophique africain. Plusieurs études se sont orientées vers le problème de la croyance. Toutefois on l'a rabattu sur un réductionnisme qui voudrait que la croyance fût réduite aux seules religions. En Afrique, les philosophes n'ont pas assez réfléchi sur le problème de la croyance en général et sur celui du transit-ducroire en particulier. La question se poserait ainsi de savoir comment se fait-il que nous soyons toujours pris de court par le mensonge issu des énoncés institutionnels et que nous nous rendions souvent compte de notre égarement "post festum"  ? Qu'est-ce qui explique la non-simultanéité entre la lucidité rationnelle et les énoncés de croyance ? Quelle explication donner à ce phénomène curieux consistant pour chaque génération à "se faire avoir" ? Comment rendre intelligible ce paradoxe qui consiste pour chaque génération à démasquer les illusions des générations antérieures, tout en les subsumant et en les transformant, pour se nourrir des mêmes illusions avec d'autres oripeaux ? Comment s'opère et fonctionne dans la société africaine le transit-du-croire ? 50 Comment fonctionne l'articulation du triptyque : symbolique/imaginaire/réel en Afrique ?

63 L'importance de la question du transit-du-croire dans l'économie de la réflexion philosophique africaine tient au fait que cette question renvoie à une série d'interrogations qui ouvrent au grand problème de la désubjectivation rampante due à l'excroissance du système managerial. Le transit-du-croire permet une évaluation de la notion de "croire". Qu'est-ce que croire ? Simple adhésion aux énoncés d'un discours et hypostase des procédés narratifs, argumentatifs et rhétoriques ? Ou bien croire, est-ce la production de la fiction dans le réel, ou simplement le processus d'éclipse de la fiction pour une réalité très omniprésente ? Croire est-il une nécessité subjective ou un processus aléatoire ? Comment le Sujet adhère-t-il à un énoncé de croyance, quelle que soit sa provenance et pourquoi ? Et "au nom de quoi" perdure-t-il dans cette adhésion ? Quelle est la fonction de l'autre dans ma propre croyance ? Enfin, comment le Sujet se situe-il, concernant la croyance, à l'intérieur du couple désir-histoire ? Autrement dit, la croyance est-elle un lieu d'assujettissement idéologique ou une modalité du désir productive et explosive ?

64 Pourquoi les philosophes africains n'ont-ils pas réfléchi sur le problème du croire ? Trois hypothèses peuvent expliquer leur mutisme. La première concerne le manque d'une approche esthétique des institutions ; l'absence de réflexion sur le rapport image/pouvoir/investissements. Pourquoi le détour esthétique de l’interrogation des institutions est-il si fondamental ? D'abord, l’esthétique nous permet de travailler sur un matériau malléable dont ne sauraient se passer les montages juridiques et politiques. Ensuite, le fondement objectif du fanatisme s'appuie sur un impératif : la théâtralité et la mise en scène de la Suprême Référence (l'Etat, le Capital ou même le peuple). Et enfin, l'épiphanie des pouvoirs ne peut être efficace que comme visant la fascination, et celle-ci nous touche d'abord de manière sensible (au sens de aisthésis ). L'approche esthétique du pouvoir n'est pas réductible au seul examen des images, elle essaye de donner à l'esthétique son sens plénier qui traite de la sensibilité parce que les pouvoirs sont affaire d'images et de sensibilité. Le deuxième point du désintérêt du discours philosophique africain sur le croire concerne l'absence d'une analyse de la notion de représentation. Quel est "l'efficace de la représentation" ? Qui représente (quis)  ? Quelles sont les médiations entre le représentant et le représenté (quibus auxiliis)  ? Pourquoi représente-t-on ( cur  ?) ? Comment ( quomodo  ?) et quand ( quando  ?) ? Que se passe-t-il dans la distance (espace mental et social) qui sépare le représentant et le représenté ? Le concept de représentation permet, en mesurant l'écart et la tension entre le représentant et le représenté au sein du procès de représentation, de faire ressortir le problème de la méconnaissance lié au double discours. En vue des stratégies d'hibernation, il peut fonctionner en manipulant, d'un côté, l'interdit et, de l'autre, les emblèmes de la permissivité. Le croisement de l'interdit et les emblèmes d’une permissivité tronquée nous indiquent que tout discours au sein de l'espace public est frappé (peu importe l'emballage officiel !) d'une ambiguïté dans laquelle l'articulation du dire implique la production de la méconnaissance liée à ce double langage. Ces problèmes auraient pu donner au discours philosophique africain des instruments théoriques/pratiques par lesquels une prise de conscience est possible. Mais, en réduisant la modernité africaine au catalogue des discours explicites (la philosophie, le développement, l'indépendance, la démocratie, la théologie, les mythes, etc...), le discours philosophique africain manque pour sûr la saisie de l'essentiel, à savoir les principes implicites de la dimension institutionnelle : la production des effets de fiction dans la réalité sociale. Ceux-ci s’articulent et réarticulent le faire-croire. Point de "faire-croire" sans production des fictions, et point de fiction sans cette dimension inconsciente qui met au grand jour ce que la clarté et la distinction rationnelles ne dévoilent pas le plus souvent.

65 La dernière raison qui pousse le discours philosophique africain à ne pas se pencher sur le problème de la méconnaissance et sur celui du transit-du-croire est relative à une saisie générale de la philosophie comme l'instance productrice des certitudes et le lieu même de la transparence rationnelle du discours. Bien sûr, certains philosophes africains admettent ou ont souvent admis l'importance d'une raison dialectique pour le devenir historique africain, mais parfois leur conception de la philosophie et surtout de cette rationalité dialectique en font des instances dans lesquelles l'intelligibilité serait totale. Ce qui est occulté, c'est bien la ruse qui est logée au sein de tout processus, ruse qui, si l'on en croit le Hegel de la Phénoménologie, ferait que le réel ne se dévoile jamais à travers le simple (ou complexe) jeu des contradictions et que les divers faisceaux de la temporalité impliquent toujours une méconnaissance. Repenser les ambiguïtés, les espaces de "clôture" et des "lignes de fuite" ainsi que "l’horizon de la fuite", implique comme le souligne H. Védrine de repenser cet "après-coup" 51 .

66 En Afrique, sauf quelques exceptions (Eboussi dans La crise du Muntu ) 52 , la vocation de la philosophie participe à une espèce de dialectique sacerdotale dans laquelle le philosophe, faisant fi de toutes les méconnaissances et ambiguïtés qui logent au creux du réel, maîtrise la réalité à travers un discours totalisant. Commentant Michel de Certeau, Védrine saisit bien l'importance de cette interrogation sur le croire : "c'est finalement le croire qui façonne l'opinion publique, le consensus, la passivité et qui permet aux structures de domination de coexister avec des tactiques individuelles de contour. Mais ce croire a changé de formes ; fondé autrefois sur le primat de l'invisible sur le visible, il est aujourd'hui totalement voué au visible et au bruit" 53 . Le discours philosophique africain, tout au moins sa grande tendance, est insensible à ces nouvelles modalités du croire où se logent le "visible et le bruit". Aucune analyse n'est faite concernant ces lieux visibles, par exemple la publicité (une excuse, un peu trop facile, est souvent donnée, à savoir que l’étude de ces lieux visibles relèverait soit de la sociologie, soit de l’anthropologie) qui gagne de plus en plus du terrain en Afrique noire, ou l'image, car l'efficacité des emblèmes, les montages du Droit et la méconnaissance politique sont médiés par ces représentations. Le discours philosophique africain, dans sa grande partie, reste un discours autarcique, auto-fondateur et clos sur lui-même. Même Eboussi qui critique le discours de maîtrise de la philosophie, reste dans une position autocratique, il n’étudie pas par exemple pas le rapport entre l'emblématique, le fantasmatique et la politique (image/pouvoir, armoiries/représentations politico-linguistiques). Ce n'est pas un discours qui essaye, à travers l'exploration de ces zones inconnues du réel où loge la méconnaissance, de s'ouvrir à la problématique de l'inconscient. Très sûr de proposer une théorie salvatrice, le philosophe africain ne fait ni l'analyse de la ruse, ni celle, très périlleuse, de son propre dire qui est rongé par la ruse en tant que Sujet écrivant/fantasmant. Pourquoi ne pas prendre sa propre critique de l'Etat, de l'ethnophilosophie comme un d(él)ire inaccompli au sein duquel s'inscrit la méconnaissance ? Il nage en plein système de croyance, celle-ci est prise au sens de "lieu où les sujets investissent des propositions qu'ils tiennent pour vraies et qui guident leurs actions" 54 . On fait des discours pour ou contre les mythes, pour ou contre l’intrusion de l'ethnologie en philosophie, en faveur ou contre le marxisme, pour ou contre la filiation à l'Egypte pharaonique, pour ou contre l'africanisation de l'herméneutique, pour ou contre l'intuition, ce qui est soigneusement tu, c'est l'interrogation sur la méconnaissance générale et fondamentale vis-à-vis du système intellectuel structurateur de leurs énoncés et dont la transparence est loin d'être totale. Examen de leur propre discours ; quelle est la part de méconnaissance logée dans leurs énoncés qui ont une prétention à la validité et à la vérité ? Autrement dit, comment travaillent et quels sont les effets de dénégation quand un philosophe africain s'engage à critiquer, à produire des énoncés sur le Vrai, le Bien, le Beau, le mode de production, etc ?... Quelles sont les différentes liaisons entre la dite dénégation et la situation du Sujet discoureur au sein du procès de production ? Le problème de la méconnaissance, noblement occulté, participe d'une saisie très autoritaire de la philosophie, qui se traduit par une conception très particulière de la Raison.

II.2.c. L'autoréflexivité de la rationalité

67 Quand la philosophie africaine parle ou traite de la Raison, quand on critique l'ethnologie coloniale, les dictatures d'ébène, le développement extraverti, etc..., on le fait au nom des "Lumières"., au nom d'une certaine Raison, mais laquelle ?"On (Hegel de La Raison dans l'Histoire ) nous a expulsés du domaine de la rationalité" se borne-t-on à répéter, mais de quelle rationalité s'agit-il ? Deux observations sont à faire.

68 D’abord, les concepts de rationalité et de Raison qu'emploient les discours philosophiques africains n'ont pas fait une espèce d'auto-élucidation, car, dans ceux-ci, on ne sait pas à quoi renvoie ces concepts. Une chose apparaît cependant : une saisie de la Raison et de la rationalité indépendante des rapports de production existants. C'est ce qui laisse supposer que la Raison et/ou la rationalité ici correspond à une divinité. Loin de nous l'idée de réhabiliter, en faisant cette auto-élucidation du terme Raison chez les Africains, un mode de pensée mythique, parascientifique, ou un sentimentalisme de mauvais aloi, mais plutôt de souligner qu'une conception bâtarde de la Raison se profile dans l'ombre. Celle-là même qui fut utilisée par certains philosophes au XVIII. siècle, à savoir que la Raison est une faculté absolue, immuable et nécessaire. Bien qu'au nom de cette Raison ils aient élaboré des idéaux universalistes et démocratiques (liberté, justice et égalité), une pareille conception de la Raison (qui la "divinisait") opérait sur le plan pratique des occultations. Il s'agissait pour la bourgeoisie au pouvoir de s'emparer de ces idéaux, d'en faire des étendards, brandis sur le plan théorique afin de mieux occulter leur négation pratique.

69 La deuxième observation concernant cette hypostase de la Raison sera relative au manque d’autoréflexivité de cette Raison. C’est, bien sûr, du côté de l’Idéalisme allemand qu’il faut se tourner-tout en n’étant pas dupe des présupposés idéalistes et européocentriques qui entouraient cette notion-pour voir les premiers pas de l'autoréflexivité. L'étendue, le champ, et le pouvoir de la Raison sont examinés par Kant... L'incorporation de l'autoréflexivité de la Raison en Afrique permettrait aux philosophes de ne plus faire cette approche massive et hypostasiante de la Raison.

70 Tous les philosophes qui luttent contre les mythes et autres logiques aliénantes n'ont usé implicitement jusque-là que d'un concept de Raison conçu sur le mode instrumental. Le rapport de ces philosophies à la Nature est un rapport de domination. Tous les Africains philosophes, quand ils ne conçoivent pas la Nature en termes de forces, en termes magico-vitalistes (A. NDaw), considèrent la Nature comme une instance que l'on doit dominer.

71 L'oubli fondamental de la philosophie africaine concernant le concept de rationalité, et celui de Raison, est relatif à une saisie pathologique de l'action de la rationalité dans l'existence. C'est Habermas qui, à la suite d'Adorno et Horkheimer et tout en les modifiant, essaye de repenser la contemporanéité, en y soulignant l'effectuation déformante de la Raison dans l’histoire 55 . L'effet de la déformation de la Raison dans l'histoire se manifeste en Afrique par le désir de la technique, et du pouvoir où, les mythes une fois rejetés, le Nègre pourra enfin, en toute clarté et distinction, utiliser le calcul pour dominer la Nature (physique et humaine !). "Dès lors la matière doit être dominée enfin sans qu'on l'imagine habitée par des forces... occultes. Tout ce qui ne se conforme pas aux critères du calcul et de l'utilité est suspect à la Raison" 56 . Réélaborer un nouveau concept de rationalité devient plus que jamais fort important en Afrique aujourd'hui et ce, pour plusieurs raisons :

  • Ceci mettra en lumière tous les subjectivismes qui, avec cette critique de la rationalité, pourraient introduire en Afrique une pensée agonistique. Celle-ci soutient, sous couvert de post-modernisme, un scepticisme démobilisateur où, la Raison humiliée et "l'Aufklärung" 57 désavoué, le Sujet n'aurait plus de support pour penser et orienter sa praxis.
  • La deuxième utilité de cet examen de la rationalité sous l'angle de son effectuation déformante serait une réévaluation de la position du Sujet en Afrique à l'heure des bouleversements.

72 A cause du sous-développement matériel, le salut de l'Afrique a été subordonné, comme il a été dit précédemment, à l'acquisition des instruments d'exploration des potentialités de la Nature afin de la maîtriser. Force est de constater aujourd'hui que la rationalité dont il s'agit chez les Africains concernerait ce que Hegel nomme la rationalité de l'entendement, il s'agit non pas du "Vernunft", mais bien du "Verstand", car il y a réduction de la Raison à la rationalité instrumentale. Ce qui se profile à l'horizon, c'est la réhabilitation philosophique du Sujet autoréférentiel et autotélique.

73 On continue paisiblement à parler de la Raison comme une espèce de "Ratio perennis", sans en faire une approche pathologique quant à son effectuation dans l'histoire, sans nuancer son gauchissement instrumental 58 . La conception massive de la Raison ouvre aussi la voie à une conception massive du politique.

II.2.d. Et les apories du politique...

74 Le discours philosophique africain n'a pas bien examiné les problèmes liés à une pragmatique du politique. Cette pragmatique du politique concerne le problème de la décision du politique, décision qui peut être interrogée selon l'axe de l'espace et celui du temps avec leurs apories respectives relatives au pouvoir. L'interrogation pragmatique du politique déplace la question du politique. Dorénavant, il ne s'agit plus des problèmes théoriques liés à la légitimation du pouvoir, celle-ci renvoyant au point de vue du droit, mais de s'interroger sur une théorie du gouvernement dans laquelle le pouvoir passe à l'acte, sur un problème relatif à l'action, à la décision.

75 Or, l'action du pouvoir du prince se fait autour de cette notion qui le lie aux Sujets à savoir le "coup d'Etat". L'action du prince se déroule sur le mode du coup d'Etat et les Sujets sont aussi liés au prince par cette notion de coup d'Etat permanent. Il faut d’abord préciser ce thème de "coup d'Etat". L'usage restrictif fait de ce terme aujourd'hui l'action par laquelle une personne ou un groupe de pression casse momentanément la continuité des institutions étatiques pour fonder un nouvel ordre institutionnel, action violente (symbolique ou réelle) par excellence. Or, cette connotation tardive gomme le sens profond de la notion de coup d'Etat. Naudé la définissait déjà au XVIII. siècle comme l'ensemble de tous les artifices et règles par lesquels un prince peut "policer" et "administrer" les Etats et les Empires. Ces règles et ces artifices doivent rester secrets. Les coups d'Etat sont donc l'ensemble des secrets du gouvernement 59 . Si le coup d'Etat s'identifie à tout secret du gouvernement chez Naudé, il a un sens plus profond au XVIII. siècle européen : à savoir le "coup de théâtre" et le "coup d'éclat" du prince.

76 Réfléchir sur la pragmatique du politique par la médiation de la catégorie du "coup d'Etat" exige un travail de cette notion dans sa multivocité, afin d'en dégager l'opacité et la déchirure qui déterminent le caractère aporétique du pouvoir politique. Le coup d'Etat, entendu comme coup d'éclat du prince et coup de théâtre, est un acte de rupture et curieusement de fondation. Si le coup d'Etat (d'éclat !) vient du prince, celui-là a pour but de rompre avec la continuité historique (libérer tout d'un coup des otages provoquera une sorte d'arrêt historique et de rupture avec le temps des jérémiades à propos des otages), et, par ce "coup d'histoire", le prince assure une nouvelle fondation de son pouvoir. Mais si ce coup d'Etat est pris au sens de prise de pouvoir et éviction du prince, la violence qui s'ensuit est aussi en même temps rupture avec l'ancien ordre et fondation d'un nouvel ordre. Dans tous les cas, cette notion indique le caractère aporétique de l'action politique. Cette déchirure, cette béance, ce caractère contradictoire rendent très difficile une réflexion sur une pragmatique du politique. Mais le caractère aporétique du passage à l'acte du politique exprime une tension entre la continuité et la discontinuité de l'Etat de droit. Cette tension peut être pensée sous l'angle de l'espace d'abord. Comment, et qu'est-ce qui rend aporétique et distendu le lieu du pouvoir ?

77 Pour répondre à cette question, nous faisons appel à la notion de sublime. Nous prenons sublime au sens où l'entend Kant : "est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit" 60 . Le prince, dans un espace public soustrait au pluralisme, veut toujours être l'incomparable, il n'est comparable à rien d'autre qu'à lui-même. Et c'est parce que son incomparabilité doit s'inscrire dans l'espace qu'il construit ou fait construire des monuments ou palais qui, au sein de l'espace, annoncent sa grandeur et sa sublimité. Voici ce qu'on disait au temps du Roi Soleil du Louvre et de Versailles : "Le Louvre est assurément le plus superbe palais qu'il y ait au monde... Cette maison de Versailles regarde bien plus le plaisir et le divertissement de votre Majesté que sa gloire... Quelle pitié que le plus grand Roi fût mesuré à l'aune de Versailles... Votre Majesté observera de plus qu'elle est entre les mains de deux hommes, Louis Le Vau, premier architecte, André le Nôtre, premier jardinier" 61 . Ce texte met en lumière l'aporie de l'inscription du prince dans l'espace. En même temps, il y a ostentation de la grandeur et de la beauté par la réalisation d'oeuvres sublimes, mais aussi constatation de la limite de cette grandeur, dans la mesure où elle est suspendue, limitée, à l'habileté de l'architecte. Le fait que le palais soit assigné à un lieu (Versailles ou Louvre) traduit, en tant que ce lieu est la représentation/personnification de la grandeur du prince, la limitation spatiale de sa grandeur. L'aporie de l'inscription du prince dans l’espace aurait pu inciter les philosophes africains à la réflexion, mais il n'en a rien été.

78 Le lieu du pouvoir offre aussi une espèce de tension du temps du pouvoir. Si le sublime que donne à voir le pouvoir se révèle en fait limité, très aporétique, il faudrait penser ces apories du pouvoir avec une figure : la tempête. La logique du pouvoir politique se décline en termes tempétueux. Mais, dans le temps du pouvoir, ou de la tempête, peut se lire le moment de l'instant (symbolisé par l'éclair dans une tempête). Dans l'économie de la temporalité, l'instant est cet indicible que je ne peux nommer... mais que je nomme pourtant, car au moment de la nomination de l'instant (ou de l'éclair) celui-ci est déjà dans le passé. Cette aporie temporelle de l'innommable nommé traduit dans la politique la notion d'évènement brusque. L'exemple d'une violence qui change les régimes politiques est à ce sujet fort éclairant. La violence de l'assassinat d'un prince, et, partant la suspension des institutions est une rupture et une fondation. Par cette action, la société donne à voir une situation d'exception qui est en même temps retour à l'Etat de nature par l'abolition du droit, et retour à l’Etat civil par la fondation d’un nouvel état de droit. L'événement politique, en général, porte en creux, outre ce caractère aporétique, une opacité consubstantielle, parce que nous ne pouvons rien dire du déroulement de l'instant irruptif, destructeur et fondateur. Lors de l’irruption/destruction, il y a suspension de la visibilité et du dire, c'est après l'irruption qu’il est possible de trouver des chaînes causales, d'expliquer les signes prémonitoires, etc... Cette lisibilité de l'histoire "post festum", sans être une excuse pour ne pas réfléchir sur l'action politique, introduit la réflexion aux arcanes de la méconnaissance inscrite dans le dire politique. Cette distension/opacité du pouvoir doit inciter à la prudence dans l'appréciation du passage à l'acte du politique. Tout simplement parce que, aussi bien ceux qui gèrent les pouvoirs politiques que ceux qui les critiquent de manière viscérale, ne savent rien du moment irruptif destructeur/fondateur. Quelles sont les conditions de possibilité d'une pragmatique de l'action et de la décision politique ? La question reste ouverte.

79 Cette aporie du pouvoir absolu est présente dans tous les régimes politiques, et jusque-là, les philosophes africains, qui ont une approche très massive (se reflétant dans leurs critiques) du phénomène politique, n’ont pas réfléchi sur cette espèce de défi que lancent les apories de la pratique politique à l'intelligence humaine. Les apories du politique nou introduisent dans l'optique d'une réflexion sur le temps, réflexion intensive dont la philosophie africaine fait dans une certaine mesure l'économie.

II.2.e....Pour une saisie intensive du Temps

80 Bien sûr, il est possible d'arguer que des réflexions sur le développement, sur le mythe, sur la possibilité d'une philosophie négro-africaine, sur l'Egypte pharaonique, sur la rationalité technologique, s'occupent, non pas des hypostases de la Raison pure, mais bien d'une histoire insérée dans la temporalité. Laissée dans cet état, la question de la temporalité risque de se résoudre dans des traitements empiriques des divers domaines du savoir philosophique, et manquer, par là même, l'essentiel de la problématique philosophique liée aux relations entre le temps, la praxis, le Sujet et le réel. Mais posé de cette façon, le problème du temps risquerait d'avoir une appréhension chosiste dans laquelle le temps existerait "in re" et entrerait en quelque sorte en rapport avec la praxis, avec le Sujet auteur de celle-ci, et le réel qui englobe les deux. Nous devons souligner que, dans les couples Temps/praxis, Temps/Sujet et Temps/réel, le temps n'est pas pris comme une "res", mais se trouve imbriqué dans une constellation qui englobe le "locus", le "subjectum” et finalement le "facere".

81 Le problème du temps est fort important aujourd'hui en Afrique, car à travers une certaine forme de saisie du temps, peuvent se profiler le transcendantalisme (qui pose l'invariabilité des catégories dans un "locus" méta-temporel) et le téléologisme (celui-ci se conjugue sous deux modalités : d'abord, il invite à une fuite en avant à travers la justification des eschatologies, ensuite cette fuite prend le caractère d'un nécessitarisme rigoureux ne laissant aucune place au "nonencore", au "non-prévu", au "non-encore-pensé", bref, aucun espace n'est plus laissé au "non" tout court). A la suite de Sigwart, Horkheimer a raison d'affirmer que "tout être particulier nous est donné dans le temps... il s’ensuit que le rapport au temps, est inhérent à tous nos jugements sur l’existence, les qualités, les activités et les relations de choses particulières'' 62 .

82 Les penseurs africains ne s'arrêtent qu'assez superficiellement pour réfléchir sur cette instance conditionnante de leurs activités pratiques et théoriques. Pourtant, la question du temps doit se poser pour la modernité africaine, car dans celle-ci, se profile quelque chose comme une "crise du temps".

83 Loin de nous l'idée de traiter la notion de temps comme fondement originaire à l'intérieur duquel tout étant trouve son fondement, en attendant le dévoilement de ce qui est en retrait, autrement dit, en scrutant les diverses manifestations de l'Etre. Il ne sera pas question de prendre le temps comme "un ordre possible de succession" à côté de l'espace, autre ordre possible, mais cette fois, de coexistence ! Notre propos ne consistera pas à l'associer à une saisie spatialisante. La conception du temps qui nous intéresse saisit celui-ci comme déchirure, et distension. Et, c'est bien entendu à la saisie augustinienne des formes du temps que nous pensons. Le temps comme déchirure s'ouvre sur une aporie chez Augustin : "Mais je ne mesure pas l'avenir qui n’est pas encore, je ne mesure pas le présent, car il n'a pas d'étendue, je ne mesure pas le passé puisqu'il n'est plus..." 63 . Cette aporie du temps le définit comme une distension 64 . Sans toutefois assumer le fait que chez Augustin la distension du temps trouve sa résolution dans l'éternité, il est possible de dégager les trois paramètres que cette distension met en vue : l'attente, la tension et le souvenir 65 .

84 L'attente est prise ici, non pas comme un état, mais comme processus, une attente au sens de "adventus". Mais, chez Augustin, c'est l'attente de Dieu. Qu'il nous soit permis de pervertir cette notion d'attente afin de penser la temporalité en Afrique à l'aide de cette catégorie, mais sécularisée. Nous excluons aussi de cette notion d'attente la conception judaïque, telle que nous la retrouvons exprimée chez Ernst Bloch. Dans son but de trouver un système ouvert des catégories dans lequel la mobilité de celles-ci pourra constituer un terreau viable pour la "conscience anticipante", Bloch développe une théorie de l'attente (fortement liée à sa conception de l’espérance) qui est subtilement teintée de messianisme juif. Cette attente est celle qui soupçonne toujours la venue d'un Messie qui peut à tout moment apparaître. Peut-on supposer que cette attente messianique équivaut à la situation du "Dasein" heideggerien, attendant et guettant l'Etre qui peut à tout moment apparaître ou plutôt se dévoiler ? Certes, la comparaison serait ridicule ! Bloch préconise une philosophie matérialiste qui saisit la matière dans sa processualité, alors que Heidegger n'aime pas beaucoup cette dégradation de l'Etre qui essaye de le fixer dans des catégories. Toujours est-il que Bloch, tout en fondant une ontologie matérialiste, veut aussi en même temps avoir une foi de type eschatologique en la venue du non-encore. Il y a, comme chez St Augustin, une espèce de téléologie chez Bloch, à cette différence que tout converge vers "l'amor dei" chez Augustin, alors que Bloch, tout en reconnaissant comme essentielle l'aspiration à un "sujet-nous", admet un point final eschatologique de l'histoire 66 . Cette attente biochienne, bien qu'admettant "l'anticipation" et "la processualité", ne convient pas aujourd'hui comme prémisse essentielle pour penser la déchirure du temps en Afrique. Entre une eschatologie sécularisée à la manière biochienne et une eschatologie mystique, la frontière est difficilement perceptible. L'attente dont il sera question ici est celle qui soupçonne dans l'épaisseur du réel les éléments en gestation. Ernst Bloch a aussi la même conception de l'attente, mais chez lui, elle est doublée de messianisme. Une attente qui tente, et devient, une tension vers. Tension qui exprime l'attention que nous portons sur l'histoire qui n'a de consistance que dans le souvenir. La tension qu'exprime le temps ici impliquera pour nous une conception non spatiale du temps 67 . En Afrique prévaut le plus souvent une propension à spatialiser le temps. La spatialisation du temps borne la temporalité en passé, présent et futur. Cette saisie peut être rectiligne et très idéologique en Afrique, car la nostalgie du passé pousse souvent à une fuite en avant qui évite le présent. Repenser le temps en Afrique aujourd'hui signifie ne plus se cantonner dans la rectilinéarité de l'avant et de l'après, mais de concevoir le temps dans son intensité sur le mode de l'accompli et du non-accompli. L'accompli et le non-accompli placent le temps dans la praxis transformatrice à l'intérieur de laquelle la déchirure de la vie est médiée par le travail.

85 Cette lecture du temps en accompli et non-accompli impose au négro africain une autre évaluation du souvenir. L'hypostase du passé, les louanges des traditions, effacent la problématique de l'accomplissement, or, saisir la tradition comme processus, saisir notre mémoire, et partant, le souvenir comme devenir implique une recherche, selon la belle formule d'Ernst Bloch "de l'avenir dans le passé". Rechercher dans l'histoire passée et présente les éléments non-accomplis signifie traiter la temporalité sous l'angle du possible, car le possible demeure ce qui demande à être accompli.

86 Finalement, à travers la notion d'accompli et de non-accompli, nous pouvons travailler sur les multiples relations qui peuvent exister entre le temps et le réel, entre le temps et l'action, et entre le temps et le Sujet. Comment le réel peut-il se concevoir et se comprendre comme le non-accompli en gestation ? A quelles conditions l'action accomplit-elle tous les prédicats qui lui sont inhérents ? Quant au Sujet, quelles sont les conditions de possibilité de l'éclosion de ses prédicats ?

87 Il est clair qu’une conception du temps comme distension (bien sûr épurée de l'attirail idéaliste que lui donnait St Augustin) introduit la réflexion aux limites de la conception du possible. Car, celui-ci se veut latence-tendance et, par conséquent, tension et distension. La philosophie en Afrique en reste souvent au présupposé d'un temps linéaire : avant/après (la colonisation, l'invasion, l'esclavage, etc...). Cependant la réintroduction du temps sous le mode de l'accompli et du non-accompli aura cet avantage de considérer aussi bien "l'avant" que "l’après" comme des réalités processuelles qu'il ne faut ni hypostasier, ni prendre de manière atomiste. Mais un oubli se construit et obéit à certains implicites, oublier le temps comme distension/tension relève d'une pratique nécessitariste... Le temps s'investit dans le texte, l'écrit exprime aussi une modalité du temps, la manière d'écrire ouvre et/ou couvre le mouvement du négatif. Autrement dit, l'écriture du temps débouche sur une temporalisation de l'écrit.

II.2.f. Ecriture et harmonie : la tentative anatreptique

88 Que l'écriture soit le lieu du pouvoir ne fait aucun doute. Mais une certaine forme d'écriture qui brise les codes et pense le réel dans sa multiplicité peut être susceptible, en tant qu'instance de marquage symbolique, de se retourner contre les lieux producteurs des codes : l'écriture des philosophes. Comment les philosophes en Afrique construisent-ils leurs textes ? Le réel dans sa multivocité, interpellant le philosophe dans ses écrits, une certaine forme d'écriture peut mimer la logique identifiante, classificatoire et fonctionnaliste, la manière d'écrire peut refléter la consonance/l'harmonie. Une certaine manière d’écrire-et là, ce n'est pas une simple affaire de style-peut, à travers l'amour du "jargon" et de la cohérence, investir l'espace de lisibilité au point d'y loger, avec méthode, des clichés autoritaires. La hantise de la systématique peut cacher la clôture conceptuelle... Le problème du style d'écriture philosophique africaine, n'est pas un problème de pure esthétique où le style serait une certaine modalité de l'expression, mais bien plus un problème politique, parce que "toute pratique, en effet, comporte un style, et que le style est inséparable d'une pratique" 68 . Toute pratique implique une manière de faire, le contenu de la pratique étant inséparable de la manière. Granger définit le style comme "usage du symbolisme ; il ne concerne pas seulement la texture de ce dernier, mais aussi son rapport à une expérience qui l'enveloppe" 69 . Dans ce symbolisme passent les diverses pratiques de pouvoir. En attendant, une étude des stratégies discursives et socio-langagières relatives à la narration, à la rhétorique et à l'argumentation du discours des philosophes africains, il est possible de faire quand même une remarque générale. Chez tous les philosophes africains, il n'y a pas l'ombre d’une écriture désarticulée, par exemple sous forme d'aphorismes, ou sous une autre forme susceptible de piéger la cohérence. C'est une écriture continue se voulant rigoureuse, qui enchaîne, de manière soit inductive, soit déductive des raisons et des causes, une écriture qui tient compte de la mesure dans la bonne optique apollinienne. De cette écriture est proscrite la césure et l'incohérence. L'allure de ces textes est souvent épidictique, l'auteur y écrit un discours du genre démonstratif (leurs textes philosophiques comme les discours d'Isocrate sont des textes d’apparat !) et même réfutatif. "Demonstratio" et "refutatio" sont aussi les vieux réflexes du droit romain et, aujourd'hui, de la répression du droit pénal, par exemple l’établissement de l'aveu obéit à une procédure de "demonstratio et refutatio". Cette stratégie discursive épidictique s'organise en une thèse centrale réfutative (soit de l'ethnophilosophie, soit du marxisme, soit du sous-développement), qui subordonne donc autour d’elle la chaîne des arguments (chaîne est prise ici au sens du manque d'autonomie de la part des arguments) qui militent pour ou contre cette thèse. Cette cohérence des chaînes de raisons est un discours total, c'est-à-dire clos sur lui-même et ceci pour plusieurs raisons.

89 Ce modèle épidictique manque, à cause de sa manie de la cohérence et même parfois du jargon, d'aérer le discours afin d'y voir comment se logent les diverses dénégations, et surtout comment s’effectue le jeu entre le texte, le Sujet et le désir. Autrement dit, "dans l'écriture, le ratage est le performatif du Sujet qui rejoue son avènement dans l'acte de manquer l’objet de son désir" 70 . La cohérence du texte qui évite les ratages fixe et fige le texte. Celui-ci cesse d'être une présence et une absence qui indiquent à travers ces trous et ces ratages que l'écriture est justement ce lieu où le Sujet pose à la fois sa prétention à la saisie du réel et sa rencontre, toujours manquée (le réel déborde notre saisie scripturaire et conceptuelle !), avec ce réel.

90 "L'éloquence professorale" de cette philosophie africaine évite, à travers la phobie de l'incohérence et du ratage, d'introduire la discontinuité au sein du continuum répressif. Discontinuité qui est fondatrice dans la mesure où elle peut anticiper son devenir. La dimension proleptique est à l'intérieur de ces ratages. En adoptant un mode d’exposition philosophique "cohérent" et "technique" (il vaut mieux dire technocratique !), le philosophe africain, à son niveau, mime un mode de pensée cybernétique, celui-là même qui fonctionne dans la parfaite harmonie et la cohérence. Dans cette écriture philosophique qui occulte la dimension polyrythmique du réel et de la philosophie son produit, réside une négation de la dimension fondamentale du temps du Sujet. Ce temps qui est celui de l'erreur se veut aussi le temps de la création 71 .

91 Une écriture philosophique qui ne met pas en scène les concepts et leurs mouvements est une écriture morte. Le philosophe doit utiliser l'effet d’hypotypose où les concepts auront une vie très incohérente que l'on met en scène à travers l'écriture. On doit, dans cette écriture, utiliser les variations de la langue, les modulations et une tension qui orientent le discours philosophique vers un "dehors", exprimant ainsi une ligne de fuite. La variation du style, c’est la variation de la vie dans ce qu'elle a de contradictoire : "le style en philosophie, c'est le mouvement du concept. Bien sûr, celui-ci n'existe pas hors des phrases... c'est une mise en variation de la langue... En philosophie, c'est comme dans un roman : on doit se demander : "qu'est-ce qui va arriver ?" "Qu’est-ce qui s'est passé ?" Seulement les personnages sont des concepts, et les milieux, les paysages sont des espaces-temps. On écrit toujours pour donner la vie... pour tracer les lignes de fuite. Pour cela, il faut que le langage ne soit pas homogène, mais un déséquilibre, toujours hétérogène : le style creuse des différences de potentiels entre lesquelles quelque chose peut passer, un éclair... va sortir du langage même..." 72 .

92 La philosophie africaine est une écriture monocorde, le style des phrases n'admet pas une tension entre une principale et une subordonnée, "l'éloquence professorale" des tropiques ne supporte pas entre les phrases une sorte de "zig-zag" 73 , il lui faut des phrases toutes droites. Ce qui manque au style des philosophes africains, c'est un peu de musicalité dans l'écriture, une polytonalité qui saisira le réel dans ses multiples aspects.

93 L'exemple type du style d'écriture philosophique polytonale est l’aphorisme que nous rencontrons déjà chez Nietzsche, chez Schelling 74 et surtout chez Adorno. Chez celui-ci, même si son écriture aphoristique très travaillée peut déboucher sur "un maniérisme formaliste qui peut aller jusqu'à l'hermétisme" 75 , l'aphorisme est cette écriture d'indication et d'incitation qui introduit au sein de la béatitude linéaire un scandale stylistique et une provocation à penser. Le fragment comme élément privilégié de cette écriture indique plusieurs choses ; d'abord la fêlure de l'écriture et par conséquent de cette fausse Totalité qui mutile la vie, ensuite, le fragment libère le processus, parce qu'il est le résultat d'une fragmentation passée et la promesse d'une fragmentation future. Avec le fragment, la négativité se met à l'abri de la vengeance des hypostases et des glaciations conceptuelles : les "aphorismes mettent l'accent sur la négativité" 76 .

94 Bien sûr, l’aphorisme n'est pas le seul mode d'écriture discontinue, on pourrait créer de nouveaux concepts et une nouvelle manière de pratiquer la césure et la béance dans l'écrit en Afrique. L'écrit, s'il ne se fragmente pas, a tôt fait de se figer en institution. Les discours des philosophes africains sont réfutatifs/démonstratifs et, en tant que tels, se figent dans les institutions où les textes contre l'ethnophilosophie, la colonisation, ou qui militent pour une Egypte pharaonique nègre ont une valeur sacrée pour les générations futures qui se livreront à une hagiographie de type talmudique. La tendance générale de la philosophie africaine privilégie la positivité et se méfie de la dialectique. Bien sûr, nous fera-t-on remarquer, que la plupart des philosophes de ce continent sont, soit des "hégéliens", soit des "marxiens" qui privilégient la dialectique, à preuve, ils luttent pour le changement et l'avènement en Afrique d'un autre exister où puissent s'épanouir les prédicats de l'homme : la Liberté et la Raison. A supposer que ces philosophes luttent (l’impensé de cette lutte n'a pas encore été mis à jour !) pour l'Afrique, il n'en demeure pas moins que leurs philosophies refusent la négativité, ou plutôt, leur dialectique n'est pas assez négative. Leur discours est réfutatif, mais se fige, car ne sécrétant pas de par sa forme, les éléments de son propre dépassement et de sa propre dislocation. Réfutatifs, ces discours sur le marxisme, sur l'ethnologie, sur l'Afrique, sur le développement, sur les traditions, se constituent en institutions qui pensent avoir une vue panoptique sur le devenir africain. Un discours qui ne veut pas se figer en catéchisme devra être anatreptique. Le discours anatreptique est ce discours qui se retourne contre lui-même, afin d’être non seulement réfutateur, mais aussi auto-réfutateur. Car la ruse du système voudrait qu’un discours, quelque critique qu'il soit, s'incruste en un objet figé. Le discours anatreptique est celui qui s'annonce et s'énonce comme moment transitoire, comme une réalité en cours de fragmentation. Bien sûr, les "dialectiques sacerdotales" et leurs vieux réflexes pseudo-platoniciens feront remarquer que cette façon de mettre le négatif en marche confine au scepticisme, car on ne pourrait jamais rien affirmer, il leur faut toujours un "arché" stable sur lequel s'appuyer.

95 L'optique de l'auto-dislocation construit et affirme, mais à la différence des "dialectiques sacerdotales", l'affirmation n'est qu'un moment transitoire et la construction est impliquée dans une processualité qui empêche toute hypostase. Pour l'instant, le discours philosophique africain s'écrit de manière très autoritaire où on trouve trop de prescriptions ("on doit...", "il faut...") teintées d'un moralisme fort douteux dans lequel le "devoir-être" fonctionne comme une hypostase. Discours de capture par la manie de la prescription moralisante, mais aussi par sa hantise de maîtriser la Totalité à travers le concept, celui-ci se comporte de manière conquérante et la Nature chez ces philosophes n'est qu'un objet qu'il faut "maîtriser", tout cela fonctionne dans la bonne optique de la rationalité instrumentale. Ce discours ne va pas vers le réel avec la modestie d'y trouver des ambiguïtés, des trous, des manquements, la part de méconnaissance qui se glisse dans le rapport entre le concept et la réalité, mais explique, critique, expose ce qu'est la crise du Muntu, ce qu'est le réel africain, et ce qu'il devrait être. "Pour qu'il y ait développement, il n'y a qu'à... Discours suffisant, où le philosophe, mieux, l'intellectuel, ignorant la méconnaissance qui se loge dans tout dire, dicte et prescrit le devenir de l'Afrique.

96 Nous avons ici affaire au développement d'une espèce particulière de notre modernité : "les prêtres masqués" dont parlait Nietzsche et Max Stirner 77 . Le specimen du "prêtre masqué" est dans la littérature philosophique africaine Njoh Mouellé. L'oeuvre fondamentale de ce penseur tourne autour d'une idée-force : le passage du Négro-Africain de sa situation de médiocrité à l'excellence 78 . Le médiocre étant celui qui reste dans l'immédiateté du culte de l'Avoir, l'excellence sera la finalisation de l'Avoir pour la profondeur de l'Etre 79 . Plusieurs remarques sont à faire sur ce programme.

97 Les deux concepts d'Avoir et d'Etre qu'utilise Njoh manquent d'originalité. Il ne signale pas qu'il s'inspire de la fameuse opposition établie par le philosophe catholique Gabriel Marcel dans un livre déjà bien vieux sur Etre et avoir 80 . Njoh les réutilise en les mâtinant de théories personnalistes chrétiennes que nous connaissons depuis Mounier. Dans Développer la richesse... où il est dit que "l'Avoir doit être subordonné à l'Etre" (cf. présentation), ce thème, qui est le poumon de l'ouvrage, est une reprise mécanique de Gabriel Marcel. Celui-ci, parlant de connaturalité entre le Qui et le Quid, préconise d'éliminer la distance et l'extrériorité qui semblent opposer ces deux notions, il faudrait arriver à objectiver l'Etre, au mieux à "transformer l'Avoir en Etre". Quant aux deux autres concepts que Njoh emploie : la médiocrité et l'excellence, c'est une reprise gauchie de Nietzsche. Le thème du combat contre la médiocrité sillonne toute l'oeuvre de Nietzsche (les luttes de Zarathoustra contre la "massification", "deviens qui tu es" dans Ainsi parlait Zarathoustra, "deviens ce que tu es "dans Le Gai savoir ). S'agissant du thème de "l’excellence", c'est le "Surhomme" de Nietzsche falsifié. Falsifié parce que "l'excellence" de Njoh conseille un retour au culte de l'intériorité, alors que la sortie hors du "brave bétail grégaire" (Ecce Homo) implique l'introduction du "dehors" et de "l'hétérogène" dans nos façons de penser et d'agir, ce qui n'a rien à voir avec une intériorité hypostasiante conseillée par Njoh. Le philosophe qui indique où est "l'excellence" et où se loge "la médiocrité", exprime une attitude propre à notre modernité : le cléricalisme cynique.

98 En Afrique noire, les élites ont confisqué le dire en se constituant en une oligarchie (coupée des "médiocres") qui s'estime par nature destinée à dire et à décider pour la société. Sélectionnée par les appareils (universitaires et politiques), elle (l'élite) parle de l'Homme aux hommes avec une condescendance bienveillante, un cynisme aimable et un sourire bien élevé. Ce faisant, elle considère que d'un côté il y a la médiocrité et de l'autre l'excellence. Ce schéma dualiste, binaire et franchement manichéen est inconsciemment un réflexe politique d'une période qui a structuré nos schèmes intellectuels, à savoir la guerre froide : d'un côté les preux et, de l'autre, les nuis. Le brouillage des schémas, le déplacement des repères et l'extrême fluidité de notre histoire pourraient nous empêcher de nager dans cette illusion du panoptique, où l'intellectuel, parce qu’il a saisi une petite face du devenir, croit maîtriser celui-ci à travers le concept.

99 La position de Njoh fait penser à ces "prêtres masqués" dont parle Nietzsche. "Le philosophe enseigne les qualités qui lui sont propres comme les seules qualités nécessaires pour arriver au bien supérieur (...) Il laisse s'élever graduellement toutes les espèces d'hommes, jusqu'à ce qu'elles aient atteint son type, le type supérieur. Il méprise ce qui est généralement apprécié ; il ouvre un gouffre entre les valeurs supérieures du prêtre et les valeurs du monde. Il sait ce qui est vrai, ce qui est le but, ce qui est le chemin... Le philosophe-type est ici dogmatique absolu" 81 . Culpabiliser les pratiques de la "métis" comme étant "médiocres" et s'élever vers "l'excellence" est une ruse du cléricalisme : "les prêtres - et, avec les demi-prêtres les philosophes, ont appelé... vérité une doctrine dont l'effet éducateur était bienfaisant... une doctrine qui rendait "meilleur". Ils ressemblent par là... à un faiseur de miracle sorti du peuple, qui, parce qu'il s'est servi d'un poison comme remède nie que c'est un poison... Vous les reconnaîtrez à leurs fruits" 82 (Nietzsche, op. cit, p. 271). L'excellence et la médiocrité sont des figures processuelles qui, dans leur présence, exprimeraient leur absence. L'excellence serait ainsi, non seulement sa propre absence, mais un moment et une figure du déploiement de la médiocrité. Et celle-ci se déclinerait comme "image-essai" (E. Bloch) de l'excellence. Ainsi comprise, la médiocrité serait alors l'action par laquelle les "sans-espoir", reconnaissant la règle truquée du jeu social et la comédie des surfaces, bifurquent pour rester "hors-jeu" et inventer un lieu qui est pour l'instant un "non-encore" (nondum).

100 Un discours qui dicte au peuple les critères de "l'excellence" peut-il se considérer comme une institution qui doit non seulement mettre en marche le mouvement du négatif, mais se saisir comme un moment appelé à être dépassé ? La forme d'écriture reflète un certain esprit suffisant de l'intellectuel qui, sautant au-dessus de toutes les méconnaissances et ruses du système, opère donc une douce réconciliation entre le Sujet et le réel décadent.

101 A travers le problème de l'écriture se profile l'examen de la place de l'intellectuel dans l'économie du devenir africain. Les intellectuels qui disputent avec l'Etat post-colonial le rôle de "phares", de "klaxons-avertisseurs solennels", détiennent aujourd'hui un pouvoir en Afrique : "celui du discours", de la parole. Se sont-ils interrogés pour savoir si c'est leur seul talent qui leur ouvre toutes grandes les portes des mass-médias ? Se demandent-ils qui est aujourd'hui exclu de la prise de parole, alors qu'eux ne cessent de s'expliquer sur leurs motivations, ce qu'ils souhaitent, ce que doit être le devenir de l'Afrique, etc... ? Se sont-ils interrogés sur le "lieu de leur discours" ? Articulent-ils leur discours sur la place qu'ils occupent à l'intérieur du procès de production ? Analysent-ils la place du Nègre dans le monde au XXI. siècle ? Se posent-ils des questions sur un certain libéralisme qu'on présente aujourd'hui, à la suite de la faillite du marxisme autoritaire, comme la clé de la réussite ? Aucun de ces philosophes ne montre très clairement que son discours est d'abord une hypo-thèse, une erreur et que, finalement, le travail d'élucidation qui compose les diverses strates de leurs thèses n'est qu'un fragment mal assuré parce qu'en attente d'un dehors et promesse d'une future fragmentation. Une écriture philosophique sacerdotale est celle qui critique sans montrer en quoi elle-même peut être une impasse. Dans un opéra inachevé et composé en 1930 par Schönberg : Moïse et Aaron 83 , se lit cette impossibilité qui arrive à toute pensée de s'incarner dans la parole (et surtout dans l'écrit). Dans cette oeuvre, l'Idée et le Réel sont confrontés : Moïse "sachant penser mais non parler", et Aaron étant "parole et action". L'antagonisme et l'impasse résident entre la pensée et les images (peu importe que celles-ci soient iconographiques ou graphiques) qui prétendent la relayer. Moïse s'exclame : "...Ainsi je suis battu... Ainsi tout ce que j'ai pensé était insensé... O Parole, toi, parole qui me manques !". En vue d'une ouverture de son discours, le philosophe africain devrait arriver à cette impossiblité et reconnaître comme Moïse de Schönberg dans cet inachèvement de son dire une force stimulant le non-encore. Si la majorité des intellectuels africains sont muets sur ces questions, il faut quand même voir qui est exclu de leurs discours.

II.2.g. La "géronto-phallo-sophie" : la démasculinisation des philosphèmes

102 La philosophie telle qu'elle est pratiquée en Afrique est un discours de maîtrise, car elle fonctionne de manière patriarcale. Celle-ci est entendue au double sens de gouvernement des Pères (ceux qui sont âgés !) et d'autorité des hommes (homme au sens latin de "vir"). Ce qui est omis, c'est le discours de l'enfant et celui des femmes.

103 En Afrique, le logos des philosophes a omis, non pas de parler de l'enfant -les brillantes thèses en matière de didactique des langues étrangères le font- mais de laisser parler les enfants. Sans doute, une vieille tradition philosophique occidentale ne laisse que peu de place à la parole de l'enfant -celui-ci étant supposé être une pâte à informer dont la seule activité ne sera que la répétition des modèles des adultes- mais la philosophie africaine s'appuie sur un indécrottable réflexe inconscient tapi sur la "grande tradition" du respect des "vieux". Le silence de (imposé à...) l'enfant sécurise cette philosophie africaine. L'interrogation de l'enfant qui, dans son processus de socialisation, navigue entre le réel, la fiction et l'imaginaire peut constituer un terreau de possibilités pour l'avenir du non-encore. Du "trivium" au "quadrivium", l'enfant en Occident n'avait de tête que pour recevoir la violence symbolique des institutions.

104 Mais cette philosophie "gérontocratique" qui exclut les enfants dans l'espace de parole est aussi autoritaire, car elle se conjugue au masculin 84 , c'est-qu'on pardonne le barbarisme -une "phallosophie". L'absence du discours sexuel dans l'économie de la philosophie africaine est assez curieux. Certes, le discours philosophique africain a plus ou moins été nourri dans les schèmes patriarcaux de la philosophie occidentale qui vient seulement de prendre en considération (assez tardivement) le problème sexuel. Aucun texte de philosophie africaine contemporaine, à notre connaissance, n'explore les problèmes africains sous l'angle de l'inconscient. Ils ne parlent pas de sexualité. Tout se passe comme si le problème sexuel et la cohorte des désublimations répressives qu'il permet de mettre à jour n'importaient pas. Quand il leur arrive de faire allusion à la sexualité, c'est pour la rabattre sur une analyse moralisante, pharisienne et superficielle où l'on condamne la prostitution, la polygamie, la dot 85 , alors qu'il faudrait discriminer la "sexuation" du discours en philosophie ainsi que la "masculinisation" des philosophèmes qui permettent à ces philosophes africains d'appréhender la société. Il s'agit moins de "moraliser" les rapports avec les femmes, de se poser en donneur de leçons que de "démasculiniser" (c'est-à-dire se déposséder du pouvoir) ce pouvoir symbolique par lequel on a prise sur le réel africain. Et ceci en réinstaurant un nouveau "contrat socio-symbolique" avec le féminin ; position qui ferait voler en éclat les codes et le langage philosophiques ambiants pour trouver un nouveau discours.

105 En ce qu'elle ne laisse pas la parole aux "exclus" du discours que sont les femmes et les enfants, la philosophie négro-africaine mime les mêmes schèmes autoritaires d'une philosophie occidentale qui n'a laissé que très peu de place au cours de son histoire à la femme et à l'enfant. Le discours philosophique africain a une pratique d'exclusion et un discours de maîtrise. Un discours de maîtrise est celui qui refuse la Négativité, un discours autosuffisant qui, par sa forme d'écriture, fige le devenir.

II.2.h. Citation et déontologie

106 Quand on écrit, le désir fonctionne à plusieurs niveaux. On peut écrire pour satisfaire au "désir d'éternité" (selon la belle formule de Ferdinand Alquié !). Au-delà de sa forme commerciale d'objet d'échange, l'écriture reste pour le Sujet ce qui, après sa mort, se transmettra de générations en générations, ad infinitum. Par l'écriture, il y a comme une recherche d'éternité du Sujet et une quête d’éternité de l'écriture. Chaque lettre est interprétée comme un objet qui divinise/éternise le souvenir de son auteur.

107 L'écrit entre aussi dans les stratégies de pouvoir et peut garantir un contrat. Celui-ci peut être de nature explicite (économique, politique, historique) ou implicite. Quand il devient implicite, le contrat s'investit dans la croyance. Le contrat implicite de croyance est reglé non pas par des protagonistes présents dans l'acte interlocutif, mais par la place qu'ils occupent au sein du procès interlocutif. Ce contrat implicite de croyance fait que dans une salle de classe, sans avoir placé un mot, le professeur est légitimé a priori comme détenteur du savoir, entre lui et ses élèves il y a un "contrat implicite de croyance" qui circule. Ce contrat de croyance lie le plus souvent le lecteur à un livre, d'ailleurs, comme l'avertit Lacan : "lier et lire, c'est les mêmes lettres, faites y attention" 86 . Cette liaison presqu'affective à un auteur prend diverses formes selon que ce dernier occupe ou non une place de dignitaire dans l'échiquier du savoir. Ceci rend souvent difficile la mise en perspective de certaines oeuvres, car elles sont légitimées a priori par le cotexte (l'environnement verbal) et le contexte (l'environnement situationnel) qui perpétuent le "contrat implicite de croyance". Ce contrat implicite de croyance lie les lecteurs à La crise du Muntu d'Eboussi Boulaga. La critique de ce livre peut être empêchée par le cotexte prompt à développer un sophisme ad ignorantiam. Celui-ci mise sur "l'ignorance en ce qui concerne les raisons de croire le contraire de ce qui est avancé" 87 , ignorance basée sur notre manque d'informations sur le sujet donné. "L'oeuvre X (La crise du Muntu) n'a jamais eu de critique, donc elle est irréprochable". En fait, cette attitude dérive de notre ignorance des preuves qui peuvent invalider les thèses de l'oeuvre X (La crise du Muntu). L'environnement verbal peut aussi produire un sophisme ad populem  : on essaye alors de (se) persuader en faisant appel à l'émotion. C'est une non-argumentation qui recourt au pathos en invoquant "à l'appui d’un point de vue les éléments culturels jouissant d'un grand prestige, mais, qui, en eux-mêmes ne constituent pas une raison... rigoureuse d'adhérer à ce point de vue" 88 . Ce sophisme peut exploiter les prestiges liés à la modernité et à la tradition. Les notions de "crise" et "d’authenticité" qu'utilise Eboussi dans La crise du Muntu correspondent aux grands besoins de la modernité africaine dont tout le monde s'accorde à y décéler la crise. Alors, au nom de quoi ne justifierait-on pas une oeuvre qui fait appel et qui traite de la crise et de l'authenticité ? Critiquer La crise du Muntu serait nier cette "crise" et refuser "l'authenticité" !

108 Si l’environnement verbal (le cotexte) qui entoure La crise du Muntu peut engendrer des sophismes "ad ignorantiam" et "ad populem”, l'environnement situationnel (le contexte) pourrait faire surgir le sophisme "tu quoque”. Ce dernier refuserait une critique dirigée contre La crise du Muntu en la retournant contre celui qui ose critiquer ce livre. Par exemple, certains aspects du livre sont du plagiat et la réplique sera : "les passages du tien aussi". C’est un argument qui rejette à la face de l'autre la critique qu'il nous a formulée. Sans parvenir à le réfuter, on se contente de dire, "... lui aussi fait la même chose". Ce sophisme "tu quoque" (toi aussi) peut parfois prendre l'aspect d'une attaque contre la personne 89 . L'exemple pourrait être celui-ci, La crise du Muntu est souvent un plagiat, la réponse serait :"voyez un peu qui dit cela... lui aussi ? " 90 . Le contexte favorise aussi une position relevant du sophisme ad misericordiam. Ce dernier convoque la pitié, en invoquant la gentillesse d'un auteur pour ne pas critiquer l'oeuvre de celui-ci : "tu ne peux pas dire ça du livre X, son auteur est si gentil", "qu'est-ce l'auteur de La crise du Muntu lui a fait pour qu'il puisse critiquer son livre ? ". Comme dans le cas de l'attaque ad hominem, nous passons subrepticement de l'oeuvre à critiquer à la personnalité/crédibilité de l'auteur et du lecteur. Parfois, le sophisme ad misericordiam peut être secondé par le sophisme ad baculum (baculum en latin veut dire bâton), par ce dernier, on tente de faire accepter une idée en usant de la force et de l'intimidation. On peut illustrer ce sophisme de la façon suivante : "en critiquant le livre X, tu devrais tenir compte de ce que tu auras contre toi comme critique". La texture de l'oeuvre à examiner dans tous les cas est laissée de côté au profit des considérations liées à la situation de l'oeuvre. L’argument consistant à affaiblir l'interlocuteur par le recours à la compétence (supposée ou vraie !) ou à l'autorité de l'auteur sera un sorte de sophisme ad verecundiam. Celui-ci laisse de côté le texte pour décréter la vérité de l'oeuvre en s'appuyant sur les compétences et les attributs de l'auteur ou sur les compétences et le prestige de celui qui déclare la vérité de ce texte. "Oser critiquer l'oeuvre X, mais son auteur est professeur agrégé, il est internationalement connu !".

109 Nous nous proposons de mettre en perspective La crise du Muntu sur un aspect précis : son rapport à la citation. Sur 237 pages on cherche en vain les référents qui, pourtant, sont plus que présents. La crise du Muntu est un puzzle dans lequel la copie, le plagiat et le pastiche se disputent.

110 Nous y dénotons alors la "copie". Celle-ci "se distingue... de la reproduction en ce qu'elle demande l'intervention d'un nouveau réalisateur qui effectue une seconde oeuvre d'après la première, c'est pourquoi la manière dont il aura vu, lu, compris l'original... empêche la copie d'être rigoureusement identique à l'original" 91 . Eboussi copie, il ne reproduit pas, il intègre ce que les autres ont dit sans les citer. Des exemples abondent. La troisième proposition de sa problématique (p. 11) stipule : " l'abstraction des conditions de naissance et d'excercice des discours à prétention philosophique, les transforme en principes déterminants dans la construction philosophique : celle-ci devient ainsi une idéologie au service des rapports de force que la prise en considération des conditions aurait manifesté". Pourquoi Eboussi ne dit pas qu'il reprend l'argument principal de L'Idéologie allemande de Marx, puisqu'avant lui, Marx a qualifié d'idéologique toute institution (y compris la philosophie) qui occulte ses "conditions de naissance", sa manière d'être produite et reproduite ? Dans les pages 118-119, où il traite de "la logique de l'appartenance", Eboussi fait l'analyse du "Menon" de Platon et arrive à cette constatation : "ce petit esclave pense-t-il vraiment par lui-même ? N'est-il pas vrai que le dialogue avec Socrate est fictif ? C'est Socrate qui invente les questions, et il les pose de telle manière que l'autre n'a plus qu'à acquiescer", p. 119. Cette critique de Socrate n'est pas d'Eboussi, mais de Nietzsche. Observons les figures de Socrate chez Nietzsche et nous retrouvons cette "analyse" d'Eboussi dans Naissance de la tragédie et La philosophie de l'époque tragique des grecs. A la page 129, Eboussi fait une observation sur le mot "philosophique" qui devient un article de commerce : "la marchandise est ici une certaine littérature" p. 129. Nous reconnaissons là la critique de la "Kulturindustrie" faite par Adorno et Horkheimer vers les années 1940. Pour ceux-ci, l'industrie de la culture avait réduit la littérature, la peinture, la musique en articles de vente dans le marché des biens symboliques (Cf. La dialectique de la raison ). Comment ne pas voir une reprise des analyses de Ricoeur sur la métaphore dans les pages 57 et 58 ? Comment ne pas surprendre une reprise de Merleau-Ponty dans La phénoménologie de la perception, (Paris, 1945 réed. 1983 1er paragraphe p. 251) avec cette phrase qu'Eboussi développe en page 211 : "le sentir est la communication originelle avec le monde" ? Comment ne pas penser à Marcuse de La fin de l’utopie avec des phrases comme "le rêve et l'utopie... sont des forces de transformation plus puissantes qu'une rationalité qui ne se comprend pas elle-même", p. 215 ? La critique d'une rationalité instrumentale (Eboussi est parmi les rares Africains à la faire) que nous retrouvons à la page 215 : "une rationalité qui... se donne une éternité illusoire parce qu'abstraite et intemporelle plus qu'une rationalité serve, parce qu'elle est raison entravée et bloquée", c'est la vieille critique de Nietzsche reprise par l'Ecole de Francfort vers les années 1940 (Cf. Horkheimer, L'éclipse de la raison ).

111 Quand Eboussi traite de la question linguistique (pp. 132-133), il décrit les aberrations du fantasme du colonisé à savoir parler la langue du colonisateur, et la dictature de l'écrit sur "l'oral". Il note que la raison coloniale "est grammairienne" (p. 133), "lexicale" (p. 133) et surtout que cette "raison grammairienne, normative et prescriptive" (p. 134) aboutit à une "grammmaire" comme "science paradigmatique de la raison coloniale” (p. 134). Pourquoi Eboussi n'avoue-t-il pas qu'il reprend ici les analyses de Michel de Certeau sur les rapports entre les langues dominantes et les langues dominées ? Que la grammaire exerce des "prescriptions", "ordonne", "légitime" (p. 134), c'est bien de Certeau qui, bien avant Eboussi, a dénoncé cette législature. Parlant du "français gélé dans les livres" ( La culture au pluriel, Paris, 1974. p. 141), de Certeau pense que "la langue des maîtres" (p. 141) tend à "substituer la multiplication des pratiques actuelles à la préservation d'une origine législative dont les grammaires exerçeraient la magistrature" p. 141. Ces analyses seront complétées quand de Certeau expliquera la brimade que le français a exercé sur le basque et le breton (voir de Certeau, J. Revel, D. Julia, Une politique de la langue )

112 La notion de rire qui est utilisée tout au long de La crise du Muntu est nietzschéenne. "L'éclat de rire (qui) produit une faille dans le sérieux compact d'un discours..."(Eboussi, p. 132) nous rappelle la fonction corrosive du rire dans Le gai savoir de Nietzsche (liv. IV, 327, "Prendre au sérieux").

113 S'agissant de la notion de mémoire vigilante et du refus du "triomphalisme historique" dont parle Eboussi à la page 154, c'est un thème que nous retrouvons déjà vers les années 1935-1940". "Brosser l'histoire à rebrousse-poil" était pour Walter Benjamin la lutte contre une vision historiciste, continuiste et triomphaliste de l'histoire. Quand Eboussi dit : "celle-ci (l'histoire) n'est pas une épopée de part en part. La servitude initiale doit être reconnue, elle ne doit pas être attribuée uniquement à des forces extérieures" (p. 154), comment ne pas penser à cette phrase de Benjamin : "Il n'est aucun document de la culture qui ne soit aussi document de barbarie. Et la même barbarie qui les affecte, affecte tout aussi bien le processus de leur transmission de main en main !” ( Essais, p. 199). Parfois on croit entendre l'ontologie fondamentale de Heidegger, la copie est si bien faite qu'Eboussi imite Heidegger jusqu'aux définitions circulaires. Comment définit-il "l'origine" ? L'origine c'est la permanence de l'origine !" L'origine dont il est question n'est pas le commencement, mais l'actualité en tant que permanence de l'origine" p. 212. De l'origine nous aboutissons à l'origine ! Quid de l'origine ?

114 L'oeuvre entière donne l'impression d’un pastiche très cohérent. Nous employons pastiche au sens du XVIII. siècle français : "on nomma pastiches, les opéras formés par la réunion de plusieurs morceaux appartenant à différents ouvrages" 92 .

115 Parfois, il s'agit tout simplement du plagiat. "Le plagiaire (c'est) celui qui fait passer pour sienne l'oeuvre d'autrui. Le véritable auteur est donc frustré du profit ou de la réputation qui lui seraient revenus... le plagiat n'est pas seulement une malhonnêteté ; c'est aussi une dévalorisation de l'oeuvre du plagiaire... Le plagiat se distingue 1, de la citation, car celle-ci est attribuée à son auteur 2, de la documentation, qui entre dans le travail nouveau et original 3, de l'adaptation car l'oeuvre adaptée est modifiée et d'ailleurs son auteur est reconnu". 93 Chez Eboussi, dans A contretemps (Paris, 1991), le plagiat est plus que criant. Dans la dernière partie de ce livre intitulée "l'agir", l'auteur reproche à un autre auteur l'usage abusif de la citation et utilise avec mesure ses sources. Il cite Michel de Certeau (pp. 245, 248), Michel Foucault (pp. 224, 248), Wittgenstein (p. 253), Rowlands et Warnier (p. 255), Léo Strauss (p. 256), Ignace de Loyola (pp. 257, 258), Kierkegaard (p. 259), Merleau-Ponty (p. 260), Péguy (p. 261). Mais, fidèle à la procédure du plagiat, il cite et utilise les termes d'autrui sans revéler ses sources. A la page 242 dans laquelle l'auteur étudie le dogme comme énoncé, nous y reconnaissons les analyses de Saül Kripke dans la Logique des noms propres, Paris, 1980. Le terme de "désignateur rigide" qu'Eboussi utilise, bien que mis entre guillemets, est de Kripke. Pourquoi Eboussi n'a pas signalé-en mettant entre parenthèses le nom de Kripke, comme il le fait en page 247 concernant René Thom-que ce terme n'est pas de lui ? 94 En page 246, Eboussi indique le vieux thème de "l'impossibilité du langage" que nous connaissons depuis les tergiversations des sceptiques jusqu'à la théologie négative. Eboussi dit : "nous heurtant aux quatre "impossibilités du langage" qui affligeaient les écrivains juifs de l'époque et de la culture de Kafka : "... l'impossibilité de ne pas écrire, l'impossibilité d'écrire en allemand, l'impossibilité d'écrire dans une autre langue, ce à quoi on pourrait ajouter l'impossibilité d'écrire....". Cette citation laissée ainsi, le lecteur pourrait croire qu'Eboussi cite Kafka puisqu'il utilise les guillemets. On pourrait aussi suggérer qu'Eboussi "adapte" cette citation à partir de l'oeuvre de Kafka qu'il a peut-être lue. Mais, ne signalant pas dans quelle oeuvre (de Kafka) il a puisé cette citation, une question s'est posé, pourquoi cite-til ailleurs en mettant l'oeuvre et les références et, dans ce cas précis, il n'indique rien ? Dans quelle oeuvre de Kafka puise-t-il cette citation ? Recherches faites, ce n'est pas une citation de Kafka, c'est plutôt un commentaire de Deleuze sur Kafka qu'Eboussi plagie en taisant le nom de Deleuze. Il fait comme si c'était sa lecture de Kafka alors que c'est bien le commentaire deleuzien qui est reproduit de manière tronquée (car Eboussi change le verbe parler en verbe écrire). Deleuze dit : "Il faut parler de la création comme traçant son chemin entre les impossibilités... C'est Kafka qui expliquait : l'impossibilité pour un écrivain juif de parler allemand, l'impossibilité de parler tchèque, l'impossibilité de ne pas parler. Pierre Perrault retrouve le problème : impossibilité de ne pas parler, de ne parler anglais, de parler français..." Pourparlers, Paris, 1990, p. 182. Nous signalons que le texte d’Eboussi est paru en 1991, chronologiquement Eboussi a eu en main ce texte de Deleuze. C’est la même citation que nous retrouvons chez Eboussi (p. 246) mais très falsifiée. Peut-être devrions-nous nous poser cette question de Jacques D'Hondt concernant Hegel ? "Faut-il surveiller les lectures des philosophes ? On n'exige pas habituellement qu'ils les confessent. Mais c'est dommage... car la connaissance de ce qu'ils lisent faciliterait souvent l'intelligence de ce qu'ils disent. Parfois, une inflexion surprenante de leur discours laisse soupçonner qu'ils reprennent la parole d'un autre sans prévenir. Ils la transposent, et elle devient comme un écho brisé, presqu'indéchiffrable. L'énigme des formules ne se délie que si l'on retrouve le texte original." (Avant Propos, Hegel secret, 2. éd, Paris, 1968, p. l). La crise du Muntu nous a semblé l'une des rares oeuvres de philosophie africaine où nous trouvons une esquisse de pensée anatreptique (autoréfutatrice). Eboussi indique que son livre n'est pas l'unique voie d’accès au vrai (p. 218), et que "l'appel à l'existence raisonnable" que fait le philosophe "sonnerait comme un message de salut" (p. 232), la relativité de sa position ne justifierait pas "un privilège aussi exorbitant" (p. 233). Finalement, cette pensée (de la crise) "confesse sa modestie et sa banalité originelles, en se reconnaissant comme oubli surmonté, tentation refusée ou mieux à surmonter.... pour une franche acceptation des limites et de la mortalité... de ce qui est, à commencer et à finir par soi-même" (p. 236). Ces très belles paroles d'Eboussi qui nous rappellent Nietzsche (Cf. Les doctrinaires du but de l'existence, dans Le gai savoir ) sont à méditer. Mais La crise du Muntu se ferme à cette ouverture esquissée et traduit la clôture. Clôture, parce que ce texte est comme la plupart en philosophie africaine, un texte de "rétention anale", gage d'efficacité théorique et de politesse philosophique. Ce texte ne laisse pas parler le fantasme, il ne parle pas de ces fonctions corporelles par lesquelles le corps s'exprime. Rien n'est dit sur le sexe et ses montages rhétorico-politico-symboliques en Afrique. Semblable à un Sujet bien élévé qui serre ses concavités anales pour ne pas laisser s'échapper un gaz, le philosophe nègre serre ses neurones pour ne pas laisser sortir le bouillonnement fantasmatique constitutif de chaque subjectivité. Discours de maîtrise qui ne laisse s'exprimer ni les femmes, ni les enfants, ni même le peuple. Pratique patriarcale qui pense en place et lieu des "exclus". Plaidoyer qui souligne ses limites mais au nom d'une vérité que le texte défend. Pourquoi n'avoir pas reconnu que le texte ( La crise du Muntu  !) est une erreur  ? Errer c'est s'ouvrir au possible. L'erreur n'est-elle pas une modalité du vivre ? Pourquoi se laisser enchaîner dans la mystique de la vérité ? Laquelle ? Depuis les années 60 les politiciens et les intellectuels ont confisqué la parole en Afrique. Une transformation des clameurs populaires en énoncés doctes est en Afrique un mensonge ! 95 La crise du Muntu brise plusieurs idoles, mais n'arrive pas à briser sa propre idole qui est son propre discours à travers un démembrement formel. Celui-ci, à travers les décrochages syntaxiques, les séries interrogatives ponctuées d'oxymores, les fragments romancés dans une diversité contrastive de tons, la polyphonie discontinue, ouvre le Sujet philosophant/fantasmant à l'inconnu. Au contraire, le fait de ne pas briser l'écriture obéit à l'illusion continuiste et identitaire. Celle-ci suppose a) que le Sujet écrivant est identité et pure présence à soi et, b) que le texte philosophique produit de cette identité serait une totalité non fissurée n'admettant aucune incohérence. Tout texte, et a fortiori un texte philosophique, devrait être bâti comme une "hyphologie" (hyphos, tissu de la toile d'araignée en grec) 96 . Roland Barthes insiste sur ce fait que le "texte veut dire tissu" 97 donc diversité et hétérogénéité des fibres/strates.

116 A travers cette écriture qui refuse l'incohérence d'une syntaxe syncopée, quand le philosophe africain évite l’inintelligibilité, le manque d'ordre et le chaos, quand son discours philosophique n'est pas ponctué par des interpolations diverses, des kyrielles et des paradoxes, il ne fait que traduire l'esprit de système (qui est dans une certaine mesure l’esprit du système !) se caractérisant par une continuité narrative. "L'esprit de système" avec ses modélisations dissertatives et ses logicités abstraites, articule la vieille "dispositio" rhétorique. Sa hantise est l'équilibre mutuel des parties d'un texte et, sa vérité se soude à un finalisme d'une pensée téléologique qui sait toujours ce qu'elle cherche, où elle va, quel est le lieu et le but de son discours. L'exposition paratactique et anatreptique -jouant sur des substitutions instantanées, des brisures, des répétitions, des destructions, des modélisations éphémères avec une mosaïque de débuts et de fins- inquiète, car elle révèle à chaque auteur muré dans sa suffisance que son savoir est incomplétude. Dans son rapport à la réalité, le concept bute sur des disruptions qui révèlent la liaison opaque entre son ipséité et sa matérialisation scripturaire. En parlant de la crise du Muntu, de nos langues, de notre rapport à la modernité et de la religiosité des Etats post-coloniaux, il faudrait peut-être essayer de le dire en désarticulant notre dire, afin de réhabiliter l'idée d'inconnu à notre savoir triomphant.

117 L'identité du Sujet nègre qui croit articuler des raisons (comme s'il était unité) se veut une identité différenciante qui, dans son travail de totalisation interne, indique qu'elle est affirmation parce que négation, présence parce qu'absence, articulation parce que désarticulation, savoir parce que et à cause de l'ignorance. Cette structure antithétique/fragmentaire cohabite donc au sein d'un même qui n'est déjà plus même mais autre parce qu'étant en voie d'altération et de fragmentation.

118 Quand le Sujet philosophant écrit, il vacille parce qu'il accède, comme dirait Lacan, dans l'ordre du symbolique. Le Sujet n'y apparaît que comme "éclipse de Sujet". En écrivant, le Sujet rejoue parfois le drame de l'impossibilité de sa condition, drame dans lequel la scène de l'écriture se donne comme une mise en abyme où le Sujet et l'objet de son discours adviennent sous forme d'une absence/présence. "Le réel ne saurait s'inscrire que d'une impasse de la formalisation" 98 . Le philosophe n'est confronté aux concepts que dans l'acte même de les manquer, il faudrait bien -et c'est valable pour la plupart des intellectuels quand ils parlent doctement-reconsidérer l'écriture comme le suspens et la suspension du sens. Ecrire et articuler les concepts désignent le paradoxe consistant à trouver dans l'absence le lieu même de la communication.

119 Un livre ne vaut pas seulement par ce qu'il dit (son champ), mais aussi par ce qu'il ne dit pas ou n'a pas su dire (tout le hors-champ). La crise du Muntu se légitime donc par ce qu'il ne dit pas (son hors-champ) et par des "structures d'appel" (W. Iser) qu'il secrète à travers la pluralité des thèmes abordés. Ce que nous voulions souligner, c'est le respect des règles de déontologie quant à l'appropriation et à l'utilisation des thématiques et tics de langage élaborés par d’autres : une simple affaire d'honnêteté intellectuelle. A moins que La crise du Muntu, violant les codes de la tradition constituée en philosophie avec sa manie des renvois, des filiations, des citations, des sources et paradigmes, inaugure un genre qui existe déjà dans les arts : les collages. En arts plastiques, les artistes dadaïstes ont utilisé les collages pour lutter contre la tendance mimétique en peinture. Dans la musique contemporaine, le collage s'appelle "citation" et sert à introduire des éléments composites dans l'oeuvre. Ce qui a pour but de briser l'unité de celle-ci en mettant un peu de "hasard" dans le continuum musical. Concernant les procédés d'écriture, le collage consiste à insérer dans un roman des lettres écrites par des inconnus de la rue, des prospectus et des slogans. C'est ainsi que sont construits certains romans d'Aragon et de Breton. Si c'est bien une philosophie des collages que préconise La crise du Muntu, au moins, cette oeuvre doit signaler qu'elle emprunte ailleurs-l'esthétique des collages avoue ses emprunts et ne prétend en aucun cas dissoudre l'emprunt dans la création initialeafin que le lecteur soit averti. C'est une précaution pédagogique de citer et de ne pas cacher le référent. Le poète, le musicien et le romancier qui "collent" ne cachent pas qu'ils "collent", ils le proclament parce qu'ils veulent briser la logique unitaire et continuiste. L'oeuvre est toujours appelée à être transmise aux générations futures, cette déontologie de l'emprunt-qui est très bien représentée dans l'opéra Votre Faust de Michel Butor et Henri Pousseur-devrait être respectée afin que les futurs lecteurs puissent distinguer dans La crise du Muntu le texte, ses emprunts et ses réfutations. Le texte de La crise du Muntu, en réalisant l'exploit de parler des autres et par d’autres sans les citer participe à l'illusion continuiste, car la citation rompt la linéarité de la pensée de l'écrivain 99 . L'acte d'écriture comporte des dangers dont celui de citer ses sources. Citer ses référents devient souvent un danger dans la mesure où l'on voit ce que l'on croit savoir se transmuer en non-savoir (c'est-à-dire, en savoir d'autrui, en un savoir déjà formulé ailleurs et qui ne nous est pas propre !). La crise du Muntu, en ne citant pas ses sources, exprime cette angoisse inconsciente de se voir retourné en non-savoir, en savoir d'autrui. Au-delà de la peur inconsciente de se découvrir non-savant, se profile une attitude autoritaire très utilisée par les politiques : la mise-en-silence. Cette politique de mise-en-silence se traduit comme suit : "on dit X pour ne pas (laisser) dire Y" 100 . Les tactiques de la domination utilisent le silence, les "sans-espoir" aussi. En tant que figure autoritaire, la mise-en-silence peut aussi s'investir dans les manières d'écrire. Il y a un silence qui fait taire la voix de l'autre, et "un silence du plagiat, où vient s'effacer sous son propre nom la voix du Sujet qui énonce" 101 . Le plagiaire, en ne citant pas ses sources, impose un silence à celles-ci et, imposer le silence à ses sources pour faire triompher sa propre voix est un procédé politique autoritaire. Les Etats autoritaires ne font rien d'autre que d’étouffer les autres voix. Le plagiaire est peu ou prou un autoritaire. "Savoir faire et savoir montrer, c'est double savoir" 102 , par conséquent savoir écrire, c'est aussi savoir montrer où on a puisé ses sources.

120 Cette partie avait pour but de surprendre les diverses stratégies par lesquelles un devenir historique autre s'efface. Une lutte se fait jour dans l’espace public africain entre un imaginaire instituant et la gestation du non-encore-advenu. A quelles conditions, dans l'optique de la Théorie Critique, l’avènement du possible dans la temporalité peut-il s'effectuer ? Les critiques formulées à l'égard de l’organisation instrumentale du réel négro-africain n’avaient pas pour but de verser dans "l"afro-pessimisme" ou dans "le tribal-populisme". Ce que nous voulions souligner, c'est que plusieurs fondements subsistent dans cette société africaine, cependant le contenu de ceux-ci n’est ni définitif, ni déterminé, mais au contraire ouvert à l’inachèvement, ils demandent à chaque fois une re-construction. Dans la philosophie africaine, un travail intéressant s’est fait 103 et notre intervention a consisté à mettre en garde les textes de cette philosophie contre les méconnaissances des institutions, y compris l’institution de la critique. Ces oeuvres, comme toute oeuvre d'art, comportent des lacunes. Et, en tant que telles, elles sécrètent un "horizon d'attente" (H.R. Jauss) et une "structure d’appel" (W. Iser) qui prouvent leur indéterminité, leur processualité et leur fécondité. L'avenir de l'Etre africain est au prix de la considération du "non-encore"...

Notes de bas de page

1 J. M. Van Parys, "Philosophie en Afrique", Séminaire sur la Philosophie-Africaine à Addis-Abeba (1-3 décembre 1976), Mélanges de philosophie africaine, 1978, pp. 33-69.

2 P.E.A Elungu, "La philosophie Africaine hier et aujourd'hui", op. cit, p. 10.

3 Idem, L'Eveil philosophique africain, Paris, 1986.

4 P.F. Diagne, L'Europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, Dakar, 1981.

5 Ibidem, p. 11.

6 Ibidem, p. 11.

7 A. Aly Dieng, Hegel, Marx et les problèmes d'Afrique Noire, Dakar, 1978 ; le second ouvrage est intitulé, Contribution à l'étude des problèmes philosophiques en Afrique, Paris, 1983.

8 Ibidem, p. 9.

9 Ce que nous appelons "Ecole" n'est pas un groupe de penseurs travaillant dans le même sens. Au sein de la pensée philosophique sénégalaise ou zaïroise, il ya des oppositions, le terme d'Ecole ne devrait donc pas tromper, il sert à caractériser la tendance dominante en philosophie dans ces deux contextes, extrêmement complexes une fois de plus...

10 Azombo-Menda-Meyongo , Précis de philosophie pour l'Afrique, Paris, 1981.

11 On aura remarqué au passage que nous évoquons Teilhard de Chardin. Celui-ci est le fer de lance des africanistes, en commençant par Senghor. Si la présentation de l'histoire en général obéit aux intérêts inavouablement politiques, la représentation et/ou la classification de l'histoire de la philosophie recèle souvent des obstructions. L'une d'entre elles étant de présenter et de désigner un foyer mondial unique de la philosophie (la Grèce pour les uns, l'Egypte pharaonique et nègre pour les autres) ou d'exclure certains peuples de la trajectoire du pélerinage de l'Idée.

12 Hountondji rabâche les mêmes discours sur Tempels, "L'effet Tempels" Encyclopédie philosophique universelle, vol I, L'univers philosophique Sous la dir. d'A. Jacob, Paris, 1989. Pourquoi ne pas aussi caractériser le discours de Tempels du point de vue sexuel ? Certes, son dire était une ruse de la politique coloniale, on peut aussi compléter en ajoutant que c'était aussi une ruse de la phallocratie.

13 Tempels La Philosophie bantoue, Paris, 1957.

14 Présenter/classer la philosophie en Afrique comme un mouvement de dépassement et progressif à l'intérieur de la problématique de l'existence de la philosophie africaine, revient implicitement à opter pour une conception du temps historique qui privilégie dans une certaine mesure la nécessité. Tout se passe comme si la philosophie africaine, par cette "assomption", était appelée, à travers ces dépassements, à un grand dessein, à une certaine Parousie où le Nègre, enfin dressé comme une quille hiératique, exhibera son système des catégories.

15 En débusquant cette idée de progrès derrière la classification des thèmes liés à cette notion, en l'occurrence, l'objet du progrès, le sujet du progrès et l'unité ou l'opposition entre les deux, on peut se demander qui parle du progrès et dans quelles conditions, qui ne veut pas en parler et pourquoi ? Si progrès il y a, quel est son sens véritable. Ce progrès est-il créateur du neuf ou accumulation sur le même ?

16 P. Lantz, "Progrès et Projet", Le progrès en question, vol. 1, Paris, 1978, p. 184. Le progrès suggéré par ces classifications est dangereux parce que, pris de manière radicale, il sert à justifier les politiques mégalomaniaques qui enferment l'Histoire africaine et son devenir dans des frontières autoritairement tracées a priori. Si la contradiction est l'essence même des réalités naturelles et historiques, la philosophie, en tant que produit de ce réel historique, doit épouser les caractères de la contradiction. Ce qui, de facto, doit exclure sa présentation de manière progressivement ascendante et triomphaliste. Ce que les présentateurs de la philosophie en Afrique ne montrent pas, c'est cette lutte qu'il y a au sein de toute philosophie entre les éléments émancipateurs et les pesanteurs de stabilisation.

17 Nous récusons la présentation de J. Smet et Nkombe dans "Panorama de la philosophie", Mélanges de philosophie africaine, Kinshasa, 1978, pp. 263-282. Ces deux auteurs indiquent une structure dite interne et une autre externe. La structure externe dégage les rapports entre la philosophie africaine, le savoir européen et la sagesse africaine ; l'emploi des deux substantifs : savoir (européen) et sagesse (africaine) est dans la droite ligne du senghorisme qui voulut qu'aux uns échût la "Raison analytique", superficielle, déshumanisante, etc..., et aux autres la "grande sagesse" d’une émotion qui dirige vers les profondeurs de la "participation vitale". Ce qui est occulté par cette théorie, c'est l'union du Sujet avec le mana. La structure interne, se compose, quant à elle, d'un courant idéologique, d'un courant de reconnaissance, d'une phase critique et de la variante synthétique. Ce qui semble gênant dans cette présentation, c'est l'amalgame fait entre les oeuvres littéraires (Maryse Condé, Cf. p. 270), les manifestes politiques (Mobutu, Nyéréré, Kaunda, Lumumba cf. pp. 268 et sv.), les ethnologues et les textes de philosophie. Ces différents secteurs, pour les auteurs précités, sont des moments de "grande marche" de la philosophie africaine... vers quels abîmes ?

18 Cf. Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Yaoundé, 1971. F. Eboussi, "Le Bantou problématique", Paris, 1968, La crise du Muntu, Paris, 1977. P. Hountondji, Sur la philosophie africaine, Paris, 1977. S. Adotevi, Négritude et Négrologues, Paris, p. 1972, Elungu P. Elungu , "Authencitité et culture", Revue Zaïroise de psychologie et pédagogie, n. 1, 1973. "La philosophie africaine, hier et aujourd'hui, Mélanges de philosophie africaine, publié par A. J. Smet, Kinshasa, 1978, pp. 9-32. L'éveil philosophique africain, Paris, 1984.

19 Y. Mbargane Guissé , Philosophie, culture et devenir social en Afrique Noire, Dakar, 1979. Ceux qui ont été qualifiés d'ethnophilosophes occupaient bien une place spéciale dans le processus économique (ils étaient en majorité ecclésiastiques les RR. PP. Tempels, V. Mulago, A. Kagame, Makarakiza, Mabona, J. Mbiti, F.M Lufuluabo, Tshiamalenga Ntumba). Leurs places et leurs discours devaient aussi avoir un rapport particulier avec la sexualité.

20 Towa dans une certaine mesure s'est orienté vers cette voie. Il a parfois expliqué que l'ethnophilosophe Tempels a écrit sa Philosophie bantoue pour venir à bout, moyennant l'évangélisation, des révoltes des Nègres chargés de travailler dans les mines et firmes coloniales de l'ancien Congo-Léopoldville. Mais, ce que Towa ne fait pas, c'est analyser certaines catégories de l'économie de marché (l'échange, la valeur, l’investissement...) afin de voir leur transfert, leur réfraction et surtout leur légitimation dans les philosophèmes (idéologèmes) émaillant des textes ethnophilosophiques. Hountondji et Eboussi, eux-aussi, n'utilisent pas cet axe de recherche.

21 Un exemple éclairera l'interrogation que nous formulons à l'égard des promptes critiques de l'ethnophilosophie. La critique qui revient le plus souvent contre l'ethnophilosophie concerne le processus de fétichisation de la culture qu'elle opère. Dans la mesure où la dynamique contradictoire qui existe entre les éléments d'une même culture est occultée, l'ethnophilosophie peut être rejetée. Mais alors, ce concept de fétichisme de la culture africaine ne peut trouver son explication qu'à travers les autres fétichismes : celui de l’Etat autoritaire et l'universalisation de l'aspect marchandise, corollaire du fétichisme de la marchandise. Se limiter à une critique de l'ethnophilosophie en s'arrêtant au seul confusionnisme méthodologique que celle-ci réalise, aux cercles de son expression, relèverait d'une critique idéaliste et romantique (au mauvais sens du mot !). Les cercles qui sont relevés dans le discours et la pratique de l'ethnophilosophie (Cf. F. Eboussi, La crise du Muntu, Paris, 1977, pp. 60-61) devraient aussi s'étendre et rejoindre, ceux non moins importants dans lesquels s'enferment les Etats autoritaires et les économies de marché en Afrique. Si on ne parle, en traitant de l'ethnophilosophie, ni de l'Etat et ses investissements sur le Sujet, ni du sort de celui-ci dans ses désinvestissements/réinvestissements, on abstrait, et on critique l'ethnophilosophie sur un fond de méconnaissance.

22 Nous n'entrerons pas dans le débat trop connu et lassant sur la méthode de ces "ethnophilosophes". Nous signalons : A. Kagame, La philosophie BantuRwandaise de l'Etre, Bruxelles, 1956, La philosophie Bantu comparée, Paris, 1978. Tierrou, Le Nom africain ou langage des traditions, Paris, 1977. F.M. Lufu Luabo, Vers une théodicée Bantu, Tournai, 1961, La notion Luba de l'Etre, Tournai, 1964. Une critique récente met en perspective "l'hypothèse relativiste" concernant la méthode de Kagame dont le côté aristotélicien se "méprend sur sa propre généalogie", Cf. P. Hountondji, "Langues africaines et philosophie : l'hypothèse relativiste", Etudes philosophiques, Paris, n. 4, oct-déc, 1982, p. 393 et sv. Un peu plus loin, il y a une critique violente de Kagame par Mukendi Ntite, "Les langues Africaines et vision du monde", Présence Africaine, n. 103, 3è trim, 1977. Mais d'autres courants fleurissent, entre autres le concordisme égypto-négro-pharaonique. L'enjeu de ce versant du concordisme est simple, si l'Egypte pharaonique/nègre a été le berceau de la civilisation grecque qui donne tant de suffisance et d'arrogance à l’Occident, alors l'établissement des filiations entre l'égyptien ancien et les langues nègres devrait bien restituer au Noir sa fierté et sa dignité.

23 Il s'agit du versant qui regarde vers la Grèce et de celui qui retourne à l'Egypte

24 M.P. Hebga, "L'homme vit aussi de fierté", Présence Africaine, n. 99-100, 3. et 4. trim, 1976, pp. 26-27.

25 Cette proposition est de Y. Mbargane, Philosophie, culture et devenir social en Afrique, p. 135.

26 Cheik Anta Diop a fait une oeuvre archéologique en parlant des rapports entre l'Egypte pharaonique et la culture négro-africaine, mais le risque est grand aujourd'hui chez ses laudateurs d'hypostasier cette oeuvre féconde par la louange inconsidérée de l'Egypte pharaonique. La ruse de l'histoire voudrait souvent qu’un concept fécond soit statufié et monumentalisé par la postérité, l'expurgeant de par le fait même de sa charge explosive. Anta Diop s'est occupé du passé par amour du présent. A nos générations de trouver à cette oeuvre archéologique une dimension proleptique. Une étude, non faite par Anta Diop, peut s'amorcer pour savoir comment cette société négro-africaine gérait le problème de l'exclusion. Tout se passe le plus souvent comme si égypto-négro-africaine, cette société du simple fait qu'elle était de même couleur, vivait sans contradictions. Dans une société -peut-on lire le plus souvent-les niveaux de langues différencient les divers groupes (l’ouvrier de Sarcelles bien que s'exprimant en français parle une langue différente de celle d'un énarque). Comment s'articulait la lutte entre le langage des "sans-espoir" dans cette Egypte-là et celui de l'aristocratie pharaonique ? Quelle était la culture des "sans-espoir" ? Et sous quelles modalités s’investissait l'emblématique dans les stratégies d'hibernation ? Autant de questions qui font de ce rapport négro-africain à l'Egypte tout un programme.

27 L.S. Senghor, Liberté I, Négritude et humanisme, Paris, 1964, pp. 225-226.

28 N. Chomsky, Réflexions sur le langage, trad. J. Milner, Vauterin et Fiala, Paris, 1981, p. 169.

29 H. Lefebvre, Le droit à la ville, suivi de Espace et politique, Paris, 1972, p. 2.

30 Alassane Ndaw , La pensée africaine, Dakar, 1983, p. 250.

31 Ibidem, p. 251.

32 Ibidem, p. 251.

33 Ibidem, p. 251.

34 Ibidem, p. 251.

35 Ibidem, p. 251.

36 Ibidem, p. 252.

38 Alassane Ndaw, op. cit.

39 Cf. p. 251.

40 Pour une vue assez technique de ce problème d'actes illocutoires, lire. O. Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, 1972. J.R Searle, Les actes du langage, Essai de philosophie du langage, Paris, 1972.

41 En réponse à la question : comment améliorer la rédaction administrative, Gaudouin énonce la première règle "indispensable" : "posséder son sujet-réfléchir assez-établir un plan harmonieux, équilibré-établir un plan rigoureux-précision, simplicité, clarté, homogénéité, vivacité, cohérence". J. Gaudouin , "Entre les documents d'information et les documents d'instruction" Correspondance et rédaction administratives, Paris, 1980, pp. 141-151. Il est très important de souligner que l’universalisation tentaculaire de l’Etat et le problème de l'assimilation du colonisé justifient le fait qu'en Afrique Noire l'écriture administrative suive les mêmes canons d'écriture et de légitimation qu'en Europe occidentale. Comme le montre G. Conac, "il est facile de reconnaître aujourd'hui encore dans les institutions administratives des divers Etats décolonisés par la France et l’Angleterre l'empreinte métropolitaine...", "Le développement administratif des Etats d'Afrique Noire", Les Institutions Administratives des Etats francophones d'Afrique Noire, sous la dir. de G. Gonac. Paris, 1979, p. XIX.

42 Gaudouin, op cit, p. 84, dit : "Une administration animée d'un esprit intégral de service public doit tout mettre en oeuvre pour être comprise de ceux pour qui elle travaille et pour les associer à son action... il y a là plus qu'une question de forme. Il y a là un impératif catégorique de la morale administrative".

43 E. Landowski insiste longuement sur la méconnaisance introduite par le langage administratif qui devient "un langage sans frontière de classe". L'impartialité affichée ne sert que les intérêts autoritaires des obturateurs des possibles. Ceux-ci, à travers les suggestions administratives imposent une nouvelle légitimation, un nouveau "faire-valoir". "Le langage administratif", L'administration, Paris, 1974, pp. 358-389.

44 E. Landowski, op. cit. p. 371.

45 Gaudouin, op. cit, p. 84. La juxtaposition entre force, gravité, majesté est très significative.

46 Robert Catherine, Le style administratif, Paris, 1967, pp. 17-18.

47 Gaudouin  :"Les caractères spécifiques de l'administration, le respect de la hiérarchie, la responsabilité, l'objectivité. Le caractère de l'administration qui transparaît dans ses écrits, c'est l'objectivité. L'administration est au service du bien public, elle sert, non des intérêts particuliers, mais l'intérêt général, elle se doit donc d’être, et elle l'est d’ailleurs, impartiale, sereine et objective. Cette impartialité a pour conséquence de rejeter de la rédaction tous les termes... qui ont un caractère subjectif... il en résulte un style impersonnel assez froid, mais qui donne dans son ensemble une impression d'homogénéité et de pérennité". Op. cit, p. 87.

48 Cf. Ferrari, Les philosophe salariés, texte présenté par S. Douailler et P. Vermeren, Paris, 1983.

49 P. Diagne, L'Europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, Dakar, 1981.

50 Explicitons bien notre interrogation. Quand nous parlons du croire, nous ne voulons pas dire croyance religieuse, car attraper le "croire" par la religion, c'est déjà le circonscrire et donner à penser que croire n'est attribuable qu'à ceux-là seuls qui revendiquent une appartenance religieuse. Réduire la croyance au religieux, comme le font un certain nombre de discours africains, c'est limiter le religieux aux Eglises et aux "sectes", alors qu'une religiosité très laïque se développe avec le fétichisme généralisé (l'attitude religieuse à l'égard de l'argent, la fétichisation de l'art, la divinisation (virginisation ?) de la "femme", le culte de la personnalité des vedettes, la sacralisation de la sexualité, le sacerdoce du travail, le sacrifice de la militance et du "bénévolat", et la religion de soi-même ; l'autolâtrie, dans laquelle on est tout et les autres rien).

51 H. Védrine , Les ruses de la Raison, Paris, 1982, p. 196.

52 Eboussi. Boulaga, La crise du Muntu, Paris, 1977.

53 Ibidem, p. 189.

54 Ibidem, p. 189.

55 Jürgen Habermas, "Dialectique de la rationalisation", interview avec A. Honneth, Cahiers de Philosophie 3, Habermas, L'activité communicationnelle, Lille, 1987.

56 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La Dialectique de la Raison, p. 24.

57 L'Aufklärung a été particulièrement absente dans la défense des droits humains des Nègres, mais rien n'empêche que le Nègre puisse récupérer et utiliser à son profit les idéaux qui ne lui étaient pas destinés. Lire Louis Sala Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, 1987.

58 Ce qu'analyse Horkheimer dans un texte "Raison et conservation de soi", Eclipse de la Raison.

59 Cf. Naude, Considérations politiques sur les coups d'Etat, Paris, 1988, p. 89.

60 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Oeuvres Philosophiques, tome 2, Paris, 1985, p. 1017

61 Cité par Bernard Teyssedre, L'art au siècle de Louis XIV, Paris, 1967, p. 46.

62 Max Horkheimer, Théorie Critique, p. 171.

63 St. Augustin, Les confessions, trad. J. Trabucco, Paris, 1964 p. 276.

64 Ibidem, p. 273.

65 Ibidem, p. 278.

66 Ernst Bloch, L'esprit de l'utopie, Paris, 1977, lire particulièrement le chapitre "Karl Marx", la mort et l'Apocalypse".

67 La conception non-intensive du temps a été critiquée par Bergson qui oppose la durée à la spatialisation du temps. Mais une conception intensive vue sous l'angle bergsonien est lourde de présupposés idéalistes, cf. la critique que fait Max Horkheimer de l'hypostase du temps bergsonien, "la métaphysique bergsonnienne du temps", trad. Ph. Soulez, L'homme et la société, N. 69-70, Déc, 1983, pp. 11-21.

68 Gilles G. Granger, Essai d'une philosophie du style, 2. éd. Paris, 1988, p. 11.

69 Ibidem, p. 10.

70 Collectif, Anthropologie de l'écriture, sous la dir. de R. Laffont, Paris, 1984, p. 241.

71 Une écriture discontinue, qui privilégie la césure et le ratage, est une écriture qui est en devenir, car étant en attente de l'improbable. La discontinuité, la césure introduite au sein de la linéarité de l'écriture amène une espèce de suspension de l'écriture dans laquelle le Sujet est en attente d'une rencontre avec le réel dont il continue inlassablement à maintenir l'exigence. L'écriture continue qui ne s'occupe pas de la violation du sens devient close, car à la polysémie du scriptural, on oppose les praxèmes figés dans une syntaxe non ambiguë.

72 Gilles Deleuze, "Signes et événements", entretien avec R. Bellour et F. Ewald, Magazine littéraire, n° 257, Sept 1988, p. 19.

73 Ibidem, p. 19.

74 Cf. F.W. Schelling, "Aphorismes pour introduire à la philosophie de la nature" (1805) et "Aphorismes sur la philosophie de la nature" (1806), OEuvres métaphysiques, Paris, trad. Courtine, Martineau, Paris, 1980.

75 Jean R. Ladmiral, "Dialectique négative de l'écriture aphoristique", Revue d'Esthétique n. 8, 1985, p. 99.

76 T.W. Adorno , Minima Moralia, p. 11.

77 Cf. M. Stirner, L'Unique et sa propriété, Paris, 1978 ; "Les prêtres ; c'est-à-dire, les théologiens, les philosophes, les hommes d'Etat, les philistins", p. 438.

78 E. Njoh Mouellé, De la médiocrité à l'excellence, Yaoundé, 1970.

79 C'est l'idée centrale de Développer la richesse humaine, Yaoundé, 1980.

80 Gabriel Marcel, Etre et avoir, Paris, 1935. Comparons les deux définitions suivantes de l'Avoir. Gabriel Marcel dit : "ce qu'on a présente évidemment une certaine extériorité par rapport à soi... je ne puis avoir... que quelque chose qui possède une existence... indépendante de moi... je n'ai que ce dont je peux en quelque manière... disposer" p. 225. Njoh reprend presque la même chose dans sa définition de l'avoir : "Avoir, c'est avoir nécessairement quelque chose qui se distingue de nous, que nous pouvons tenir à distance, et dont nous pouvons disposer à notre guise", op. cit. p. 8. Un auteur américain du siècle dernier, A. Bierce définit le verbe piller comme suit : "prendre les biens d'un autre sans observer les réticences coutumières des voleurs. Effectuer un changement de propriété avec l'accompagnement candide d'une fanfare. Arracher à B la richesse de A, pendant que C se lamente sur une occasion perdue". Dictionnaire du diable, Paris, 1987.p.

81 F. Nietzsche, La volonté de puisance, trad. H. Albert, Paris, 1991, p. 271. Nous laissons au exégètes le soin d'établir dans ce livre la part de la pensée du philosophe Nietzsche et les ajouts de sa soeur Elisabeth.

82 Ibidem, p. 250. Nietzsche attire son attention sur la susceptibilité du type clérical en philosophie. "Il considère une attaque contre lui comme une attaque dirigée contre la morale, la vertu, la religion, l'ordre, il sait faire tomber ses adversaires dans le décri... en somme tant qu'il lutte, il lutte exactement comme un prêtre, comme un membre du clergé." pp. 276-277.

83 A. Schönberg, Moïse et Aaron, trad. D. Huillet, J.M. Straub, Toulouse, 1990.

84 La plupart des thèses se font sur l'oppression des femmes en Afrique, ce sont des thèses dont l'essentiel du discours est ethnologique, la seule en philosophie qui essaye de secouer l'establishment phallocrate est celle de Ndeye Awa Thiam , Continents Noirs, Paris, 1984. La limite de cette thèse est de n'avoir pas pu analyser au niveau des stratégies discursives comment se profilent les idéologèmes phallocrates, autrement dit, il manque à cette thèse une étude génétique de la sexuation du discours.

85 Njoh Mouellé, ( Développer la richesse humaine, p. 21 et sv.) condamne la prostitution, et opte pour la responsabilisation et la libération de la femme. Il existe certainement dans la philosophie africaine d'autres textes luttant contre la "chosification" de la femme. C'est la dernière trouvaille du cynisme philosophique phallocrate africain consistant pour le vainqueur à prendre la . défense du vaincu. Il n'est pas commode de dire que le réel est déformé sans avoir pu, au préalable, corriger les lunettes qui vous déforment le réel. D'ailleurs, parler des femmes est différent de laisser parler les femmes. L'important n'est pas de changer de réponse à propos de la question féminine en Afrique, mais de changer la forme et le contenu du questionnement en philosophie africaine. La question n'est pas : comment les femmes peuvent s'en sortir, mais plutôt, comment sortir, en philosophes, de nos réflexes androcrates ? La philosophie africaine deviendra alors le lieu incertain où le philosophe procède à travers les règles du discours (syntaxe, sémantique, typographie) à la dé-possession du pouvoir masculin. Dé-masculiniser les catégories philosophiques est une affaire beaucoup plus importante que le discours hypocrite des phallo-sophes sur les femmes. Le discours philosophique négro-africain n'a pas du tout parlé du corps. Eboussi, certes, disserte sur le corps, mais c'est un corps épuré, il vaut mieux dire qu'il parle de la corporéité (Cf. son analyse du sentir dans La crise du Muntu, pp. 211 et sv.). La philosophie africaine, en omettant d'aller du "haut" vers le "bas", en refusant de laisser s'exprimer la sueur, les pets, les fèces et les fesses, en donnant à l'espace public des concepts graves et tristes, sans senteur et humour, tombe sans le savoir dans le piège de l'immaculée conception. Dans celle-ci, ce qui compte c'est le résultat, propre, dégagé de toute souillure corporelle. Dans la rhétorique philosophique africaine qui ne se compromet jamais dans "l'épithuméia", ce qui importe, c'est le concept propre, c'est à dire affranchi de toute souillure de la sexuation. Le discours philosophique africain actuel serait-il une ruse de "l'immaculée conception" ? "La souveraineté des cerveaux est toujours une fausse souveraineté" (P. Sloterdijk, op. cit, p. 16). Le jour où la philosophie africaine osera parler, sans sourciller, des lèvres, des vulves, des saignements et écoulements, du sperme et du pus, elle aura alors fait un grand pas hors de ses concepts patriarcaux et immaculés. Toute "immaculée conception" (formulation des concepts dépourvus d'affectivité) est une ruse du patriarcat. Celui-ci nous livre, comme concepts philosophiques, des entités froides, impassibles, distantes, arrogantes et indifférentes à la viscosité du réel que nous aimons voir dégouliner.

86 Jacques Lacan, Le séminaire, liv. XX, Encore, Paris, 1975, p. 190

87 Cf. Joseph Blais, La logique, une introduction, Montréal, 1985, p. 152. Ce terme vient de Locke dans son traitement des "fallacies".

88 P. Talbot et J. Doyon, La logique du raisonnement, théorie de l’inférence propositionnelle et application, Québec, 1986, p. 152. Ces deux penseurs estiment que ce sophisme exploite les privilèges en faveur du progrès, de la science, de la crise, de l'authenticité, pour tout ce qui est moderne ou d'avant-garde. Le raisonnement implicite de ce genre d’argument est : si une critique porte sur la "crise" ou "l'authenticité" alors elle est vraie (ou justifiée) Or ce livre porte sur la "crise" et "l'authenticité". Donc cette critique est vraie (justifiée).

89 Frans Van Eemeren, Rob Grootendorst, "les sophismes dans une perspective-pragmatico-linguistique", L'argumentation, colloque de Cérisy sous la direction d'Alain Lempereur, Liège, 1991, p. 175.

90 La forme "tu quoque" qui se mue en attaque "ad personam" vise "à éliminer l'interlocuteur comme participant sérieux à la discussion... en déconsidérant sa compétence, son objectivité... ou sa crédibilité". Ibidem, p. 175.

91 A. Souriau, Vocabulaire d'esthétique, Paris, 1990, p. 495.

92 Ibidem, p. 1113.

93 Ibidem, pp. 1136-1137.

94 Il ne prend pas la précaution épistémologique de justifier et spécifier dans quel contexte ce terme complexe est "adapté". Se définissant comme la constance référentielle d'un individu dans tous les mondes possibles, le désignateur rigide a au moins trois sens. Il existe une rigidité "de jure", "de facto et étendue. Eboussi n'indique pas dans quel sens il utilise sa "rigidité". Lire Pascal Engel, La norme du vrai, Paris, 1989, p. 197.

95 La crise du Muntu soulève des ambiguïtés qui doivent être interrogées ; quel est le statut du désir (conatus ? cupiditas ?) Au nom de quel fondement "exercer" la vigilance vis-à-vis du savoir (p. 206) ? Au nom de quel principe ? Ce dernier sera-t-il un savoir ou un non-savoir ? Qu'en est-il du mythe comme parole originaire ? Qu’est-ce que l'originaire ? L'originaire est-il ici pris au sens du fondement (Grund), ou au sens de "Ursprung" ? Quid des rapport entre art et instant (pp. 215-216) ? Comment s’articule la notion de lieu (du discours, du rire) ?

96 Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, 1973, p. 101.

97 Ibidem,, p. 100.

98 Lacan, op. cit. p. 85.

99 Il serait intéressant de voir tout le travail de Walter Benjamin sur la citation. Celle-ci, brise la continuité et le paradigme du progrès dans un texte. La citation fend l'oeuvre et l'oriente vers un dehors qui, telle une semence, vient la féconder. Citer, c’est donner un rendez-vous, ( citar en espagnol c'est donner un rendez-vous) à la nouveauté et souligner par là l’incomplétude/richesse de notre dire.

100 E. Pulcinelli-orlandi, "Hétérogénéités et silences", Le sens et ses hétérogénéités, p. 208. Les modalités de mise-en-silence peuvent être : "prendre la parole, oter la parole à quelqu'un, empecher de dire, interdire certains sens, faire taire, censurer".

101 J.J. Courtine, C. Haroche, "Silences du langage, langages du visage à l'âge classique", préface à la présentation de l’abbé Dinouart, op. cit, p. 28.

102 B. Gracian, L'Homme de cour, trad. Hamelot de la Houssaie, Paris, 1987, p. 77. Pour l’historien de la philosophie, il faudrait peut-être comparer la 3. proposition de la page 11 de La crise du Muntu d’Eboussi et toute la page 83 de l'Idéologie allemande, trad. Auger, Badia, Baudrillard, Cartelle, Paris, Ed. Sociales 1976. On pourrait aussi confronter (si on peut confronter ce qui n'est qu'une reprise d'une même pensée !) La critique de la maïeutique/dialectique socratique d’Eboussi aux pages 118-119 à la critique nietzschéenne de la même dialectique/maïeutique socratique à l'aphorisme 7, de la page 84 du livre très connu. Le Crépuscule des idoles, trad. H. Albert, 1985, pp.  84-85.

103 Théophile Obenga, La philosophie Africaine de la période pharaonique, Paris, 1990.

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Catherine Larrère et Bérangère Hurand (dir.)

Couverture Formalisme, jeu des formes

Formalisme, jeu des formes

Eveline Pinto (dir.)

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Ce livre est cité par

  • (1997) Le Bien Commun La Palabre . DOI: 10.3917/micha.bidim.1997.01.0125
  • (2017) Le Concept et le roman . DOI: 10.3917/herm.diall.2017.01.0223
  • Mbele, Charles Romain. (2020) La question d’une philosophie des marges, entre vérité, solidarité et justice. Diogène , n° 263-264. DOI: 10.3917/dio.263.0075
  • Tahirou Younoussi Meda, Adama. (2022) Adoption des pratiques du foguain chawara dans la filiale d’une multinationale au Niger : la mobilisation des connaissances locales. Management international , 26. DOI: 10.7202/1090300ar
  • Bidima, Jean-Godefroy. McGeoch, Beatrice. (1998) Philosophical Sketches on African Becomings. Diogenes , 46. DOI: 10.1177/039219219804618417
  • Foé, Nkolo. (2012) Les politiques de la philosophie en Afrique. Diogène , n° 235-236. DOI: 10.3917/dio.235.0174
  • Foé, Nkolo. (2012) The Multiple Politics of Philosophy in Africa: Emancipation, Postcolonialisms, Hermeneutics, and Governance. Diogenes , 59. DOI: 10.1177/0392192114543748
  • Seck, Abdourahmane. (2016) Après le développement : détours paradigmatiques et philosophie de l’histoire au Sénégal. Présence Africaine , N° 192. DOI: 10.3917/presa.192.0013
  • Ouattara, Bourahima. (2016) Senghor, lecteur de Barrès. Présence Africaine , N° 191. DOI: 10.3917/presa.191.0215
  • Ouattara, Bourahima. (2017) Senghor, lecteur de Barrès. Études de lettres . DOI: 10.4000/edl.1062
  • Kane, Oumar. (2012) Épistémologie de la recherche qualitative en terrains africains : considérations liminaires. Recherches qualitatives , 31. DOI: 10.7202/1085027ar

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Routes, détours et relecture postcoloniale de la philosophie africaine

Introduction Routes, détours et relecture postcoloniale de la philosophie africaine

  • Delphine Abadie

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Delphine Abadie Chercheure associée au LLCP (U. Paris 8)

Online publication: Jan. 16, 2020

A document of the journal Philosophiques

Volume 46, Number 2, Fall 2019 , p. 279–298 Routes, détours et relecture postcoloniale de la philosophie africaine

Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 2019

Malgré une historiographie riche de plusieurs orientations, les imaginaires, la recherche et les débats académiques semblent parfois demeurer enfermés dans l’exigence d’un devoir-être de la philosophie africaine tout à fait caractéristique du seul moment ethnophilosophique. Pourtant, les avenues les plus récentes en philosophie africaine partagent un ensemble de présupposés qui rendent inopérante cette confrontation stérile entre un type de philosophie qui désignerait la « véritable » manière de décoloniser les épistémologies africaines, et toutes les autres formes de la philosophie en Afrique. Depuis les années 1980, on doit constater pourtant que la plupart des philosophes du continent ont emprunté des avenues qui nous éloignent de ce premier moment décolonial de l’« authenticité africaine » en internalisant les critiques développées durant les plusieurs décennies qu’a duré la fameuse querelle de la philosophie africaine. Éclairé par la distinction entre approche décoloniale et approche postcoloniale, cet article propose une relecture des chemins parcourus, des détours et des mutations opérées par la philosophie africaine telle qu’elle s’est développée dans l’espace francophone depuis les années 1940 jusqu’à nos jours.

Despite the richness of several orientations displayed in African philosophical historiography, existing imaginations, researches and academic debates remain, in most cases, incapable to overcome the prescriptive expectation of what should be African philosophy even if this demand is characteristic of the only ethnophilosophical moment. Yet, the most recent avenues in African philosophy share a set of assumptions that renders ineffective this sterile confrontation between a specific type of philosophy which is presented as the “genuine” way of decolonizing African epistemologies, and all other forms of philosophy in Africa. Since the 1980s, it must be noted indeed that most philosophers have proceeded along new lines in such ways that they are pulling the philosophical dialogue away from its first decolonial moment on “African authenticity”. These contemporary contributions have internalized the philosophical arguments developed during the several decades in which the famous quarrel over African philosophy took place. Informed by the distinction between decolonial and postcolonial approaches, this article offers a re-reading of the paths taken, the detours and the mutations carried out by African philosophy as it has evolved in Francophone Africa from the 1940s to the present day.

Article body

Qu’ils proposent une revue de littérature ou qu’ils évoquent une problématique singulière, les écrits abordant la genèse de la « pensée décoloniale » l’assimilent généralement à trois courants qui, bien qu’ils soient distincts dans leur origine, se nourrissent réciproquement dans les efforts de théorisation contemporains (Ajari, 2019 ). D’une part, on pense au collectif sud-américain Modernité/Colonialité/Décolonialité (MCD), fondé dans les années 1990 , animé par des auteurs d’appartenances disciplinaires diverses — en philosophie : le Mexicain Enrique Dussel, l’Argentin Walter D. Mignolo, le Portoricain Nelson Maldonado-Torres, l’Équatorienne Catherine Walsh, etc. D’autre part, l’usage du « décolonial » renvoie le plus souvent, dans les institutions académiques et dans les mouvements militants du Nord, à l’émergence d’un discours à visée révolutionnaire d’autodétermination intellectuelle et politique des descendants de colonisés ou d’esclavagés au sein d’un espace politique majoritairement blanc dans les métropoles postcoloniales et coloniales. Cette dernière approche s’inscrit par ailleurs dans la filiation d’un troisième type, dit africana . La philosophie africana est inextricablement liée aux contributions canoniques d’auteurs afro-descendants (W.E.B. DuBois, Alan Locke, Marcus Garvey) et à leurs héritiers contemporains (Lewis Gordon, Cornell West, Carole Boyce Davis). La philosophie africana fait également la part belle à un nombre limité de maîtres à penser africains du continent (Franz Fanon, Cheikh Anta Diop, Ngugi wa Thiong’o) et se réfère à une perspective de la longue durée de l’oppression raciale éclairée par certains éléments déterminants de l’histoire des Africains et du continent (la traite et l’esclavagisation atlantique, l’échec de la colonisation italienne en Éthiopie, le caractère négro-africain de l’Égypte antique, le «  back to Africa  » de Marcus Garvey, etc.).

Si l’on se fie à la plupart des débats qui animent depuis moins d’une décennie les institutions occidentales, tout se passe comme si les destinataires de ces théories fondatrices de la négritude, des sources égyptiennes de l’africanité ou de l’ ujamaa ne pouvaient que se situer et se projeter hors de la géographie du continent. Fort paradoxalement, si l’on se réfère à souhait à certaines figures phares qui ont animé et accompagné intellectuellement le défi historique de l’accession aux Indépendances dans les années 1960 , on ne présente que très rarement leurs contributions, les réactions qu’elles ont suscitées chez leurs contemporains, leurs détracteurs et réhabilitateurs comme un paradigme épistémologique per se . Tout se passe comme si, en effet, l’Afrique ne pouvait se penser que hors d’Afrique. Or, au même titre qu’il existe un Foucault ou un Derrida américains qui ont peu à voir avec les interprétations qu’on en fait dans leur contexte d’origine, les philosophes du continent ont élaboré leurs propres herméneutiques, pour lesquelles les interprétations formulées dans les conditions diasporiques se révèlent parfois inadaptées aux écosystèmes politiques, épistémiques et historiques du continent, voire concurrentes.

Il faut se réjouir des développements récents de la pensée sur l’Afrique qui tend à rompre avec ce solipsisme devant la transnationalisation croissante de la recherche et l’usage scientifique de l’anglais. Qu’il s’agisse du travail des diasporas consistant à « remembrer [1]  » leurs mémoires à une Afrique à laquelle elles ont été tragiquement arrachées, des philosophes africains oeuvrant sur le continent ou enseignant dans des universités du Nord, les propositions témoignent du même souffle vital d’une affirmation sans complexe d’une humanité contestée et de l’avenir d’une Afrique debout, par et pour elle-même. Pour ne pas céder aux appels d’un nouvel universalisme décolonial tout aussi totalisant que l’ancien ou à la domination impériale de la langue anglaise dans la recherche scientifique, ce nouveau « pluriversel noir » devra néanmoins rester prudent et ne pas sacrifier les apprentissages des aînés et des ancêtres ayant philosophé sur le continent, souvent dans les conditions matérielles et politiques les plus défavorables, pour faire comme si la radicalité de leurs contestations n’avait pas lieu d’être considérée sérieusement, comme si le degré d’approfondissement critique caractéristique de la démarche philosophique s’avérait, dans le cas de l’Afrique (et de l’Afrique seulement), un luxe que ne pouvait pas se payer un continent en crise, ou comme si toute forme de démarche intellectuelle incompatible avec ce qu’on croit savoir qu’elle devrait être ne pouvait se résoudre que par un argument ad hominem . Il y a des Afriques et des points de vue sur l’Afrique. En cela, il ne semble pas vain de rappeler l’hétérogénéité épistémique supportée par le concept de « philosophie africana  » élaboré par Lucius Outlaw ( 2017 ) :

Africana philosophy should not be regarded as normatively prescriptive for philosophers identified as African or of African descent, as setting requirements for what their philosophizing must have been, or must be, about and to what ends because of their racial/ethnic identities. Such identities neither confer nor require particular philosophical commitments or obligations. Substantive differences among African and African-descended thinkers have been, and must continue to be, acknowledged and taken into account in the ordering of the field and setting agendas for Africana philosophy.

La philosophie africaine, autrement dit, est un champ parmi d’autres au sein du parapluie conceptuel plus large qu’est la philosophie africana . Né d’un et dans un contexte où les défis historiques de l’émancipation politique de l’ancien maître colonial sont titanesques, l’effervescence créatrice qui caractérise l’institutionnalisation progressive de la discipline de la philosophie africaine est tout autant traversée de crises, de contradictions, de profonds désaccords voire de « disputes » très médiatisées. C’est d’abord la définition (« qu’est-ce que la philosophie africaine ? ») qui aura occupé tous les esprits, un moment très vite dépassé — et ce n’est pas rien — par la contestation des prémisses sur la base desquelles elle s’élabore. Depuis, la philosophie africaine conserve cette préoccupation très forte, qui agit comme un arrière-plan herméneutique partagé, de ne pas reproduire les impensés de la race en situation postcoloniale.

Codirigé par Ernest-Marie Mbonda et Delphine Abadie, ce dossier intitulé « Routes, détours et relecture postcoloniale de la philosophie africaine » se consacre exclusivement au devenir de la « philosophie africaine » telle qu’elle s’est élaborée et instituée comme discipline dans les parties de l’Afrique ayant la langue française comme « butin de guerre » (K. Yacine). La vue d’ensemble que nous aurions pu présenter des développements de la philosophie africaine dans l’univers anglophone, lusophone ou swahili serait différente, d’ailleurs plus familière à plusieurs lecteurs nord-américains, pour la raison toute simple que les discussions philosophiques sur la décolonisation en Afrique francophone ont émergé dans une autonomie appréciable d’avec la pensée afro-moderne issue du flan occidental de l’Atlantique. Ce texte d’introduction propose de restituer les arguments phares qui ont permis de tracer des lignes de fuite communément partagées en direction desquelles s’oriente la discipline. Le texte suggère que c’est la démarche postcoloniale , plus que celle dite décoloniale, qui caractérise le mieux la philosophie africaine contemporaine au sens où elle refuse de définir son avenir dans un face à face avec la domination raciale — ce qui n’est pas la même chose qu’ignorer son existence.

La déclosion du monde

La genèse de la philosophie africaine est controversée. L’historien de la pensée critique africaine, Betwell Ogott ( 2009 ), remarque que si les premiers écrits sur la négritude de Léopold Sédar Senghor et d’Aimé Césaire (fin des années 1930 ), ou d’auteurs comme Anton Wilhelm Amo ( 1703 - 1753 ) ou Olaudah Equiano ( 1745 - 1797 ) sont bien antérieurs à ceux du missionnaire flamand, la naissance de la philosophie africaine comme champ du savoir académique est marquée par la publication du livre immédiatement plébiscité du père Placide Tempels, La philosophie bantoue , publié en 1959 aux éditions Présence africaine. Requalifié péjorativement d’« ethnophilosophie », le type d’élaborations théoriques que cet acte fondateur a rendu possible a été vertement discuté par maints auteurs comme Paulin Hountondji, Marcien Towa, Kwasi Wiredu, Fabien Eboussi Boulaga, Valentin Yves Mudimbe, etc. De nos jours, nous demeurons pourtant enfermés dans l’exigence d’un devoir-être de la philosophie africaine tout à fait caractéristique de l’« ethnophilosophie dans le sillage de la négritude » (Towa, 1971 ), en Occident surtout, mais encore dans plusieurs régions d’Afrique. Tout se passe en effet comme si la connaissance de la philosophie africaine s’arrêtait au portillon de l’historiographie des différentes avenues qu’elle a emprunté et dont Odera Oruka ( 1990 ) développe une typologie relevant sept orientations : l’ethnophilosophie, l’orientation nationale idéologique, la philosophie professionnelle, le courant littéraire, le courant herméneutique et la sagacité philosophique. Pour beaucoup, la question du « qu’est-ce que la philosophie africaine ? » reste ballotée d’un coin à l’autre de l’opposition entre ethnophilosophie et philosophie critique (professionnelle). Pourtant, les avenues les plus récentes en philosophie africaine partagent un ensemble de présupposés qui interdisent ce face à face indépassable entre « la » philosophie africaine, c’est-à-dire celle qui tracerait « la » voie d’une « authentique » décolonisation et toutes les autres formes présumées aliénées de la philosophie en Afrique.

Depuis les années 1980 , on doit pourtant constater dans les écrits les plus récents une internalisation sérieuse d’une rupture épistémique qui s’est opérée après plusieurs décennies de « querelle ». Aujourd’hui, la lecture qui est faite à nouveaux frais de certains textes fondamentaux, simultanément honnis et canonisés, permet d’éclairer une série de partis pris et de postulats épistémologiques, méthodologiques et politiques susceptibles de clarifier la distinction entre les démarches décoloniales et celles dites postcoloniales. Guidées par une littérature abondante sur ces deux approches plus ou moins reconnues, dans certains cas, dans le corpus d’enseignement des universités sud-américaines et anglo-saxonnes, nous avons trouvé utile de désenchevêtrer philosophiquement ces options qui restent trop souvent présentées indistinctement. Si chacun des courants se laisse traverser par un faisceau de contributions en apparence hétérogènes, par exemple sur le plan disciplinaire, quant aux sujets explorés ou aux méthodes, certaines prémisses les distinguent sensiblement l’un de l’autre et éclaire le chemin parcouru et les mutations de la philosophie africaine depuis les années 1930 jusqu’à nos jours.

Aujourd’hui, moins d’un siècle après ce qui est considéré comme son acte fondateur, la discipline de la philosophie africaine a voyagé entre divers lieux d’ancrages, s’est transformée en fonction des défis auxquels ont eu à se confronter les générations successives d’intellectuels, a progressivement et sereinement admis la possibilité d’une autocritique de certaines propositions dogmatiques ayant permis la construction d’un récit national mais aussi légitimé les dérives liberticides de la bourgeoisie nouvellement au pouvoir, jusqu’à atteindre la maturité de celle qui accepte de remettre en cause ses propres limitations. C’est bien en cela qu’elle est résolument « philosophie ».

Dans Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée ( 2010 ), Achille Mbembe présente les décolonisations et les mouvements anticolonialistes qui les ont accompagnées comme la manifestation d’une triple aspiration à l’émancipation des peuples sous tutelle de l’Empire. D’une part, la décolonisation a certainement constitué un événement politique majeur sanctionné par la reconnaissance juridique inédite du droit (vraiment) universel des nations à l’autodétermination. Radicalisée, cette exigence a ensuite institué un mouvement plus fondamental de reconquête de l’humanité par un sujet qui en avait été banni au nom de la nécropolitique raciale de la domination coloniale. En ce sens, la visée de la décolonisation est non seulement politique pour les anciens administrés coloniaux, mais également ontologique.

La décolonisation a également visé la suppression de la ligne de couleur (W.E.B. Du Bois) qui enfermait jusqu’alors des segments de l’humanité entre les murs étanches de prédéterminations hiérarchisées et indépassables, censées rendre compte d’une radicale altérité raciale : rompre avec cette culture du saucissonnage de l’universel en groupements humains phénotypés, telle était donc également l’exigence, cette fois-ci épistémologique, de la décolonisation. Du point de vue de la connaissance, la décolonisation est donc une tâche négative en même temps que prospective : il s’agit de démonter les maîtres aux pieds d’argiles et d’affirmer dignement une voix étouffée ou contrainte au silence par la violence coloniale.

Or, si l’historiographie de la philosophie africaine a vastement exploré les conditions de possibilités de telles exigences, elle reste aujourd’hui suspendue à l’hypothèse d’une indétermination constitutive, voire d’une vraisemblable aporie de la rupture épistémologique d’avec la mémoire de l’Occident. Si le travail de révolution de la connaissance de soi, du monde et de la vie peut sembler insatisfaisant à certains, ce n’est pas faute de l’avoir exploré sous toutes ses coutures, au contraire. C’est bien précisément parce que « l’épistémologicisme », qui a présidé, dans les premières générations, aux questionnements sur la nature d’une « authentique » philosophie africaine, s’est avéré contre-productif que les auteurs d’aujourd’hui s’attardent à y réfléchir autrement (Kavwahirehi, 2018 ).

L’autonomie de la parole, un paradoxe philosophique

Que La philosophie bantoue du père Placide Tempels soit considéré comme l’acte de mise au monde de la philosophie africaine en dit long sur le degré de mépris des vies africaines qui caractérise banalement les relations entre les maîtres et les colonisés jusqu’au crépuscule de l’ère coloniale. Avec Nelson Maldonado-Torres ( 2017 ), le Sud-Africain Sabelo Ndlovu-Gatsheni ( 2013 ) développe le concept de « colonialité de l’être » pour décrire le lent processus par lequel l’être même de l’Afrique et des Africains a été exproprié du domaine de la dignité humaine par plusieurs siècles de domination occidentale.

Historically speaking, the unfolding of European Renaissance, Protestant Reformation, Enlightenment Reason, Modernity, imperialism, colonialism, and globalization — as complex historical, discursive and epistemological processes — contributed to the colonization not only of time and space but also of the very notion of being human/human subjectivities […] 339

Le texte d’Ernest-Marie Mbonda montre bien comment, en faisant de l’interprète blanc l’exégète philosophique incontournable d’une pensée non systématisée « détenue » par des Bantous, Tempels pose l’acte instituant de la philosophie africaine et de la structure des interrogations qui seront susceptibles d’en émerger. Cette structure pose les termes d’une relation où le dominant demeure au coeur du processus épistémologique de distribution du crédit et des valeurs associées à l’appartenance au domaine de la raison. Les présupposés de l’ethnophilosophie impose à la philosophie africaine qu’elle se libère d’abord de cette insulte toute coloniale selon laquelle la dignité humaine du Noir ne peut se médiatiser que par la reconnaissance du Blanc. Bien qu’il n’eût rien de décolonial à proprement parler, de cet essai qui recevait l’assentiment d’une communauté d’intellectuels en exil ou d’éminents soutiens engagés en faveur de l’autodétermination des peuples noirs [2] a surgi une série de propositions dont le point commun, sous l’apparence d’une affirmation virulente de son humanité en propre, était de masquer le désir psychique de ressemblance, de l’identique, de la mêmeté vis-à-vis du maître.

Tandis que Mbonda évoque l’oeuvre de Meirad Hebga ou de Tshiamalenga Ntumba, d’autres n’hésitent pas à y inclure une série de grandes théories (la négritude de Senghor, la personnalité africaine de Nkrumah, l’égyptologie de Cheikh Anta Diop, etc.) affirmant son originalité et la certitude d’une rupture épistémologique radicale en fonction de critères problématiques, d’indices qui reproduisent la tête à l’envers une fiction dont la raison coloniale s’est bercée afin de s’ériger au-dessus des autres épistémologies. Il faut insister pour dire qu’il ne s’agit pas de sacrifier, au nom d’une exigence inatteignable et avec une incroyable légèreté, ces auteurs décoloniaux qui ont les premiers affirmé haut et fort que les Africains avaient aussi une parole et une intellection à faire entendre au grand concert du « donner et du recevoir » (L. S. Senghor). Cela ne signifie certainement pas non plus qu’il faille adouber l’effacement colonial d’une nouvelle haine de soi amnésique, gommant d’un coup de crayon agacé des arguments aussi provocateurs que révolutionnaires. Comme activité collective de l’intelligence sociale, la philosophie est toujours parricide : il fallait d’abord tuer le colonisateur pour que soit exposé en soi et en plein jour les impensés de la « race » que l’éducation et l’occupation coloniale ont légués, notamment le fait que, écrivant une parole authentique, on ne s’adressait pas aux siens mais au maître avant tout.

De ce corpus du « droit à la différence », Marcien Towa ( 1983 ) incrimine, par exemple, le remarquable conservatisme raciste de la négritude de Senghor (qu’il distingue de celle de Césaire), laquelle reconduit les dichotomies conceptuelles mobilisées pour justifier la suprématie blanche dans une forme inversée de biologisation du culturel : l’ontologie nègre est de n’être que émotion plutôt que raison, au même titre qu’elle suppose aussi d’avoir une texture particulière de cheveux crépus ou la peau de couleur noire, c’est la thèse climatique qui préside à l’émergence d’une « âme noire », etc.

L’essentiel aux yeux de Senghor est de poser la spécificité biologique du Nègre, puis d’en déduire sa conduite et sa culture. Nous avons affaire à une théorie rigoureusement raciste ; le racisme en tant que théorie, consiste en effet à considérer le culturel comme une conséquence du patrimoine biologiquement héréditaire d’une race, une population donnée 269

Illustrant cette tension entre critique et reprise de ces premiers auteurs canoniques en Afrique, des auteurs comme Souleymane Bachir Diagne ( 2014 ) vont proposer une réactualisation postcoloniale de l’interprétation de la négritude senghorienne en cherchant à déchiffrer, au-delà du langage essentialiste et en suivant le mouvement évolutif de ses travaux sur la question, un surplus de validité normative qui vaut d’être prise pour horizon éthique.

De cette propension à faire adhérer spontanément en Afrique (et en Afrique seulement) la philosophie à « la pensée », « la tradition » ou « l’âme négro-africaine », Kwasi Wiredu ( 1997 ) retrace une généalogie coloniale. Les colons et les premiers anthropologues, nous dit-il, ont tiré de l’observation d’une ubiquité des dieux et des ancêtres dans le monde social africain la conclusion hâtive selon laquelle les cosmologies qui donnaient sens au déroulement du quotidien occupent un rôle systématique , similaire à celui de la philosophie en Occident. Pour l’auteur ghanéen, il s’agit d’une confusion des genres entre cette pensée populaire ( folk thought ), soit un ensemble d’assertions partagées par une communauté donnée qui n’a besoin d’aucun argument rationnel pour être maintenu (que le sens commun appelle aussi, en Occident, « sa philosophie »), et la démarche critique qualifiée de « philosophie », laquelle au contraire exige un travail permanent de justifications.

À la « philosophie-pour-autrui », la solution d’appropriation stratégique qu’opposent les critiques de l’ethnophilosophie comme Marcien Towa ou Paulin Hountondji ne se montre pas non plus pleinement convaincante. La discipline philosophique, pour Paulin Hountondji ( 1978 ), est une science qui a sa propre tradition, son canon, ses auteurs, ses théories fécondantes, ses récits fondateurs et la différence de nature des expériences vécues africaines ne justifie pas de philosopher, au nom de cette différence, comme si aucun philosophe ne les avait précédées. Ou bien il faut rompre avec la philosophie, « quitte à séjourner dans un espace sans nom » (Eboussi Boulaga, 1977 , p. 34 ), ou bien il faut se référer à l’histoire de son institutionnalisation, avec pour conséquence que l’enseignement principal de la philosophie en Afrique demeure celui d’un ensemble de textes, d’auteurs, de courants, d’interprétations nés dans et pour un contexte social européen — au sein desquels certaines contributions ont d’ailleurs magistralement favorisé la construction d’une altérité radicale nègre.

À poursuivre ainsi l’exigence initiale insufflée par la pensée de la décolonisation en Afrique, on semble alors s’engouffrer dans un cul-de-sac perpétuel : en assumant de nouveaux lieux d’élection de la pensée critique, alors que ses pratiques dominantes, son lexique, ses règles, ses politiques d’admission, exercent une forme d’injonction au devoir-être de l’activité qui porte son nom, la philosophie peut-elle seulement se décoloniser ?

Le tabou instituant de la raison philosophique

Au-delà de l’empreinte psychanalytique d’un héritage intellectuel dénoncé et réactualisé où continuerait de flotter « l’odeur du père » (Mudimbe, 1982 ), l’aporie de la déprise épistémologique est un noeud gordien. Il se joue dans la relation incestueuse qui enchâsse le projet colonial dans celui de la Modernité et plus spécifiquement, dans le rôle assigné simultanément à la « rationalité » en tant que critère d’entrée à la discipline philosophique et indice négatif de la réification des sujets coloniaux.

Les penseurs de l’école décoloniale sud-américaine situent l’émergence de la colonialité en tant que projet politique autant qu’épistémologique aux siècles précoces de la Modernité ( xv e s.). Le Nigérian Emmanuel Chukwudi Eze va dans le même sens en décrivant le sentiment d’urgence qui anime les Modernes à résoudre l’interrogation de ce qui vaut pour « humain » comme une réponse à l’intensification des contacts entre différents peuples du globe. À partir du xii e s., sous l’impulsion des expéditions de Marco Polo ou de Christophe Colomb, de nouvelles sciences comme la géographie ou l’ethnographie renouvellent les cartographies physiques mais également mentales. La révolution cognitive qu’appelle l’évidence de la singularité de l’Europe au sein d’un monde devenu plus complexe se bute pourtant à une anxiété identitaire — un réflexe qui n’a pris aucune ride près de dix siècles plus tard : ces Autres, étranges, sont-ils bien aussi des humains comme Nous ? Que signifie tout court « être humain » ? Qui sommes- nous dans ce monde ? Qu’avons-nous à lui apporter en propre ? De quelle nature est la distinction entre toutes les races ? Par quel critère établir la valeur humaine cardinale ? ( 1999  ; 2002 ).

[T]he Enlightenment’s declaration of itself as the “Age of Reason” was predicated upon precisely the assumption that reason could historically only come to maturity in modern Europe, while the inhabitants of areas outside Europe, who were considered to be of non-European racial and cultural origins, were consistently described and theorized as rationally inferior and savage Eze, 1997 , p. 4

Instigatrice d’un mouvement structurel, la controverse de Valladolid [3] suit cet élan en posant plus qu’une doctrine compréhensive sur la présumée supériorité raciale des Blancs : Nelson Maldonado-Torres ( 2006 ) montre qu’elle stipule également l’universalité d’un paradigme d’évaluation des formes de vie en fonction du critère de la rationalité. En ce sens, pour le collectif MCD, les différentes formes paramilitaires de violence raciale exercées en colonie ne sont pas que de simples pathologies d’une modernité dévoyée. S’adossant à l’infrastructure épistémique de la hiérarchisation des races, la colonialité se trouve aussi intimement liée au fondement même du projet moderne : celui du triomphe de la raison sur l’obscurantisme, la barbarie et les superstitions. En colonie, le projet prend la forme de l’imposition des modalités de l’être européen et l’épistémicide d’autres projets de vie. Elle s’appuie sur une gouvernementalité raciste se dotant de justifications éthiques et épistémologiques : l’obligation morale à la libération de ceux qui, restés « en arrière », ne connaissent pas les vertus civilisatrices de l’usage de la raison (Ajari, 2019 ).

Retraçant dans son Critique de la raison nègre ( 2013 ), une contre-philosophie de l’histoire similaire à celle des Sud-Américains, Achille Mbembe affirme que « la transnationalisation de la condition nègre est donc un moment constitutif de la modernité et l’Atlantique, son lieu d’incubation » (p. 31 ). En tirant les conséquences sur le plan épistémologique, la pensée décoloniale s’escrime nécessairement dans une confrontation sans fin avec l’Europe, comprise ici moins comme un ensemble hétéroclite de contributions philosophiques que comme une Idée . L’historiographie philosophique européenne a institué le chemin qu’y ont suivi les théories, leurs traductions politiques, les préférences éthiques et métaphysiques d’un continent parmi d’autres comme modèle apodictique de l’humanité. Mbembe ajoute que l’Europe, avec elle l’Occident, s’est hissée au sommet d’une chaîne de commandement moral élaborée par elle-même, à une hauteur inégalée dans l’histoire. Se tenant pour histoire de l’humanité tout entière, elle s’en est réservé la vocation de « capitanat universel ». « C’est en cela que résidait son exemplarité — l’inscription de l’universel dans le corps propre d’une singularité, d’un idiome, d’une culture et, dans les cas les plus obscurs, d’une race. L’Europe s’apparentant à une tâche philosophique, sa mission était d’étendre les lumières de la raison au service de la liberté » (Mbembe, 2010 , p. 73 ).

Autrement dit — et c’est là où se complique abruptement la tâche de la pensée décoloniale —, l’eurocentrisme est une épistémè au sens où il est constitutif de la possibilité même du discours moderne. Il ne s’agit pas d’une simple attitude intellectuelle qu’aurait endossée une poignée d’individus isolés (les postulats racistes de Kant, de Hegel ou de Hume ne sont pas des figures d’exception), mais d’un véritable écosystème de la pensée moderne, dans la continuité duquel, faute d’avoir jamais été déconstruit de l’intérieur, viennent s’échafauder de nouvelles théories sur les cendres et les fondations posées par les anciennes (Lazarus, 2006 ).

On comprend alors le parcours circulaire qu’ont parfois semblé suivre les intellectuels africains de la première et deuxième génération post-Indépendances dans leurs efforts à se défaire des chaînes conceptuelles qui les maintenaient captifs des ruses de la colonialité. Si le projet de la pensée décoloniale d’une « autre philosophie de l’histoire » permet de consommer rétrospectivement le divorce entre la colonialité et l’activité philosophique, ce qu’elle dit des avenues de la reconstruction épistémologique après les décolonisations ne va pas de soi. Alors que l’épistémè disciplinaire exige un degré important d’abstraction normative, la posture épistémique du « point zéro » caractéristique des discours les plus valorisés en philosophie, hypostasie une situation herméneutique et historique singulière qui postule l’idéologie d’une supériorité de certains raisonnements nés en contexte européen (les notions d’État et de nation ; le progrès/le développement ; la relation intrinsèque entre raison et liberté ; la religion comme obscurantisme ; etc.) sur ceux qui présidaient aux rapports sociaux de toutes les autres provinces du monde.

Les années 1980 et le tournant postcolonial

Le courant de la critique postcoloniale partage avec l’approche décoloniale un dessein général d’une mise à nu de la violence du fossé entre l’idéal particulier que l’Europe impute à l’usage éthique de la raison et ses effets pratiques en colonie. Ce que l’on a coutume d’appeler dans les cercles académiques la « théorie postcoloniale » est née dans les départements anglo-saxons d’études littéraires avec entre autres ouvrages fondateurs ceux d’Edward Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident ( 1978 ), de l’école indienne animée par des penseurs comme Gayatri C. Spivak ( Les subalternes peuvent-elles parler   ?, 2008 ) ou Homi Bhabbha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale ( 1994 ). Avec ses ouvrages The Idea of Africa ( 1994 ) et The Invention of Africa ( 1988 ), le philosophe congolais V.Y. Mudimbe est également considéré comme l’une des influences les plus déterminantes des postcolonial studies en même temps que de la philosophie africaine avec laquelle il n’a jamais cessé de discuter.

La « bibliothèque coloniale » ou l’« invention de l’Afrique » notamment sont des concepts que les philosophes du continent n’estiment plus nécessaires d’expliquer. V. Y. Mudimbe ( 1988 ) montre brillamment comment les concepts d’« Afrique » et d’« identité africaine » tels qu’ils restent souvent débattus en études africanistes et en philosophie africaine sont prisonniers d’un imaginaire produit, sur la très longue durée, par les discours occidentaux sur l’Afrique (son « invention ») au fil de plusieurs siècles d’accumulation d’archives d’explorateurs, de voyageurs, de missionnaires, d’anthropologues, de discours accompagnant les expositions coloniales ou les cahiers d’apprentissage d’écoliers, etc. Cet immense corpus qu’il appelle la « bibliothèque coloniale » se présente comme une véritable épistémè de la raison occidentale dans son rapport à l’Autre ( 1994 ), qui s’est construit par sédimentation.

L’analyse des textes, qu’ils soient de facture littéraire, philosophique, anthropologique ou médiatique, occupe une place déterminante dans la critique postcoloniale qui y étudie la manière dont l’écriture de l’altérité a non seulement produit de fausses connaissances, mais également, des identités schizophrènes. Opérant comme système, la constitution d’un tel régime de savoirs sur l’Afrique a fini par engendrer ce qu’elle nomme. D’abord, ces discours ont produit des imaginations fantasques nourries par l’ignorance et l’effroi, puis la rédaction, la théorisation, la scientifisation de ces contenus en sont venues à se substituer à la réalité (Lazarus, 2006 ).

Dès l’Antiquité, nous dit Mudimbe, se met en place dans les écrits de philosophes une spatialisation de l’altérité au sein de laquelle les lieux connus (la Lybie, l’Éthiopie, le lac Triton, le mont Atlas, etc.) agissent comme des marqueurs physiques de discrimination éthique entre le dedans et le dehors de la civilisation désignée comme telle selon le degré de pénétration de la culture grecque. Entre la Géographie de Strabon, L ’Histoire universelle de Diodore de Sicile, en passant par l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, « le monde africain devient […] prétexte à une intertextualité proliférante où les procédés rhétoriques, les jeux citationnels et les arguments d’autorité font office de savoir » (Mangeon, 2010 , p. 20 ). Le motif de l’Afrique hors du monde est repris frénétiquement à l’époque coloniale. En métropole, les littératures de fiction, de voyage et d’aventure prennent le relai pour imprimer leur influence sur les représentations occidentales de l’Afrique. « Ce signe que l’on nomme le Nègre et, par ricochet, cet apparent hors-lieu qu’on appelle l’Afrique [ont pour] caractéristique […] de ne pas être un nom commun, et encore moins un nom propre, mais l’indice d’une absence d’oeuvre  » (Mbembe, 2013 , p. 27 ).

En philosophie africaine, on cite souvent un passage de l’introduction aux Leçons de philosophie de l’Histoire de Hegel ( 1837 ) pour synthétiser, avec une incroyable violence, ce double mouvement de spatialisation/altérisation de l’Afrique. L’Afrique « à proprement parler », nous dit Hegel, est nécessairement noire, balisée au nord par la frontière postulée infranchissable du désert, excluant donc l’Égypte (parce qu’elle fut une grande civilisation) et le nord du Sahara (dont les habitants ont la peau blanche). D’une certaine manière, il faut les « rattacher à l’Europe ». Comme telle, l’Afrique reste à jamais prostrée dans une « pré » histoire perpétuelle puisque l’Africain qui l’habite est un être de nature, incapable de culture, a fortiori de civilisation. Parlant de l’Afrique, il faut donc « exclure la catégorie d’universalité ». Ces représentations tout à fait répandues induisent des réflexes épistémiques, qu’il s’agisse de dichotomies (Europe/Afrique, histoire/préhistoire, civilisation/barbarie, culture/nature, Afrique blanche/Afrique noire) ou d’injonction définitionnelle : l’africanité est nécessairement, c’est-à-dire ontologiquement noire, et l’expérience qui en est faite est incommunicable puisqu’elle n’est pas universalisable.

Il s’ensuit que les attributs essentiels qu’exacerbaient les propositions décoloniales des premières générations afin de caractériser une africanité authentique ne sont rien d’autre que des déclinaisons des seconds termes de chaque couple conceptuel élaboré soigneusement, hors du continent, pour radicaliser l’opposition avec ce que n’est pas l’Occident : la Philosophie/la philosophie bantoue ; la raison/l’émotion ; l’écriture/l’oralité ; la modernité/les traditions ; les droits humains individuels/le communautarisme ; la science/les savoirs indigènes ; l’histoire/le mythe, etc. D’un logos qui ventriloque la métaphysique occidentale de l’identité/altérité sont censés naître un sens et une direction à l’Afrique postcoloniale, alors qu’il « speak neither about Africa, nor Africans, but rather justify the process of inventing and conquering a continent » (Mudimbe, 1988 , p. 20 ).

Contrairement à la caricature qui en est souvent faite, la critique postcoloniale ne renonce pas pour autant à la dénonciation et à la déconstruction de la colonisation et de ses effets de colonialité. Le tournant postcolonial de la philosophie africaine n’opère pas tant un déplacement qu’une complexification de ses grilles d’analyse, de son rapport aux sources, à l’histoire et aux reconstructions. Pour les critiques de la pensée enfermée dans l’antre du maître, le recours à l’idéal déchu et largement inventé d’une Afrique « précoloniale » est souvent une forme de capitulation devant les défis du présent. Que l’ethnologie coloniale ait inventé des origines hamitiques, nilotiques, voire caucasiennes ou juives en racisant les Tutsis du Rwanda pour les hisser au-dessus des Hutus durant l’époque de la colonie belge n’empêche pas que ce soit une idéologie postcoloniale du cru, le hutu power , mise en oeuvre au nom de l’authenticité rwandaise, qui soit à l’origine en 1994 d’un des crimes (par ailleurs on ne peut plus moderne) les plus graves contre l’humanité. De fait, on pourrait dire qu’à partir des années 1980 , les philosophes se préoccupent davantage des conditions de refondation du vivre-ensemble africain après les déconfitures postcoloniales comprises, entre autres mais pas uniquement, comme des émanations de la colonialité.

Quelle exégèse pour l’Afrique ?

Exception faite de Mudimbe, les théories postcoloniales s’intéressent le plus souvent aux héritages coloniaux de différentes régions du monde soumises à l’impérialisme britannique. Bien antérieurs à cette colonisation tardive ( xviii e - xix e s.), les expériences coloniales hispanique et lusophone de même que leur affranchissement (dès le début du xix e s.) sont donc exclus de leur champ d’investigation. Incapable de remonter aussi loin que la conquête des Amériques, le collectif MCD en conclut que la théorie postcoloniale reste incapable de se décentrer de l’emprise de l’Europe. Pour les décoloniaux, en s’appuyant sur des relectures et dépassements du marxisme (Gramsci, Hardt et Negri), du poststructuralisme (Foucault, Deleuze) ou sur des critiques de la métaphysique occidentale (Heidegger, Nietzsche, Derrida), le postcolonialisme demeure également profondément engoncé entre les ornières de la tradition intellectuelle occidentale. « Postcoloniality », nous dit Anthony Kwame Appiah, « is the condition of what we might ungenerously call a comprador intelligentsia : of a relatively small, Western-style, Western-trained, group of writers and thinkers who mediate the trade in cultural commodities on world capitalism at periphery » ( 1992 , p. 149 ). Les théoriciens décoloniaux revendiquent au contraire le recours à une pensée critique centrée sur l’Amérique latine, puisant à ses propres archives : théories de la dépendance, théologie de la libération, auteurs autochtones et espagnols de l’époque coloniale (Waman Poma de Ayala, Bartolomé de Las Casas), auteurs canoniques caribéens, tels Franz Fanon ou Aimé Césaire (Boidin, 2009 ).

Pour les Africains, si les sources sur les origines sont peu fiables, voire falsifiées [4] , il s’ensuit que le rapport aux archives africaines ou du monde ne peut qu’être complexe. Cette autre caractéristique distingue l’approche décoloniale de la postcoloniale. Selon Souleymane Bachir Diagne ( 2017 ) par exemple, la décolonisation des savoirs n’exige pas d’excommunier le corpus occidental en tant que tel, mais plutôt de déconstruire la manière dont ce corpus a été aménagé idéologiquement par l’histoire de la philosophie européenne au xix e s. Comme chez Hegel, au nom d’un idéal téléologique des progrès continus de la raison, les philosophes ont reconstitué rétrospectivement un parcours linéaire des moments « qui comptent », tous nécessairement exclusifs à l’Europe. Il corrige en spécifiant que la transfert-traduction ( translatio studiorum ) de la philosophie et des sciences grecques a emprunté des trajectoires rhizomatiques (Bagdad, Cordoue, Fès, Tombouctou) qui n’ont rien à voir avec cette mythologie des origines. « Comme la translatio studiorum , ajoute-t-il, il faut “compliquer l’universel”, ce qui n’a rien à voir avec le fait de s’interdire avec (c’est-à-dire aussi peut-être “contre”) Platon, avec Descartes ou avec Kant » (p. 77 ).

« Penser contre et avec » afin de faire émerger une nouvelle configuration de la tradition, une nouvelle topographie conceptuelle, de nouveaux usages, d’autres manières de questionner, de définir la philosophie, c’est également ce que préconise Fabien Eboussi Boulaga ( 1977 ). Si l’essentiel est d’éviter une attitude servile, le philosophe s’interdit d’interdire. Que la philosophie ait son propre héritage (occidental) ou qu’elle transite par les sources coutumières, « consentir à la traditionalisation de la philosophie, à l’obligation de ne penser que par ancêtres interposés, c’est ratifier un ethnocentrisme qui, transféré à d’autres plans, manifeste ce qu’il contient de destructeur et d’homicide » (p. 9 ).

Au demeurant, différentes contributions du courant herméneutique s’intéressent à clarifier les implications épistémologiques de l’usage des savoirs traditionnels pour la pensée critique africaine. Dans des écrits plus récents, le même Paulin Hountondji qui donnait l’impression, quelques années plus tôt, de ne jurer qu’au canon de l’Europe, explore le potentiel philosophique de ces idées qu’il rebaptise « endogènes » ( 1994 ) pour éviter d’intimer à une coupure radicale entre un passé qui serait « traditionnel » et un présent moderne. La modernité et ses outils (science, technologie, bureaucratie, etc.) coexistent en effet avec la vitalité, le renouvellement, la réforme des traditions de pensée dans l’Afrique postcoloniale. Le concept d’« endogénéité » permet de rendre compte de la créativité culturelle interne à un groupe sans présumer de son immobilisme ni de son étanchéité aux influences extérieures. Marcien Towa s’intéresse, quelques années après sa charge virulente contre l’ethnophilosophie, à la littérature orale issue des milieux traditionnels et à leur mise en oeuvre d’une pensée critique sur des questions philosophiques majeures ( 1979 ).

Kwasi Wiredu ( 2002 ) distingue quant à lui deux grandes catégories de savoirs endogènes susceptibles d’être, ou pas, philosophiques. Les premières conceptions traditionalistes ne font que rapporter de manière littérale des récits moraux légués entre plusieurs générations d’une même communauté lignagère. Ces cosmologies conceptuelles ainsi transmises ne sont d’aucune manière réflexives et, ajoute-t-il, souvent réfractaires à toute forme d’initiative intellectuelle. Il s’agit d’ethnophilosophie. Inversement, certains individus (les « sages » selon Odera Oruka, 1990 ) proposent, amendent, rejettent, formulent des questionnements philosophiques originaux à l’intérieur de ces univers de sens et hors du système clos de l’héritage occidental dont ils n’ont pas connaissance. Jean-Godefroy Bidima ( 1997 ) articule une véritable éthique de l’agir communicationnel à partir d’une analyse de la palabre africaine, cette pratique pluriséculaire de médiation des conflits par la discussion.

De fait, la philosophie africaine contemporaine se méfie de toutes les formes de fétichisme, que ce soit de l’héritage philosophique occidental ou d’une exclusivité accordée aux traditions indigènes africaines. Son rapport aux sources, complexe, est avant tout guidé par les préoccupations du philosophe et par un désir effréné de ne pas (ne plus) se laisser enfermer.

Afrotopia et politiques de l’authenticité

Au-delà du tournant politique dont l’inachèvement demeure à ce jour incontestable, la décolonisation a consacré en Afrique l’avènement d’un chantier de la parole collective jusqu’alors profanée — quoique jamais étouffée complètement — par plusieurs siècles de domination raciste. Après la Conférence de Bandung qui en a intronisé la possibilité, elle a aussi consacré la percée inédite d’une résolution à reconstruire un monde commun, un universel, dans lequel la cohabitation entre plusieurs mondes n’est plus organisée suivant les logiques avilissantes du racisme. Le texte d’Ernest-Marie Mbonda « La décolonisation des savoirs est-elle possible en philosophie ? » est témoin des années de débats consacrées aux contours de cette prise de parole d’une « Afrique pour elle-même ». Après que la philosophie africaine s’est consacrée longtemps et en exclusivité à l’élucidation des conditions nécessaires à l’émergence de son autonomie, il semble qu’au stade actuel de son développement ce soit cette programmatique de reformation utopique, depuis l’Afrique, d’un universel postcolonial qui accapare les philosophes.

Dans son texte aussi controversé que souvent occulté « À propos des écritures africaines de soi », Achille Mbembe ( 2000 ) pose le diagnostic selon lequel la créativité de la pensée critique en Afrique serait entravée par la répétition et la réactivation permanente de trois propositions déclinables à l’infini censées encapsuler pour de bon son identité profonde. Il s’agit d’abord de jeter les feux du projecteur sur la mauvaise foi épistémique de l’Occident en réfutant la définition que ses africanistes, ses journalistes, ses politiciens, ses économistes se font de l’Afrique et des Africains. Le deuxième terme de ce raisonnement consiste à faire la preuve des maux que l’Occident continue de faire subir à l’Africain pour lui permettre « enfin de se raconter à lui-même ses propres fables », son authenticité. « Ces trois spectres (l’esclavage, la colonisation et l’apartheid) et leurs masques (la race, la géographie et la tradition) n’ont pas cessé de hanter la doxa africaine. Ils constituent la sorte de prison dans laquelle, aujourd’hui encore, celle-ci se débat » (p. 3 ).

À contre-pied des réceptions enflammées, il faut d’emblée dire ce que cet argument ne dit pas . Achille Mbembe ne nie pas le caractère structurant de ces tragédies noires ou de la domination contemporaine de l’Occident dans les pays qu’il a colonisés sur le présent africain. Il a lui-même consacré plusieurs textes, dont le magistral Critique de la raison nègre à étudier la centralité de ce triptyque esclavage/colonisation/apartheid dans l’avènement de la Modernité et l’émergence d’une conscience nègre. Ce qu’il regrette, en revanche, c’est que ces éléments symboliques se révèlent comme des exigences prescriptives et qu’à ce titre ils obstruent la possibilité d’éclosion d’une pensée africaine qui n’aurait de compte à rendre à personne. Autrement dit, elle est encore une écriture pour les autres ; elle n’est pas une écriture de soi .

Relisant l’argument dans « Keeping Africanity Open » ( 2002 ), Souleymane Bachir Diagne l’interprète comme un effort à refonder à nouveaux frais une politique de l’authenticité pour le xxi e siècle au coeur de laquelle le temps qui prime sur celui d’un passé traumatique, c’est celui du futur. C’est l’avenir de soi au souvenir de ce qui a déjà été qui doit donner son sens et sa direction au présent africain et orienter les identités que le continent souhaite se donner pour demain. Plutôt que la répétition de « traditions » que complique la tâche du départage entre l’original et la fiction, Mbembe appelle à un décentrement permanent « qui récuse tous les centrismes » (Diagne, 2018 ) et désusbstantialise radicalement les logoi sur la différence, l’identité, l’exceptionnalisme africains. Il s’ensuit que l’« authenticity is not […] the outcome of a project of transcending alienation, deracination, or disposession […]. Nor is it a result of overcoming falsification — for example, falsification of African history/identity in the colonial discourse » (p. 622 ). L’authenticité d’une prise de parole ne se rattache plus à son effort de faire coïncider une supposée quiddité africaine perdue avec son présent, mais plutôt se donne comme attitude créative, anticipatoire et exploratoire. Auteur de deux « Que sais-je ? » sur La philosophie négro-africaine et L’art négro-africain , Jean-Godefroy Bidima est aussi le créateur de la notion très diffusée de « philosophie de la traversée » qualifiant ce projet de tracer des points sur l’horizon, des lignes de fuite, ce vers quoi projeter sans complexe l’avenir de la philosophie africaine après le paradigme de son devoir-être.

Le texte « Création, imagination et sens esthétique » que signe Jean-Godefroy Bidima dans ce dossier témoigne à merveille de cette liberté auto-instituante que s’autorise désormais sans complexe le philosophe africain. « On attend[rait] donc du philosophe africain qu’il prouve (encore la preuve !) que l’Afrique a une philosophie propre. […] S’il est admis que le philosophe africain partage la même humanité que les autres, les expériences des autres peuvent de ce fait lui servir et surtout les livres du monde sont aussi ouverts pour lui » ( 2002 , p. 13 ). Dans un geste presque frondeur, Bidima revient à la définition minimaliste d’Hountondji d’une philosophie africaine comme discours écrit par des Africains déclarant écrire des textes à intention philosophique. Il ne cite dans son article aucun penseur africain et n’évoque l’africanité qu’à deux reprises, entre des parenthèses presque provocatrices, pour qualifier « l’oeuvre d’art ». Car l’oeuvre d’art, le sens esthétique, le sujet créateur, l’imagination, le statut de l’objet, les conditions de sa production, les logiques de marchandisation au sein desquelles ces notions s’engluent et que l’esthétique doit prendre en charge sont des problématiques que Bidima conçoit comme y compris africaines au point où il n’est point besoin de le spécifier — d’autant qu’il est aussi connu que regrettable que le marché de l’art africain contemporain se trouve aujourd’hui en Occident. Le sens esthétique, nous dit-il, est un travail sur les motivations du sujet, les méandres de son imaginaire et de ses utopies.

S’inscrivant dans ce sillage, Kasereka Kavwahirehi ouvre la voie à un chantier novateur dans son dernier ouvrage Y en a marre   ! Philosophie et espoir social en Afrique ( 2018 ) en proposant des assises théoriques originales à une philosophie susceptible de décrypter et documenter l’utopie d’une « Afrique qui vient ». S’inspirant d’Ernst Bloch, contre les enfermements identitaires, Kavwahirehi assume dans son dernier ouvrage la prémisse d’une anthropologie philosophique qui fasse du « principe espérance » le moteur de l’existence et, plus fondamentalement, de l’être même de l’humain. Rompant avec les conceptions rationalistes modernes de ce qui fait « humanité » ou les illusions d’une altérité naturelle des Africains, il affirme leur nature de créateurs de projets, de rêves, de futurs à faire advenir. En regard de la vie quotidienne des gens ordinaires en Afrique, l’herméneutique utopique invite à décoder les directions dans lesquelles pointe cette symbolique de l’espérance. Le texte de Kavwahirehi, « La philosophie sociale ou le chapitre manquant de la philosophie africaine » signe l’étape du diagnostic de l’incapacité de la philosophie africaine à rendre compte des pathologies et crises sociales d’une Afrique particulièrement malmenée par le néolibéralisme et les transitions démocratiques volées depuis 1990 . Exposant les limites des avenues empruntées par la théodicée épistémologique et théorétique de la philosophie africaine, l’hypothèse du professeur, tout à fait convaincante — et qui est en même temps une invitation —, est que la philosophie sociale lui a jusqu’alors fait défaut. La philosophie du futur, nous dit-il, doit admettre toutes les formes de pratiques quotidiennes qui font que l’Afrique se tient debout en dépit de toutes les difficultés qu’elle doit surmonter : les mythes, les rêves, la musique, les contes, la littérature, la peinture, les pratiques religieuses, la mode, etc.

Puisque dans les Sud en général, la religion est loin d’avoir suivi la voie de sortie définitive qu’elle a empruntée avec la modernité occidentale, la philosophie ne peut exclure l’utopie chrétienne du Royaume de ce travail d’analyse sociale [5] parce qu’elle continue d’incarner, de fait , un horizon utopique malgré sa généalogie coloniale. Dans son article « Théologie mineure : douleur noire et espérance chez Jean-Marc Éla », Nadia Yala Kisukidi analyse la reterritorialisation paradoxale de la religion chrétienne dans des territoires où elle a servi initialement d’instrument de domination et la manière dont, en s’inculturant, elle a pu en réinventer d’autres lectures, à la fois politiques, critiques et théologiques. Hors d’un Occident qui postule sa propre sécularisation conquérante comme nécessairement émancipatrice pour l’humanité, les langages religieux ont proposé d’autres interprétations de la liberté, de la libération et de l’émancipation. Loin des officines cléricales, à l’image de Jésus, la théologie « sous l’arbre » de Jean-Marc Éla s’ancre dans les espaces de marginalité, de souffrance sociale et de vulnérabilité pour y élaborer de nouveaux univers de signification, dans une herméneutique de la Parole appuyée sur le double refus de son indigénisation béate ou de sa reprise missionnaire. Devant la confiscation des fruits de l’Indépendance par les nouvelles formes d’impérialisme et par les pratiques prédatrices des bourgeoisies postcoloniales, l’intellectuel camerounais exige de lui-même qu’il complique les fondements théoriques de la praxis révolutionnaire dont l’horizon ne serait que terrestre. Sa conscience religieuse se dédouble comme conscience critique du politique et l’amène, à nouveaux frais, à s’élever dans un au-delà de l’espérance politique — une théologie de l’espérance.

À propos de ce dossier, « Routes, détours et relecture postcoloniale de la philosophie africaine », notre espoir est que ces quelques contributions participent à clarifier les prémisses, les arrière-fonds théoriques, les désaccords, les débats passés et en cours, le projet de la philosophie africaine, mais aussi qu’elles entrent en scène, à leur façon, dans ce mouvement en marche d’imagination afrotopique. On doit espérer également que ce tournant qui s’opère sous nos yeux d’une réflexion critique guidée par le temps utopique du futur à partir de ce que la réalité porte en gestation ouvre la voie au renouveau de l’analyse de notions « qui vont de soi » en philosophie politique (l’État, la nation, le progrès, le développement, le devoir d’assistance, etc.) et qui, telles qu’elles sont théorisées dans la tradition libérale, sont en partie responsables d’alimenter les dystopies du présent africain.

L’Afrotopos est ce lieu autre de l’Afrique dont il faut hâter la venue, car réalisant ses potentialités heureuses. Fonder une utopie, ce n’est point se laisser aller à une douce rêverie, mais penser des espaces du réel à faire advenir par la pensée et l’action ; c’est en repérer les signes et les germes dans le temps présent, afin de les nourrir. L’Afrotopia est une utopie active qui se donne pour tâche de débusquer dans le réel africain les vastes espaces du possible et les féconder » Sarr, 2016 , p. 14

En ces temps moroses où les pulsions xénophobes, l’eschatologie écologique, la précarisation des conditions de travail et de vie anesthésient de plus en plus les rêves d’un avenir autre en Occident, l’Afrique, cette grande soeur de l’humanité qui a survécu à des formes particulièrement violentes de destruction dont les séquelles restent encore vives, a sans nul doute bien des choses à nous apprendre en nous indiquant le chemin exigeant de ce qu’il reste possible d’accomplir, d’espérer.

De philosopher.

En anglais, le verbe remember offre cette double signification d’une reconstitution par le souvenir et par la réunion de membres jusqu’alors séparés.

Tels qu’Alioune Diop, le fondateur de Présence africaine , mais aussi que Léopold Sédar Senghor, Albert Camus, ou André Gide.

Sous le règne de Charles Quint, lors de la controverse de Valladolid ( 1550 - 1551 ), différents administrateurs du royaume, juristes et théologiens (principalement, Bartolomé de Las Casas et Juan Ginés de Sepúlveda) prirent part au débat sur la nature ontologique des membres des premières nations du « Nouveau Monde » et de l’élucidation des conditions morales autorisant leur soumission.

Entre autres raisons parce que les sources écrites l’ont été, la plupart du temps, par les colons ou parce que c’est la raison orale qui préside à leur transmission. L’oralité n’a pas les mêmes finalités que l’écrit, notamment dans son rapport à la fidélité historique. À ce sujet, voir Mamoussé Diagne ( 2006 ), Critique de la raison orale .

Kasereka Kavwahirehi y consacre deux chapitres sur six dans son livre ( 2018 ).

Bibliographie

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Penseurs d’Afrique (1/5) : Introduction à la philosophie africaine

  • Souleymane Bachir Diagne Philosophe, professeur de philosophie française et africaine à l’Université de Columbia, directeur de l’Institut d’Études africaines

Par Adèle Van Reeth

Réalisation Nicolas Berger

Lectures : Jean-Louis Jacopin

Emission enregistrée dans le cadre de CitéPhilo

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  • Arch. Johnny Clegg , L'Humeur vagabonde , France Inter, 30/05/2005

- Lambag , Jegede Tunde

  • Ladysmith black mambazo ,* Bantu Radio*

*- * Johnny Clegg , Soweto

Et les "2 minutes papillon" de Géraldine Mosna-Savoye avec le philosophe Pierre Dardot sur la philosophie du droit.

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CHAP II : LA PHILOSOPHIE EN AFRIQUE

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Kakmeni Schaller

En quoi la philosophie peut-elle être aujourd’hui utile en Afrique ? Que peut-on retenir de pertinent et d’essentiel dans l'étude de l'histoire de la philosophie négro-africaine ? Notre réflexion est une analyse de l’histoire de la philosophie africaine. Elle va de ses origines égypto-nubiennes dans l’Antiquité, de son déploiement au Moyen-âge avec les écoles de Tombouctou, de Gao ou de Djenné à nos jours. Un tel parcours a pour souci de révéler la dynamique de l’activité philosophique en Afrique, malgré la ténacité du préjugé raciste qui est née en plein modernité et fondée pour l’essentiel sur le rejet de l’Afrique de l’Histoire. Une telle idéologie a sans doute contribué à justifier et à pérenniser la traite et l’esclavage durant trois siècles. Elle a également motivé l’Europe conquérante dans sa prétendue mission civilisatrice à coloniser l’Afrique. Ces actions de déshumanisation et d’exploitation systématique furent une véritable tragédie pour l’Afrique. Toutefois, il importe de souligner que c'est durant cette période douloureuse que le désir de liberté et de libération a été particulièrement recherché , notamment avec les actions initiées par les « Noirs » de la diaspora. Leur abnégation et leur militantisme a motivé les luttes de libération dans les colonies à travers le mouvement de décolonisation. C’est dans ce contexte de lutte pour les indépendances que se situe le débat autour de l’existence de la Philosophie Africaine suite à la publication de La philosophie bantoue de Tempels, ainsi que des controverses et critiques qui vont animées ce débat. Sans vouloir nier la pertinence des points vue sur le débat sur l’existence de la Philosophie africaine, nous tenons à préciser que l’intérêt de philosophie apparaît dans l’étude de son histoire et de son impact sur la transformation des sociétés. Notre souci est d’inviter les philosophes africains à repenser le discours philosophique africain, c’est-à-dire à réinterroger sa problématique afin de la rendre plus opérante. Car la question que chacun devrait désormais se poser est la suivante : qu’est-ce que le discours philosophique peut nous procurer comme arme redoutable pour le développement de l’Afrique ? Comme solution nous pensons qu’il est nécessaire de se réapproprier de notre passé, non pas en terme de possession ou d’exhumation mais de manière à ce qu’il puisse nous aider à comprendre et à vivre le présent, d’améliorer notre vivre-ensemble afin de construire l’avenir. Aussi, d’adopter une attitude de gagnant, de vainqueur et non de perdant, une attitude d’action et non de passivité devant la vie et les événements. D’où l’urgence d’une philosophie de la libération et du développement à laquelle nous vous invitons. Agir ainsi, c’est être capable d’orienter le discours philosophique négro-africain dans l’unique optique de la transformation radicale de la société africaine, afin de susciter une prise de conscience réelle de notre identité culturelle et d’encourager chaque africain où qu’il soit à une ouverture d’esprit et à adopter une mentalité de développement. Voilà tout l’intérêt de notre étude.

Yannick Essengue

Yannick ESSENGUE

Ethnophilosophy does not represent what should be called here African philosophy. Such is the clarification which Marcian Towa attempts, when he reacts after the publication Bantou philosophy by Placide Tempels. He characterizes such philosophy in a pejorative way as being ethno-philosophy, a double treason of both ethnology and philosophy. The same criticism is equally resounding in Fabien Eboussi, who proposes to clarify the conditions of a "use and re-use of philosophy". Here we would like to suggest through the hermenetics perspective, the contrary and the reverse side of an expression (ethnophilosophy) that still bears until today, misunderstandings.

Revue philosophique de Louvain

Philipp W . Rosemann

This is an extended review of the book by D. A. Masolo, "African Philosophy in Search of Identity," originally published in 1994.

Revista Labirinto

We choose to reflect on certain and provisional nexus between philosophy and hermeneutics in the context of postcolonial Africa. This consideration is situated in the movement of hermeneutics considered essentially as philosophical with in the scope that is at once theological, juridical and philological, even when in reality, the hermeneutical quest looks like a sheer abandonnement oh human beings in the face of the absurdity of the incomprehensible. For us, the definition would represent one of the hermeneutical path that deserves to be taken seriously, which announces the end of the subject's rapprochement with the real. So, how could we bring together, Gadamer's diactectical hermeneutics and Kinyongo's discursivity (hermeneutical theory in African philosophy)? If the postcoonial is understood as "politics of life" (Achille Mbembe), hense our attestation would be that the African historicity is dialectical, which necessitates interpretation. It is here that we would prefer to pay attention to by means of historical defining paremiology.

Herman Lodewyckx

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Le Portique

Revue de philosophie et de sciences humaines

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La problématique de l'ethnophilosophie dans la pensée de Marcien Towa

Philosophe  Camerounais, Marcien Towa fait une critique sans complaisance  de l’ethnophilosophie africaine qui, selon lui, est un sous-ensemble de l’ethnologie européenne. Il montre que la philosophie africaine, si elle existe, devrait se conformer à la philosophie au sens strict du terme. Il est maintenant nécessaire, pour la philosophie africaine, d’éliminer les obstacles à la révolution africaine afin que l’Afrique puisse  amorcer véritablement son processus d’auto-libération et d’auto-émancipation. Mots-clés : Ethnophilosophie-Révolution-Colonisation-Philosophie-Valeur-Culture-Mythe-Critique

Texte intégral

1 Frustrés et déçus des tracasseries  de la colonisation, les intellectuels Africains présentent les normes d'une action possible face à la domination de l'idéologie coloniale. Ils affirment le droit pour les Africains à l'indépendance totale, à un nouveau style de pensées, de paroles et de vie. Cela se manifeste par l’exhumation de la culture africaine. A partir des tableaux d'occurrence et d'opportunité, d'apparition de l'Autre, le moment était enfin arrivé qu'une philosophie dite africaine puisse s'énoncer et ce, d'autant plus que déjà dans les domaines de l'art, de la littérature (entendue comme poésie et romans), des hommes Noirs avaient fait leurs preuves. Il manquait en quelque sorte la sanction philosophique à cette reconnaissance de la place du Noir ou de l'Africain dans le monde. Mais que  vaut cette philosophie ? Pourquoi Marcien Towa la considère-t-il comme une ethnophilosophie ? Est-elle foncièrement dissociable de la philosophie européenne ? L’ethnophilosophie est-elle une philosophie africaine spécifique ?

Dévoilement d'un concept

2          Dans les années 40, Placide Tempels, missionnaire du Katanga, va écrire une œuvre intitulée La philosophie bantoue. Mais ce livre, bien qu'il soit apprécié par des hommes de culture et des philosophes célèbres tels que Gabriel Marcel, Gaston Bachelard, Louis Lavelle, a été aussi sévèrement critiqué par des Africains comme Césaire, Mudimbé, Eboussi Boulaga, Hountondji, N'joh Mouellé, Marcien Towa,etc.

3 En effet, pour Marcien Towa, le but de Tempels n'est pas un but philosophique, mais un but hautement religieux. Car il tenait à trouver une nouvelle méthode de christianisation et de colonisation. Ainsi, la philosophie bantoue s'inscrivait-elle dans une tradition  d'évangélisation, de domination économique, politique et culturelle de l’Afrique.

4 Tempels ne cache pas son jeu, car il veut seulement inviter à respecter le Noir comme une personne ; et pour arriver à cette fin, il dresse le tableau d’une « philosophie bantoue » comme pour dire que les bantou ont déjà une philosophie, qu'ils pensent et qu'ils pourraient être de bons chrétiens s'ils faisaient un petit effort.  Pour Towa, Tempels qui n'est pas philosophe, se montre soucieux d'une recherche philosophique pour mieux enseigner le message du Christ et il se dit que ce message serait mieux saisi s'il prenait en compte la logique bantoue. Par conséquent, il propose de renoncer à la logique pour épouser la manière de sentir et de voir du Noir, c'est-à-dire parler son langage, comprendre ses aspirations, rentrer en dialogue intime avec lui. Tempels semble le dire en ces termes :

« Nous ne prétendons pas que les bantous soient à même de nous présenter un traité de philosophie, exposé dans un vocabulaire adéquat (…) C’est nous qui pourrons leur dire, d’une façon précise, quel est le contenu de leur conception des êtres, de telle façon qu’ils se reconnaissent dans nos paroles, et acquiescent en disant : « tu nous a compris complètement, tu ‘’sais’’ à la manière dont nous ‘’savons’’. »  

5 On comprendra alors pourquoi Tempels dénonce le système colonial qui nie tout  droit aux Noirs. Ainsi va-t-il revendiquer le droit à la société, à l'éducation, à la vie, le droit à des conditions économiques et administratives décentes. Tempels sera ainsi emmené à dénoncer les exactions coloniales et, tout en les dénonçant, il dira que le Bantou a aussi une philosophie autant que les Occidentaux «dans la mesure où la philosophie était considérée comme l'attribut essentiel et indispensable d'une humanité véritable.»  

6 C'est pourquoi, Marcien Towa pense que la notion de philosophie de Tempels, renvoie ici à la notion plus générale de philosophie primitive car «au lieu d'adopter à leur endroit l’attitude de détachement scientifique, les auteurs en quête d'une philosophie africaine spécifique leur confèrent une valeur normative relativement à la vérité ou à l'action».    C'est à juste titre que Towa qualifie la pensée de Tempels d'Ethnophilosophie, car  pour Tempels,

« le ressort et la fin de tout effort bantou ne peut être que l’intensification de la force vitale, sauvegarder ou augmenter la force vitale, voilà la clé et le sens profond de tous leurs usages. C’est l’idéal qui anime la vie du ‘’muntu’’, c’est la seule réalité qui peut mouvoir le ‘’muntu’’, c’est la seule cause pour laquelle il se trouve prêt à souffrir et à se sacrifier.»

7 Il faut signaler que ce concept, s’il est écrit en deux mots (ethno-philosophie) par Hountondji et en un mot par Marcien Towa, a d'abord été utilisé bien avant Towa et Hountondji, par Kwame N'krumah qui s'était inscrit à une thèse de Doctorat qu'il ne terminera jamais à l'Université Abraham Lincoln, aux Etats – Unis d’Amérique. Cette thèse de Doctorat avait pour sujet : « Esprit et pensée dans une société sans écriture, étude ethno – philosophique  avec un examen particulier du cas du peuple akan de la Côte de l'Or.»  En utilisant donc le terme d’ « ethnophilosophie », Marcien Towa veut montrer que l'ethnophilosophie n'est rien d'autre qu'un mouvement de réaction, tout comme la Négritude sa devancière. Pour lui, les défenseurs de l'ethnophilosophie africaine comme systèmes et philosophie des valeurs culturelles du Monde Noir, la présentent  sous la forme d'une réalité transcendante par rapport à toutes les conditions matérielles et contingentes d'existence. L’Ethnophilosophie semble prendre pour de la philosophie, l’intégralité de la culture (mythes, contes, proverbes, magies, cosmogonies et sagesse, etc.). Elle serait la philosophie des systèmes de pensées collectifs, des traditions de pensée ou des visions du monde. Or, les valeurs culturelles et philosophiques du Monde Noir n'ont pas été et ne pouvaient pas être des productions sui-generis; elles sont, aujourd'hui encore, l'expression des conditions d'existence déterminées à la base. Elles n'ont rien des valeurs éternelles qui se tiendraient véritablement dans une fière indépendance, telles les idées platoniciennes dans leur environnement mystique. Dès lors,

« le problème est de saisir le lien qui assure leur cohésion, leur structure d'ensemble. Ce lien général, nous dit Towa, cette structure d'ensemble ne serait rien d'autre que  la philosophie négro-africaine dans sa spécificité. En réalité, cette interprétation des données ethnologiques n'a pas pour objet d'établir l'existence d'une philosophie négro-africaine. Le résultat, but essentiel de l'entreprise, est obtenu dès l'instant où le concept de philosophie est élargi jusqu'à coïncider avec celui de la culture. Car l'ethnologie ou l'anthropologie culturelle a déjà établi que toute société humaine a une culture. Donner à la philosophie la même extension que la culture revient donc à poser aussi l'universalité de la philosophie. La philosophie, c'est le sens général de l'être - dans le monde de toute société».

8 Ainsi,  remarquons-nous que Towa pense que les ethnophilosophes, pour se faire connaître de l'Occident, s'évertuent à construire en forme de philosophie, les matériaux de l'ethnologie traditionnelle. Towa ne se borne pas à dénoncer le caractère tautologique et mystificateur de cette démarche. Il la critique pour en montrer les limites et les conséquences néfastes. En effet, selon lui, si les travaux des ethnophilosophes permettent de saisir le monde négro-africain dans son unité, comme unité de civilisation irréductible à d'autres, ainsi que les traits caractéristiques, originaux et constants qui composent le type négro-africain et le système de  « valeurs » qui est le sien, il semble difficile de les considérer comme des œuvres philosophiques. Tout en produisant un fond commun de concepts, de notions et de systèmes, une telle pratique est liée à une regrettable distinction entre un avoir et un être. D'ailleurs, cette philosophie qui insiste sur l'originalité et la revalorisation des cultures africaines, cette théorie en quête d'une «philosophie bantoue», d'une philosophie originale et authentiquement africaine, différente de toute philosophie européenne, cet humanisme qui sera la revendication fondamentale de la théorie politique de l'identité, a été perçu par Marcien Towa comme un obstacle à l'avènement de la révolution africaine. Les travaux de Tempels, Kagamé et autre Fouda, ne sont pas de la philosophie, mais de l'ethnophilosophie.

«Leur façon de procéder n'est ni purement philosophique, ni purement ethnologique, mais ethnophilosophique. L'ethnophilosophie expose objectivement les croyances, les mythes, les rituels, puis brusquement, cet exposé objectif se mue en profession de foi métaphysique, sans se soucier ni de réfuter la philosophie occidentale, ni de fonder en raison son adhésion à la pensée africaine. De la sorte, l'ethnophilosophie trahit à la foi l'ethnologie et la philosophie.»

9   Or, l'on sait que l'ethnologie est une discipline issue des sciences humaines et qui s'inscrit dans une visée unitaire. Elle veut étudier une société qui semble se définir par son unicité de langues, d'espace et de culture. Pour Marcien Towa,  

« l'ethnologie, décrit, expose, explique mais ne s'engage pas (du moins pas ouvertement) quant au bien fondé de ce qui est ainsi décrit, expliqué. Elle  trahit aussi la philosophie parce que la pierre de touche qui lui permet d'opérer un choix entre les diverses opinions est avant tout l'appartenance ou la non appartenance à la tradition africaine, alors qu'un exposé philosophique est toujours une argumentation, une démonstration ou une réfutation. Ce qu'un philosophe retient et propose est toujours du moins en droit, la conclusion d'un débat contradictoire, c'est-à-dire d'un examen critique et absolument libre ».           

10 Selon Towa, l’ethnophilosophie veut se développer comme un courant dominant au sein de la littérature philosophique africaine.Si l'ethnophilosophie est une tentation permanente de la philosophie, si les ethnologues ont toujours cédé à l'envie de théoriser et de tirer des conclusions hâtives de leur philosophie, de leur pratique, cela ne veut pas dire qu'ils sont des philosophes.  À dire vrai, il n’y a pas et il ne saurait y avoir de philosophie bantoue ou bantou, rwandaise, dioula, akan, européenne ou américaine si l’on entend par là la présence d’une pensée hypothétique homogène populaire à laquelle tous les bantu, rwandais ou dioula, etc. auraient adhéré massivement et unanimement. Cela enferme dans le particularisme, le culturel et le traditionnel. La notion de philosophie collective est aberrante. A penser le contraire correspondrait à la manifestation d’un manque à penser individuel  à l’égard de ces peuples et de ces civilisations. Il n’y a  pas une philosophie africaine commune et immuable et spécifique une fois pour toutes. Dès lors,  il faut chercher la philosophie, disons la philosophie africaine, non seulement ailleurs, mais autrement.

Philosophie et ethnophilosophie : des différences foncières

11         La réflexion philosophique est un besoin parmi les besoins et comme telle, elle serait un effort de mise en ordre du monde. Le philosophe cherche le vrai mais le vrai n'est pas encore le réel, car le vrai reste  enfermé dans le cadre du jugement. Par conséquent,

« la question de savoir si nous avons ou non une philosophie, doit donc être résolument subordonnée à l’examen impartial et au jugement objectif de la valeur intrinsèque de la philosophie,  au sens européen du terme et au rôle qu’elle est susceptible de jouer relativement  à notre dessein fondamental. »

12 Pour Marcien Towa, l'ethnophilosophie est une anti-philosophie, car le philosophe  doit s'inspirer de la science ou, mieux, des sciences. Or,  les sciences ne s'éclairent que par des théories qui dépassent les sens. Ces théories ne sont pas celles qu'imaginent  les savants pour faire progresser leurs disciplines. Elles sont pour le philosophe une recherche de principes. Pour Towa, toute connaissance doit impérativement passer sous le crible de la raison. Et si la raison peut être à la fois le sujet et l'objet de la critique, c'est qu'elle est ce pouvoir spécifique et parfaitement original que possède la pensée d'opposer à ce qui est ce qui doit être. Elle doit imprimer à la  pure et simple existence, ce qu’elle ne crée pas et que seule l'expérience peut lui révéler. Le  sceau d'une nécessité et d'une universalité doit exprimer son exigence normative. L'acte propre de la pensée est le jugement qui décide de toute chose comme d'un cas relevant d'une règle. L'objet propre de la philosophie, comme connaissance de la raison humaine émane des conditions nécessaires à l'exercice légitime de sa propre normativité. Or, dit Towa,

« la philosophie  populaire recherche moins  la pénétration intellectuelle que  l’édification  par l’enthousiasme enflammé pour le beau, le sacré ou la religion. Elle croit trouver dans ce zèle brûlant un raccourci  vers le vrai, lui épargnant  de suivre le long  chemin de culture philosophique, le mouvement riche et profond à travers lequel seul l’esprit parvient au savoir. Le résultat décevant en est en fait la présomption d’idées toutes faites qu’on n’estime pas utile de soumettre à la discussion (…) Le recours au sens commun, à la pureté de la conscience ou à l’innocence du cœur comme fondement ultime des ‘’vérités avancées’’ par la philosophie populaire ruine en fait toute possibilité de dialogue et  d’accord  entre les hommes. »

13 La réflexion qui caractérise la philosophie doit prendre la forme d'un reflux de la pensée sur ses propres sources vives qui lui permet de se ressaisir comme l'origine du sens qu'elle confère à ses objets et à ses œuvres. Loin que les réponses à ses questions soient déjà quelque part dans l'au-delà d'une transcendance plus ou moins inaccessible, elles ne se découvrent que progressivement dans leurs liens, aux problèmes que l'esprit peut et doit se proposer,  comme autant de tâches à accomplir. Assurément, comme toute connaissance digne de ce nom, la philosophie vise bien cette valeur de vérité qui se définit par l'accord de la pensée avec son objet.  Mais son objet à elle, c'est le critère de cette vérité qui ne qualifie pas seulement les solutions, mais les problèmes eux-mêmes. Le lieu qui lui revient en propre ne se situe pas dans le ciel. L'homme ne peut s'exalter jusqu'à des visions supraterrestres car nous dit Towa :

14 « La solution de nos problèmes ne se trouve pas au ciel, entre les mains des dieux ou des chefs charismatiques, des hommes providentiels et autres sauveurs. Attendre d'eux la réponse à nos interrogations théoriques et à nos hésitations pratiques, c'est fuir le nécessaire effort de réflexion, de pensée personnelle par la discussion et la recherche méthodiques.» Or, l'ethnophilosophie n'est rien d'autre que le témoignage  des sociétés tribales, ethnocentriques. Elle se ramènerait à la problématique centrale de la pensée tribale. La problématique de l'ethnophilosophie n'est que la pratique victorieuse d'une pensée douteuse et mythique. Or,  

15 « la mentalité mythique érige directement un comportement individuel en norme universel de comportement, une opinion individuelle en vérité universelle, du seul fait qu'il s'agit du comportement de la volonté ou des déclarations d'une individualité, homme ou dieu posé comme exemplaire (…) Ce qui caractérise donc essentiellement un esprit mythique, c'est son inaptitude ou son renoncement à penser, à réfléchir d'une manière personnelle et autonome.»           Selon Towa, le mythe prôné par l'ethnophilosophie ne peut être de la philosophie, car le mythe est une invitation à la divagation émerveillée de l'esprit à travers le temps et l'espace. La philosophie, quant à elle, refuse de livrer les hommes à la tyrannie, ennemie de la liberté et de la pensée. Son rôle est seulement de penser les croyances mythologiques tout en les pesant et les soupesant sous le regard vigilant de l'esprit. Toute l'évolution ultérieure de l'ethnophilosophie traduit les ruses inopérantes d'une civilisation incapable de surmonter les apories soulevées par son propre développement. Idéologiquement, l'effort de l'ethnophilosophie consiste à empêcher chez le dominé toute prise de conscience de sa condition réelle de dominé et d'esclave en le dépréciant à l'histoire.  Selon Marcien Towa, à l'heure où se creuse partout sur notre continent le fossé entre oppresseurs et opprimés, à l'heure où se radicalisent les divergences politiques, l'ethnophilosophie prétend que nous avons toujours été, que nous sommes et seront toujours unanimes. Et pourtant, puisqu'en ce domaine, elle n'a affaire qu'à elle-même, elle devrait résoudre les problèmes qu'elle se pose et qui ne lui sont pas imposés par la variété infinie des objets, la richesse inépuisable des choses - qu'elle en soit définitivement incapable pourrait nous faire perdre toute confiance en elle et engendrerait le scepticisme.         C'est un fait, cependant, que loin de progresser d'un pas assuré qu'on a vu prendre à la philosophie, l'ethnophilosophie n'a cessé au contraire d'offrir le spectacle humiliant pour la raison humaine d'un perpétuel champ de bataille où les ethnophilosophes s'affrontent depuis des années en des combats sans issue. Livrée à elle, en ethnophilosophie, la raison devient statique : les conclusions de ses raisonnements sont contestées, sa législation devient antinomique et se montre incapable de trancher entre les thèses qui s'excluent. Ainsi le succès qu'elle connaît en Afrique et qu'attestent les progrès incessants de la philosophie et de la science, conduit plutôt à soupçonner que sa singulière destinée en philosophie, où elle ne peut pas plus esquiver les questions que leur donner une réponse, provient d'un malentendu, d'une méprise que l'on doit pouvoir dissiper. Il y a une énigme à déchiffrer et sans doute une nouvelle route à trouver. Si l'on parvient à savoir comment on parvient à la notion de philosophie et ce qui caractérise la philosophie, on disposera du même coup d'un critère permettant de décider de l'aptitude de l'ethnophilosophie à y parvenir et de trouver la voie qu'elle devra suivre à cette fin.La solution de ce problème  présente un caractère préjudiciel en ce sens qu'il a été formulé parce qu'on voulait savoir si l'ethnophilosophie est possible comme philosophie ; ce qui a conduit à s'enquérir d'abord des conditions qui rendent possible les philosophies existantes en y retrouvant la manifestation du pouvoir de connaître qui est propre à l'homme. La philosophie s'accorde à la critique et celle ci est d'abord cette méthode nouvelle, voire une science des conditions qui permettent à la raison de constituer la science et du coup lui permettront aussi de constituer les éléments de l'ethnophilosophie en éléments d'études philosophiques. Ce caractère préliminaire lui assigne une place bien à part : elle est la connaissance que l'ethnologie prend d'elle-même. Pouvoir de connaître, il faut qu'elle sache dans quelle mesure elle peut y parvenir ; puissance législatrice selon la formule de Kant, il faut que l'ethnophilosophie se fasse comparaître à son propre tribunal où seront reconnus ses droits, condamnées ses compétitions abusives, bref où il sera décidé des limites à l'intérieur desquelles elle peut légitimement faire usage de ses principes. La philosophie elle-même doit viser à désigner cette entreprise qui se propose non pas l'extension des connaissances ethnophilosophiques, mais leur justification, selon un jugement qui décide de leurs conditions de validité. L'ethnophilosophie proposera ainsi l'idée d'une philosophie nouvelle pour souligner qu'elle n'entend pas être une connaissance des cultures et des valeurs africaines, mais seulement de leurs concepts dans la mesure où cela est possible a priori, bref la philosophie de l'usage légitime des éléments ethnophilosophiques. Mais la critique se proposant avant tout de frayer à l'ambition ethnophilosophique de la culture africaine, cette voie royale de la ''connaissance'' africaine que celle-ci a déjà su trouver pour son entreprise philosophique, elle doit également pouvoir se présenter comme un traité de méthode. Tout naturellement, l'acte de naissance des philosophies déjà constituées, prend la valeur d'un exemple et d'un modèle pour l’ethnophilosophie.  D'ailleurs, comme le dit Dibi Augustin,

« Si le peuple africain revendique un trait tel que la solidarité ou l'hospitalité comme une qualité qui le déterminerait en propre, immuable et irréductible au temps, ce trait devient une hypostase, quelque chose de solide, en tendant à se suffire à lui-même, ne parvient plus à rendre raison de ce pourquoi l'on est solidaire. Ainsi cristallisée, parce qu'il n'est plus tenu compte de l'articulation inévitable de l'ensemble des questions humaines et des déplacements subis par cette articulation dans l'histoire, la solidarité n'est plus vécue par l'individu que comme une simple couverture en se faisant intérieurement violence, puisque l'individu agira pour se rendre extérieurement conforme à une image qui ne vient pas de sa volonté intime  (…)  Dans cette fermeture sur soi du singulier jusqu'à l'extinction de la visée d'intentionnalité - qui pourtant lui rend raison et à son propre obscurcissement, comment le désir de reconnaissance pourrait il avoir la chance d'aboutir ?»           

16 Or, il est décisif que l'ethnophilosophie revêtît la forme d'une révolution, d'une conversion. L'ethnophilosophie rentrera dans la voie de la philosophie lorsqu'elle aura cessé d'être tenue en lisière par l'ethnologie et qu'elle aura entrepris de la soumettre à ses propres exigences, car elle ne peut pleinement saisir que les objets produits par son initiative. Il faut, cependant, reconnaître que l'intention des ethnophilosophes était bonne,  car leur '' Science'' était une sorte de «garde – fou de la civilisation africaine », défenseur inébranlable de la culture africaine en face des aberrations des sociétés industrielles. Mais, en fait, Towa croit que les Africains à un moment donné ont pris conscience de leur état d'êtres assujettis, car on avait cru à tort que seule l'intuition caractérisait l'esprit africain. L'Africain se trouverait dans un rapport immédiat avec son objet et celui-ci est tel que le sujet est englouti dans la substantialité, si elle n'est pas enfermée dans les ténèbres de la nuit. L'esprit africain, avait – on  dit, n'arrive pas à se défaire de l'unité compacte des choses et de l'existence pour s'affirmer dans sa liberté subjective. L'homme Africain en tant que sujet, n'aurait malheureusement  pas encore  produit de lui-même l'objet universel afin de parvenir à l'histoire universelle selon la formule de Hegel. L'objet quant à lui, n'aurait pas encore eu sa seconde naissance dans le sujet, comme nous l’avons déjà dit. Son mode d'être spirituel ne serait pas encore objet de représentation, mais se caractériserait formellement par l'immédiateté. C'est pourquoi, l'objet visé, ne serait rien d'autre qu'un sujet déterminé par l'immédiateté et d'une manière immédiate à l'instar du soleil naturel hegelien. Comme le soleil, il serait  l'image de la fontaine sensible et somnambulique, non spirituelle et non dévouée, et apparaîtrait  par conséquent comme un individu naturel. Fort de ces critiques, certains Africains vont s'appuyer sur les mythes, la littérature orale, la culture et autres proverbes pour affirmer l'existence d'une philosophie africaine propre, tout en posant  la limitation et l'imperfection de tout être réel ou considéré comme tel. Ces auteurs Africains s'évertueront à poser en principe la nécessité d'un effort, d'une réflexion en commun, d'un échange de vues, d'un débat pour la détermination véritable des valeurs et des normes suprêmes. Mais ce qu’il y a de profondément anti-philosophique dans ces mythes et ces proverbes,

 «c’est cette fermeture sur soi du cercle des connaissances. L'esprit philosophique est avant tout un esprit d'ouverture, de nécessaire dépassement des contingences, un esprit scientifique aussi pour finir.»   

17 Par ailleurs, à force de s'interroger sur "l'homo-africanus", le type negro-africain, on risque de l'hypostasier  et l'on finit par ne pas comprendre les réalités africaines du moment. Ne tenant donc pas compte de la différence philosophique, «l'ethnophilosophie telle qu'elle s'est pratiquée jusqu'ici n'a trop souvent été qu'une voie de facilité, faisant l'économie à la fois des techniques et des méthodes d'enquête ethnologique et de la discussion philosophique des idées et des valeurs mises en avant, et tout ceci, au nom de l'africanité!» C'est pourquoi, nous dit Towa, elle est un obstacle à l'avènement de la révolution africaine, tout comme la néo-bourgeoisie et la Négritude qui l'ont vu naître.

« Et en esquivant le débat philosophique sur les idées et les valeurs, il ne lui reste pour les imposer, que la voie d'un dogmatisme desséchant dans lequel la négritude entendue comme retour à nos sources culturelles dans la fierté retrouvée, est pervertie, au point de n'être plus qu'un avatar du « magister dixit». En raison d'un tel dogmatisme, les idées avancées par l'ethnophilosophie sont figées dès leur mise au jour et ne sont susceptibles d'aucun développement.»  

18 Il est vrai, chaque société, chaque collectivité, organise en Afrique, comme partout ailleurs, ses activités et son comportement en vue de certains objectifs fondamentaux et de certaines valeurs essentielles, conformément à certaines normes, à  certaines éthiques, s'imposant au respect de tous. Ces normes peuvent reposer sur des mythes, sur des récits sacrés qui ont pour héros des êtres plus ou moins surnaturels. Mais cela ne doit pas être traité de philosophique car la démarche philosophique se caractériserait selon Towa, par une liaison intime entre le souci de connaître rationnellement, méthodiquement, la réalité des choses et une bonne volonté de prendre appui sur ce savoir pour définir l'orientation profonde, absolue que doit adopter le comportement humain. Il est  vrai, « avec le   mythe, l’homme crée la première culture, humanise le monde, c’est-à-dire l’organise à une totalité directement ou indirectement anthropocentrique. Mais en définitive, l’univers mythique, parce qu’il se fonde sur l’autorité de la tradition, ennemi de toute critique et de tout examen libre  et personnel, fige les adaptations réalisées une fois pour toutes en comportements  purement répétitifs et rituels et condamne à l’immobilisme (…) En fait  le mythe ne fait que reproduire la nature et l’instinct.»  Aussi faut-il admettre que l'exploitation de notre passé, l'examen de notre culture traditionnelle obéit  à un souci d'objectivité et de connaissance de soi. Il importe donc de nous connaître tels que nous sommes, tel que le passé, proche ou lointain, nous a façonnés, d'appréhender l'acquis de nos ancêtres en vérité, dans toute sa splendeur et sa diversité. Il ne doit être ni approuvé, ni défiguré, ni momifié pour être montré en spectacle. La culture peut être très stérile : c'est là une chose bien connue. Mais, nous disons aussi que la culture ne doit pas exister seulement dans la tête de l’homme mais aussi dans son cœur. En vérité,  c'est la réalité de l’homme tout  entière qui doit exprimer la culture ; et l'homme est essentiellement un être qui doit avoir le sens de l'ordre éthique et du droit.

19 Si tel ou tel individu peut être conforme au principe de la vérité et de la justice, il n'en va pas de même pour les peuples et les ethnies. Ici, le principe universel imprègne toutes les sphères particulières de la vie et la vie en tant que conscience culturelle pratique , est pénétrée par la vérité. Ce qui se réalise dans la constitution politique, les relations juridiques, l'ordre éthique en général ou l'art et la science ne sont  rien d’autre que la manifestation même de la vérité et de l'ordre dans ces différentes sphères.

«Il est un fait dialectique que l'insistance unilatérale sur une détermination finit par se dissoudre en soi-même, puisque l'extrême, en ne connaissant plus de mesure, ne peut plus être qualifié : ce qui  par suite, signifie pour lui la perte de tout. L'Afrique échoue à faire reconnaître à l'Europe sa particularité, parce que celle-ci, visée comme une chose, substantiellement, comme une détermination immuable qu'aucun regard venant de l'extérieur ne peut pénétrer, confesse de cette façon même  qu'elle trouve seulement dans l'obscurité sa fidèle compagne et ne peut rien communiquer.»   

20 En définitive, ce que Marcien Towa veut montrer à travers la critique de l’ethnophilosophie, c’est qu’il appartient maintenant à nous Africains, d'apporter à l'histoire, la foi et l'idée que le monde du Vouloir n'est pas seulement livré à l'Occident, qu'il n'appartient pas non plus au hasard. Nous n'avons pas d'autre but que d'éliminer le hasard. Nous devons chercher dans notre histoire, un but universel pour nous réaliser dans l'existence et développer nos propres personnalités. L'homme Africain doit s'efforcer de comprendre fidèlement l'histoire, d'appréhender le vrai car le vrai ne doit pas résider seulement dans la superficie sensible comme nous l'ont fait croire la Négritude et l'Ethnophilosophie. En toute chose, en particulier, dans tout ce qui est être scientifique  et valorisé, la raison ne doit dormir, elle ne doit pas être titubante et ivre. Il faut user de la réflexion.

21         Voir et analyser le monde rationnellement, méthodiquement, objectivement, c'est aussi être vu rationnellement, méthodiquement, objectivement, par le monde. Mais pour connaître l'universel, la rationalité, on doit apporter avec soi la raison. Pour reconnaître et jouir de la  modernité, on doit apporter avec soi aussi la raison et les matériaux nécessaires pour être "moderne". Pour connaître la substance de la modernité, il faut l'aborder avec raison, prendre conscience de la raison, disons de sa propre raison pour transpercer l'apparence auréolée et bariolée des événements. Pour comprendre l'essentiel aujourd'hui, il nous faut d'abord éliminer l'inessentiel selon les buts que nous poursuivons dans la considération de notre continent. L'heure est maintenant venue pour nous de nous poser sérieusement cette question : Modernité ou Désespoir de la raison, quel choix pour l'Afrique ?  Cette question est d'autant plus importante, qu'en Afrique aujourd'hui, d'énormes difficultés se posent à nous. C'est une mêlée bigarrée de problèmes qui nous emporte et dès qu'un problème disparaît, un autre aussitôt prend sa place. Et le côté négatif de ce spectacle du changement provoque assurément notre tristesse et notre angoisse. Il est déprimant  et désespérant de savoir que tant de splendeur, tant de vitalité et d'harmonie que contenait l'Afrique,  est en train de périr et que nous sommes en train de marcher au milieu des ruines dans les cendres du désespoir avec l'œil de la Raison. Quelle Raison ! Tout semble voué à l'échec, à la disparition. Rien ne demeure. Tout s'écroule et nous nous écroulons avec ce tout. Cependant, à cette catégorie du changement, à ce désespoir de la Raison, doit se rattacher aussitôt un nouvel aspect : l'espoir de la Raison, l'avènement de la "vraie" modernité. N’est- ce pas que c'est de la mort que renaît la vie ? Mais cette vie nouvelle ne doit pas être seulement pour l’Afrique, le rajeunissement d'un simple retour à la forme antérieure, elle doit être nécessairement une purification, une transformation, pour tout dire une Révolution Radicale.    

Bibliographie

Ouvrages de Marcien Towa

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Pour citer cet article

Référence électronique.

Samba Diakité , « La problématique de l'ethnophilosophie dans la pensée de Marcien Towa » ,  Le Portique [En ligne], e-Portique, mis en ligne le 07 décembre 2007 , consulté le 27 mai 2024 . URL  : http://journals.openedition.org/leportique/1381 ; DOI  : https://doi.org/10.4000/leportique.1381

Samba Diakité

Dr Samba DIAKITE est  Enseignant-chercheur à l’Université de Bouaké (Côte d’Ivoire. BP 802 Anyama [email protected] Spécialiste en Philosophie Africaine  l’UFR Communication - Milieu et Société, département de Philosophie, il est aussi Directeur des Etudes au CESTIA-2EP( Centre d’Enseignement Supérieur et des Technologies Internationales d’Abidjan –Ecole Entreprise Placement). Il a, à son actif, plusieurs travaux de recherches dont : « La formule incantatoire en Afrique : approche philosophique », in Le Korè, Revue Ivoirienne de Philosophie et de Culture, n°35 (Abidjan, Éditions Universitaires de Côte d’Ivoire (EDUCI), 2004). Côte d'Ivoire ; « La déréliction du langage dans le penser politique en Afrique », in Le Portique, 2005-e-portique 1, http://leportique.revues.org/document 521. Html, France ; « La foi des éclaireurs », in Le Korè, Revue Ivoirienne de Philosophie et de Culture, N°36, (Abidjan, EDUCI, 2005) Côte d'Ivoire ; « Les enjeux de la guerre », in Les Cahiers du CERLESHS (Centre d’Études et de Recherche en Sciences Humaines et Sociales) N° 23 Ouagadougou, Presses Universitaires de Ouagadougou,  2005), Burkina Faso ; « L’Autre et sa langue : la langue du refus » in Contrepoint philosophique, www.contrepointphilosophique.ch « Marcien Towa entre deux cultures »in Le Korè, Revue Ivoirienne de Philosophie et de Culture, N°37, (Abidjan,EDUCI, 2006) Côte d'Ivoire.

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persee.fr

Penser l'Autre: la philosophie africaine en quête d'identité

[note critique].

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  • Référence bibliographique

Rosemann Philipp W.Rosemann Philipp W. Penser l'Autre: la philosophie africaine en quête d'identité. In: Revue Philosophique de Louvain . Quatrième série, tome 96, n°2, 1998. pp. 285-303.

DOI : 10.2143/RPL.96.2.541889

www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1998_num_96_2_7088

  • RIS (ProCite, Endnote, ...)
  • L' «invention» de l'Afrique [link]
  • Deux réactions à la représentation occidentale de l'Afrique: négation du logocentrisme... [link]
  • ... et discours «en retour» [link]
  • L'ethnophilosophie: une issue aux apories de l'eurocentrisme? [link]
  • L'ethnophilosophie: développements après Tempels [link]
  • Deux critiques fondamentales du projet ethnophilosophique [link]
  • L'actualité d'une ethnophilosophie révisée [link]
  • Critique de l'ethnophilosophie révisée [link]
  • La philosophie africaine: un rêve impossible? [link]
  • John S. Mbiti et la «réinscription transgressive» du concept africain du temps [link]
  • Conclusion [link]

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Texte intégral

ÉTUDES CRITIQUES

Penser l'Autre: la philosophie africaine en quête d'identité*

À mes amis à l'Uganda Martyrs University

Introduction

Une pensée et une pratique authentiquement postmodernes ne peuvent se contenter d'être simplement antimodernes. C'est ce que nous avons essayé de montrer dans le «Penser l'Autre» précédent1, qui portait sur les leçons que le philosophe peut tirer de l'architecture et de la mode postmodernes. En effet, pour surmonter la «dictature» d'une rationalité identifiante et totalisante — ce qui est l'ambition du mouvement postmoderne — , il ne suffit pas de nier simplement cette rationalité pour y opposer un culte de la différence. Un tel culte risque, à la vérité, de produire la conséquence paradoxale qu'il ne servira qu'à renforcer encore la subjectivité maîtrisante. Dans ce contexte, nous avons cité l'exemple de Disneyland, quintessence d'une architecture post/antimoderne qui rend transparentes toutes les différences dans la langue universelle de l'apparence. Par contre, la tâche du postmodernisme au sens strict consiste dans l'effort pour faire voir que l'identité n'est pas le simple opposé de la différence, parce que l'identité est elle-même intrinsèquement traversée de différence. C'est pourquoi, dans cette perspective, l'autre et le même ne peuvent plus être pensés dans une opposition binaire. Dans le postmodernisme «authentique», il faut plutôt arriver à comprendre (et à montrer) que l'autre est toujours déjà au cœur même du même. Or, pour ce faire, il est nécessaire d' «inscrire et subvertir» l'identité en même temps, comme nous l'avons dit en citant l'architecte Charles Jencks2: il faut se

* Réflexions à partir de D.A. Masolo, African Philosophy in Search of Identity (coll. «African Systems of Thought»). Un vol. 21 x 15 de ix-301 pp. Bloomington/India- napolis, Indiana University Press; Edimbourg, Edinburgh University Press, 1994; Nairobi, East African Educational Publishers, 1995.

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servir (par exemple) de la langue architecturale de telle manière que, d'une part, les bâtiments nous «parlent» dans un discours qui tient et nous est compréhensible. Mais, d'autre part, il faut aussi que, dans un tel discours, il y ait des silences et des ruptures qui laissent entrevoir l'espace nu et informe que tout bâtiment nie et présuppose en même temps. Nous avons trouvé une pareille stratégie de «défigurement subversif» dans la mode de Versace. Car, en dépit de toutes ses qualités esthétiques, cette dernière n'affirme pas seulement le système vestimentaire, mais le «défigure» de manière à nous montrer l'autre qu'il (dé)voile: le corps nu.

En résumé, la stratégie la plus efficace, voire la seule stratégie, pour échapper à la logique de l'identité n'est pas sa négation, mais sa subversion. Il ne convient pas que l'autre soit simplement opposé au même pour défaire le primat de ce dernier; dans ce but, il est nécessaire de réinscrire l'autre (que le même a rejeté en dehors de son champ) dans le même et de «transgresser» de la sorte la logique binaire du même3.

C'est dans ce cadre de la tentative postmoderne pour «penser l'Autre» conformément aux exigences de la dialectique entre l'identité et la différence que nous voudrions, dans la présente étude, discuter le problème de la philosophie africaine. Nul doute que l'Afrique, ses gens et ses cultures n'aient été marginalisés par l'Occident, nul doute que l'Afrique (surtout l'Afrique Noire) ne fiât pendant longtemps conçue comme l' absolument «autre» de l'Ouest: un continent sans culture et civilisation, habité de sauvages sous-humains. La tragédie de l'Afrique, c'est que cette conception ne lui est pas restée extérieure, mais l'a envahie avec les colonisateurs et esclavagistes blancs, non sans marquer profondément la population indigène elle-même. Ainsi l'histoire a-t-elle forcé les Africains à tenter de se penser et de se comprendre à partir d'une situation de marginalisation et d'oppression, c'est-à-dire à partir d'une situation où ils n'étaient que les «autres» des Blancs. Marginalisée et opprimée pendant plusieurs siècles, l'Afrique est dès lors devenue un continent aliéné qui se trouve obligé de se définir par, ou contre (ce qui revient au même), des catégories imposées par le centre. Or, dans de telles conditions, comment est-il encore possible pour les Africains de se penser? d'échapper à la logique aliénante des Blancs? C'est là justement le problème de la «philosophie africaine en quête d'identité», titre d'un livre récent par D.A. Masolo que nous prendrons comme point de départ

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de notre discussion. L'ouvrage de M. Masolo constitue une excellente introduction à l'histoire de la philosophie africaine4, écrite d'un point de vue critique qui permet à l'A. d'évaluer les différentes positions qu'il analyse en fonction de leurs contributions à surmonter l'aporie que nous venons d'évoquer.

L' «invention» de l'Afrique

La «déconstruction» du mouvement historique dans lequel l'Afrique a été construite comme l'« autre» de l'Ouest a fait l'objet des travaux de V.Y. Mudimbe, surtout de son livre The Invention of Africa, publié en 19885, que Masolo qualifie plusieurs fois de «brillant» — à bon droit, nous semble-t-il. Dans The Invention of Africa, Mudimbe part de la thèse foucaldienne selon laquelle le processus de créer une «identité» humaine implique toujours le rejet en dehors du champ de cette identité, d'un «autre» qui sera désormais conçu comme son opposé binaire. L'on connaît les théories de Foucault sur 1' «invention» de la maladie mentale et de l'homosexualité, ainsi que sur leur refoulement vers les marges de la culture, comme conditions de la constitution de la rationalité et de la sexualité modernes6. Mudimbe, pour sa part, reconstruit et dé-construit minutieusement 1' «invention» de l'Afrique, c'est-à- dire la genèse de la représentation occidentale de l'Afrique comme l'« autre», comme la «marge» de l'Ouest. Dans cette invention, une place importante est, en fait, occupée par Hegel. Pour ce dernier, on ne l'ignore pas, l'histoire est le processus téléologique dans lequel la sub-

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stance devient sujet, en acquérant la pleine conscience de soi. Autrement dit, l'histoire du monde est l'histoire du plein devenir de l'Esprit, ou de la Raison. La culture et la civilisation des différents peuples, mais surtout leur esprit national, sont l'indice du degré de la conscience de soi que l'Esprit y a atteint. Or, hélas! d'après Hegel, l'Afrique Noire ne possède ni conscience de soi, ni raison, ni histoire, ni culture, ni civilisation. Tout ce que l'on y trouve sont des «événements contingents et des surprises», mais aucun développement téléologique qui témoignerait de la présence de l'Esprit (cfr Masolo, pp. 4 sq.). La Raison est au centre d'une histoire où l'Afrique ne figure pas.

De telles idées, est-il besoin de le souligner, ont pu être utilisées pour justifier tant la colonisation du continent africain que l'esclavage, qui a brutalisé l'âme africaine.

Deux réactions à la représentation occidentale de l'Afrique: négation du logocentrisme...

À la représentation de l'Afrique comme 1' «autre» du monde rationnel et, dès lors, civilisé, les premiers intellectuels noirs réagissaient par une radicale stratégie de négation — à savoir une négation des valeurs du centre qui les avait marginalisés, combinée avec une affirmation des valeurs de la «marge». C'est dans le contexte de cette stratégie qu'il faut comprendre les auteurs de la Harlem Renaissance aux États-Unis d'Amérique, ainsi que l'idéologie de la «négritude» dans le milieu francophone. Des penseurs comme, par exemple, le Martiniquais Aimé Césaire ou le Sénégalais Leopold Sédar Senghor acceptent, d'une part, la conceptualisation de l'Africain comme étant dépourvu de «raison» au sens occidental. Mais d'autre part, ils insistent sur la valeur positive de cette «folie»7. Car la raison occidentale n'a-t-elle pas inventé la poudre

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et le compas, ces instruments de colonisation et d'asservissement? N'est-elle pas intrinsèquement habitée d'une volonté de domination? Et si c'est comme cela, n'est-ce pas une bonne chose que les Africains ne soient pas «rationnels» au sens des Occidentaux, qu'ils soient plutôt — d'après ces belles lignes de la plume d'Aimé Césaire —

«ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole

ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité

ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel

mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité

d'autant plus bienfaisante que la terre déserte

davantage la terre

silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre

ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre

la clameur du jour

ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil

mort de la terre

ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale

elle plonge dans la chair rouge du sol

elle plonge dans la chair ardente du ciel

elle troue l'accablement opaque de sa droite patience.

Eia pour le Kaïlcédrat royal !

Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventé

pour ceux qui n'ont jamais rien exploré

pour ceux qui n'ont jamais rien dompté

mais ils s'abandonnent, saisis, à l'essence de toute chose

ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de

toute chose

insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde»8.

Ce qui caractérise alors l'esprit africain, d'après Césaire, Senghor et d'autres théoriciens de la négritude, c'est son «attitude émotive devant le réel» (Masolo, p. 14): «L'émotion est nègre, affirme en effet Senghor, comme la raison hellène» (cité chez Masolo, p. 26). Ceci veut dire,

raison, nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flamboyante du cannibalisme tenace

Trésor, comptons:

la folie qui se souvient

la folie qui hurle

la folie qui voit

la folie qui se déchaîne».

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comme le Sénégalais l'écrit dans un commentaire des fameuses lignes qui viennent d'être citées, que le Noir se rapporte à 1' «autre» qui l'entoure de façon différente que le Blanc. Tandis que ce dernier aborde ses objets de connaissance par un effort actif et agressif pour s'assimiler ces mêmes objets, l'Africain au contraire s'assimile et s'identifie à l'autre:

«Et le voilà [c.-à-d. le Nègre] qui s'abandonne, docile à ce mouvement vivant, allant du sujet à l'objet, "jouant le jeu du monde". Qu'est-ce à dire, sinon que, pour le Nègre, connaître c'est vivre — de la vie de l'Autre — en s'identifîant à l'objet? Con-naître, c'est naître à l'Autre en mourant à soi: c'est faire amour avec l'Autre, c'est danser l'Autre. "Je sens, donc je suis"»9.

Par conséquent, la connaissance du Blanc reste à la surface des choses, alors que l'homme noir pénètre, par intuition et participation, jusqu'à leur essence. C'est pourquoi Senghor estime que l'homme occidental est un être «rationnel», alors que l'homme africain est plutôt un être «intellectuel», voire «mystique».

L'éloge de la «différence» de l'Africain par rapport à l'homme occidental, de sa «passivité» et de son «émotivité» prétendues n'est pas resté sans critiques. M. Masolo fait justement observer que les champions de la négritude avaient une tendance à rêver d'un retour aux origines imaginaires de l'homme noir, à une époque où le sujet était encore immergé dans sa communauté et dans la nature, se trouvant en parfaite harmonie avec elles (cfr Masolo, p. 13). Pour bien des penseurs africains, ce discours ne fait que prolonger et légitimer l'impérialisme de l'Ouest. Ce dont l'Afrique a besoin, selon le Martiniquais Frantz Fanon, ce ne sont pas des hommes passifs et mystiques, ce sont des sujets qui prennent leur destin dans leurs propres mains en luttant activement contre leurs oppresseurs (cfr Masolo, pp. 31-37). Un autre critique de la négritude, le philosophe camerounais Marcien Towa, a très suggestive- ment intitulé un de ses livres Leopold Sédar Senghor: négritude ou servitude?10. Sans partager l'idéologie révolutionnaire de Fanon, Towa croit, comme lui, que les théories de la négritude ne sont pas favorables au développement du continent africain. En effet, pour devenir «non colonisable» par l'autre, il faut que l'Africain devienne d'abord son

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égal. Dans cette perspective, le discours de la différence s'avère évidemment peu opportun.

... et discours «en retour»

Par discours «en retour», nous comprenons, avec Michel Foucault11, une manière pour un groupe marginalisé de s'inscrire au centre de la culture en s 'appropriant les concepts et idées de ce dernier — concepts et idées que pourtant le centre avait toujours déployés pour affirmer sa propre supériorité. Tandis que la stratégie de négation se caractérise par un rejet des valeurs du centre, le discours «en retour» affirme ces mêmes valeurs, tout en s 'escrimant à démontrer que la marge les possède au même titre, voire plus originairement, que le centre. Dans l'histoire de la philosophie africaine, cette stratégie est exemplifîée par des auteurs comme cheikh Anta Diop ou Henry Olela, qui se sont efforcés d'établir que la rationalité occidentale, loin d'être supérieure à la culture africaine, a ses propres origines dans les anciennes civilisations de l'Afrique (cfr Masolo, pp. 15-24). Car la pensée grecque se serait nourrie de l'héritage de la civilisation égyptienne qui, quant à elle, remonterait à des cultures de l'Afrique Noire. Le Nigérien Innocent C. Onye- wuenyi a encore très récemment publié un livre sur «l'origine africaine de la philosophie grecque». Ces ouvrages sont souvent, il faut bien l'admettre, d'un caractère plutôt apologétique et laissent beaucoup à désirer du point de vue strictement scientifique. Qu'il y ait néanmoins une part de vérité dans la thèse sur les origines africaines de la civilisation grecque, c'est ce qui ressort du travail très fouillé et bien documenté de Martin Bernai, Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization121, qui a été accueilli assez positivement par la critique.

Quoi qu'il en soit, il est clair que, et la négation du logocentrisme, et le discours «en retour» restent prisonniers d'une définition occidentale de la raison. En effet, ni l'une ni l'autre ne tente de développer une conception authentiquement africaine de la rationalité; tout au contraire, la stratégie de négation rejette simplement la rationalité des Blancs, au

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lieu que le discours «en retour» s'en réclame. Dans le premier cas comme dans l'autre, l'Afrique continue à se définir en fonction de catégories occidentales, ne parvenant donc pas à se libérer de l'eurocentrisme.

L'ethnophilosophie: une issue aux apories de l'eurocentrisme?

Le projet de l'ethnophilosophie consiste dans la tentative pour retrouver une pensée authentiquement africaine, c'est-à-dire une pensée qui représente plus qu'une simple réaction, négative ou positive, à l'invasion de l'Afrique par la culture et la pensée occidentales. Or, que cette tentative soit elle-même accablée de difficultés, c'est ce qui ressort des débuts mêmes du mouvement ethnophilosophique. Car la personne que l'on reconnaît aujourd'hui comme le fondateur de l'ethnophilosophie était... un missionnaire belge, le Père Placide Frans Tempels. Il est vrai que, dans son célèbre ouvrage sur La philosophie bantoue14, le P. Tempels essayait pour la première fois d'étaler un système philosophique africain, notamment l'ontologie, la psychologie et l'éthique sous- jacentes aux comportements et au langage des Bantous — mais sous quelles auspices entreprit-il ce projet? De fait, La philosophie bantoue est écrit dans un but pleinement missionnaire: l'ouvrage veut faciliter 1 'evangelisation des Africains en exposant au grand jour les «théories» auxquelles même les «évolués» parmi les Bantous restent souvent attachés, voire dans lesquelles ils retombent, après leur christianisation. Autrement dit, la compréhension de la philosophie bantoue n'est pour Tempels qu'un moyen pour mieux la combattre: «II aspire à comprendre le Bantou afin de le posséder», comme l'a formulé Fabien Éboussi-Boulaga, un des critiques de l'approche de Tempels (cité chez Masolo, p. 148). Que la finalité de La philosophie bantoue ne soit pas la compréhension de la mentalité bantoue en elle-même et pour elle-même, on s'en aperçoit également dans le fait que Tempels explique la pensée bantoue en la confrontant constamment à la philosophie aristotélico-tho- miste des missionnaires: c'est le cas, par exemple, lorsqu'il compare la «force vitale» des Bantous au concept de l'être dans la philosophie grecque.

Mais mettons de côté pour l'instant ces critiques de l'approche de Tempels, pour voir succinctement quel est l'essentiel de ses thèses sur la «philosophie bantoue». Voici l'interprétation que nous en donne M. Masolo:

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«Ceci est peut-être la différence clef entre quelques aspects de la pensée africaine et de la métaphysique scolastique. Tandis que l'idée scolastique de la substantialité de l'étant {«in se, non in alio») est fondée sur une conception statique de cet étant, quelques exemples de pensée africaine mettent l'accent sur quelque chose d'autre que ce «se-isme» de l'étant. En effet, ils se concentrent sur l'être [au sens actif: "be-ing"] de l'existence, sur le mode ou la nature de cet «être» ["to be"] des étants, sur leur catégorie communautaire comme des choses qui existent «ensemble» et, dès lors, manifestent d'autres aspects de ce rapport outre leurs «se-ismes» individuels. C'est ici que les exemples tirés de la pensée bantoue et luo essayent de mettre l'accent sur la connexion intime entre des étants créés en tant que choses qui dépassent leur existence individuelle «in se». Ils voient l'existence comme un phénomène dynamique et non statique. Pour eux, le monde est une communion et non pas une collection d'individus ou d'essences immobiles» (Masolo, p. 59) 15.

Avec cette caractérisation de «quelques exemples de pensée africaine», nous rejoignons en fait la manière senghorienne de dépeindre la «négritude»: comme une attitude distinctive envers l'« autre», une attitude peut-être plus respectueuse de l'altérité de l'autre que ne l'est la rationalité occidentale (cfr ci-dessus, p. 289). Pour le dire dans les termes d'un autre philosophe africain, John S. Mbiti (dont nous aurons encore à parler), l'homme africain conçoit sa propre existence comme étant intimement liée à celle de l'autre et enchevêtrée dans elle: «je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes, je suis»16.

L'ethnophilosophie: développements après Tempels

Nous avons vu que des critiques africains de Tempels comme, par exemple, Fabien Éboussi-Boulaga ont attiré l'attention sur les tendances eurocentristes et même colonialistes de La philosophie bantoue: le fait que Tempels y parle en tant que missionnaire et pour des missionnaires, qu'il compare la pensée bantoue avec la philosophie scolastique, etc. Cependant, cette critique est loin d'avoir été partagée par tous les lecteurs africains de La philosophie bantoue. Bien au contraire, quelques philosophes de l'Afrique étaient d'avis que le célèbre ouvrage de Tempels atteste une approche colonialiste, non point à cause de son orientation missionnaire et scolastique, mais parce qu'il insiste trop sur la «différence» de la mentalité des Bantous par rapport à la pensée occidentale

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(cfr Masolo, p. 84). Dès lors, ces critiques (souvent provenant, comme Tempels lui-même, du milieu catholique) s'attelaient à la tâche de montrer que les structures de la pensée africaine correspondent bel et bien à celles de la philosophia perennis d'Aristote et de S. Thomas d'Aquin, cette pensée ne pouvant, par conséquent, nullement être tenue pour inférieure aux systèmes philosophiques occidentaux. L'œuvre d'Alexis Kagame s'inscrit, en effet, dans le cadre de ce projet. Dans sa Philosophie bantu-rwandaise de l'être11 et dans sa Philosophie bantu comparée19, Kagame procède à une analyse très détaillée d'abord du kinyar- wanda (la langue des Bantous du Rwanda) et ensuite de la langue bantoue en général, dans le but de mettre en relief la correspondance entre les catégories bantoues de l'être et les catégories aristotéliciennes. Les analyses de Kagame sont basées sur le présupposé qu'il y a des catégories universelles de l'être qui sont fidèlement reflétées dans les différentes langues, en dépit de leurs différences superficielles — ce qui est, il faut le dire, fort discutable (cfr Masolo, pp. 95-102).

Le Français Marcel Griaule, autre représentant du courant ethno- philosophique, s'est rendu célèbre par son ouvrage Dieu d'eau: entretiens avec Ogotemmêli19. Ogotemmêli, un sage appartenant à la tribu des Dogon au Mali, fut interviewé par Griaule en 1933 pendant trente-trois jours, et Dieu d'eau est le résultat de l'exposition du système du monde dogon que Griaule a obtenue d'Ogotemmêli à l'occasion de ces entretiens. Ce n'est pas le lieu ici de résumer la Weltanschauung des Dogons, qui comporte une cosmogonie, une métaphysique et une religion très complexes, centrées sur le principe du nommo. Indiquons seulement que le nommo, engendré par Dieu, est «à la fois parole et force, à la fois une énonciation et un principe primordial d'unité» (Masolo, p. 128). Il est actif en toute chose, surtout dans la vie et les activités humaines. Aussi le nommo est-il présent dans les tambours, par exemple, qu'il a façonnés par sa parole. Et parce que le nommo est le principe qui anime toute la création, «le battement des tambours est un acte de création. La danse, qui est la réponse à cet acte de création, est le symbole de la participation de l'homme dans l'acte de création» (Masolo, p. 73)20. Le nommo

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est également actif dans le tissage et les tissus, raison pour laquelle une femme nue, sans vêtements, ne saurait être attirante: en effet, ce que l'homme désire en elle, c'est le nommo, qui est présent dans ses vêtements21.

Dieu d'eau a largement échappé à la critique d'être eurocentrique. En revanche, on a objecté à Griaule qu'il aurait «griaulé» Ogotemmêli, en d'autres termes, que la Weltanschauung dogonienne qu'il présente dans son ouvrage serait beaucoup trop systématique pour être vraie (cfr Masolo, p. 69). Cependant, dans le contexte de la discussion autour de l'ethnophilosophie, d'autres objections pèsent plus. À la vérité, elles ne s'adressent pas uniquement à Griaule, mais visent la totalité du mouvement ethnophilosophique.

Deux critiques fondamentales du projet ethnophilosophique

Une première critique fondamentale de l'ethnophilosophie tient tout le projet de vouloir reconstruire une philosophie africaine pour vain et forcé — et ceci pour différentes raisons. Les uns, comme Fabien Éboussi-Boulaga ou Marcien Towa, n'y voient qu'un effort pour satisfaire aux critères de la culture occidentale. Étant donné que pour l'Ouest la possession d'une tradition philosophique fait partie d'une culture pleinement «civilisée», l'Afrique aussi doit en avoir une — et si elle n'existe pas, on se force à l'inventer. Or, selon Éboussi- Boulaga,

«ce rôle de l'ethnophilosophe (...) constitue la négation de la négation du soi. C'est une réplique pour affirmer ce qui avait été nié de lui par le maître. Pourtant, ce qui est accompli par cette dialectique (...) est l'intériorisation de la dépendance» (Masolo, p. 159).

Bref, l'on reproche à l'ethnophilosophie que, malgré tout, elle n'a jamais su se libérer des structures d'un discours «en retour». Les autres — et

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on pourrait citer le Ghanéen Kwasi22 Wiredu comme représentant de ce deuxième groupe — ne voient aucun sens dans la reconstruction d'une pensée qui, liée au mode de vie d'une époque lointaine, doit forcément être considérée comme dépassée, ne pouvant offrir aucune solution aux problèmes d'à présent. Wiredu ne dirait pas que la Weltanschauung traditionnelle serait «fausse», car, selon lui, elle représentait sans aucun doute un point de vue valable dans les circonstances dans lesquelles elle fut originairement conçue. Seulement, ces circonstances ont changé (cfr Masolo, pp. 204-232).

Passons à la seconde critique fondamentale du projet ethnophiloso- phique, élaborée de la façon la plus circonstanciée dans le livre Sur la «philosophie africaine». Critique de V ethnophilosophie de Paulin Hountondji23. D'après celui-ci, l'ethnophilosophie commet une erreur élémentaire: elle confond la philosophie au sens strict avec une simple Weltanschauung. Car les ethnophilosophes ne font que reconstruire ce que l'on appelle depuis Janheinz Jahn24 une pensée «déjà là», c'est-à- dire une vue métaphysique du monde qui est virtuellement contenue dans les coutumes et traditions, dans la langue et les proverbes, dans les institutions etc. de certains peuples africains. Or, une telle pensée implicite, qui n'a jamais été formellement exprimée par les Africains eux- mêmes, ne saurait être qualifiée de «philosophie». Et même là où une Weltanschauung est explicitement articulée par un sage africain, comme dans le cas d'Ogotemmêli, un tel récit de mythes inchangeables représentant une sorte de sagesse collective n'est pas encore une philosophie.

«Une pratique philosophique, écrit à ce sujet M. Masolo, (...) suppose surtout et de toute évidence une pensée responsable, un effort théorique d'un sujet individuel, et exclut, de ce fait, toute réduction de la philosophie à un système de pensée collective» (Masolo, p. 197).

Un tel système dogmatique, transmis sans critique de génération en génération, ne répond pas à la définition socratique de la philosophie comme une quête de sagesse. En outre, n'ayant jamais été mis par écrit, il manque de l'objectivité qui est nécessaire pour pouvoir être soumis à une discussion méthodique et scientifique.

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L'actualité d'une ethnophilosophie révisée

Hountondji s'aligne-t-il alors sur la position d'un Marcien Towa, selon laquelle l'Africain, s'il veut devenir l'égal de l'homme occidental, doit «se nier et s'européaniser fondamentalement» (cité chez Masolo, p. 167)? Pas exactement. Car Hountondji est tout à fait disposé à admettre que les travaux d'un Marcel Griaule, par exemple, pourraient devenir le point de départ d'une philosophie africaine au sens strict; car ils pourraient fournir la base — les «données crues», dit Henry Odera Oruka25 — d'un discours philosophique critique et scientifique (cfr Masolo, p. 198). Autrement dit, on peut fort bien concevoir que l'effort pour créer une philosophie africaine au sens strict commence par la mise par écrit des discours et idées traditionnels, qui doivent ensuite être reformulés et repensés (Heidegger dirait: «répétés») par des philosophes professionnels. V.Y. Mudimbe, qui est, avec Hountondji lui-même, l'une des figures dominantes dans le mouvement philosophique africain d'aujourd'hui, n'est pas très loin de cette position, bien qu'il n'accepterait pas la définition étroite que Hountondji donne de la philosophie. En effet, l'auteur de The Invention of Africa considère que seule l'élaboration d'une epistémè authentiquement africaine peut remédier à la funeste construction historique de l'Afrique comme 1' «autre» de l'Ouest. À cet effet, il recommande une «déconstruction archéologique du discours africain» (Masolo, pp. 189 sq.) s 'inspirant de méthodes lévi-straus- siennes et foucaldiennes. La position exemplifiée par Hountondji et Mudimbe représente, à en croire M. Masolo, l'état actuel de la discussion autour de la philosophie africaine (cfr p. 240).

Critique de l'ethnophilosophie révisée

À première vue, sous la forme révisée que préconisent des auteurs comme Hountondji ou Mudimbe, l'ethnophilosophie semble très bien réconcilier l'universalité du projet philosophique avec la spécificité de la pensée africaine, ou l'« identité» avec la «différence». Elle évite avec succès, pourrait-on croire, les extrêmes, d'une part de la stratégie de négation, qui met excessivement l'accent sur la «différence» des Africains, et d'autre part du discours «en retour», qui ne fait que revendiquer l'identité de l'Occident pour l'Afrique. En effet, l'ethnophilosophie révisée aborde la Weltanschauung africaine sous l'angle du projet philo-

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sophique de l'Ouest, combinant ainsi des apports provenant des mondes «blanc» et «noir».

Or, il nous semble que c'est précisément cet «angle» qui pose problème. Car quelle garantie y a-t-il que la «lecture» de la pensée traditionnelle des Africains dans et par des catégories puisées à la philosophie occidentale ne détruise pas l'originalité de cette pensée? Même Mudimbe, qui est si conscient de ce danger, n'y échappe pas totalement, comme l'observe très finement M. Masolo:

«Le projet de Mudimbe est sans aucun doute un projet noble — celui de récupérer Y authenticité. Cependant, ce désir n'est pas sans contradictions. L'autre doit se recouvrer soi-même dans "la liberté de se penser comme le point de départ d'un discours absolu", libre des codes épistémologiques de la philosophie occidentale. Or, dans le même projet Mudimbe investit fortement dans les positions de Lévi-Strauss et de Foucault en tant qu'ouvertures qui mènent au bricolage [en français dans l'original], au cadre de la rationalité authentiquement africaine» (Masolo, p. 187).

Formulons ce reproche encore autrement. Le projet de Mudimbe est d'une «nature ambiguë» (Masolo, p. 192). Car, d'une part The Invention of Africa se sert d'une manière significative de la thèse foucaldienne selon laquelle toute identité humaine est constituée d'une façon dialectique, à savoir dans et par l'opposition à un «autre». Le «centre» ne peut se définir que par rapport à la «marge» exclue, et la «marge» doit se référer au «centre» pour se comprendre. Mais d'autre part, Mudimbe semble être à la recherche d'une identité africaine «pure» et «authentique» qui ne serait pas sujette à cette dialectique (c'est ce qu'il qualifie de «discours absolu»). Ce projet est évidemment imaginaire.

La philosophie africaine: un rêve impossible?

Tout ce que nous venons de dire dans la présente étude semble suggérer qu'en dernière analyse, la «philosophie africaine» s'avère n'être qu'un rêve impossible. C'est d'ailleurs aussi l'impression que, sans doute à son insu, M. Masolo crée dans son ouvrage, dans lequel aucun philosophe, aucune école et aucun courant appartenant à la discussion autour de la philosophie africaine n'échappe à une critique radicale. La «philosophie africaine» apparaît dès lors, soit comme une simple stratégie de négation, soit comme un discours «en retour», soit comme une Weltanschauung pré-philosophique, soit comme une déformation occidentale de cette même pensée «déjà là». À dire vrai, le lecteur & African Philosophy in Search of Identity qui cherche une possibilité de sortir de cette aporie reste sur sa faim.

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Or, si Foucault a raison de dire que toute «identité» est construite dans l'opposition à une «différence» correspondante, et si Mudimbe ne se trompe pas en croyant que l'identité actuelle de l'Afrique s'est historiquement constituée comme la négation de la civilisation occidentale, alors cette dépendance mutuelle de l'identité et de la différence signifie que toute tentative pour repenser l'identité de l'Afrique est indissociable d'un effort pour repenser également son opposé, c'est-à-dire la civilisation de l'Occident. Autrement dit, la marge ne peut se penser, ne peut se libérer de sa domination par le centre, qu'en repensant le centre aussi. Nous pensons dès lors que, dans la quête d'une philosophie africaine, on s'abuse lorsqu'on tente de créer, ou de reconstruire, une pensée africaine qui serait indépendante de toute conceptualisation occidentale. Ne faut- il pas plutôt assumer cette dépendance conceptuelle, c'est-à-dire accepter la nécessité de «lire» la pensée africaine à l'aide de concepts occidentaux? Est-ce qu'une telle acceptation implique inévitablement la réduction non critique de la pensée africaine à ce qui paraît raisonnable ou recevable du point de vue occidental? Nous ne le croyons pas. L'approche que nous sommes en train d'esquisser n'exclut point la possibilité de soumettre les concepts de la philosophie occidentale à un examen critique, justement à la lumière que la pensée africaine jette sur eux. Le résultat d'une telle approche ne serait pas, bien sûr, le retour à une africanité virginale; en revanche cette manière de tourner les concepts de la philosophie occidentale contre eux-mêmes permettrait une déconstruction de présupposés que celle-ci accepte peut-être naïvement. Finalement, cette stratégie renverserait la construction de l'Afrique comme «marge» de l'Occident.

Pour conclure, essayons d'expliquer plus concrètement la stratégie en question.

John S. Mbiti et la «réinscription transgressive» du concept africain du temps

Le Kenyan John S. Mbiti est un des auteurs les plus connus dans le domaine de la philosophie et de la religion africaines. Son livre African Religions and Philosophy26, d'abord publié en 1969, réimprimé treize fois avant de paraître en deuxième édition, traduit en français, allemand, polonais, japonais et coréen, peut réclamer le rang d'un classique. La thèse fondamentale à' African Religions and Philosophy, la thèse qui, d'après Mbiti lui-même, fournit «la clef pour parvenir à une compré-

300 Philipp W. Rosemann

hension des religions africaines et de la philosophie africaine» (Mbiti, p. 14), se résume très simplement: l'Afrique traditionnelle ne connaît «virtually no future», «pratiquement pas de futur» (Mbiti, p. 16). Cette thèse a fait l'objet de bien des attaques, on s'en doute; de fait, il faut concéder que la documentation que Mbiti offre pour la soutenir laisse à désirer, ce qui est peut-être dû au fait qu: 'African Religions and Philosophy est conçu plutôt comme un ouvrage de haute vulgarisation. Mais ce qui nous intéresse en premier lieu dans le présent contexte est l'usage fort original que Mbiti fait de sa thèse principale. En effet, il utilise le concept africain du temps, tel qu'il le comprend, pour déconstruire certaines interprétations occidentales du Nouveau Testament, et ceci en affirmant que le temps «sans futur» des Africains est beaucoup plus proche de l'enseignement authentique de la Bible. Ainsi opère-t-il une «réinscription transgressive» de l'Afrique au centre de la chrétienté qui touche aux fondements mêmes de la culture occidentale.

Le concept africain du temps se caractérise, selon Mbiti, par plusieurs traits, dont voici les plus importants. 1° Tout d'abord, pour l'Africain traditionnel, non encore touché par l'influence de la culture technologique de l'Ouest, le temps est toujours un temps vécu, réel, expérimenté, et non pas un temps abstrait. Pour citer un exemple de Mbiti, pour les Nkore, un peuple ougandais, ce que nous appellerions «6 heures» est akasheshe, c'est-à-dire l'heure quand on trait les vaches; ce que nous appellerions «13 heures» est baaza aha maziba, c'est-à-dire l'heure quand on tire de l'eau aux puits, etc. Tout cela est approximatif, bien entendu, selon des critères occidentaux: il peut très bien arriver qu' akasheshe soit 6 heures 30 ou 7 heures. Semblablement, pour les Latuka du Soudan, notre «octobre» porte le nom «le soleil», parce que c'est la partie de l'année quand le soleil est le plus chaud; notre «décembre» est nommé «donne de l'eau à ton oncle», puisque c'est le temps des sécheresses, etc. Là aussi, il se peut très bien que «le soleil» dure trente jours dans une année donnée et trente-cinq dans une autre... (cfr Mbiti, pp. 19 sq.)27. Beaucoup d'Africains ne connaissent pas la «date exacte» de leur naissance. C'est le cas, par exemple, du président actuel de l'Ouganda, Yoweri Museveni, qui sait seulement que pour ses parents, sa naissance était associée à deux événements: une campagne de vaccination contre la peste bovine, et la mort d'un roi28. 2° «Le

La philosophie africaine en quête d'identité

concept linéaire du temps dans la pensée occidentale (...) est pratiquement étranger à la pensée africaine» (Mbiti, pp. 16 sq.). Nous avons déjà vu que le temps africain est structuré par des cycles, surtout par les cycles de la vie humaine et de la nature. C'est pourquoi il est circulaire plutôt que linéaire. 3° Or, si le temps africain possède une structure cyclique ou circulaire, alors tout ce qui n'appartient pas au cercle de la vie, ne fût-ce que sous une forme mémorisée ou anticipée, n'existe pas. Il s'ensuit que, pour l'homme noir, «sasa [mot souahéli correspondant approximativement à «présent»] est la période qui a le plus de sens (most meaningful) pour l'individu» (Mbiti, p. 22). Ce qui distingue pourtant sasa de notre «présent», c'est qu'il est pluridimensionnel: en effet, sasa possède «son propre bref futur, un présent dynamique et un passé expérimenté» (ibid.), tandis que le «présent» occidental ne représente, à vrai dire, que le «maintenant», c'est-à-dire un point unidimen- sionnel sur la «ligne» du temps. 4° De là, on comprend aisément la thèse principale de Mbiti, selon laquelle l'Afrique traditionnelle ne connaît «pratiquement pas de futur» (Mbiti, p. 16) au sens occidental, où le futur est associé à l'idée d'un développement téléologique débouchant, selon les différentes idéologies, ou bien sur un âge d'or, ou bien sur la fin du monde présent, suivie d'un autre monde «à venir». Pour l'Africain, un tel futur lointain, sans lien avec la vie actuelle, n'a pas de sens. 5° Finalement, à la différence du temps occidental, qui est orienté vers le futur, le temps africain «fait un mouvement "en arrière"» (Mbiti, p. 17). Ainsi, la mort d'une personne n'est pas un événement «futur», mais signifie sa disparition du sasa et son entrée dans le «passé» (zamani en souahéli). En Afrique, une personne ne «meurt» pas au moment où ses fonctions biologiques cessent. Elle continue à exister dans le sasa, comme un «mort vivant», jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne ayant une connaissance directe d'elle. À ce moment, elle passe dans le zamani, qui est la mémoire des personnes dont les noms sont devenus «vides», comme c'est le cas des noms figurant dans de longues généalogies. Zamani est essentiellement un temps mythique.

Résumons la structure du temps africain dans le diagramme suivant:

exemple de dissertation sur la philosophie africaine

302 Philipp W. Rosemann

Dans ce diagramme, le temps revêt une structure circulaire, car elle est une fonction du cercle de la vie. Tout ce qui a un rapport à la vie appartient au sasa, et ce qui touche la vie le plus directement est au «présent». Aux «tangentes» du cercle de la vie et, dès lors, aux limites du sasa se trouvent le «passé» et le «futur», où s'inscrivent des personnes et des événements dont le lien avec la vie est plus faible. Ce qui n'a plus qu'un lien mythique avec la vie se trouve au zamani.

Dans son ouvrage New Testament Eschatology in an African Background29, Mbiti tâche d'établir que le concept africain du temps correspond beaucoup mieux au message authentique du Nouveau Testament que certaines représentations occidentales. À son sens, celles-ci accentuent souvent par trop l'aspect «à venir» de la Rédemption, c'est-à-dire la résurrection et la vie éternelle dans l'au-delà. Or, pour les Africains tout ce qui se situe dans un futur si lointain et si hypothétique qu'il n'y a plus aucun rapport avec le cercle de la vie réelle tombe en dehors du sasa, avec comme conséquence qu'il n'existe simplement pas. D'après Mbiti, ce conflit entre le concept traditionnel du temps et les interprétations «linéaires» de l'eschatologie chrétienne n'a pas seulement préjudi- cié aux efforts missionnaires des chrétiens en Afrique; plus gravement encore, il est l'indice d'une déformation de la vérité chrétienne selon laquelle le Christ est intervenu dans l'histoire humaine pour y rester présent: son royaume est déjà une réalité aujourd'hui. C'est uniquement cette «expérience de la présence du Christ dans le sasa» (Masolo, p. 110) qui confère du sens à l'espoir chrétien d'un meilleur monde «à venir».

Voilà la manière dont Mbiti utilise la notion africaine du temps, exposée pour des Occidentaux, dans une langue occidentale et en partant de concepts occidentaux, pour questionner et même corriger ces concepts.

L'approche exemplifiée par la «réinscription transgressive» du concept africain du temps nous paraît constituer une perspective prometteuse pour le futur développement de la philosophie africaine. Elle répond d'une façon satisfaisante aux exigences de la dialectique qui relie historiquement l'identité de l'Afrique à celle de l'Occident, et l'identité de l'Occident à celle de l'Afrique. Elle combine la recherche d'une iden-

La philosophie africaine en quête d'identité 303

tité non imaginaire de l'Afrique avec la possibilité que le monde noir puisse fournir une contribution réelle aux problèmes universaux d'une humanité qui devient de plus en plus occidentalisée. Et combien l'humanité a besoin d'une telle contribution! Terminons donc cette étude en citant les mots d'un philosophe sud-africain, Gerhard A. Rauche:

«Un tel ajustement mutuel entre la civilisation technologique de l'Occident et la culture traditionnelle de l'Afrique vaut la peine d'être discuté. Il pourrait mettre au jour les bénéfices d'établir un sain équilibre entre la civilisation technologique de l'Occident et la culture africaine. Un tel équilibre pourrait, d'une part, sauver l'Occident des conséquences destructrices d'un fonctionnalisme totalitaire et, d'autre part, pourvoir l'Africain du savoir-faire technologique nécessaire, sans le déraciner de sa culture traditionnelle.30»31

Department of Philosophy Philipp W. Rosemann.

University of Dallas 1845 East Northgate Drive Irving, TX 75062-4736 États-Unis d'Amérique

1 Cfr «Penser l'Autre: De l'archi tectonique d'un système qui ne serait pas homogénéisant», in Revue philosophique de Louvain, 94 (1996), pp. 311-329.

2 Ibid., p. 320.

3 Nous avons longuement analysé cette stratégie de «réinscription transgressive» dans notre étude «Homosexuality and the Logic of Transgressive Reinscription», in International Journal of Philosophical Studies, 4 (1996), pp. 139-153. Cfr également nos remarques dans «Penser l'Autre: l'éthique de la théologie négative», in Revue philosophique de Louvain, 93 (1995), surtout pp. 418-420.

4 Munie, ajoutons-le en passant, d'une bibliographie qui mettra le chercheur qui le souhaite à même de trouver facilement toute la littérature essentielle dans le domaine de la philosophie africaine. Pour des renseignements bibliographiques plus complets, on consultera: A.J. Smet, Bibliographie de la pensée africaine. Répertoire et suppléments I- IV. Kinshasa-Limete, Faculté de Théologie catholique de Kinshasa, 1972-1975; idem, «Bibliographie de la pensée africaine/Bibliography on African Thought», in: Cahiers philosophiques africains! African Philosophical J ournal 2 (1972), pp. 39-96 et 7/8 (1975), pp. 63-286; idem, «Bibliographie sélective de la philosophie africaine. Répertoire chronologique», in: Mélanges de philosophie africaine (coll. «Recherches philosophiques africaines», 3). Kinshasa-Limete, Faculté de Théologie catholique de Kinshasa, 1978, pp. 181-261. Le Père Smet est d'ailleurs en train de préparer une bibliographie exhaustive de la littérature sur la philosophie africaine depuis 1729, qui paraîtra en deux volumes sous le titre Bibliographie de la philosophie africaine.

5 Cfr V.Y. Mudimbe, The Invention of Africa: Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge (African Systems of Thought). Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press, 1988.

6 À ce sujet, on lira l'excellent ouvrage de J. Dollimore, Sexual Dissidence. Augustine to Wilde, Freud to Foucault. Oxford, Clarendon Press, 1991.

7 Parler de la pensée africaine comme «folie» se trouve dans le poème suivant, extrait du Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire (in idem, La poésie, éd. par D. Maximin et G. Carpentier. Paris, Seuil, 1994, p. 25):

Ah oui, des mots!

Raison, je te sacre vent du soir.

Bouche de l'ordre ton nom?

Il m'est corolle du fouet.

Beauté je t'appelle pétition de la pierre.

Mais ah! la rauque contrebande

de mon rire

Ah! mon trésor de salpêtre!

Parce que nous vous haïssons vous et votre

8 Ibid., p. 42. Une explication et analyse littéraire de ces lignes se trouve chez D. Combe, Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal (Études littéraires, 43). Paris, Presses universitaires de France, 1993, pp. 113-120.

9 L.-S. Senghor, «L'apport de la poésie nègre au demi-siècle», in idem, Liberté I. Négritude et humanisme. Paris, Seuil, 1964, p. 141. À ce sujet, cfr aussi l'article récent de E.M. Zuesse, «Perseverance and Transmutation in African Traditional Religions», in J.K. Olupona (éd.), African Traditional Religions in Contemporary Society. New York, Paragon House, 1991, pp. 167-184.

10 Cfr M. Towa, Leopold Sédar Senghor: négritude ou servitude? Yaounde, Clé, 1971.

11 Cfr M. Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1: La volonté de savoir (Bibliothèque des histoires). Paris, Gallimard, 1976, p. 134. Sur la notion de reverse discourse et sa signification chez Foucault, on pourra lire D.M. Halperin, Saint Foucault. Towards a Gay Hagiography. New York/Oxford, Oxford University Press, 1995, pp. 56-62.

12 Cfr I.C. Onyewuenyi, The African Origin of Greek Philosophy: An Exercise in Afrocentrism. Nsukka (Nigeria), University of Nigeria Press, 1993.

13 Cfr M. Bernai, Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, vol. 1: The Fabrication of Ancient Greece, 1785-1985; vol. 2: The Archeological and Documentary Evidence. New Brunswick, Rutgers University Press, 1987/1991.

14 Cfr P. Tempels, La philosophie bantoue. Élisabethville (Lubumbashi), Lovania, 1945; 2e éd., Paris, Présence africaine, 1949; 3e éd., Paris, Présence africaine, 1965.

15 C'est nous qui traduisons toutes les citations de l'ouvrage de Masolo.

16 J.S. Mbiti, African Religions and Philosophy. Londres, Heinemann, 2e éd., 1990, p. 106: «The individual can only say: "I am, because we are; and since we are, therefore I am". This is a cardinal point in the understanding of the African view of man.»

17 Cfr A. Kagame, La philosophie bantu-rwandaise de l'être (Académie royale des Sciences coloniales, Classe des Sciences morales et politiques, Mémoires in-8°, Nouvelle série, XII, 1). Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales, 1956.

18 Cfr A. Kagame, La philosophie bantu comparée. Paris, Présence africaine, 1976.

19 Cfr M. Griaule, Dieu d'eau: entretiens avec Ogotemmêli. Paris, Chêne, 1948; Paris, Fayard, 1966.

20 Sur le rôle central que jouent les tambours dans la religion africaine, on lira G. Niangoran-Bouah, Introduction à la drummologie. Sankofa Abidjan, Université Nationale de Côte-d' Ivoire, Institut d'Ethno-Sociologie, 1981. Le même auteur a également écrit un bref article sur le sujet: «The Talking Drum. A Traditional African Instrument of Liturgy

and Mediation with the Sacred», in J.K. Olupona (éd.), African Traditional Religions in Contemporary Society (voir note 9), pp. 81-92.

21 Au risque de paraître superficiel, remarquons en passant que l'on trouve la même idée dans la Grèce ancienne. Pour les Grecs, une femme avait besoin de kôsmos, c'est-à-dire d'«ordre» ou d'«ornement», pour paraître, pour devenir visible: «For the Greeks appearing was surface, with epiphaneia a word used for both. For them, when a woman kosmëse (adorned) herself, she wrapped her chrôs in a second skin or body, in order to bring the living surface-body so clothed to light; to make it appear. If women, in ancient Greece, were essentially invisible, kosmos made them visible» (I.K. McEwen, Socrates' Ancestor. An Essay in Architectural Beginnings. Cambridge, Massachusetts/ Londres, The MIT Press, 1993, pp. 43 sq.).

22 Cfr K. Wiredu, Philosophy and an African Culture. Cambridge, Cambridge University Press, 1980.

23 Cfr P. Hountondji, Sur la «philosophie africaine». Critique de l'ethnophilosophie. Paris, François Maspero, 1977.

24 Cfr J. Jahn, Muntu: An Outline of the New African Culture. New York, Grove Press, 1961.

25 Cfr H.O. Oruka (éd.), Sage Philosophy: Indigenous Thinkers and Modern Debate on African Philosophy. Leyde, E.J. Brill, 1990; Nairobi, Acts Press, 1991, p. xvil; cité chez Masolo, p. 244.

26 Pour les données bibliographiques, voir note ci-dessus. M. Masolo discute les travaux de Mbiti au cinquième chapitre de son livre, pp. 103-123.

27 La différence entre notre «temps exact» et le «temps africain» pourrait être comparée à la différence entre l'année civile et l'année ecclésiastique. Cette dernière est, elle aussi, structurée par des événements lesquels ne tombent pas nécessairement le même jour chaque année.

28 Cfr Y.K. Museveni, Sowing the Mustard Seed. The Struggle for Freedom and Democracy in Uganda. Londres/Basingstoke, Macmillan, 1997, p. 1.

29 Cfr J.S. Mbiti, New Testament Eschatology in an African Background: A Study of the Encounter between New Testament Theology and African Traditional Concepts. Oxford, Oxford University Press, 1971.

30 G. A. Rauche, «In what sense can there be talk of an African philosophy: a methodological hermeneutics», in South African Journal of Philosophy, 15 (1996), p. 21 (nous traduisons).

31 Un merci tout spécial au Père Michel Lejeune, Recteur de l'Uganda Martyrs University, qui a bien voulu relire cette étude, et à l'Alliance française de Kampala, dont nous avons pu utiliser la bibliothèque.

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Philosophie africaine

Par MOMAREK   •  23 Avril 2019  •  Dissertation  •  1 482 Mots (6 Pages)  •  14 933 Vues

INTRODUCTION

La pensée africaine issue des traditions orales comme celle des Yorubas ou des Bantous est l'objet d'études modernes relevant de l'ethnophilosophie et consistant à reconstruire les représentations du monde de ces peuples selon les termes et les méthodes de l'ethnologie.

Cependant, ces dernières décennies, les historiens de la philosophie africaine, comme Tempels, Abdoulaye Elimane Kane, Ebenezer N’JOH Mouelle, soutiennent que les africains ont bel et bien développé une pensée philosophique. Mais cette position est loin de faire l’unanimité. Elle sera battue en brèche par Marcien Towa, Paulin Jidenu Hountondji, qui la qualifie d’ethnophilosophie. Mais ces derniers seront à leur tour critiqués par ceux qui se chargent de réhabiliter         l’ethnophilosophie comme N’JOH Mouelle, Elimane, entre autres.

  • LES PREJUGES RACISTES

L'Africain, à tout point de vue, échoue à faire reconnaître sa spécificité, sa particularité ; en un mot sa manière d'être au, monde, au Blanc. Tant de cris, tant de hargne, n'auraient pas suffi pour faire plier l'échine qu'est le Blanc et l'amener à reconnaître désormais le Noir, non comme le supplément d'âme qu'il lui faut pour sa propre affirmation, mais comme un être doté d'une raison semblable à la sienne ou tout au plus un être à part entière. C’est dans ce sens que l’on peut  comprendre que le Noir, est celui que l’on doit encore éduquer, élever, civiliser. Le Blanc, c'est toujours celui qui éduque, élève, civilise. C'est pourquoi il doit connaître et comprendre le domaine de la pensée noire afin de donner plus d'efficacité à son action. HOUNTONDJI tire à ce sujet cette conclusion qui laisse transparaître les motivations réelles du Père Franciscain : « (...) Le Noir continue de ce fait, d'être tout le contraire d'un interlocuteur : il est ce dont on parle, un visage sans voix qu'on tente de déchiffrer entre soi, objet à définir et non sujet d'un discours possible.»(Dans son ouvrage intitulé la philosophie bantou en  1945).

Cette position est aussi conservée par Hegel, connu pour son extrémisme impérialiste voire raciste. Il soutient, dans son œuvre intitulé la raison dans l’histoire  à la page 251, que  « pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de la sauvagerie et de barbarie, le nègre représente le naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline ». Cela veut dire le nègre ne peut pas accéder à la rationalité, il manque d’objectivité, de logique et de morale.

Hegel considère que l’africain est assimilable à un sauvage, à un primitif dépouillé de toute pensée. En somme il trouve que l’Afrique est sans histoire et réside dans ce qu’il appelle un état d’innocence.

  • L’ETHNOPHILOSOPHIE

Le terme d'ethnophilosophie a été créé par le Camerounais Marcien Towa pour désigner un courant de pensée à dominante africaine, inspiré par l'ouvrage de Placide Tempels sur la Philosophie bantoue, et qui consiste à identifier la philosophie d'une société à sa vision du monde, à son système de valeurs ancré dans le fond du psychisme et lisible à travers mythes et rites, proverbes et coutumes. Selon cette conception, toute société dite traditionnelle aurait une philosophie implicite que le philosophe se chargerait de mettre en évidence par l'étude des éléments culturels, et d'expliquer en soulignant à la fois la cohérence de la pensée et le lien entre conception du monde et orientation de l'action. Selon cette logique, la meilleure méthode pour connaître un peuple serait d'étudier son système implicite de pensée, de le déterrer en tant que philosophie collective.

Par contre il ne met guère en cause le statut même de l'objet que l'on prétend révéler à travers cette démarche équivoque: la philosophie comme système collectif de croyances, faisant l'unanimité entre tous les membres de la société" Sur la philosophie africaine de Marcien towa p. 244. Ainsi chez notre auteur, l'ethnophilosophie est un discours mystifié, une description onirique d'une pensée onirique et collective qui n'existe que dans la tête de celui qui l'invente.

D'un autre côté, l'ironie de l'histoire a voulu que ce soient des philosophes africains contemporains (Hountondji, Eboussi Boulaga) qui ont entamé la critique la plus radicale des thèses de Tempels sur la "philosophie bantou"..

LA CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie comme son nom l'indique est une critique de l'ethnophilosophie et de toute sa problématique aux fins de montrer notamment qu'il n'existe pas de philosophie unanimiste, inconsciente et qui résiderait quelque part dans le subconscient collectif d'un peuple dans l'attente d'être exhumée par l'interprétation d'éléments culturels. Plus que cela, l'auteur voudrait que le débat sur la problématique philosophique africaine soit reconsidéré et que ses termes aussi bien théoriques qu'épistémologiques soient réorientés pour être à l'image de la discipline spécifique qu'est la philosophie ; plus précisément à l'image de celle-ci telle qu'elle a toujours fonctionné dans la tradition internationale. Pour cela, il estime qu'entre autre rôles qui reviennent à la philosophie sur le continent africain, il y a la transformation du discours ethno philosophique en un véhicule d'un débat contradictoire qui non seulement engage les Africains entre eux ; mais aussi qui traite des questions les plus diverses, même si celles-ci n'ont aucun rapport avec l'Afrique. Cela signifie plus précisément un débat qui s'éloigne de ce qu'il appelle le mythe de l'ethnophilosophie.

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  • Dissertation

Exemple de dissertation de philosophie

Publié le 26 novembre 2018 par Justine Debret . Mis à jour le 7 décembre 2020.

Voici des exemples complets pour une bonne dissertation de philosophie (niveau Bac).

Vous pouvez les utiliser pour étudier la structure du plan d’une dissertation de philosophie , ainsi que la méthode utilisée.

Conseil Avant de rendre votre dissertation de philosophie,  relisez et corrigez  les fautes. Elles comptent dans votre note finale.

Table des matières

Exemple de dissertation de philosophie sur le travail (1), exemple de dissertation de philosophie sur le concept de liberté (2), exemple de dissertation de philosophie sur l’art (3).

Sujet de la dissertation   de philosophie  : « Le travail n’est-il qu’une contrainte ? ».

Il s’agit d’une dissertation de philosophie qui porte sur le concept de « travail » et qui le questionne avec la problématique « est-ce que l’Homme est contraint ou obligé de travailler ? ».

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Sujet de la dissertation   de philosophie  : « Etre libre, est-ce faire ce que l’on veut ? ».

Cette dissertation de philosophie sur la liberté interroge la nature de l’Homme. La problématique de la dissertation est « l’’Homme est-il un être libre capable de faire des choix rationnels ou est-il esclave de lui-même et de ses désirs ? ».

Sujet de la dissertation   de philosophie  : « En quoi peut-on dire que l’objet ordinaire diffère de l’oeuvre d’art ? ».

Cette dissertation sur l’art et la technique se demande si  l’on peut désigner la création artistique comme l’autre de la production technique ou si ces deux mécanismes se distinguent ?

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Debret, J. (2020, 07 décembre). Exemple de dissertation de philosophie. Scribbr. Consulté le 27 mai 2024, de https://www.scribbr.fr/dissertation-fr/exemple-dissertation-philosophie/

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Seize questions sur la philosophie africaine*

Entretien de valérie marin la meslée avec paulin j. hountondji.

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Paulin Hountondji fait l’état des lieux de la philosophie africaine depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui : bilan et perspectives. Il rappelle quelques jalons de son propre itinéraire.

Peut-on savoir ce qui a amené l’étudiant grandi sur le continent africain (Côte d’Ivoire, puis Bénin d’où votre famille est originaire), à choisir la philosophie à l’Ecole normale supérieure à Paris ? C’est très simple. Je suis né à Treichville (devenu aujourd’hui un quartier d’Abidjan) d’une famille protestante, à l’époque où mon père, pasteur à l’Eglise méthodiste du Dahomey – Togo – Côte d’Ivoire, exerçait en Côte d’Ivoire. La famille a regagné le Dahomey quand j’avais à peine 4 ans. L’exercice quotidien de la prière familiale m’a donné, je crois, le goût de la réflexion. Parvenu en classe terminale au lycée de Porto-Novo, j’ai très vite apprécié la clarté méthodique des cours de philosophie de notre professeur de l’époque, Hélène Marmottin. Devenu hypokhâgneux, puis khâgneux au lycée Henri IV à Paris, j’ai eu aussi la chance d’avoir quelques brillants professeurs, tant en philosophie que dans les autres matières : français, latin, grec, etc. Devenu normalien, j’ai hésité pendant plusieurs semaines entre préparer une agrégation de lettres et une de philosophie. Celle-ci m’attirait davantage mais était réputée plus difficile. Althusser m’a fait faire une dissertation puis m’a rassuré. Dans quelle mesure la phénoménologie de Husserl, sujet de votre thèse, vous a-t-elle éclairé sur la philosophie africaine ? Ou sur la manière de penser l’Afrique ? Ou aucun lien avec l’expérience africaine ? Je m’en suis expliqué dans Combats pour le sens. J’ai été d’abord séduit par l’idéal husserlien d’une philosophie conçue comme « science rigoureuse » à la différence des visions du monde arbitraires, et par le refus du relativisme, l’exigence d’universalité si fortement exprimés dans les Recherches logiques et dans toute l’œuvre de Husserl. J’ai lu ou relu avec des yeux husserliens quelques-unes des grandes œuvres de l’histoire de la philosophie occidentale. La première urgence sur le terrain de la philosophie en Afrique était donc, à mes yeux, de clarifier un débat encore trop souvent confus et de savoir, les-uns et les-autres, de quoi nous parlions. Dans quelle mesure peut-on parler de « philosophie africaine » comme l’on parle de philosophie européenne (celle de Platon ou de Kant ? L’expression « philosophie africaine », justement, a longtemps été employée dans un sens ethnographique pour désigner le système de pensée collectif des Africains, ou plus particulièrement de tel ou tel groupe d’Africains. En ce sens on a beaucoup parlé de la philosophie bantu, de la philosophie rwandaise, de la philosophie wolof, de la métaphysique yoruba, etc. Il existe à ce sujet une abondante littérature. Je crois modestement avoir contribué à attirer l’attention sur l’existence d’une philosophie africaine dans un autre sens : au sens, justement, où on parle de la philosophie grecque, française, allemande, européenne, américaine, etc., pour désigner la philosophie produite par les Grecs, les Français, les Allemands, les Européens, les Américains, etc., telle qu’elle se laisse appréhender dans des corpus réellement existants. En ce sens, la philosophie africaine, c’est la littérature philosophique africaine. « J’appelle « philosophie africaine » un ensemble de textes », c’était la toute première phrase de mon petit livre. Quelles sont les conséquences de l’absence d’écriture sur le corpus philosophique ? A quand peut-on faire remonter la naissance de la philosophie en Afrique ? Il faut faire droit à la littérature orale. Réduire la philosophie à l’ensemble des textes philosophiques écrits relèverait d’une sorte de « fétichisme de l’écriture » (reproche qu’on a cru pouvoir me faire suite à un malentendu évident). A priori, la littérature philosophique africaine comprend aussi la littérature orale. Les Sénégalais citent volontiers un penseur wolof du XVIIe siècle, Kocce Barma, à qui l’on doit un corpus remarquable de proverbes. De son côté, Amadou Hampaté Bâ a rendu immortelle la mémoire de son maître Tierno Bokar, le « sage de Bandiagara », en écrivant sa biographie. Mon regretté collègue Odera Oruka, de l’Université de Nairobi, s’est rendu célèbre voici quelques années en allant à la rencontre des « sages » des campagnes et des villes pour les écouter, les enregistrer, les transcrire et se convaincre, sur leur exemple, de l’existence réelle d’une « philosophical sagacity », d’une sagesse philosophique. Un peu comme Marcel Griaule, l’ethnologue français, s’était mis à l’écoute du vieux chasseur aveugle, le Dogon Ogotemmêli, pour écrire sous sa dictée son fameux Dieu d’eau publié en 1948 (Bâ 1980 ; Oruka 1991 ; Griaule 1948). La cause, en tout cas, est entendue : point n’est besoin d’écriture pour que se développe dans une société l’esprit philosophique au sens de Voltaire ou de Socrate, le non-conformisme social et idéologique. La vraie question, cependant, est celle-ci : quel traitement faut-il appliquer aujourd’hui à cet héritage oral ? Doit-on le laisser en l’état ou doit-on le transcrire ? Ce qu’on observe partout, de Dakar à Nairobi en passant par Bandiagara, au Mali, c’est que l’ère de la transcription a depuis longtemps commencé, et que les meilleurs défenseurs de l’oralité sont les premiers à se livrer à cet exercice. Les autres, qui s’en tiennent à l’affirmation idéologique de la supériorité de l’oral sur l’écrit, mènent un combat d’arrière-garde. La philosophie africaine n’est-elle pas trop souvent le produit d’une confusion des genres : désignation comme telle des contes, proverbes, mythes etc. On parle aussi de « sagesse africaine »…Comme l’on parle de « sagesse grecque » ? La pensée africaine est aussi vieille que les peuples africains eux-mêmes. Mais la philosophie africaine, c’est autre chose. Son histoire est une partie de l’histoire de l’écriture. Les travaux du père Claude Sumner ont fait connaître voici une trentaine d’années les écrits des philosophes éthiopiens Zera Yacob et Walda Heywat, du XVIIe siècle. On parle aussi de plus en plus des manuscrits de Tombouctou qui remontent au Moyen-Age, et où des langues africaines étaient transcrites avec un script arabe. Certains, comme le Congolais Théophile Obenga et plus récemment, le Camerounais Grégoire Biyogo, font remonter à l’Egypte pharaonique les origines de la philosophie africaine. Ce qui est remarquable dans tous ces travaux, c’est qu’ils vont bien au-delà du concept traditionnel, c’est-à-dire ethnographique, de la philosophie africaine. La critique de l’ethnophilosophie aura ainsi libéré le projet d’une histoire de la philosophie africaine (Sumner 1982, 1985 ; Obenga 1990 ; Biyogo 2006). Il faut prendre au sérieux les travaux récents de Mamoussé Diagne, où notre collègue sénégalais met en évidence les procédés et procédures habituels, le mode de fonctionnement des civilisations de l’oralité et les raisons pour lesquelles ces civilisations ne pouvaient en aucune manière produire, dans ces conditions, une philosophie au sens le plus rigoureux du terme (Diagne 2005, 2006). Vous avez dénoncé, dans votre ouvrage « Sur la philosophie africaine » sous titré « critique de l’ethnophilosophie » ce qui ne relèverait pas de la philosophie mais que l’on ferait passer comme telle concernant l’Afrique. Pouvez-vous revenir sur cette question majeure ? Si ce petit livre a eu tant de succès, ce doit être, je crois, pour une raison très simple. Il disait quelque chose qui, formellement, allait de soi, quelque chose comme un truisme ou une lapalissade : la philosophie africaine, c’est la philosophie faite par les Africains. Mais l’ayant dit, il en tirait rigoureusement les conséquences (Hountondji 1970, 1977). Est-elle toujours d’actualité ? L’ethnophilosophie a été une tentation. Elle l’est toujours. Dans plusieurs universités en Afrique, le besoin s’était déjà fait sentir, bien avant mes travaux, d’instituer un cours de « philosophie africaine ». Cette tendance s’est aussi beaucoup développée dans les universités américaines, où un nombre croissant de départements de philosophie inscrivent à leurs programmes des cours de « philosophie africaine » (African Philosophy) ou des cours de « philosophie africaine et afro-américaine », pour lesquels un néologisme a même été forgé (Africana Philosophy). Partout aujourd’hui, la tendance est de comprendre ces cours comme une réflexion à partir des textes africains ou afro-américains, et non plus simplement comme des cours d’ethnologie ou d’anthropologie culturelle sur les systèmes de pensée ou les visions du monde collectives. Cette évolution est heureuse. Les choses, cependant, ne sont pas toujours aussi claires qu’on l’aurait souhaité, et l’on a parfois affaire à des amalgames ou à des discours hybrides, qui mélangent les registres ou les niveaux de discours au lieu de les distinguer pour mieux les articuler. En quoi la cosmogonie dogon, la philosophie bantoue etc., relèvent-t-elles de la philosophie au sens universel du terme ? Il y a toujours place, aujourd’hui comme hier, pour une bonne sociologie des représentations collectives. La critique de l’ethnophilosophie n’enlève rien à la prégnance, à l’omniprésence et au caractère contraignant de ces représentations. Elle met en garde simplement contre la tentation de les prendre pour ce qu’elles ne sont pas : une philosophie. La cosmogonie dogon, les cosmogonies, théogonies, anthropogonies africaines méritent d’être étudiées pour être comparées, non à la philosophie occidentale, mais aux mythologies des autres cultures, y compris celles de l’Occident. Les systèmes traditionnels de valeurs et de normes, les règles qui président à l’organisation et à la vie en société, les us et coutumes, les systèmes de pensée qui les fondent et les justifient, méritent d’être mieux connus, aujourd’hui comme hier. J’ajouterai seulement deux nuances : 1) ces pensées ont beau être dominantes dans la société à l’époque considérée, elles ne sont jamais unanimes et incontestées. Le chercheur d’aujourd’hui doit pouvoir retrouver, derrière l’apparence d’unanimité, la gamme variée des pensées marginales et / ou contestataires ; 2) le système de pensée dominant d’une société à un moment donné de son histoire ne saurait être érigé en philosophie. Il doit être considéré au contraire comme une pensée-déjà-là, qui doit être objectivée et tenue à distance, une pensée pour laquelle, ou contre laquelle le penseur actuel doit se déterminer s’il se veut philosophe. Pouvez-vous revenir sur le succès d’un des concepts de la philosophie bantoue « ubuntu » (Desmond Tutu, l’utilisation informatique…) en explicitant cette notion et en analysant sa portée ? En toute rigueur, la « philosophie de l’Ubuntu » (philosophie de l’humain, philosophie de l’être-homme) n’apporte rien de nouveau par rapport au discours traditionnel (ethnologique ou ethno-philosophique) sur « l’homme dans la pensée bantoue » ou sur ce qu’on a appelé plus généralement « l’humanisme africain ». Tout se passe un peu comme si les Sud-Africains, longtemps coupés du mouvement des idées dans le reste de l’Afrique, découvraient maintenant, avec un décalage de soixante ans et avec un enthousiasme nouveau, des thèmes longtemps ressassés ailleurs, en Afrique de l’Ouest ; de l’Est et du Centre, et qui ont fini par montrer leurs limites : la négritude de Césaire, Senghor et Léon-Gontran Damas, l’African Personality de Blyden, la philosophie bantoue de Tempels et de ses nombreux émules européens ou africains, etc. Mais le contexte n’est plus le même, et c’est ce qui est fascinant. Ces vieilles idées ont acquis dans l’Afrique du sud post-apartheid une actualité nouvelle. Quand la première puissance économique du sous-continent s’approprie un vieux concept et le rend opérationnel, il prend une nouvelle dimension. Ubuntu, c’est l’être humain compris comme « être-avec ». L’idée n’est pas nouvelle. Un philosophe zaïrois brandissait déjà fièrement, dans les années 70, la « philosophie de la bisoïté », d’un mot lingala qui signifie « nous », 1ère personne du pluriel : biso. En Afrique du sud cependant, il prend une connotation très précise : Blancs et Noirs font partie de la même nation, la nation arc-en-ciel. Plus précisément encore, dans le contexte de la commission « Vérité et Réconciliation » présidée par Desmond Tutu : victimes et bourreaux ont vocation à construire ensemble un avenir commun, et cela suppose la confession et le pardon. Ubuntu devient alors le nom d’un projet de société multiculturelle et multiraciale, fondée sur la tolérance, l’entraide et le partage. Etant donné cette connotation idéologique et politique, il n’est pas surprenant que le mot ait été utilisé, pour des raisons publicitaires, dans le domaine informatique, pour désigner un nouveau système d’exploitation dont une des caractéristiques est d’être téléchargeable sans frais. L’Afrique du Sud fait une expérience extraordinaire dont on ne peut prévoir l’issue. Dans quelle mesure la philosophie africaine est-elle faite par les blancs ? Par les noirs ? La « philosophie africaine », comprise comme une vision du monde collective, a d’abord été une invention occidentale, due en particulier à des ethnologues comme Griaule et à des missionnaires comme le franciscain belge Tempels, avant d’être massivement prise en charge par les Africains eux-mêmes. Griaule et Tempels ne sont d’ailleurs que l’aboutissement d’une histoire beaucoup plus ancienne, qui remonte au moins à Auguste Comte, Edward B. Tylor et James G. Frazer, entre autres (Tempels 1945 ; Griaule 1948). Par contre, si on appelle philosophie africaine la philosophie faite par les Africains (comme on appelle philosophie européenne la philosophie faite par les Européens), l’équivoque se dissipe d’elle-même. Reste que philosophie africaine et philosophie européenne ainsi comprises, n’ont de sens qu’en tant que contributions régionales à un seul et même débat mondial où prend forme cette discipline universelle : la philosophie. De la même manière, si l’étude des croyances et des systèmes de pensée, l’analyse des phénomènes de société en général, que ce soit en Afrique ou en Occident, relève de l’anthropologie et non de la philosophie, il faut souligner que l’ethnologie ainsi remise sur ses pieds, l’anthropologie culturelle doit aussi être entendue comme une discipline universelle qui appelle une collaboration mondiale. La philosophie africaine aide-t-elle la communauté noire à penser son identité ? Elle l’a fait ou a prétendu le faire, mais c’était toujours raté. L’ethnophilosophie africaine avait justement pour but déclaré de penser l’identité nègre en mettant en évidence l’originalité, la spécificité des systèmes de pensée négro-africains. Les nombreuses études sur la « conception de la vie », la « philosophie de l’existence », la « conception du vieillard », la « conception du temps », etc., chez les Bété de Côte d’Ivoire, les Bamiléké du Cameroun, les Fon du Bénin, les Yoruba du Nigeria et du Bénin, les Foulbé du Fouta-Djalon, les Swahili du Kenya, ou sur « l’articulation logique de la pensée akan-nzima » en Côte d’Ivoire ou l’imaginaire collectif de tel ou tel autre peuple, toutes ces monographies savantes formaient ensemble ce que mon collègue camerounais Marcien Towa appelle « la philosophie africaine dans le sillage de la négritude ». Kwame Nkrumah, premier président du Ghana indépendant, mais qui avait fait des études de philosophie à Philadelphie, aux Etats-Unis, ajoutait à l’époque une nouvelle dimension. Dans un ouvrage publié en 1964, il constatait que l’Afrique d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était, et que la culture traditionnelle y coexiste désormais avec les cultures « arabo-musulmane » et « euro-chrétienne ». Cette situation appelait de toute nécessité, selon lui, l’élaboration d’une philosophie et d’une idéologie de synthèse : le « consciencisme » devait être cette synthèse, sorte de bouée de sauvetage pour échapper à la menace d’un écartèlement insupportable ou tout simplement, comme il le dit aussi, d’une « schizophrénie ». C’est déjà un progrès par rapport aux thématiques classiques. Notre identité est à venir. Elle n’est pas derrière nous, mais devant nous, dans le geste par lequel nous nous projetons, individuellement et collectivement, dans l’avenir. Nkrumah n’a pas pensé jusqu’au bout les implications de sa propre analyse, mais il était visiblement sur la bonne voie (Nkrumah 1964). Quels sont actuellement les principaux sujets d’étude des philosophes africains ? De l’époque glorieuse de l’ethnophilosophie, nous avons au moins, à coup sûr, hérité un thème : celui de la prééminence du groupe sur l’individu, comprise comme une des constantes des cultures africaines, ou de l’esprit de ces cultures. Ce thème était familier à des auteurs comme Senghor, Julius Nyerere, Kwame Nkrumah, Jomo Kenyatta qui, intellectuels devenus hommes politiques, en tiraient des conséquences sur ce qu’ils appelaient le socialisme africain. Chez le théologien kenyan John Mbiti, auteur, notamment, de Religions et philosophie africaines, il s’élargit en une sorte de cogito alternatif : « Nous sommes, donc je suis », au lieu et place du cogito cartésien : « Je pense, donc je suis ». Dans son African Philosophy in Search of Identity, déjà cité, et dans un autre ouvrage actuellement sous presse, Themes in African Philosophy, le philosophe kenyan D. A. Masolo signale l’importance de ce thème récurrent. J’attire en outre l’attention sur l’un des thèmes favoris de notre doyen d’âge Kwasi Wiredu, lui-même d’origine ghanéenne. L’une de ses préoccupations récurrentes concerne ce qu’il appelle la « décolonisation conceptuelle ». Celle-ci passe par la réhabilitation des langues africaines. A force de penser dans les langues européennes, nous avons fini par accepter comme évidentes et allant de soi des propositions qui n’auraient aucun sens si nous essayions de les traduire ou de les reformuler dans nos langues. Wiredu cite des exemples très précis. Sa démarche procède d’une dénonciation, ou plus exactement, d’une déconstruction du faux universel. Je trouve importante sa distinction entre les tongue-relative statements et les tongue-neutral statements – entre les propositions linguistiquement marquées, qui n’ont de sens qu’à l’intérieur d’une langue ou d’une famille de langues donnée, et les propositions linguistiquement neutres, qui sont seules susceptibles d’avoir, sous certaines conditions, une validité universelle, c’est-à-dire transculturelle. « Philosophes africains, apprenons à penser dans nos langues ! », lançait Wiredu en forme de slogan, en conclusion d’une communication qu’il présentait à Nairobi en 1980 (Wiredu 1980, 1997, 2004). Pour finir, j’attirerai l’attention sur quelques travaux récents de Souleymane Bachir Diagne, où notre collègue sénégalais tente de concilier la « fidélité » islamique et l’exigence d’ouverture, l’exigence de tolérance et d’esprit critique constitutive de la philosophie (Diagne, Souleymane Bachir, 2001, 2008). En a-t-on fini de votre point de vue avec une pensée « en réaction » ? (Contre l’Occident, le blanc, l’esclavage, la colonisation etc.) ? A travers cette pensée « en réaction », étaient déjà posés des problèmes essentiels et d’une portée universelle. D’un autre côté, cependant, on n’en a pas fini avec la liquidation du lourd héritage du passé. Ce n’est pas un hasard si on a inventé outre-atlantique les « études postcoloniales » dont la préoccupation, nouvelle par rapport au discours simplement anti-colonialiste ou anti-impérialiste, est d’identifier rétrospectivement les ressorts du discours impérialiste ou hégémoniste. La critique de l’eurocentrisme est encore aujourd’hui une tâche inachevée. Témoins les travaux du regretté Emmanuel Eze, décédé récemment aux Etats-Unis, où notre collègue nigérian cite et commente des textes visiblement racistes d’auteurs comme Hume, Kant, Diderot, Hegel, et d’autres philosophes réputés sérieux (Eze 1997 a et b). Sur cette question précise, il est vrai, j’ai ma propre lecture. Les auteurs cités ne pouvaient s’imaginer qu’ils seraient un jour lus par des Noirs, pas plus que Husserl, en écrivant la Krisis, ne pouvait imaginer qu’il serait un jour lu par les Papous de Nouvelle-Guinée. On peut raconter toutes sortes de sottises sur des peuples, dès lors qu’on les exclut de son cercle, réel ou imaginaire, de discussion et d’interlocution. Pour cette raison et d’autres semblables, le vrai problème de notre temps est d’élargir véritablement à la dimension de l’univers et de toutes les composantes du genre humain la base sociale du discours philosophique et scientifique. Vous qui avez créé un institut de recherches au Bénin (pouvez-vous en dire quelques mots ?), comment évaluez-vous le manque d’infrastructures locales ? Quelles sont les conséquences de cette obligation de déplacer le travail intellectuel hors du continent ? Notamment sur le plan de l’autonomie de la communauté intellectuelle ? Le Centre africain des hautes études de Porto-Novo se veut un centre de recherche et de formation à la recherche, à vocation régionale. Il est aujourd’hui en pleine refondation. Son statut actuel est d’être un établissement de formation doctorale et de recherche postdoctorale dans tous les secteurs des sciences humaines et sociales à l’Université d’Abomey-Calavi (Cotonou), l’une des deux universités nationales du Bénin – en liaison avec les Facultés concernées, et sans préjudice de son ambition déclarée, qui est d’être un outil au service des universités et centres de recherche d’Afrique de l’Ouest. Le Centre a eu le privilège d’être identifié, en mai 2003, par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), comme un pôle d’excellence régional en formation et en recherche, et à ce titre, il a bénéficié, pendant près de trois ans, d’un soutien important. Il est surtout connu aujourd’hui pour avoir organisé des colloques régionaux ou internationaux, dont certains ont eu un grand écho. Mais cela ne saurait suffire. Le Centre n’a toujours pas, à ce jour, les moyens de son ambition. Il faut donc continuer à se battre pour que ce rêve, pourtant très limité, devienne une réalité. Le Centre a été conçu, très précisément, comme un moyen d’effectuer un travail de recherche du plus haut niveau en Afrique, en réduisant au maximum le déplacement Sud / Nord et en accélérant le processus d’accumulation du savoir au Sud. Le chemin à parcourir est encore long, très long. Mais il fallait d’abord se donner une vision. C’est chose faite. Des moyens relativement modestes suffiraient aujourd’hui pour avancer, étape par étape. Vous avez été ministre au Bénin. Les rapports entre philosophie et politique ne sont-ils pas fondamentaux sur le continent aujourd’hui ? J’ai été ministre par accident. Et l’étant devenu, j’ai été, je crois, un mauvais ministre. Il ne pouvait en être autrement : je ne savais pas tricher. Paul Ricœur évoquait volontiers une distinction chère à Max Weber entre morale de conviction et morale de responsabilité. Les convictions ne font pas un homme politique, hélas ! Elles restent nécessaires pour définir une vision, fonder un projet de société. Mais une fois ce projet esquissé, il faut en discuter, il faut le partager, descendre sur le terrain rugueux et semé d’embûches, ruser avec l’imprévu, avoir le coup de pied tranchant, le coup de coude efficace et surtout, et d’abord, savoir dissimuler. Je ne crois pas qu’on puisse attendre de la philosophie qu’elle prescrive d’elle-même, et par elle-même, des orientations, des options, des choix politiques. Chaque fois qu’elle s’y est essayée, elle a toujours échoué. La tentation est grande d’investir le philosophe d’une mission spéciale, celle de proposer une doctrine politique. Souvent, ce n’est même pas une tentation du philosophe lui-même. Ce sont les non-philosophes qui attendent de lui qu’il éclaire de sa lumière les sentiers de l’action. Parce qu’ils surestiment la philosophie. Parce qu’ils lui prêtent des vertus qu’elle n’a pas. Parce qu’ils la croient capable de montrer le chemin. Mais le pire, c’est quand le philosophe lui-même se croit investi de cette mission. Il n’a de cesse, alors, qu’il n’ait proposé une nouvelle idéologie. Les inventeurs de systèmes abondent dans nos pays, comme les inventeurs de religions. Quel rôle peut jouer le philosophe aujourd’hui en Afrique ? Il y a philosophe et philosophe. Il y a celui qui se prend au sérieux et devient très vite un donneur de leçons grandiloquent et verbeux. Mais le vrai philosophe est forcément plus modeste. Il sait que sa formation de philosophe ne le prépare pas mieux que d’autres à gouverner ou à gérer les affaires de la cité. Il sait qu’il doit d’abord se mettre à l’écoute des classes sociales ou des couches de la population qu’il a décidé de servir, se battre à leur côté, au coude à coude avec tous ceux qui ont fait ce même choix, discuter avec eux d’égal à égal en restant lui-même, sans jamais se renier mais en restant ouvert, en permanence, à des découvertes et à des apprentissages nouveaux. Il sait aussi et surtout que le chemin est long, parfois désespérément long, entre un rêve légitime et sa réalisation, et qu’il doit allier l’exigence la plus haute et la patience historique. Il sait enfin qu’au sein même du mouvement il doit garder intacts son esprit critique et sa liberté de jugement. Je vois mal un philosophe apporter son soutien inconditionnel à un régime, quel qu’il soit. Tout en reconnaissant, le cas échéant, les qualités de ce régime, tout en s’impliquant, au besoin, et en descendant dans l’arène, il doit garder intacte son arrière-boutique et dire courageusement, quand il le faut : sur tel et tel point, nous avons eu tort, et nos adversaires avaient raison. Aucun pouvoir n’aime entendre ce genre de discours. Le philosophe, pour cette raison, sera toujours insupportable.

* Merci à Valérie Marin la Meslée pour ces questions. Elle me les a posées par courriel du 19 décembre 2008, dans le cadre de la préparation d’un numéro hors-série du magazine Le Point sur La pensée noire. L’équipe du Point a bien voulu publier une version abrégée de cet échange dans son numéro 22 d’avril-mai 2009, pp. 82-83. Qu’elle en soit également remerciée. Références APPIAH, Kwame Anthony, In my Father’s House : Africa in the Philosophy of Culture . New York / Oxford : Oxford University Press, 1992 AZOMBO-MENDA, S. et M. ENOBO-KOSSO, Les philosophes africains par les textes . Paris : Nathan 1978. BÂ, Amadou Hampaté, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara. Paris : Seuil, 1980 BENVENISTE, Emile, « Catégories de pensée et catégories de langue », Les études philosophiques n° 4 (oct-déc. 1958). Repris dans Emile BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale , 1. Paris : Gallimard, 1966 : 63-74 BIDIMA, Jean-Godefroy, La philosophie négro-africaine . Paris : coll. « Que sais-je ? », P.U.F. 1995 BIYOGO, Grégoire, Histoire de la philosophie africaine . Paris : L’Harmattan, 2006 DIAGNE, Mamoussé, Critique de la raison orale . Dakar / Paris : IFAN / Karthala, 2005 DIAGNE, Mamoussé, De la philosophie et des philosophes en Afrique noire . Dakar / Paris : IFAN / Karthala, 2006 DIAGNE, Souleymane Bachir, Islam et société ouverte : la fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal. Paris : Maisonneuve et Larose, 2001 DIAGNE, Souleymane Bachir, Comment philosopher en islam ? Paris : Panama 2008. EBOUSSI-BOULAGA, Fabien, « Le Bantou problématique », Présence africaine (Paris), n° 66, 2ème trimestre 1968 : 3 – 40 EBOUSSI-BOULAGA, Fabien, La crise du Muntu : authenticité africaine et philosophie . Paris : Présence africaine, 1977 EZE, Emmanuel Chukwudi (ed.), Race and the Enlightenment : a reader , Oxford, Blackwell, 1997 EZE, Emmanuel Chukwudi, « The color of reason : the idea of « race » »in Kant’s Anthropology, in Eze (ed.), Postcolonial African philosophy : a critical reader , Oxford, Blackwell, 1997 FRAZER, James G., The Golden Bough . GRIAULE, Marcel, Dieu d’eau : entretiens avec Ogotemmêli. Paris : Chêne, 1948 HORD, Fred Lee et Jonathan Scott LEE (eds.), I am because We are : Readings in Black Philosophy . Amherst : University of Massachussetts Press, 1995 HOUNTONDJI, Paulin J., Remarques sur la philosophie africaine contemporaine , Diogène (Paris), 71, 1970 : p. 120-140 HOUNTONDJI, Paulin J., Sur la « philosophie africaine » : critique de l’ethnophilosophie. Paris : François Maspero, 1977 HOUNTONDJI, Paulin J., Combats pour le sens : un itinéraire africain , Cotonou, Flamboyant, 1997. KAGAME, Alexis, La philosophie bantu-rwandaise de l’être . Bruxelles : ARSC, 1957 KAGAME, Alexis, La philosophie bantu comparée. Paris : Présence africaine, 1977 MASOLO, D. A., African Philosophy in Search of Identity . Bloomington : Indiana University Press, 1994 MASOLO, D.A., Themes in African Philosophy . Bloomington : Indiana University Press (sous presse) MBITI, John, African Religions and Philosophy . Nairobi / Ibadan / London : Heinemann, 1969. Traduit sous le titre Religions et philosophie africaines . Yaoundé : Clé NKRUMAH, Kwame F., Le consciencisme : philosophie et idéologie pour la décolonisation et le développement, avec une référence particulière à la révolution africaine. Paris : Payot, 1964. OBENGA, Théophile, La philosophie africaine de la période pharaonique , 2780-330 avant notre ère. Paris : L’Harmattan, 1990 ORUKA, Odera H. (ed.), Sage Philosophy : Indigenous Thinkers and Modern Debate on African Philosophy. Leiden : E. J. Brill, 1990 SMET, A. J., Philosophie africaine : textes choisis et bibliographie sélective . Kinshasa : Presses universitaires du Zaïre, 1975, 2 vol. SUMNER, Claude, Ethiopian Philosophy , 5 vol. Addis-Ababa : Central Printing Press, 1974-1982 SUMNER, Claude, Classical Ethiopian Philosophy . Addis-Ababa : Commercial Printing Press, 1985. TEMPELS, Placide, La philosophie bantoue . Elisabethville : 1945. Version revue et augmentée, Paris : Présence africaine, 1949. TORT, Patrick et Paul DESALMAND, Sciences humaines et philosophie en Afrique : la différence culturelle. Paris, Hatier 1978 TOWA, Marcien, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle. Yaoundé : Clé, 1971 TYLOR, Edward B., Primitive Culture . London : 1871 WIREDU, Kwasi, Philosophy and an African Culture . Cambridge : Cambridge University Press, 1980 WIREDU, Kwasi, Cultural Universals and Particulars : an African Perspective . Bloomington : Indiana University Press, 1996 WIREDU, Kwasi (ed.), Companion to African Philosophy . New York / London : Blackwell ///Article N° : 9652

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  3. LA PHILOSOPHIE AFRICAIN

    Recherche parmi 299 000+ dissertations. Par Doungss • 4 Mars 2016 • Thèse • 888 Mots (4 Pages) • 7 679 Vues. Page 1 sur 4. LA PHILOSOPHIE AFRICAINE. Introduction. L'existence de la philosophie africaine a, pendant longtemps, suscité beaucoup de controverses.

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