PHILOAFRICA

Philosophie africaines entre mythe et réalité – l'universalité des sagesses africaines, la spécificité de la philosophie africaine.

dissertation sur la philosophie africaine

Introduction

L’ontologie hégélienne de l’homme africain pose autrement le problème de l’impossibilité de penser une sagesse typiquement africaine. En effet, selon Hegel l’homme africain demeure dans son immédiateté et dans l’état brut dans lequel ni aucune morale ni aucune philosophie n’est réalisable. Cette position, certes choquante n’aurait pourtant pas du paraître insultante pour la jeune génération d’intellectuels africains, pourtant instruite à « l’école occidentale » pour continuer «  l’œuvre civilisatrice » des premiers colons. La philosophie africaine constitue selon eux, l’ensemble des textes philosophiques écrits par ou sur les africains. « J’appelle philosophie africaine un ensemble de textes : l’ensemble, précisément, des textes écrits par des Africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes de «  philosophiques », dit Hountondji. » 1 Cette définition ne diffère pourtant point de celle de la philosophie en générale. La spécificité de la philosophie africaine consiste dans la singularité de sa méthode et de son objet. L’aire géographique que couvre la diffusion des pratiques rituelles est sans doute le véritable terrain d’étude de la sagesse africaine. Cette sagesse qui s’est nourrie de la puissance du verbe et de l’action, fait sans doute partie des plus riches du patrimoine intellectuel de l’humanité. Il serait ainsi imprudent de mesurer la valeur d’une connaissance générale par de simples critères matériels. La complexité des modes d’être des hommes enlève tout crédit à cette méthode d’analyse. En effet, le débat sur l’existence ou la non-existence d’une philosophie africaine est le pire exercice intellectuel auquel Hountondji, Tempels, Towa et les autres penseurs se sont prêtés. Marcien Towa définit l’ethnophilosophie africaine comme un système de valeurs culturelles du monde noir qui se présentent sous la forme d’une réalité qui manifeste une supériorité évidente par rapport à toutes les conditions matérielles et contingentes d’existence. Elle est formée de mythes, de légendes, de proverbes, de contes, de cosmologies et même de magies. Selon Marcien Towa : «  La volonté d’être nous-mêmes, d’assumer notre destin, nous accule finalement à la nécessité de nous transformer en profondeur, de nier notre être intime pour devenir l’autre.  » 2 Par ailleurs Towa tente de démontrer qu’il est plus utile de créer une philosophie typiquement africaine que de faire revivre une vieille sagesse. Il a voulu ajuster la pensée africaine à l’ordre du monde. La nécessité du changement et de l’adaptation permet aux hommes d’enrichir leur culture et de comparer les modes de pensées. Towa s’oppose au repli de l’Afrique sur elle-même. Il pense que la science est la seule condition afin de fonder les bases d’une véritable connaissance et rendre la philosophie africaine plus rationnelle. Il explique que le hasard ne doit pas impacter les facteurs qui déterminent les conditions de l’existence. Sa critique de l’ethnophilosophie est sensée chercher l’universel dans l’histoire africaine.

Dans quelle mesure est-il possible d’étudier les sagesses africaines hors de l’histoire de la philosophie occidentale et orientale ?

Afin de résoudre cette problématique, nous développerons dans la première partie Le rapport négatif de l’Afrique à l’histoire universelle, dans la deuxième partie, les limites des penseurs africains modernes et dans la troisième partie, l’universalité des sagesses africaines.

I – Le rapport négatif de l’Afrique à l’histoire universel

L’Abbé de Saint-Pierre soutient que le christianisme est le véritable fondement culturel sur lequel la nation européenne fut bâtie. Tous les penseurs politiques s’accordent sur le principe selon lequel toute civilisation se fonde sur des références historiques et culturelles pouvant créer et entretenir des valeurs universelles. L’Afrique, dans son ensemble n’a pas pu franchir cette étape de manière élaborée. Elle est restée fermée sur elle-même, sans grand lien avec le reste du monde. Elle n’avait ni besoin de la connaissance des autres pour embrasser l’universel, ni besoin de reprendre la sienne pour servir l’humanité. C’est la raison pour laquelle elle est restée hors d l’histoire consciente et universelle au sens humaniste du terme. Cela tient non seulement à sa nature tropicale, mais aussi et surtout à sa position géographique. Ainsi Hegel évoque la chaleur comme un facteur trop contraignant à l’esprit. Il pense que ce dernier ne peut pas se libérer pour produire tant qu’il ne jouit des conditions favorables. Ces facteurs ont empêché aux européen, déjà hellénisés, romanisés et christianisés, de pénétrer à l’intérieur des terres. Les seules parties côtières du continent qui ont pu être colonisées soit par les arabes vers le nord soit par les occidentaux au sud ont très rapidement dépassé le reste du continent. Selon Hegel Chaque phase du développement de la conscience de soi de l’Esprit apparaît dans l’histoire comme un peuple réel. Elle se manifeste dans l’histoire comme l’esprit d’un peuple concrètement existant, comme un peuple réel. Elle se manifeste donc dans l’espace et le temps, à la manière d’une existence naturelle. « Le gel qui rassemble les Lapons ou la chaleur torride de l’Afrique a des forces trop puissantes par rapport à l’homme pour que l’esprit puisse se mouvoir librement parmi elles et parvienne à la richesse qui est nécessaire à la réalisation d’une forme développée de vie .» 1

En plus de cela, il pense que l’Afrique n’a pas encore quitté le stade de l’état de nature. Ce qui expliquerait selon Hegel, l’état de conflits permanents intercommunautaires dans lequel les africains ont vécu durant des siècles. Précisons toutefois que cette analyse de l’auteur concerne précisément l’Afrique noire qu’il qualifie comme étant dans un « état d’inconscience de soi » 2 . C’est la raison pour laquelle, il ne peut y avoir d’histoire proprement dite dans cette partie du monde. Sans aucune conscience pour donner un but aux actions des hommes, les masses qui ne se réalisent pas dans une dialectique rationnelles demeurent des sujets qui se détruisent mutuellement. Un tel état serait incompatible avec l’idée du progrès et l’état de réflexion et de sagesse.

L’homme en tant qu’homme s’oppose à la nature et c’est ainsi qu’il devient homme. Mais, en tant qu’il se distingue seulement de la nature, il n’en est qu’au premier stade, et est dominé par les passions. C’est un homme à l’état brut. Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu spirituel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature. Tout cela, en effet, manque à l’homme qui en est au stade de l’immédiateté : on ne peut rien trouver dans son caractère qui s’accorde à l’humain. C’est précisément pour cette raison que nous ne pouvons vraiment nous identifier, par le sentiment, à sa nature, de la même façon que nous ne pouvons-nous identifier à celle d’un chien, ou à celle d’un Grec qui s’agenouillait devant l’image de Zeus 3 .

D’une façon générale, nous devons dire que, dans l’Afrique intérieure, la conscience n’est pas encore arrivée à l’intuition de quelque chose de solidement objectif, d’une objectivité. Par objectivité solide, il faut entendre Dieu, l’éternel, le juste, la nature, les choses naturelles. […] Les Africains, en revanche, ne sont pas encore parvenus à cette reconnaissance de l’universel. Leur nature est le repliement en soi. Ce que nous appelons religion, Etat, réalité existant en soi et pour soi, valable absolument, tout cela n’existe pas encore pour eux. Les abondantes relations des missionnaires mettent ce fait hors de doute 4 .

Ce qui caractérise en effet les nègres, c’est précisément que leur conscience n’est pas parvenue à la contemplation d’une quelconque objectivité solide, comme par exemple Dieu, la loi, à laquelle puisse adhérer la volonté de l’homme, et par laquelle il puisse parvenir à l’intuition de sa propre essence. Dans son unité indifférenciée et concentrée, l’Africain n’en est pas encore arrivé à la distinction entre lui, individu singulier, et son universalité essentielle ; d’où il suit que la connaissance d’un être absolu, qui serait autre que le moi et supérieur à lui, manque absolument 5 . On ne parle donc pas d’une adoration spirituelle de Dieu, ni d’une souveraineté de droit. La religion nègre ignorant un être objectif en soi consistant et différent d’eux n’est qu’une magie, l’homme y est la puissance la plus haute. C’est cette puissance qu’ils se représentent, ils l’extériorisent et en font des images. Les magiciens n’ont aucune conscience d’un Etre supérieur, le nègre est, pour Hegel, un être amoral. Tout ce que les nègres ont de véritablement élevé se réduit selon lui, au culte des morts bien qu’ils ne considèrent pas la puissance des morts comme supérieure à celle des vivants.

Le pouvoir vers lequel se tournent ces hommes n’est pas un pouvoir supérieur, puisqu’ils croient produire eux-mêmes ces effets. Pour se préparer, ils se mettent dans un état d’enthousiasme extraordinaire. « Avec des chants et des danses furieuses, en mangeant des racines et en buvant des liquides enivrants, ils se mettent dans un état de transe extrême et profèrent alors leurs commandements. L’homme se considère comme l’entité suprême qui a le pouvoir de commander » 6 .

Le fétiche reste en leur pouvoir. Cela veut dire que leur dieu reste en leur pouvoir. Ils le créent et le déposent à plaisir. Un tel fétiche n’a ni une autonomie religieuse encore moins une autonomie artistique. Il reste une pure créature qui exprime «  l’arbitraire du créateur et qui demeure toujours entre ses mains » 7 . Le degré de conscience de la nature auquel les nègres sont parvenus, n’est pas, en effet, la conscience de Dieu comme Esprit, c’est-à-dire comme « quelque chose qui est en soi et pour soi supérieur à la nature » 8 . Les africains, de ce fait, sont superstitieux. La superstition est le fait de penser que dans tout être, dans tout animal, dans toute pierre, il y a une force vitale, il y a une vie, il y a quelque chose de sacré. Dans les religions traditionnelles, on croit à cela. Mais ce n’est pas une superstition, c’est une croyance.

II – Les limites des penseurs africains modernes

La réaction des intellectuels africains, en particulier ceux de l’Afrique centrale s’est inscrite aux lendemains des indépendances dans une dynamique réactionnaire vis-à-vis des théories d’Hegel. Cette approche a orienté l’objet des recherches de la jeune génération d’intellectuels africains vers l’existence ou la non-existence d’une philosophie typiquement africaine. Le moindre niveau auquel les penseurs ont entraîné l’une des plus vieilles sagesse de l’histoire de la pensée a fait dériver la question de son universalité vers un débat autour de la philosophie de l’histoire d’Hegel. La philosophie africaine aurait dû s’inscrire dans la logique d’une histoire de la pensée. Elle aurait dû prendre en compte la liberté et la raison comme critérium de l’universalité de l’histoire. La réflexion réactionnaire qu’à produit le sentiment de subjectivité irrationnel des intellectuels africains n’a jamais pu être à la hauteur d’une réelle autocritique. L’honneur du modèle philosophique occidental se trouve dans ses principes de critique et d’autocritique. Depuis Platon jusqu’à nos jours la construction de la société occidentale s’est faite autour de l’idée d’une raison absolue et de l’idée d’une liberté comme fondement et but de l’évolution de l’humanité. La majorité des intellectuels africains refuse de reconnaître la dialectique de la lutte des classes comme principal moteur de l’histoire. Elle ne reconnaît pas le travail comme une réalité ontologique indispensable à la liberté. Elle n’admet pas la liberté comme une nécessité à conquérir et dont l’enjeu transcende la mort. Au début du chapitre 4 de la phénoménologie de l’esprit, Hegel nous explique par une mythologie anthropologique, comment les consciences luttent pour la reconnaissance, au risque de mourir. La peur de la mort et l’amour inconditionnel pour la vie, mène à la soumission à l’autre. En se soumettant pourtant à son maître, l’esclave peut toujours changer sa condition par le travail qui transforme son maître en esclave. La lutte par le travail ou par le combat est le contraire de l’oisiveté dans laquelle les sociétés africaines se sont longtemps conformées. La lutte est le principe par lequel une classe renverse un système qu’il juge injuste et oppressant afin d’établir la justice et l’ordre qu’elle juge nécessaire à sa condition. Ce changement permet de réorganiser les institutions et de revoir le modèle social. Balandier démontre comment le mouvement met les structures sociales en contradiction pour produire une dialectique sociale : «  La démarche dynamiste entend saisir la dynamique des structures tout autant que le système des relations qui les constituent, c’est-à-dire prendre en considération les incompatibilités, les contradictions, les tensions et le mouvement inhérent à toute société » 1

L’histoire de l’humanité, selon Hegel, n’est pas l’œuvre de tous les peuples, seuls les Asiatiques et les Occidentaux en sont les principaux acteurs. L’histoire universelle ne se déroule dans une communauté repliée sur elle-même. L’interconnexion entre les nations est l’une des conditions de la marche universelle de l’histoire. Le but final de la marche de cette histoire est le triomphe de la raison et de la liberté. L’histoire des peuples s’analyse sur le seul critérium de l’esprit qui se matérialise en ceux qui conduisent le sujet universel vers son effectivité. La pensée hégélienne met dos à dos le réel et l’ordinaire. Le premier signifie non pas tout ce qui existe apparemment, mais ce qui existe sous une forme concordante avec les normes de la raison. Ce réel est fondé sur une structure intelligible absolue. Tout ce qui existe n’est réel que parce qu’il agit comme un « soi » à travers toutes les relations contradictoires constituant son existence. Le domaine de prédilection de l’esprit est le milieu ayant déjà conquis sa réalité et sa rationalité qui veulent dire la même chose. La fonction des sujets de l’histoire consiste à associer sa singularité à la généralité universelle. Si l’histoire universelle est la marche graduelle de l’esprit, la liberté constitue l’essence de l’existence des peuples. Contrairement aux philosophes occidentaux, les penseurs africains n’ont jamais voulu rentrer en contradiction vis-à-vis de leur société. Ils cherchent inlassablement à défendre leur mode de vie sans jamais poser les bases d’une véritable autocritique. La pensée moderne africaine est essentiellement calquée sur celle de l’occident. Elle n’a rien d’authentique et ne permet pas de découvrir la première forme authentique des sagesses noires. L’esprit africain n’est pas prêt pour subir la violence de la critique et observer les règles de la dialectique. Il ne peut exister que dans un cadre de réflexion déjà établi. La pensée occidentale et celle asiatique sont les référentiels de l’histoire de la philosophie africaine. Il s’agit bien sûr de la philosophie telle que les premiers intellectuels africains l’ont apprise dans les écoles occidentale et contre laquelle ils réagissent. L’anthropologie et l’ethnologie ont posé les fondements d’une réelle réflexion sur l’homme africain. La philosophie n’a pas suivi cette démarche et est restée dans l’abstrait. Les penseurs africains modernes ont refusé de prendre en considération l’idée de la raison et de la liberté comme fondement de la civilisation. Les africains sont les seuls peuples à accepter l’esclavage et à s’être vendus aux autres peuples. Des travaux récents en histoire ont démontré que ni l’esclavage ni la colonisation n’auraient eu lieu si les sociétés africaines n’étaient pas d’essence esclavagiste. Le droit africain précolonial en général n’avait pour objet ni la protection de la vie ni la justice social. Il ne considérait pas la vie humaine comme sacrée. La tâche de notre philosophie aurait dû commencer par la correction de cette erreur. Elle aurait dû démontrer que le droit et la politique ont détruit les plus grandes valeurs humanistes du vieux continent. Les théories d’Hegel auraient dû servir aux philosophes africains de démontrer qu’il existe bien une sagesse universelle africaine au-delà du gouffre politique et institutionnel dans lequel certains ont entraîné la mémoire de nos anciens sages. Les plus grands penseurs africains ont voulu combattre les théories d’Hegel sans chercher à comprendre le fond de sa pensée. Ils n’ont fait que nier la liberté comme inhérente à l’homme sous prétexte qu’Hegel soutient que tout homme et tout peuple jouit au début d’une liberté qui fait partie de son essence propre. Cette liberté immédiate n’est effective que lorsqu’elle est transformée en une liberté « pour soi ». Il pense que la liberté que connaît le peuple africain n’est pas effective car n’ayant pour contenu la réalisation de la liberté effective. La question n’est pas de savoir si l’histoire commence avec l’écriture ou s’il peut exister d’autres critères d’analyser le passé. Sur cette question, la plupart des penseurs de la postmodernité soutiennent que l’écriture n’est pas la seule mesure de la civilisation. Toutes les civilisations comportent les meilleurs et les pires des actions des hommes qui en sont les auteurs. Chaque société hérite ainsi de ce que l’Homme a de meilleur et de pire. L’argument le plus crédible de l’histoire sélective reste la question de la participation positive ou négative des civilisations à la construction de l’humanité. Les peuples qui ont sacrifié leurs enfants sur des autels ou pour le dieu-soleil ne deviennent des barbares que lorsqu’un autre peuple plus civilisé arrive à juger immoral ou à combattre cette action au nom de l’humanité. L’humanisme est la participation active des peuples et des hommes à l’universel.

III – L’universalité des sagesses africaines

Les premières formes de pensées africaines issues des religions primitives ont jeté les bases des plus vieilles civilisations de l’humanité. Malgré qu’à ce stade nous ne puissions parler de culture universelle, nous pouvons sans contredit affirmer que les croyances anciennes du vieux continent considéraient l’homme comme moyen et fin de toutes les questions philosophiques. Elles ont ainsi permis d’harmoniser les rapports sociaux interindividuels par des liens ethniques. C’est à tort que Lucien Lévy-Bruhl étudia l’homme africain dans son ouvrage, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, paru en 1910. La pratique du culte des ancêtres permet d’établir un passage entre la vie et la mort que les sages considéraient comme une autre vie. La possibilité d’envisager la mort comme un simple périple au cours duquel les âmes restent et veillent sur les vivants fut à l’origine des lois morales et de la métaphysique. L’animisme et le totémisme instituèrent l’harmonie entre l’homme et la nature par le respect de toutes les formes de vie. La nature de l’homme n’était pourtant pas l’objet de l’ontologie chez les anciens africains. Ceux-ci considéraient l’homme comme une partie de la nature dont dépend son existence. L’homme ne peut pas vivre hors de la nature et indépendamment des autres. La pratique vaudou traduit ainsi l’une des formes les plus avancées des croyances occultes et originales des anciennes tribus du Dahomey. Elle est fondée sur un ensemble de connaissances, de cultes, de danses et de philosophies dont le but est la réconciliation de l’homme avec les forces divines. Les enseignements de cette sagesse ont longtemps façonné les anciennes structures politiques et les anciens ordres judiciaires. La tradition orale fut longtemps le moyen de conservation des connaissances et des savoirs faire chez tous les peuples avant l’invention des premières formes d’écriture. Elle permit aux premières civilisations africaines et américaines de conserver et de transmettre leurs sagesses de siècle en siècle. L’harmonie sociale et le respect de toutes les formes de vie, aussi bien animale que végétale constituent le fondement de cette sagesse en générale. La construction et l’évolution du concept d’homme dans les cultures anciennes africaines se sont toujours orientées vers l’idée d’une appartenance de chaque individu à un projet global. Le retard industriel et l’absence de l’idée du droit sont les principaux facteurs qui ont mis l’Afrique à la touche du concert des peuples. Cela ne veut pourtant pas dire que jamais dans son histoire, le continent n’a eu des moments de gloire. Mais qu’elle qu’il n’a pas participé à l’échelle universelle et humaine à la pensée universelle et humaniste en tant que structure politique ou État. Il est toutefois possible de considérer les civilisations africaines en d’autres termes que celui du droit et de l’Etat. L’esclavage patriarcal a empêché les sociétés africaines de réaliser des structures politiques avancées et complexes. Les premières aristocraties avaient juste le privilège de maintenir l’équilibre social et politique par l’organisation des grandes familles en classes privilégiées. La contradiction entre le droit et l’ordre politique a longtemps constitué le problème principal de l’émergence de l’idée de liberté politique et de justice. Les sociétés africaines n’ont jamais pu combiner la chose politique avec les individualités humaines et sociales. L’esclavage a ainsi été une affaire privée et un phénomène social sans aucun rapport avec les institutions politiques. Durkheim remarque que l’Etat est avant tout un organe de réflexion et de justice sociale. C’est par lui que s’organise la justice du pays. L’autorité dont jouissent les structures de l’Etat n’est légitime que lorsqu’elle répond aux besoins essentiels de la vie des hommes. Leur autorité va au-delà de la simple fonction militaire. Elle est intimement liée à l’idée du bien supérieur collectif et à la morale. Or aucun historien n’a pu démontrer que les premières sociétés africaines n’avaient pas établi des règles morales comme normes sociales. La véritable problématique est la question de l’universalité de cette morale. Les formes de connaissances scientifiques que les africains ont développé tout au long de leur histoire sont les mêmes que les autres peuples ont connues. L’Occident a su protéger la propriété au même titre que la vie. Ce progrès juridique a transformé radicalement la nature du contrat social de ces sociétés qui l’intègrent à tous les aspects de leur vie. Ce principe a fait défaut dans la plupart des sociétés africaine. Il n’a pas été mis en valeur autant qu’il aurait dû l’être. Certes aucune sagesse africaine n’autorisait le vol, mais elles ne sont pas parvenues à instituer la propriété privée comme le fondement de tout contrat social. Les familles sont restées longtemps maîtresses des jeux politiques. La persistance de la culture des armées tribales et du droit féodal a empêché à l’Afrique de connaître la renaissance que l’Occident a connue. C’est la raison pour laquelle les connaissances et les valeurs humaines de ces civilisations sont restées dans les familles et les clans. En effet, les anciens ont toujours considéré la vie humaine comme sacrée et essentiellement lié au destin des hommes. Dans la langue bambara par exemple le concept de « Mogoya » signifie la « Bonne humanité ». Il ne renvoie pas à un simple principe philosophique à l’instar de l’humanisme transalpin mais à la bonté humaine. Les maximes qui sont à la base de la sagesse africaine mettent toujours les hommes au sommet de tous les autres aspects de la condition sociale. Les rites d’initiations qui caractérisaient les cérémonies religieuses avaient pour but de réaliser le bonheur de l’homme dans la société en établissant une véritable harmonie entre les vivants et les morts, entre l’homme et la femme et entre la vie et la mort. L’animisme constitue l’une des premières formes de pratique religieuse. Il implique que tous les végétaux et les animaux sont animés au même titre que l’homme. Selon cette doctrine philosophique et religieuse, l’âme et l’esprit occupent la totalité de toutes les formes de vie. Cette conscience est le point de départ d’une philosophie dont les hommes n’en sont pas les seuls objets. Elle considère l’homme comme une partie de l’ensemble de la nature. Cette interconnexion entre les vivants est aussi le fondement d’une philosophie de l’environnement et de la responsabilité de l’homme vis-à-vis des autres formes de vie. Les totems traduisent l’idée de cette responsabilité écologique de l’homme. L’interdiction pour certains groupes sociaux de manger la chaire de certains animaux a permis pendant longtemps de préserver beaucoup d’espèces d’animaux. Le respect pour la vie est un engagement philosophique qui détermina les rapports entre les hommes dans la société et ceux des hommes avec les animaux dans la nature.

Le « Sinankunya » est un concept philosophique mandingue dont le but de la pratique est de pacifier les rapports entre les différentes ethnies. Il signifie la «Relation pacifique inconditionnel entre des groupes ethniques ». Il implique un respect inconditionnel entre certaines ethnies qui ont des obligations morales les unes envers les autres. En effet, ce sont les chansons et les contes qui ont permis de conserver ces grandes valeurs humaines. La musique africaine est un répertoire de concepts et de maximes philosophiques. C’est par cette conscience qu’est concevable la véritable philosophie africaine.

Les sagesses africaines constituent le véritable terrain sur lequel l’histoire de la philosophie africaine s’écrit. Elles sont les produits des connaissances théoriques et pratiques sur l’homme et son milieu naturel qu’est la société. Ainsi, le problème de méthode qu’a suscité le débat entre certains penseurs n’est pas assez pertinent pour discréditer le caractère universel de la philosophie africaine.

1 Georges Balandier, Anthropologie politique , PUF, Paris, 1967, p. 23

1 Hegel George Wilhelm Friedrich , Principes de la philosophie du droit , 1821, par Jean-François Kervégan, Presse Universitaire de France, Paris, 1998. ., p. 249

2 Hegel Georg Wilhelm Friedrich, La Raison dans l’Histoire , 1837, par Kostas Papaioannou, Editions Pocket, Paris, 2012.

3 Ibid ., p. 284.

4 Ibid ., p. 282.

5 Ibid ., p. 283.

6 Ibid ., p. 288.

7 I bid ., p. 290.

8 Ibid ., p. 291.

1 Paulin. T. Hountondji, ‘ ’sur la philosophie Africaine’’ , Paris V, Maspero, 1977, p.41.

2 Marcien, Towa, essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle , Yaoundé, édition clés, 1971, p.39.

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dissertation sur la philosophie africaine

Paulin Hountondji, le penseur qui a défriché la réflexion sur la philosophie africaine

dissertation sur la philosophie africaine

enseignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Disclosure statement

Mouhamadou El Hady Ba received funding from Fulbright.

AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) provides funding as a member of The Conversation FR.

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Le philosophe béninois Paulin Hountondji , décédé le 2 février 2024 à l'âge de 82 ans, a eu le courage de s'élever contre la tentation à laquelle cédaient beaucoup de penseurs africains, à la suite du Révérend Père Tempels , de modifier la définition de la philosophie pour permettre aux africains de s'en attribuer une. Dans son livre La Philosophie Bantou , le Père Placide Tempels affirmait en effet découvrir une philosophie africaine. Beaucoup d'intellectuels africains de son époque le célébraient et saluaient son livre comme fondateur de la philosophie africaine.

Paradoxalement, Tempels fut intronisé par ces penseurs nationalistes comme “père de la philosophie africaine” alors même qu’il écrit noir sur blanc dans son livre que son objectif est de mieux comprendre les bantous afin d’accompagner le projet colonial et de mieux accomplir la prétendue mission civilisatrice de l'Europe.

C’est contre le consensus qui célébrait Tempels et se plaçait dévotement sous son ombre tutélaire que Paulin Hountondji a eu le courage de s'élever. Hountondji sera également, dans les années 9o un des pionniers de la recherche épistémologique sur les savoirs endogènes. Premier africain admis en philosophie à la prestigieuse École Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris en 1963, il est l'un des philosophes les plus influents d'Afrique.

Paradoxalement, son courage lui a valu d’être traité, entre autres, de “blanc” par ses détracteurs qui voyaient en lui un élitiste désireux d’en référer aux normes européennes plutôt que d’accepter les spécificités philosophiques africaines.

Il est vrai que Hountondji a suivi un parcours d’élite. Il est né en 1942 à Abidjan, en Côte d'Ivoire, dans une famille protestante et déjà cosmopolite. Admis à la prestigieuse École Normale Supérieure de la Rue d'Ulm, il y travaille avec des philosophes exceptionnels comme Derrida, Althusser et Canguilhem.

Après Normale Sup’, il soutient à Nanterre en 1970, une thèse de doctorat de troisième cycle sur le thème : “L'idée de science dans les prolégomènes et la 1ère recherche logique de Husserl”. Une thèse dirigée par nul autre que Paul Ricoeur, un des plus grands phénoménologues du 20e siècle. Avant et après sa thèse, Hountondji a enseigné la philosophie dans les universités de Besançon, de Kinshasa et de Lubumbashi avant de revenir au Bénin où il a non seulement enseigné à l’université d’Abomey Calavi mais également joué un rôle proéminent dans le processus de démocratisation du pays et occupé des postes ministériels . Il a été ministre de l’Education de 1990 à 1991, puis de ministre de la Culture et de la Communication de 1991 à 1993.

Une vie politique

Du fait des vicissitudes de sa vie politique et de ses engagements scientifiques, ce n’est que dans les années 1990 qu’il finit par soutenir, à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, une thèse de doctorat d’État sur ces travaux sous la direction de Souleymane Bachir Diagne.

Dans le livre tiré de cette thèse d’État, Hountondji revient sur sa carrière et regrette qu'ayant toujours eu une passion pour la pensée du philosophe Edmund Husserl, il avait à peine travaillé sur cet auteur du fait qu’il avait été happé par la polémique sur la philosophie africaine.

Cette polémique débute lorsque, dans les années 1970, Hountondji publie une série d’articles dévastateurs, qui seront plus tard réunis sous forme de livre . Dans ces articles, Hountondji refuse une modification des standards destinée à permettre à tout prix de prouver l’existence d’une philosophie africaine. Quitte à étendre le sens de ce mot au point de le rendre méconnaissable.

Pour Hountondji, nous ne pouvons décréter que ce que nous classerions comme mythe, pensée collective et idiosyncrasie culturelle ailleurs devrait être classé comme philosophie en Afrique. Si vraiment nous voulons savoir s’il existe ou non une philosophie africaine, nous devons partir de la définition normale de la philosophie, à savoir une entreprise personnelle de réflexion sur la condition humaine.

Définition de la philosophie africaine

De fait, selon Hountondji, une philosophie ne saurait être ni collective, ni simplement orale, inconsciente encore moins. Il définit donc la philosophie africaine comme l’ensemble des textes produits par des Africains et qualifiés par leurs auteurs de philosophiques. Armé de cette définition, il intervient dans le débat sur l’existence et la nature de la philosophie africaine. Y a-t-il une philosophie africaine ? En quoi consiste-t-elle ?

À la suite de Tempels, beaucoup d’auteurs africains répondaient positivement à la première question. Pour exposer la nature de la philosophie africaine, ils se proposaient de mener l’enquête en partant des religions, des langues et des mythes africains afin de révéler les systèmes de pensée, les systèmes logiques et la métaphysique développés par les penseurs africains et collectivement préservés par les sociétés traditionnelles africaines.

Pour qualifier ce type de recherche, Hountondji crée le terme d’ ethnophilosophie . Il affirme qu’il s’agit là non pas de recherches philosophiques mais de recherches ethnologiques à prétention philosophique. Hountondji estimait, quant à lui, que cette prétention était injustifiée. La philosophie étant une entreprise personnelle et non collective. Il s’en suivra une polémique amère où il se verra qualifié par ses détracteurs d’europhilosophe désireux, selon le philosophe ivoirien Niamkey Koffi , de préserver ses intérêts de classe en excluant du champ philosophique tout ce qui n’est pas adoubé par l’université occidentale.

Apport à la philosophie

Cette polémique masque un argument important de Hountondji et il faudra attendre que la poussière retombe pour que la portée de cet apport philosophique ne soit réellement comprise. En effet, dès le début, l’argument complet de Hountondji était que la philosophie étant une réflexion méthodique sur des savoirs constitués, pour créer une philosophie proprement africaine, il nous faut partir des savoirs africains parce que, selon lui, la théorie de la science est le noyau essentiel de la philosophie.

Dans les années 90, au sortir des polémiques sur l’existence ou non de la philosophie africaine , Hountondji se lance dans le défrichage de la réflexion sur les savoirs africains. Dans ce cadre, il développe le concept de savoir endogène qu’il oppose à la fois au savoir traditionnel et au savoir indigène. Est traditionnel un savoir qui est considéré comme appartenant au patrimoine ancien d’une société. Est indigène le savoir qui est considéré par les membres de la société comme construit à partir de leur savoir traditionnel, sans apport externe.

Est endogène le savoir construit par les membres de la société mais incorporant, de manière critique, des éléments extérieurs. C’est le type de connaissance vivante qui permet, selon Hountondji, la naissance de la philosophie.

L’enjeu pour Hountondji n’est pas de retourner dans le passé pour exhumer des savoirs ou des philosophies traditionnels mais de développer une tradition endogène de production de connaissance qui permette à l’Afrique de briser sa dépendance épistémique et d’être une pourvoyeuse théorie à portée universelle et non pas seulement un lieu de production de données brutes dont la théorisation se fait à l’extérieur du continent. C’est dans cette optique que Hountondji réunit dans les années 1990, d'abord à l'Université d'Abomey-Calavi puis au Centre Africain des Hautes Études de Porto Novo, une équipe pluridisciplinaire de philosophes et de scientifiques pour travailler sur les savoirs endogènes.

Réputation de polémiste

Le philosophe Bado Ndoye de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, qui a publié la première biographie intellectuelle de Paulin Hountondji en 2022 affirme que l’enjeu pour ce dernier est non pas de promouvoir une illusoire déconnexion épistémique africaine - une stricte séparation des savoirs africains avec les savoirs occidentaux - mais de démarginaliser les savoirs endogènes africains. Selon Ndoye, cette démarginalisation a une double signification :

restituer et restaurer la dignité théorique de ces savoirs en vue de les intégrer dans le mouvement de la science en train de se faire.

Hountondji a une réputation de polémiste. Lui-même reconnaît dans son autobiographie intellectuelle qu’il a pu donner autant de coups violents à ses aînés qu’il en a reçu de ses cadets. Et effectivement, sa plume est parfois féroce. Il faut cependant préciser que beaucoup de ceux qui l’ont rencontré gardent le souvenir d’un homme jovial et cordial.

Personnellement, ce qui m’a le plus frappé quand j’ai passé du temps avec lui, c’est sa capacité à écouter longuement et avec une totale concentration ses interlocuteurs puis à poser une ou deux questions qui portent sur un point nodal de l’argumentation.

C’est probablement cette singulière concentration et cette capacité à pointer automatiquement les faiblesses d’une thèse quelle qu’elle soit qui passent pour amour de la polémique alors qu’elles ne sont que recherche de la correction argumentative et scientifique.

Hountondji était actif dans de nombreux réseaux philosophiques, de l'Unesco, dont la revue Diogènes a publié ses premiers textes, à la Fédération internationale des sociétés de philosophie . Deux semaines avant son décès, Hountondji participait encore à un grand colloque à Toulouse sur la philosophie africaine. Malgré son âge, c’est un philosophe encore actif et vigoureux que la communauté philosophique mondiale vient de perdre. Gageons que les champs de recherche qu’il a ouverts seront explorés par des générations de philosophes.

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Entre identité et rationalité : controverse sur l’existence d’une philosophie africaine

Un débat sur l’existence d’une philosophie africaine occupe les intellectuels du continent et de ses diasporas depuis 1947. Aux tenants de la thèse d’une philosophie endogène, solidaire des cultures africaines, s’opposent ceux qui ne conçoivent la philosophie que rapportée aux critères de sa constitution comme discipline autonome, avec une histoire qui lui est propre et qui vient des Grecs, héritée par le monde occidental. Ce cas de « conflit de vérité » divise les « ethno-philosophes » et les « euro-philosophes », ainsi que se qualifient mutuellement leurs tenants. À partir d’observations menées dans deux classes terminales à Dakar, l’article propose d’observer comment, dans un cours de philosophie, ces « vérités en conflit » peuvent être présentées et soumises à des exercices de réflexion, par la discussion et la recherche de solutions de dépassement.

A debate on the existence of an African philosophy has occupied the intellectuals of the continent and its diaspora since 1947. Supporters of the notion of an endogenous, connected philosophy of African cultures are countered by those who conceive philosophy only in relation to the criteria of its constitution as an autonomous discipline, with a history of its own and deriving from the Greeks, inherited by the Western world. This case of “conflicting truth” divides the “ethno-philosophers” from the “Euro-philosophers”, as their followers call each other. Based on observations in two final-year classes in Dakar, this article seeks to observe how, in a philosophy class, these “conflicting truths” can be presented and submitted to reflective exercises through discussion and the search for solutions to move beyond this opposition.

Un debate sobre la existencia de una filosofía africana ocupa a los intelectuales del continente y a sus diásporas desde 1947. Frente a los partidarios de la tesis de una filosofía endógena, solidaria de las culturas africanas, se oponen los que no conciben la filosofía fuera de los criterios de su constitución como disciplina autónoma, con una historia propia y que procede de los Griegos, heredada por el mundo occidental. Este caso de “conflicto de verdad” divide a los “etno-filósofos” y a los “euro-filósofos”, nombres respectivos que se dan los partidarios de las dos aproximaciones. A partir de unas observaciones llevadas a cabo en dos clases de bachillerato en Dakar, el artículo propone observar cómo, en una clase de filosofía, estas “verdades en conflicto” pueden ser presentadas y sometidas a unos ejercicios de reflexión, por la discusión y la búsqueda de soluciones de superación.

Entrées d’index

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1 La question de l’existence d’une philosophie africaine est inscrite au programme sénégalais de l’enseignement de la philosophie en classe terminale des lycées. Elle constitue, tout compte fait, un cas d’espèce d’une problématique plus vaste et plus familière : celle d’identité – tant celle qu’on attribue aux Africains que celle qu’ils entendent se donner eux-mêmes. Ce débat sur la philosophie africaine est symptomatique d’enjeux idéologiques, culturels et politiques qui en constituent le soubassement.

2 Les élèves, même à ce stade d’initiation à la philosophie comme discipline enseignée, y sont donc préparés d’une certaine manière et confrontent des points de vue différents : cette identité est-elle une ou plurielle ? L’« africanisation » des programmes d’enseignement – après une longue période d’extraversion de ceux-ci – participe du souci d’amener les élèves à placer au cœur de leur réflexion et de leur formation les questions décisives de leur environnement culturel, physique et politique.

Les thèses en conflit

Au commencement, un livre : la philosophie bantoue.

3 L’auteur de La Philosophie bantoue est le Révérend Père Placide Tempels, missionnaire belge au Congo. L’ouvrage est traduit du néerlandais au français et publié en juillet 1948 par la maison d’édition Présence africaine, à Paris. Cet ouvrage part de l’idée qu’il y a, dans la culture bantoue, les linéaments d’une philosophie reconnaissable à quelques idées que le missionnaire se propose de recenser pour en faire une présentation cohérente :

Par les méthodes d’analyse et de synthèse de nos disciplines intellectuelles, nous pouvons donc et devons rendre aux « primitifs » le service de rechercher, classifier et systématiser les éléments de leur système ontologique.

4 Le livre de Tempels suscite, dès sa parution, de vives réactions. Léopold Sedar Senghor y voit une confirmation des thèses du mouvement de la Négritude : ensemble de valeurs culturelles du monde noir. Alioune Diop, fondateur de la maison d’édition Présence africaine, salue l’événement en ces termes :

Voici un livre essentiel au Noir, à sa prise de conscience, à sa soif de se situer par rapport à l’Europe.

5 Par contre, dans son Discours sur le colonialisme , Aimé Césaire condamne l’argumentaire du missionnaire belge et accuse celui-ci d’avoir construit un système de justification de la colonisation et un moyen idéologique de persuasion pour l’évangélisation des Africains.

6 Ce débat, lancé donc dès la parution de l’ouvrage, demeurera en toile de fond de nombre de prises de position en matière de recherche sur les savoirs, les pratiques et les institutions africaines. Débat qui se ramènera à la question fondamentale suivante : les Africains étaient-ils (avant tout contact avec la civilisation occidentale) aptes à la spéculation dans sa forme particulière qu’on appelle philosophie ?

Invention du concept d’ethnophilosophie et arguments des contempteurs de celle-ci

7 Dans son Essai sur la problématique philosophique de l’Afrique actuelle (1971), le philosophe camerounais Marcien Towa utilise le concept d’ethnophilosophie pour décrire et fustiger cette démarche théorique consistant, selon lui, à assimiler la philosophie à n’importe quelle vision du monde. Il estime qu’il faut se détourner de la négritude senghorienne et de l’ethnophilosophie, cette dernière n’étant ni de l’ethnologie ni de la philosophie et, de ce fait, plaçant la problématique de la philosophie africaine dans une impasse.

8 Paulin Hountondji, philosophe béninois, insiste de son coté sur la nécessité « de clarifier un débat confus », entretenu par les tenants de l’ethnophilosophie, à qui il reproche, lui aussi, de procéder à des recherches reposant sur l’idée d’une vision du monde collective présentée comme philosophie collective, celle de tout un groupe, de tout un peuple.

9 Towa et Hountondji accusent, à leur tour, les tenants de cette « ethnophilosophie » (Tempels, Kagamé, entre autres) d’avoir construit une pensée destinée à servir de support à l’entreprise de colonisation et d’évangélisation des Africains par une meilleure connaissance de leur culture.

10 Aux yeux des contempteurs de « l’ethnophilosophie », la littérature d’intention philosophique reposant sur l’idée d’une vision du monde collective d’un peuple ou d’une culture est de l’ordre de l’implicite et apparaît à ses détracteurs comme hypothétique. En revanche, les textes écrits par des intellectuels qui se réclament de la philosophie sont de l’ordre de l’explicite et engagent leurs auteurs en tant qu’individus et sujets assumant leurs propres discours.

11 De l’avis des contempteurs de « l’ethnophilosophie », ne pas tenir compte de cette différence, c’est faire du concept de philosophie un fourre-tout et entretenir la confusion entre la spécificité d’une discipline et des pratiques n’ayant pas les mêmes principes ni les mêmes méthodes. L’une de ces formes de déviation et de confusion incriminées consiste à confondre culture et philosophie par une extension de la notion de philosophie à tous les domaines de la vie intellectuelle et pratique.

12 Ceux qui sont accusés de pratiquer l’ethnophilosophie reprochent à leurs contempteurs d’être des eurocentristes. C’est ainsi qu’ils critiquent, par exemple, certains aspects du projet de Marcien Towa consistant à vouloir réorienter la philosophie africaine de manière à prendre pour modèle de sagesse celui indiqué par Bacon et Descartes de « rendre l’homme maître et possesseur de la nature ». Ou bien encore, dans cette même perspective, le choix fait par le philosophe camerounais de donner comme modèle à imiter la philosophie de Hegel seule à même, selon Towa, de satisfaire aux exigences épistémologiques et théoriques de cette discipline. La référence à Hegel, sous certains rapports, heurte les adversaires du philosophe camerounais.

13 Niamey Koffi, philosophe ivoirien, est l’un des porte-drapeaux de ces critiques de l’eurocentrisme. Ancien « marxisant », il a consacré sa thèse de doctorat de troisième cycle à une question relative à « la pensée africaine », intitulée L’Articulation logique de la pensée Akan-N’Zima (un groupe ethnolinguistique de Côte d’Ivoire).

14 Le projet que défend Niamkey Koffi, et qui lui vaut d’être classé parmi les tenants de l’ethnophilosophie au même titre que l’abbé Alexis Kagamé, par exemple, est celui-ci : constituer une philosophie qui, sans renier l’apport de l’Occident, des présocratiques à Karl Marx, prendrait appui sur le passé culturel africain. La philosophie et les philosophes africains ont pour tâche d’exhumer les pensées anciennes, traditionnelles ou archaïques de l’Afrique, de mener des travaux de recherche approfondie sur la culture africaine, notamment sur les langues africaines, domaine de prédilection susceptible de révéler un univers africain de pensée.

15 Voyons à présent comment ces thèses opposées sont traitées dans leur enseignement par des professeurs de philosophie avec leurs élèves de terminale des lycées de Dakar, au Sénégal. La démarche pédagogique consiste à présenter les thèses, à faire constater l’existence d’un conflit entre elles et à faire dire aux élèves quelles idées dignes d’être examinées véhicule chacune de ces thèses. Par ailleurs, l’exercice vise à susciter chez les élèves l’élaboration d’un argumentaire de « prise de parti » dans ce débat, dont ils perçoivent plus ou moins clairement les soubassements idéologiques et politique.

Un manuel de philosophie et deux exposés suivis de débats en classe terminale

16 Ce manuel a été réalisé par madame Ramatoulaye Diagne MBengue, professeur de philosophie ayant enseigné dans un lycée de jeunes filles à Dakar, avant de poursuivre sa carrière à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Destiné aux classes de terminale, le manuel est présenté comme « conforme aux programmes africains en matière d’enseignement de la philosophie. »

17 Le chapitre 7, intitulé Métaphysique et philosophie , s’ouvre sur une introduction de l’auteur suivie d’extraits de textes portant sur des définitions de la philosophie : d’une part Aristote, Descartes, Auguste Comte ; d’autre part des auteurs africains : ces derniers représentant les tenants des différentes thèses en conflit à propos de la problématique de l’existence d’une philosophie africaine.

18 Chaque texte est précédé d’un court résumé et suivi de questions construites de manière à inviter l’élève à s’exprimer sur ce qui fait débat. Ces questions nous ramènent au cœur du « conflit » : à quoi reconnaît-on « la philosophie africaine », qu’est-ce qui, à la fois, la distingue et l’apparente à la philosophie en général ? Et en conséquence y a-t-il un modèle ? Si oui, qu’est-ce qui en fait un modèle et qui décide de ce qu’est un modèle ?

19 J’ai demandé à deux jeunes collègues de bien vouloir me faire part de ce qu’elles ont constaté lors du débat autour de cette question dans leurs classes respectives. Madame Ndèye Awa Diouf, titulaire d’un master 2, option Études africaines, achève sa formation pédagogique à la faculté des sciences et techniques de l’éducation et de la formation (FASTEF), l’ancienne école normale supérieure de Dakar. Elle a effectué son stage pédagogique au lycée Ngalandou Diouf, sis dans le même quartier. Madame Sylla, doctorante en philosophie, est enseignante titulaire au lycée des Parcelles Assainies, en banlieue dakaroise.

L’expérience de la classe de madame Diouf

20 À ma demande, madame Diouf a eu l’amabilité de me faire, par écrit, une synthèse du déroulement de cet exercice.

21 Sa classe terminale est constituée d’une trentaine d’élèves dont une majorité de filles, globalement plus dynamiques que les garçons. À la suite du cours qu’elle a fait sur la question, en présentant la problématique et en mettant en exergue les deux thèses en conflit, la première question posée aux élèves est la suivante : « que pensez-vous de l’idée d’une philosophie africaine ? » Voici quelques-unes des réponses ayant suscité le plus de réactions :

L’élève Yacine Diagne Sow : Cette philosophie locale n’est pas pertinente à mon avis. Par exemple chez nous, au Sénégal, on entend et utilise souvent l’expression « Wolof Ndiaye [[le groupe ethnique wolof] a dit », expression suivie d’un ou de plusieurs dictons. Est-ce qu’on a le droit de dire que ces dictons expriment une sagesse populaire propre aux Wolofs et que donc c’est une philosophie ? Parce que dès qu’on sort du Sénégal, cette pensée peut cesser d’être pertinente pour d’autres, car ailleurs on peut ne pas savoir qui est « wolof Ndiaye » et dans quelles conditions ces dictons ont vu le jour. C’est pour cette raison que l’ethnophilosophie est critiquée et est critiquable : elle est trop locale.

22 Une autre élève réagit. Elle estime que la position de sa camarade est un peu simplificatrice : un dicton peut être local et exprimer une pensée que tous les hommes partagent. Elle donne l’exemple d’un dicton wolof souvent cité : «  Nitt moy garabu nitt  », qui signifie « l’homme est le remède de l’homme ». Bien expliqué à un Chinois, un Canadien, un Allemand ou autre, cet adage, poursuit-elle, a des chances d’être non seulement compris mais accepté comme vrai. Elle trouve que c’est profond et vrai et en conclut que c’est philosophique.

23 Murmures d’approbation dans la salle. Madame Diouf dit être intervenue pour féliciter l’auteur de cette repartie et l’encourager à se documenter pour interpréter de manière approfondie le sens de cet adage. Pour relancer la discussion, la professeure pose une question à l’ensemble de la classe :

À votre avis, quel serait l’argument de Hountondji pour dire qu’un adage, et même dix ou cent autres, malgré leur pertinence, ne suffisent pas pour parler de philosophie en général et de philosophie africaine en particulier ?

24 Un long silence. Puis un doigt se lève :

Madame, je crois que Hountondji a dit que sans système il n’y a pas de philosophie. Ce qui veut dire que même si on a cent adages en vrac, sans quelque chose qui les attache les uns aux autres, ce n’est pas de la philosophie.

25 Réaction de sa camarade précédemment félicitée :

Pour quelle raison veut-on que la philosophie soit comme Hountondji l’a définie. Pour quoi on n’aurait pas le droit de dire : pour nous la philo c’est comme ceci et pas comme ça ? Que pour nous les vérités et valeurs exprimées par nos sages sont notre philosophie ?

26 L’élève Ndèye Fatou Ndir prend la parole :

J’ai une autre idée à exposer après ce que je vais dire mais je crois que Hountondji a également dit qu’il ne faut pas entendre par philosophie un système qui est mis là une bonne fois pour toutes et qu’on doit considérer comme le Coran ou la Bible.

27 Cette remarque suscite des murmures révélateurs d’appréciations diverses. Madame Diouf invite l’élève à poursuivre son propos :

Je crois qu’une philosophie africaine n’est pas possible car en Afrique on n’a pas le courage de critiquer alors que la philosophie doit être un discours subversif.

28 Elle est coupée par l’auteur de la citation wolof sur l’Homme :

C’est pour ça que certains parents et certains hommes religieux accusent la philosophie d’enseigner la négation de Dieu et risque de faire de nous des mécréants.

29 Bruit divers dans la salle. Celle qui est attaquée reprend l’initiative :

Ce que je veux dire par subversif est par exemple qu’il faut analyser et bousculer un peu nos habitudes de penser, nos manières de vivre, nos qualités et nos défauts pour voir ce qui va et ce qui ne va pas. On ne doit pas se contenter de répéter sans esprit critique « tradition, tradition » ; « les ancêtres, les ancêtres » ; « l’Afrique, l’Afrique ». Si tout écart est mal vu, il sera difficile d’innover dans ces conditions.

30 L’élève Marie-Claire Thiour glisse à sa camarade Ndèye Fatou Ndir un bout de papier. Celle-ci prend connaissance du contenu et lui retourne le papier : « T’as qu’à le lire toi-même ». Mademoiselle Thiour s’exécute. En substance, son argument résumé par la professeure, se présente comme suit :

La priorité pour les Africains n’est pas de savoir s’ils ont une philosophie ou non. La priorité, c’est de relever le défi du développement et celui-ci passe par l’acquisition et la maîtrise des connaissances scientifiques car c’est cela qui permettra à l’Afrique de combler son retard et après seulement d’inventer la philosophie qui correspond à ses besoins.

31 Cet argumentaire suscita deux réactions immédiates. Celle de l’élève Ndèye Fatou Ndir, qui approuve son raisonnement et qui, pour conforter cette position, énumère les domaines dans lesquels des réponses urgentes attendent les sociétés africaines : santé, éducation, emploi. Et elle ajoute :

La philosophie étant une discipline abstraite qui n’a pas d’utilité pratique, ce n’est pas la peine de se chamailler pour savoir si l’Afrique en a eu ou si elle doit l’emprunter à l’Occident, qui en est déjà doté. Les Africains doivent prendre le temps d’inventer la philosophie qui leur convient.

32 Tir groupé de reproches adressés aux défenseurs de cette position :

Qu’est-ce que vous faites alors dans cette classe de philo ?
Pourquoi, dans ce cas, les Platon, Descartes, Kant et Hegel sont-ils célèbres et souvent cités, si, par leurs œuvres, ils n’ont pas influencé la pensée de leurs contemporains et la vie des Occidentaux ?

33 Plus précise, l’élève Fatou Ndiaye fait remarquer qu’il y a un livre du philosophe camerounais Ebénezer Njoh Moellé, De la médiocrité à l’excellence , inscrit au programme des classes terminales et dans lequel il est indiqué que le développement n’est pas seulement matériel mais doit avoir une signification humaine et s’appuyer sur le développement des mentalités, par le biais de l’éducation et de la culture, dont la philosophie fait partie.

34 Riposte de Marie-Thérèse Thiour :

Est-ce que ce n’est pas parce que la science à l’époque des Platon, Descartes, Kant et Hegel était déjà là qu’ils ont pu inventer leur philosophie ? Est-ce que ce n’est pas l’expérience liée au développement de leurs connaissances scientifiques qui a rendu nécessaires et utiles leurs philosophies ?

35 Madame Ndèye Awa Diouf, la professeure de philosophie, propose alors aux élèves de poursuivre la discussion lors de la séance suivante en partant de la synthèse issue des deux principaux arguments exposés : le développement est une priorité pour les Africains ; mais le développement n’est pas en contradiction, en opposition ou en marge de l’histoire des idées. En quoi la philosophie pourrait-elle être à la fois générale et africaine, pour répondre aux besoins des Africains ?

L’expérience de la classe de madame Sylla Fatoumata Tacko Soumaré

36 Nous sommes dans une classe terminale du lycée des Parcelles Assainies de la banlieue de Dakar. Lorsque j’ai sollicité son concours pour les besoins de cet article, madame Sylla m’a invité à venir assister aux exposés de deux élèves de la terminale littéraire TL2a de cet établissement. Les apprenants disposaient déjà d’un ensemble de prérequis pour bien aborder le thème : spécificité de la réflexion philosophique, origines de l’idée de philosophie africaine ; l’ethnologie et ses critiques ; lectures en classe de quelques extraits de textes contenus dans le manuel de philosophie et dans d’autres ouvrages mais suffisamment représentatifs des deux thèses en conflit. Madame Sylla m’explique que, conformément aux recommandations du programme sénégalais en la matière, le procédé du cours suivi d’exposés offre aux élèves une bonne opportunité d’interroger leur vécu et de soumettre leur héritage culturel à « une critique sans complaisance », selon l’expression du philosophe camerounais Marcien Towa. Parmi les objectifs visés, il s’agit de voir si les élèves savent prendre position sur les questions soulevées par cette problématique.

37 Les élèves Ndèye Ami Diop et Ousmane Benghaly ont fait ensemble, en ma présence, un exposé portant sur l’analyse de trois extraits de textes, en donnant à leur présentation le titre suivant : « Un préjugé raciste fait dire que les Africains n’ont pas de philosophie ».

Je suppose les nègres et en général les autres espèces humaines d’être naturellement inférieures à la race blanche. Il n’y a jamais eu de nations civilisées d’une autre couleur que la couleur blanche ni d‘individu illustre par ses actions ou sa capacité de réflexion […]. Sans faire mention de nos colonies, il y a des nègres esclaves dispersés à travers l’Europe : on n’a jamais découvert chez eux le moindre signe d’intelligence. (David Hume)

38 Les deux autres extraits sont relativement plus courts. Les deux élèves soulignent, dans celui de Hegel, la phrase qu’ils veulent mettre en exergue :

L’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans lien avec le reste du monde (…) C’est un monde anhistorique, non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel.

39 Enfin l’extrait emprunté à Lucien Lévy-Bruhl :

L’homme est un être essentiellement pensant, raisonnable. Or le nègre est incapable de pensée et de raisonnement. Il n’a pas de philosophie, il a une mentalité prélogique.

40 La réaction outrée des élèves, au cours de la présentation de ces extraits, oblige les exposantes à interrompre leur lecture à plusieurs reprises. Madame Sylla s’adresse à l’ensemble de la classe :

Je comprends votre réaction mais ce n’est pas la meilleure attitude face à ce genre d’argument quand on est en philo. Il faut expliquer, raisonner, argumenter. Qu’est-ce que ces trois textes ont en commun ?

41 Réponses en vrac : « racisme », « raciste », « c’est faux », « ce n’est pas vrai », etc. La professeure reprend l’initiative :

Si c’est un préjugé raciste comment pouvez-vous le démontrer ?

42 Une main se lève :

Madame, il y a l’égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop qui a écrit plusieurs ouvrages pour montrer que c’est faux. Notre prof d’histoire a cité et expliqué le contenu de deux de ses livres : Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique . L’autre est intitulé Nations nègres et cultures . Notre prof d’histoire a dit que Cheikh Anta Diop a étudié la parenté entre l’Égypte ancienne et l’Afrique noire, parenté linguistique, culturelle. Et puis l’Unesco a publié une Histoire générale de l’Afrique et on nous enseigne l’histoire de l’Égypte, de la Nubie, du Zimbabwe, du Congo, du Bénin, des empires du Mali, du Ghana et tout cela prouve que ces auteurs ne connaissaient pas l’Afrique ou faisaient exprès pour justifier la colonisation.

43 Plusieurs élèves interviennent dans le même sens, en citant des noms de rois de leurs terroirs d’origine, les noms des provinces ayant marqué la vie des populations par des événements phares que relatent avec passion les griots, gardiens des sources orales de la mémoire collective et des hauts faits du passé africain. Madame Sylla relance encore le débat :

M me Sylla : Que répondez-vous à Hume qui dit que les nègres ne comptent pas d’individu illustre par ses actions ou par sa capacité de réflexion ? Réponse presque à l’unisson : Kocc Barma Fall. M me  Sylla : Qui est Kocc Barma Fall ?

44 Un élève sort son carnet et lit :

Un élève : Kocc Barma a vécu au XVII e  siècle dans le royaume du Cayor, dans le centre du Sénégal. C’était un moraliste et un poète. On lui attribue plusieurs dizaines de maximes, proverbes et sentences. Les plus célèbres sont la fameuse énigme des « quatre touffes de cheveux ». M me  Sylla : C’est bien mais on peut vous répondre que ces maximes traduisent une forme de sagesse populaire mais ne font pas forcément de Kocc un philosophe. Une élève : Madame, Kocc est notre Socrate : on dit que Socrate n’a pas laissé d’écrit et pourtant on transmet sa pensée d’époque en époque. M me  Sylla : Les adversaires de l’ethnophilosophie semblent donner raison aux auteurs de ces préjugés racistes. Quand Lévy-Bruhl dit : « Il n’a pas de philosophie, il a une mentalité prélogique » il veut dire notamment que les Africains n’ont pas créé de philosophie au sens d’un système de pensée cohérent et reposant sur des principes et une conduite logique, pour asseoir des conclusions crédibles et intelligibles. Que répondez-vous à cela ? Un élève : Le livre du R.P. Tempels prouve le contraire. Un autre élève : On a reproché à Tempels de prêcher pour sa paroisse. Son idée d’une philosophie bantoue est intéressée : d’après Aimé Césaire, c’est pour justifier l’évangélisation et la colonisation. Un troisième élève : D’accord, il y a cela mais il y a aussi une part de vérité à savoir que c’est quand même une pensée propre à des Africains et Tempels a montré que c’est cohérent comme dit madame Sylla et que c’est donc un système qui tient.

45 Un élève avait griffonné des notes dans un cahier, sans doute en prévision de cet exposé suivi de discussion, et il lit :

Je suis du village de Cambérène : un de nos illustres parents, très connu dans le milieu universitaire, se trouve être le professeur Assane Sylla. Dans notre quartier tout le monde sait qu’il a écrit un ouvrage intitulé La philosophie morale des Wolofs . Il l’a même exposé un jour en langue wolof à des notables du quartier sur la place publique. Il leur a dit que son livre porte sur des questions qu’ils connaissent autant sinon mieux que lui : les Wolofs ont une conception morale, religieuse, sociale, spirituelle. Que, même si ces conceptions ne sont pas exprimées par écrit, les proverbes, maximes et dictons qu’il a recensés à la fin de son livre montrent que les Wolofs ont réfléchi sur la vie et indiqué à partir de leur expérience comment ils conçoivent la justice, la paix, la mort et la place qu’il faut accorder à Dieu et à la personne humaine.

46 La classe approuve bruyamment cette argumentation. Un doigt se lève, la professeure donne la parole à celui qui la demande.

Ce que mon camarade vient de dire à propos des Wolofs ressemble à ce que Tempels a dit des Bantous. Je veux savoir comment on doit répondre à l’argument de Hountondji et Towa qui soutiennent que cette philosophie morale des Wolofs est une philosophie de tout un groupe et qu’il y a là confusion entre culture et philosophie, alors qu’on ne doit pas les assimiler ?

47 Réplique :

Pour quoi on n’aurait pas le droit de parler d’une philosophie des Wolofs alors qu’on parle de philosophie grecque, allemande, française ?

48 Madame Sylla intervient :

D’accord ces appellations existent mais ce que dirait Hountondji c’est que si vous prenez la philosophie allemande par exemple, on ne doit pas dire que tous les philosophes allemands ont les mêmes idées : il y a plusieurs écoles et au sein d’une même école des nuances. Et c’est cette pluralité de points de vue qui rend la discussion inévitable et utile pour approfondir la recherche de la vérité. Hountondji dirait aussi sans doute que pour la pensée africaine, il faut pouvoir montrer qu’en plus d’un fond culturel commun on rencontre des points de vue différents sur une même question philosophique : par exemple la beauté, la justice, la démocratie.

49 Une voix se fait entendre au fond de la classe :

Un élève : Madame, vous voulez parler de points de vue opposés chez les sages de l’Afrique traditionnelle ou des penseurs d’aujourd’hui ? Mme Sylla : C’est une bonne question. Les chercheurs doivent pouvoir dire si pour le passé ou ce qu’on appelle l’Afrique traditionnelle, on trouve des témoignages éclairants. Une piste intéressante : certains travaux montrent que l’unanimité supposée des sociétés africaines est fausse. Mais il est peut-être plus facile de montrer que chez les penseurs africains de notre époque, cette pluralité existe. À votre avis comment s’expriment ces points de vue concurrents, parfois contradictoires, chez nos intellectuels de maintenant, parmi lesquels des philosophes africains ?

50 L’un des élèves chargés de l’exposé introductif prend la parole :

Madame, c’est à partir de certains reproches qu’ils se font qu’on voit que nos philosophes africains engagés dans ce débat ont des positions politiques différentes. Il y en a qui reprochent à la Négritude de Senghor de faire le jeu du néocolonialisme ; les partisans de Senghor les accusent d’être des adversaires politiques du président-poète. Certains se disent marxistes et abordent ces questions en citant Marx ou Engels. D’autres encore disent que si on veut être utile à l’Afrique, au lieu d’aller développer les pensées des autres, il faut partir du fond culturel commun et le soumettre à un examen critique et voir ce qui peut être retenu et ce qui ne peut pas l’être. Cet examen fait naître des divergences qui peuvent être considérées comme sources de réflexion.

51 Madame Sylla hausse la voix, pour dominer le brouhaha consécutif à cette analyse :

M me Sylla : Je vous propose de réfléchir pour la prochaine séance sur la question suivante : on insiste souvent dans les sociétés africaines, en matière d’éducation notamment, sur des valeurs présentées comme représentatives du modèle culturel africain : le sens de l’honneur, la parole donnée, le muñ (à savoir l’endurance), la kersa (pudeur) le jom ( dignité ) et d’autres notions que vous ajouterez à votre convenance. Vous réfléchirez sur la question à partir des couples de termes suivants : « authenticité / occidental » ; « traditionnel / moderne ; « oral / écrit » ; « culture / science » ; « universel / particulier ». Comment, à partir de ces notions, concevoir une philosophie africaine qui réponde en même temps aux exigences d’une tradition internationale de pensée philosophique ?

Les enjeux de ce conflit de vérités, in fine

52 Ce débat n’est pas exempt d’arrière-pensées, de non-dits mais également de jugements clairement portés sur des intentions ou sur un impensé du discours caractéristique de la démarche de tel « camp » ou de tel autre.

53 La méfiance des contempteurs de l’ethnophilosophie vient de ce que l’assimilation de l’authentique à la tradition et à la culture a donné lieu à des manipulations multiformes, dans la vie politique africaine notamment, au cours des premières années des indépendances africaines. Ces notions ont parfois été mises délibérément au service de systèmes de justification de pratiques autocratiques caractérisées par le refus d’appliquer des règles de droit international ou tout simplement l’observance de principes démocratiques élémentaires. Mais pour pertinente et justifiée que soit cette observation, elle n’épuise pas la question.

54 Celle de l’identité pourrait ainsi être regardée comme l’enjeu principal de ce débat, en même temps qu’elle implique celle de la rationalité : celle-ci et celle-là sont-elles liées ? Celle-ci est-elle une ou plurielle ? Même question pour celle-là ?

55 Si la problématique de l’existence d’une philosophie africaine demeure un débat d’intellectuels et reste circonscrite à l’université (principalement) et au lycée, son enjeu principal – la question de l’identité – constitue la préoccupation la mieux partagée par toutes les couches de la population. D’où les trois types d’interrogations récurrentes dans la vie quotidienne et dans les spéculations des populations africaines : « Qui sommes-nous ? » « Voulons-nous devenir autres ? » « Que voudrions-nous devenir ? »

56 Aussi, lorsque ces interrogations prennent la forme du débat sur l’existence d’une philosophie africaine, les élèves sont-ils tiraillés entre la recherche d’un substrat culturel et l’acceptation d’un devenir africain intégrant d’autres apports.

57 Les questions du manuel leur donnent l’opportunité d’argumenter sur ces deux exigences. La pratique religieuse des cultes issus de l’islam et de la chrétienté les oriente généralement vers l’idée que le syncrétisme, dont ils font l’expérience quotidiennement, répond à la fois à leur besoin d’ancrage culturel et à leur besoin d’ouverture, à condition de faire eux-mêmes le choix de ce à quoi ils veulent s’ouvrir, avec des attitudes ambivalentes sur « l’Occident », les technologies, la laïcité, les nouveaux droits, dont ils exigent la compatibilité avec ce qu’ils appellent « nos valeurs ».

58 À partir de leurs traditions et de l’histoire de leurs langues et cultures transfrontalières, les Africains savent d’expérience que ces langues et ces cultures sont hybrides. Comme toutes les langues et cultures du monde. L’histoire de la philosophie conçue sous ce paradigme offre la possibilité de concilier philosophie africaine et tradition universelle de philosophie.

59 Le rappel de deux aphorismes exprimant cette « synthèse » et que nous empruntons au poète sénégalais Léopold Sedar Senghor, pourrait servir de conclusion à cette investigation sur un exemple de « conflit de vérité » :

« Assimiler sans être assimilé » « Enracinement et ouverture »

Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence papier.

Abdoulaye Elimane Kane , «  Entre identité et rationalité : controverse sur l’existence d’une philosophie africaine  » ,  Revue internationale d’éducation de Sèvres , 77 | 2018, 145-156.

Référence électronique

Abdoulaye Elimane Kane , «  Entre identité et rationalité : controverse sur l’existence d’une philosophie africaine  » ,  Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 77 | avril 2018, mis en ligne le 30 avril 2020 , consulté le 23 mai 2024 . URL  : http://journals.openedition.org/ries/6156 ; DOI  : https://doi.org/10.4000/ries.6156

Abdoulaye Elimane Kane

Abdoulaye Elimane Kane est professeur émérite de philosophie (Université Cheikh Anta Diop, Dakar). Son doctorat d’État (Lille, 1987) portait sur les systèmes de numération parlée des langues ouest-africaines. Il a exercé plusieurs responsabilités, en tant qu’inspecteur général de philosophie, chef du département de philosophie (1987-89), ministre de la communication et de la culture du Sénégal (1993-2000). Il est également romancier. Courriel : [email protected]

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  • La Fraternité réveillée [Texte intégral] Jordi Riba et Patrice Vermeren (sous la direction de), 2014, L’Harmattan, 213 p. Paru dans Revue internationale d’éducation de Sèvres , 76 | décembre 2017
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Penseurs d’Afrique (1/5) : Introduction à la philosophie africaine

  • Souleymane Bachir Diagne Philosophe, professeur de philosophie française et africaine à l’Université de Columbia, directeur de l’Institut d’Études africaines

Par Adèle Van Reeth

Réalisation Nicolas Berger

Lectures : Jean-Louis Jacopin

Emission enregistrée dans le cadre de CitéPhilo

- L.S. Senghor , Ce que l'homme noir apporte (1939), in Liberté I. Négritude et humanisme , Paris, Seuil, 1964, p.35

  • G. W. F. Hegel , *La raison dans l'histoire * (ouvrage établi à partir des notes d'étudiants assistant à des cours donnés par Hegel entre 1822 et 1830), trad., Kostas Papaioannou, 10/18, Paris, 1965, p. 251
  • Arch. Youssouf Tata Cissé , Tire ta langue , France Culture, 19/12/2000
  • Arch. Alexis Kagamé , La philosophie ailleurs qu'à Paris , France Culture, 25/05/1979
  • Arch. Senghor , 20/05/1950
  • Arch. Johnny Clegg , L'Humeur vagabonde , France Inter, 30/05/2005

- Lambag , Jegede Tunde

  • Ladysmith black mambazo ,* Bantu Radio*

*- * Johnny Clegg , Soweto

Et les "2 minutes papillon" de Géraldine Mosna-Savoye avec le philosophe Pierre Dardot sur la philosophie du droit.

  • Antoine Ravon Collaboration
  • Nicolas Berger Réalisation
  • Marianne Chassort Collaboration
  • Tristan Ghrenassia Collaboration
  • Mydia Portis-Guérin Réalisation
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Théorie critique et modernité négro-africaine

Ce livre est recensé par

Chapitre II. La philosophie africaine : discours de maitrise

Plan détaillé, texte intégral.

1 Notre propos étant de procéder à un examen des postulats, méthodes et thématiques structurateurs de ce discours, il ne sera question pour nous, ni de labourer les champs négro-africains pour trouver une quelconque philosophie, cette tendance idéologique obture la vraie recherche sur les problèmes fondamentaux de la praxis, ni de faire une herméneutique des traditions pour ressusciter une quiddité rationnelle garantissant au Nègre le brevet d'humanité, ni de chercher une philosophie dite du développement (vite récupérable par les pouvoirs autoritaires et utilisée aux fins d'obturation des possibles). Notre intervention sur le domaine du discours philosophique africain change de perspective et s'emploiera à étudier comment le discours des philosophes négro-africains s'érige en discours du pouvoir, en pouvoir obturateur des possibles qui prend pour alliées/alibis la rationalité et l'émancipation du Sujet négro-africain. Notre démarche voudrait explorer la réponse à cette question qui résume le paradoxe de la philosophie africaine : comment la philosophie africaine, initialement projet de déstructuration des postulats réducteurs et autoritaires issus de la colonisation et de ses adjuvants, est-elle devenue un discours de maîtrise fonctionnant avec des catégories autoritaires ? Comment, et en quoi l'émancipation se tourne-t-elle en son contraire de façon active et passive ? Pourquoi ce discours philosophique se transmue-t-il en discours de l'ordre ? Comment rendre compte que la mise en ordre de certains philosophèmes n'était qu'une mise en discours de la violence symbolique structuratrice de l'espace répressif en Afrique Noire ? Le devenir-pouvoir répressif du discours philosophique négro-africain ne peut être démasqué que par une mise en lumière des diverses tendances qui agitent à l'heure actuelle ce discours. De cette mise en évidence, nous dégagerons les "philosophèmes" (en vérité les idéologèmes) afin de voir les implications épistémologico-politiques de ce discours vis-à-vis de la praxis, de la temporalité, et en un mot, du possible. Ce procédé est méthodologiquement fécond dans la mesure où on observe un mouvement allant de l'étude du discours à la mise en question des conditions de production du discours, autrement dit de la réalité sociale.

II.1. Les tendances : classification et idéologie

2 On ne peut tenter une étude sur les enjeux idéologiques de la "philosophie africaine" sans esquisser un inventaire de l'état des lieux. C'est une vieille démarche aristotélicienne qui recommande, pour chaque question, d'explorer sa topique, autrement dit l'ensemble de ses lieux communs. Une évaluation de ces tendances revêt un triple intérêt. Elle permet d'une part de voir les différentes méthodologies structuratrices des architectoniques de ces "philosophies", ensuite une importance pédagogique accompagne la mise au clair de ces diverses tendances -car en Afrique Noire l'enseignement de la philosophie dans le Secondaire et le Supérieur est en partie conditionné par ces courants- et enfin, elle a un intérêt politique, dans la mesure où les tendances de ces courants de pensée ont une génèse socio-politique. Le contexte politique alimente les conditions de production du discours, celui-ci pouvant jouer le rôle de camoufleur et de manipulateur des possibles et de l'imaginaire social.

3 Il importe de faire état des classifications en cours en matière de "philosophie africaine", afin de dégager l'a priori idéologique impliqué dans ces classifications. La façon de classer, de coupler, peut obéir à une certaine conception que le Sujet veut se faire du mouvement et de l'interaction entre le temps, les doctrines, et partant, entre ceux-ci et la pratique socio-politique.

4 Après les débats concernant l'existence (ou la non existence) d'une philosophie en Afrique, vers les années 1970, les Africains se sont réunis au Colloque d'Addis-Abeba en 1976. Le thème de ce colloque était la "Problématique de la philosophie africaine". L'essentiel du propos tournait autour des grandes généralités sur la position à adopter devant les alternatives : "pour ou contre" l'existence de la philosophie africaine, pour ou contre l'ethnophilosophie, pour ou contre l'existence de la philosophie négro-pharaonique, pour ou contre une existence d'une philosophie éthiopienne (nègre et copte !). Poser déjà l'essentiel des questions du colloque autour d'une alternative (soit... soit...) relève d'un questionnement idéologique parce qu'anti-dialectique. En effet, la catégorie dialectique d'action réciproque interdit de poser les problématiques en termes d'alternative (ou bien on est pour la philosophie traditionnelle et collective alors on est un ethnophilosophe, ou bien on est contre, alors on est signalé à la vindicte des "authentiques" Africains qui vous baptiseront "europhilosophes"). L'alternative comme procédé de questionnement se révèle autoritaire, dans la mesure où l'énoncé binaire des termes de la question met le Sujet répondant en demeure de ne choisir qu'entre l'un des termes de l’alternative. Osera-t-il ajouter une réponse qui échappe à ce carcan binaire qu'il lui sera signifié que ce n'était pas là la question posée ni le problème à résoudre. Ce procédé autoritaire a figé et stérilisé le débat philosophique en Afrique. Et le colloque d'Addis-Abeba dont la problématique générale partait de cette alternative implicite, a débouché sur une première classification des "philosophies africaines" fortement sujette à caution comme les autres.

5 J.M. Van Parys 1 classe les communications de manière curieuse. Il distingue les textes dits de révolte, ensuite l'ethnophilosophie. De ces deux séries, il dégage quatre courants : la nouvelle problématique de la philosophie africaine, les études historiques, la philosophie éthiopienne et la philosophie sociale. Une classification/dissection analogue du champ philosophique en Afrique noire se fait observer chez Elungu Pene Elungu 2 . Celui-ci, avec un grand talent didactique, classe les courants philosophiques en Afrique sous trois rubriques : les philosophies ethnologiques, les philosophies idéologiques, et le courant critique. Le récent ouvrage de ce penseur ne fait qu'habiller ce schéma 3 . Ces deux classifications sont faites dans un contexte zaïrois, mais les mêmes schémas de classification se font voir au Sénégal et au Cameroun. Ce qui nous suggère l'étendue et l'importance de ce problème de classification.

6 Deux penseurs sénégalais attirent notre attention, Pathé Diagne et A.Aly Dieng. Le premier, dans un ouvrage sur l'europhilosophie 4 , s'emploie à "penser les possibles d'une histoire libératrice des hommes et des peuples" 5 . Sur ce, il n'entreprend pas de détecter les "images-souhaits" et la possibilité d'une utopie concrète libératrice du tissu social africain, mais il procède plutôt à une "redécouverte de l'esprit de la civilisation pharaonique et post-pharaonique en Afrique noire" 6 . Cette découverte est subordonnée au démasquage des puanteurs et pesanteurs de "l’euro-philosophie" dans le continent. Dans ce projet, la classification des philosophies en Afrique suit une démarche manichéenne ; d’un côté l'europhilosophie, et de l'autre, la pensée négro-africaine/pharaonique. Ce dualisme un peu trop intangible ignore la complexité et la subtilité des différents problèmes qui peuvent sous-tendre cette philosophie africaine que les classifications et présupposés idéologiques réduisent à un discours stérile voué à la répétition du même. Cette analyse oublie que chaque concept et chaque philosophie obéissent à une logique des multiplicités (Deleuze). Celle-ci introduit entre une philosophie et elle-même des écarts et un foisonnement incontrôlable des devenirs qui font qu'une philosophie n'a jamais un fond commun, à la fois présence à soi et absence. L'europhilosophie est à la fois elle-même et peut être autre chose qu'elle-même.

7 Le deuxième penseur, Aly Dieng, économiste sympathique et érudit, entreprend à la suite de son ouvrage Hegel, Marx et les problèmes d'Afrique Noire, d'étudier les "problèmes philosophiques d'Afrique Noire" 7 . Le but de cette oeuvre est de procéder à l'examen de la "pertinence du discours philosophique par rapport aux luttes des peuples africains" 8 . Et la classification qui est sous-jacente à cette analyse se trouve être la même que celles sus-évoquées. Il se profile, derrière ce discours, une répartition de la philosophie africaine en quatre secteurs : la philosophie ethnologique, les critiques de l'ethnophilosophie, la philosophie africaine d'obédience pharaonique et la philosophie africaine marxiste. Il importe de souligner avant l'examen de ces classifications que "l'Ecole Zaïroise" s'appuie énormément sur l'étude des traditions récentes du Négro-Africain tandis que "l'Ecole Sénégalaise" 9 se préoccupe non seulement des rapports de la philosophie au marxisme, mais surtout des liens de celle-ci à la tradition pharaonique.

8 Une autre manière de classer -très didactique-aussi les philosophies en Afrique est perceptible dans l'ouvrage d'Azombo et Meyongo 10 . Soucieux de ne pas trancher sur le débat stérile sur l'existence de la philosophie africaine, ils ne classent les philosophies ni chronologiquement, ni selon leurs affinités doctrinales. Toutefois, ce qui tient lieu de classification se résume en fait à une grande séparation entre, d'un côté, les "pro", et, de l'autre, les "anti" du problème de l'existence d'une philosophie africaine. L'ouvrage, destiné à former les élèves des classes de terminales, introduit déjà dans l'horizon intellectuel du jeune philosophe ce cercle de "l'existence/non-existence de la philosophie négroafricaine". Les catégories socio-anthropologiques qui y sont traitées ne constituent, à leur manière, qu'une caution pour l'existence d'une pensée africaine qui se veut philosophique. Nous ne sortons pas de l'engrenage. Cette présentation prédispose le jeune élève en Afrique à ne penser la philosophie que sous cet angle de l'existence ou de la non-existence de la philosophie en Afrique. Ces classifications obéissent à plusieurs a priori, entre autres, une conception de l'histoire linéaire, une idéologie du progrès continu par accumulation et, à la fin, un paradigme réificateur jouant un rôle génétique au niveau des catégories structuratrices de cette pensée africaine.

II.1.a. La conception de l'histoire : linéarité et nécessité

9 L'histoire en tant que lieu des luttes peut être appréhendée dans l'ordre du discours de manière idéologique. C'est vrai, l'histoire se spécialise, haussant de plus en plus sa démarche au rang de science rigoureuse par une soumission de ses conjectures à une "vérification" à l’aide des disciplines auxiliaires (l'archéologie, les statistiques, la géographie, l'héraldique, la numismatique, la sigillographie, la sociologie, l'anthropologie...), mais il n'en demeure pas moins que la phase herméneutique est sujette au choix d'une subjectivité qui veut connaître (la connaissance, comme le souligne Habermas, étant toujours liée à l'intérêt) en fonction de ses préoccupations. C’est ainsi qu'une certaine représentation du devenir historique peut avoir des incidences sur la façon dont les Sujets impliqués dans l'histoire se déterminent vis-à-vis de la société, au regard de l'action qu'ils doivent mener dans celle-ci. L'histoire et la façon de l'aborder peuvent se souder aux intérêts politiques. Il est clair que présenter le devenir de l'histoire (naturelle/sociale/humaine) comme le théâtre dans lequel tout est mû et converge vers la Christogenèse (point omega) serait, ni plus ni moins, soumettre l'action humaine à la nécessité et étouffer le possible 11 .

10 Ce qui est intéressant dans le cas qui nous préoccupe, consistera, non pas à voir la place que les Africains ont occupée dans l'histoire de la philosophie, mais à examiner les arguments et présupposés qui se trouvent à la base de la présentation de leurs philosophies. Notre démarche se propose de ne pas répondre à la question déjà trop débattue, à savoir ce qu'on a dit des Africains/Nègres concernant la philosophie, mais de s'interroger sur un problème brûlant et peu abordé par les Africains : que disent-ils d'eux-mêmes, comment se positionnent-ils dans la philosophie ? Il s'agit de travailler à dégager les implications idéologiques de ce dire des Africains ; ce qu'on dit d'eux est moins important que ce qu'ils disent d'eux-mêmes. La philosophie en Afrique, telle qu'elle se fait présenter par les penseurs de ce continent, tourne autour d'un point central qui semble être ce missionnaire belge, Tempels. Les tentatives sont faites de part et d'autre, soit pour le disculper, soit pour le dénoncer 12 . Dénoncé ou récupéré, il demeure d'après les présentations évoquées une figure incontournable. Les diverses présentations/classifications partent de l'ouvrage de Tempels 13 , en passant par ses promoteurs et critiques pour proposer soit un retour à l'Egypte pharaonique nègre, soit une avancée vers un marxisme bouilli à la sauce des traditions locales (Mbargane Guissé).

11 En partant de l'ethnologie coloniale réductionniste jusqu'aux tentatives suscitées, nous voyons se profiler une conception d'une histoire de la philosophie linéaire progressant par dépassements ! 14 . L'ethnologie réductionniste fut dépassée par les premiers critiques de l'ethnologie (Tempels, Kagame, Lufuluabo etc...). Ceux-ci "fondèrent" une "philosophie nègre", elle-même dépassée par les critiques de Tethnophilosophie (Towa, Hountondji, Eboussi Boulaga). La critique de l'ethnologie, qui se présentait comme philosophie elle-même, se voit dépassée par ceux qui esquissent une véritable philosophie africaine pharaonique et nègre, eux-mêmes étant dépassés par les tenants du marxisme version africaine (Y. Mbargane Guissé et A. Aly Dieng). Ces derniers viennent encore d'être dépassés par la tendance herméneutique gadamero-africaine (Okolo)...

12 Cette classification de la philosophie en Afrique en termes de dépassements suppose une vision de l'histoire très linéaire où les ethnologues et Tempels font figure de présocratiques rendant possible l'évolution de la philosophie critique, etc... La linéarité sous-jacente à cette présentation de la philosophie en Afrique est anti-dialectique dans la mesure où la dynamique d'opposition radicale des concepts et paradigmes n'est pas soulignée à l'intérieur des différents moments de ces philosophies. Cette classification évolue autour du "même", car la problématique générale : "existe-t-il ou non une philosophie capable de redonner au Nègre son brevet d'humanité ?" a retenu prisonnière l'élaboration des concepts nouveaux et féconds.

13 Le socle épistémologique et les démarches heuristiques, d'après les classifications mentionnées, évoluent dans un espace symbolique où le Nègre a la hantise de se venger et, par conséquent, la détermination historique de son soi ne peut qu'obéir à un schéma évolutionniste dans lequel la platitude cédera le pas à un "grand destin du peuple noir". Les dépassements que nous fait voir la classification de la philosophie en Afrique renvoient à une conception du temps qui sous-tend l'horizon intellectuel des présentateurs sus-nommés.

14 Le dépassement, supposé ou réel, des différentes philosophies africaines ne tient compte, ni de la lutte qu’il y a à l'intérieur de chaque système philosophique, ni même de l'abandon de l’évolution comme méthode de classification. La philosophie n'évolue pas en Afrique noire à travers une Odyssée comprenant le stade ethnophilosophique, le stade critique, le stade idéologique, et le stade de la refondation d'une philosophie à base des traditions pharaoniques ou tribales. Mais, en son sein, s'articule une lutte entre la nécessité et la possibilité, autrement dit, entre un discours institué (fût-il rationnel !) et les clameurs des discours instituants. La classification des philosophies en Afrique en termes d'évolution et non en ceux d'opposition dialectique s'adosse sur l'idée d'un progrès très linéaire.

15 En elle-même, l'idée du progrès ne semble pas avoir des retombées idéologiques susceptibles de barrer la voie à l'émergence du possible dans l'histoire. Cette idée revêt une certaine importance pour la compréhension du gauchissement idéologique et de son corollaire, l'idée du développement 15 . Notre intention est de mettre en lumière comment l’idée du progrès est devenue une idéologie fonctionnant/distribuant une certaine méconnaissance qui transparaît dans la classification évolutive et unilinéaire de la philosophie en Afrique. L'idée du progrès est liée à une certaine conception de l'histoire supposant soit un optimisme fondé, soit un pessimisme déclaré. Les utopies et certains millénarismes -croyant la plupart du temps au développement d'une histoire dont "l'arché" et le "telos", dans un ailleurs spatial ou temporel situés, réconcilieront l'être de l'homme avec lui-même- supposent une notion du progrès reposant sur un optimisme historique.

16 En revanche, les eschatologies avec leur vision cataclysmique de l'évolution et de sa finalité, fonctionnent implicitement avec la notion d'un progrès pessimiste. Que ce soit la variante doctrinale optimiste, que ce soit la pessimiste, toutes les deux peuvent, à des degrés divers, procéder à une démobilisation au niveau de l'action. Si la progression de l'histoire vise une fin heureuse s'imposant à nous, moyennant un certain réajustement de nos comportements, alors point n'est besoin d'introduire les ridicules histoires de lutte des classes ; "il n'y a qu'à...". A contrario, si le progrès suit la chute d'une humanité coupable, il va s'acheminer vers la catastrophe finale purifiant/régénérant cette humanité, alors "il n'y a qu'à... attendre la venue du Soler... ". Ces deux visions du progrès installent le Sujet dans une espèce de nécessitarisme où, croyant agir pour produire du neuf, il se fige dans la répétition du "même". A partir de ces visions du progrès, aucun discours pratique du possible ne peut émerger, nous évoluons à l'intérieur d'une vision nécessitariste de l'histoire, où les possibles divers que nous rencontrons/expérimentons, concourent à la réalisation d'un dessein eschatologique. Mais, pourquoi les philosophes africains s'acharnent-ils à présenter leur philosophie sous la démarche d'un progrès se dirigeant vers les formes supérieures de la rationalité ? Est-ce innocent de croire à un développement continu s'effectuant à coups de dépassements ? Pourquoi privilégier le dépassement et non le conflit qui se trouve à l'intérieur des divers paradigmes d'une même philosophie ? L'imaginaire obturateur des possibles et l'imaginaire instituant qui sont repérables dans chacune de ces philosophies sont-ils mis en valeur ?

17 La classification de la philosophie africaine sous la bannière du dépassement ou du progrès obéit à la première méconnaissance qui est la vision triomphaliste du devenir historique de l'Afrique noire. S'il est établi que la philosophie a évolué en Afrique à partir des balbutiements ethnophilosophiques (ou bien à partir des textes fondateurs des pharaons...) jusqu'aux systématisations critiques qui posent de "vrais" problèmes inhérents à la "vraie" philosophie, à savoir ceux de son statut au niveau de son existence en Afrique, du développement, etc..., il faut en conclure que ce qui est suggéré par cette présentation échappant ainsi au philosophe négro-africain classificateur, c'est le ferme désir des Africains de présenter leur histoire comme un triomphe dont la progression de la pensée, des balbutiements ethnophilosophiques à leur admission au brévaire philosophique, constitue un exemple patent. Une vision d'une histoire africaine en termes de triomphe, mais aussi une conception de la Raison déclinée sur le mode de la victoire des Lumières sur les ténèbres ! La philosophie africaine parvenue au stade mûr serait la preuve même du triomphe de la Raison (avec un grand R) et de son exercice dans ces cultures et ce continent toujours piégés. La vision triomphaliste de l'histoire africaine et de la rationalité parvenue à sa maturité en Afrique débouche sur une posture politique ignorée du philosophe africain, et par conséquent non prévue par lui au cours de sa classification.

18 La vision triomphaliste de l’histoire suggérée par ces classificateurs fait croire à un progrès ascendant. Une histoire dans laquelle le Nègre fut l'initiateur dans l'Egypte pharaonique, et à l'intérieur de laquelle- malgré quelques vicissitudes minimes- il reprend possession de son moi intime à l'aide de l'élaboration d'une nouvelle rationalité, ne peut que mettre le Sujet négro-africain en demeure d'espérer un avenir meilleur, pourvu qu'il donne créance à la bienveillance de ceux qui sont chargés de déchiffrer son bonheur. Tout est pour le mieux, le Nègre triomphe, sa philosophie et son histoire sont à l'acmé de leur réussite. Repenser la question de l'histoire africaine en termes de catastrophes et en termes de discontinuités serait aux yeux de cette conception triomphaliste et continuiste une vraie impasse. Un exercice universitaire aussi anodin que les classifications des philosophies revêt donc, au-delà de son caractère didactique, des implications idéologiques (la notion du progrès) et politiques, car le triomphalisme qui hante les Africains à travers ces classifications traduit et conduit au désamorçage politique consistant à ne plus "trop demander", ni aux politiques, ni aux intellectuels, ni à la société civile, puisque tous font ce qu'ils peuvent dans une histoire qui, somme toute, est ascendante. Le progrès dont il s'agit ici est un semblant de "croissance dans l'homogène" 16 .

19 La conception du progrès dont il s'agit dans ces présentations est abstraite et la Raison dont parlent ces philosophies se révèle être une Raison intemporelle et anhistorique qui chevauche de l'ethnophilosophie aux philosophies néo-négro-pharaoniques, via les philosophies critiques et celles du développement. Comment ces philosophies se sont-elles déterminées vis-à-vis de la production matérielle, autrement dit, quel lien pouvait-il y avoir entre la production/reproduction de la vie en Afrique et l'apparition de ces philosophies ? L'apparition ou la disparition de l'ethnophilosophie, par exemple, ont-elles été liées aux changements ou à la permanence d'une certaine économie de marché ou non ? Ce passage, des élaborations ethno-philosophiques aux philosophies africaines dites critiques, a-t-il été l'objet ou la conséquence du changement de l'organisation de l'Etat dans les post-colonies ? Quels sont les rapports entre les philosophies africaines, le Capital, le sexe et l'Etat ? Une présentation/classification de type triomphaliste ne tient compte, ni des contradictions internes des philosophies, ni du nécessaire (et parfois relatif) rapport qu'il peut y avoir entre la philosophie, l'économie, la sexualité et l'Etat.

20 Les articulations entre le discours philosophique africain, les contraintes de la production et la loi étatique sont ignorées. Quels investissements/désinvestissements se font entre les codes du discours philosophique, la catégorie d'échange en économie tropicale et le problème de l'obligation suggéré par la loi étatique ? Les Africains qui disent et classent leurs philosophies sont muets sur ces problèmes fondamentaux et se contentent de présenter des séquences conduisant vers le grand destin du Nègre reconnu et rénové ! A cette classification triomphaliste, il faut opposer une présentation qui prend les diverses élaborations de la philosophie en Afrique dans une structure qui met ses différents moments en relation avec des thématiques bien définies et répondant à une certaine organisation du social.

21 Ainsi, au schématisme réducteur de la présentation : ethnophilosophie, philosophie critique, le courant idéologique, le courant néo-négro-pharaonique, etc... il faut substituer des couples à l'intérieur desquels se dégageront des problématiques bien déterminées. Notre insistance sur cette classification est due au fait que c'est à l'intérieur d'elle que nous pourrons dégager comment le discours philosophique est devenu un discours de maîtrise sous les oripeaux de la rationalité en Afrique, et comment le philosophe négro-africain, apparatchick, vit/théorise/fantasme sa propre méconnaissance. La classification par couples nous permet de distinguer les pistes de recherche ; ces rapports s'articulent avec l'ethnologie et les traditions.

II.1.b. "L'ethnologie" : une ruse du capital et du sexe ?

22 Elle a d'abord été la forme première d'expression à prétention philosophique dans l'Afrique coloniale, elle était comme une arme idéologique avec laquelle la capture du moi profond du Négro-Africain devait être faite 17 .

23 Une grande querelle s'est engagée autour de ce qu'on a nommé l'ethnophilosophie. Il ne serait pas trop important de revenir sur cette notion et les polémiques qui l'ont entourée 18 , signalons que l'ethnophilosophie a été critiquée pour son gommage de l'historicité dans son traitement des problèmes africains. Sa méthode concordiste consistant à transposer dans une philosophie collective et anonyme "certaines catégories autoritaires de la métaphysique occidentale" a soulevé des objections sérieuses de la part de la jeune génération des philosophes 19 . On lui reprochait enfin la dé-mobilisation vis-à-vis des contradictions de la praxis et l'installation dans une Afrique éternelle, prospère in illo tempore et sans oppositions usque ad finem  !

24 Mais, ce qu'il convient d'ajouter à propos de ce mouvement dit ethnophilosophique, c'est que son étude, et sa critique, n'ont pas assez insisté sur ce qui nous semble essentiel, à savoir les rapports du concept à la production matérielle, sexuelle et à l'Etat. Il est à souligner que la critique de l'ethnophilosophie n'a pas tenu compte de mettre en rapport les catégories qu'emploie l'ethnophilosophie, la manière dont les Africains produisaient/reproduisaient leur vie dans le cadre d'une structure économico-sociale et sexuelle bien déterminée et les affects étatiques. Cette critique de l'ethno-philosophie fait mine d'ignorer les rapports qui peuvent exister entre le Sujet producteur des concepts, ceux-ci, et l'imaginaire véhiculé par les symboles sur lesquels s'appuie l'Etat. Quels rapports les catégories de l'ethnophilosophie entretenaient-elles avec l'Etat ? Pouvait-on voir une influence de l'Etat ou de la sexualité aux temps coloniaux sur l'élaboration de ces catégories ? Si oui, quelle était la nature véritable de cette influence ? 20

25 Une critique de l'ethnophilosophie qui ne tient pas compte de l'Etat, du sexe, et du Capital discriminera les présupposés de l'ethnophilosophie sous un angle idéaliste et logique. Certes, l'ethnophilosophie a semblé un délire autoritaire des Nègres nantis du système colonial et qui, tout en vivant une sexualité brimée par la nouvelle religion et, sous couleur de revaloriser la "rationalité nègre”, ont systématisé leurs propres fantasmes. Il est vrai, l'ethnophilosophie a été la fabulation et l'hystérie sotériomaniaque de quelques colons dont la sexualité était régie par le judéo-christianisme, mais une analyse de l'ethnophilosophie sous l'angle dialectique aurait pu privilégier le transit et l’interaction entre les catégories de l'ethnophilosophie, les catégories et affects que l'Etat colonial/néo-colonial met en jeu, les catégories et symboles que la production économique impose et le jeu sexuel de ces symboles.

26 Au lieu du discours, brillamment idéaliste, qui a enfermé le phénomène ethnophilosophique dans la problématique de "l'existence ou de la non-existence d'une philosophie africaine", il est possible de chercher la vérité du délire et de l'arrogance de l'ethnophilosophie en faisant l'autopsie de l'imaginaire que l'Etat mettait en marche. A travers cette exploration, nous serons instruits sur les représentations que le commerce du Sujet avec la production occulte en Afrique noire 21 .

27 La crise du Sujet négro-africain, avant d'être une crise de son "Identité" et de ses "modèles de représentation", se conjugue avant tout comme une crise économique. Les discoureurs africains, et en cela fidèles aux jeunes hégéliens que Marx critiqua jadis, ne descendent presque pas de leur piédestal pour se "compromettre" aux analyses des catégories économiques et de leurs réfractions sur la profonde et assidue dépossession de soi de l'Africain. Du discours ethnophilosophique, le mouvement en profondeur pourrait descendre à l'analyse du discours étatique, du Capital, et du sexe.

28 La critique des "singeries autoritaires" du discours ethnophilosophique tombe elle-même dans un discours de maîtrise qui, sûr de soi parce que transparent à soi, ignore, ou feint d'ignorer, la détermination politico-économico-sexuelle des catégories qui sillonnent le discours ethnophilosophique. Le manque d'analyse économico-politique lié au phénomène ethnophilosophique rend hautains et immaculés les discours de ces philosophes qui n'osent dans leurs écrits parler de sexualité, encore moins s'abaisser aux concepts liés à la "chrématistique". L'ethnophilosophie est née, elle fut critiquée, mais sa critique est retombée dans l'abstraction à cause de son manque d'analyse dialectique des rapports entre ethnophilosophie, Etat, production et, pourquoi pas, sexualité. La critique de l'ethnophilosophie (Eboussi, Towa, Hountondji) est aussi idéaliste par désexualisation du discours. Tout se passe comme si le discours ethnophilosophique n'exprimait pas la sexualisation du discours. Ces critiques de l'ethnophilosophie ne se rendent pas compte que le dicours philosophique fonctionne par concepts et, ceux-ci, comme le dit Deleuze, se divisent en percepts et affects. Etudier un discours comme s'il ne comportait que la dimension conceptuelle/consciente, c'est ignorer que toute conceptualité est sexuée parce que basée sur les affects. Qui s'est jamais demandé si le discours ethnophilosophique était une ruse du Capital ou de la logo-phallocratie ? Peut-être serait-il important dans le discours philosophique négro-africain d'étudier la dimension affective des concepts ? Voilà où en sont les rapports entre la philosophie en Afrique et l'ethnophilosophie, ces rapports s'appuient aussi sur un certain lien que cette philosophie entretient avec le problème du langage.

II.1.c. Le langage : de la "Selbsthasst" au mana

29 Les problèmes liés d'une part à l'adoption des langues coloniales, et, d'autre part à la communication entre les différentes tribus dans le cadre des proto-nations, sont à l'origine de la réflexion sur le langage chez la plupart des philosophes africains. Le but de ces recherches sur le langage était polémique et didactique.

30 L'étude des langues africaines entrait dans le contexte de l'affirmation de soi du Nègre. Bafoué par l'histoire, ses langues reléguées à la portion congrue de simples dialectes improbables sur le plan de la précision et trop rudimentaires sur le plan de l'élévation abstraite, le devenir-homme du Noir devait donc procéder à une réhabilitation des langues africaines. Cette réhabilitation s'est faite plus pressante à cause de l'imposition de la francophonie. Les courants "anti-francophonie" entreprirent donc de lutter contre l'abâtardissement des langues africaines. Ce but polémique était secondé, pour plus d'effacité, par une entreprise didactique, celle de refaire à travers le langage un inventaire des règles et des symétries permettant de trouver des moyens efficaces d'assimilation de ces langues. Ces analyses à bien les examiner, se regroupent en deux rubriques sécrétant toutes la méconnaissance. Le problème du langage chez le philosophe africain ne peut être compréhensible qu'à travers a) le concordisme/triomphalisme, b) le pacte avec le mana.

31 Le concordisme peut se définir comme une tentative de réplique au culte de la différence qui nourrissait une certaine forme de racisme. Le concordisme se veut un genre réfutatif consistant à trouver des ressemblances entre les langues dominées et les langues dominantes. Le Sujet discoureur en langue dominée veut, par cette réfutation, prouver sa sortie de la particularité pour se hisser au niveau de l'universalité décrétée et définie par le maître. Dire que le Ki-Swahili a aussi la table des dix catégories d'Aristote serait le sortir de sa particularité géographique, afin qu'il exprime, à sa manière, l'universalité des catégories de l'Organon. Le Kiswahili serait ainsi sauvé-du moins, pense le philosophe négro-africain-des pesanteurs de la particularité, afin d'adopter la "souplesse" des langues indoeuropéennes. Les tenants de ce concordisme furent ceux qu'on qualifia jadis d'ethnophilosophes 22 .

32 Les deux versants du concordisme 23 opèrent une hypostase du problème de la langue en Afrique. En posant les langues européennes comme modèles en fonction desquels seront analysées les langues africaines, on en fait par présupposition une substance immuable à laquelle les modèles périphériques que sont les langues africaines devront se conformer. Pourquoi vouloir à tout prix prouver, comme Kagame, que les langues bantoues déclinent la substance et les modes comme le grec du temps d'Aristote ? La même substantialisation du langage se retrouve chez les concordistes égyptophiles. Poser que l'égyptien ancien a des parentés avec le yoruba ou le haoussa, présuppose que l'égyptien est une substance immuable et, comme l'Idée platonicienne, il éclaire et fonde les langues négro-africaines devenues (comme les ombres de la caverne) de pâles reflets de cette substance divine et éternelle. Le concordisme égyptophile aboutit à deux conséquences. D'abord, nous observons un phénomène d'émanation plus ou moins métaphysique concernant le problème de la langue. Les langues africaines procéderaient -mystérieusement comme le Fils procède du Père- de l'égyptien antique... Ensuite, cette filiation quasi mécanique suppose que les langues africaines n'ont pas évolué. Le substantialisme, qui projette une langue essenceétalon, consiste en un réductionnisme anti-dialectique et moniste. Le travail philosophique sur ces langues pourrait laisser cet unanimisme pour analyser leur évolution contradictoire/dialectique, afin de ne pas éviter l'histoire présente, la nôtre, avec son poids de contradictions. A quelles conditions le langage concourt-il à l'émergence du possible en Afrique noire ? Puisque qu'on est rattaché aux pharaons, quelles ont été les langues des marginaux à cette époque ? Quelle était la langue des figures sociales de la contestation du pouvoir pharaonique comme les fous ? On est enfermé dans une vision triomphaliste et historiciste.

33 La deuxième tendance dans le traitement de la langue chez les philosophes négro-africains concerne le problème de l'extension, de la politisation et de l'alphabétisation dans les langues négro-africaines. Ce sujet, louable en soi, fondait la possibilité de l’expression du Nègre hors des canons et schèmes linguistiques imposés. Le but du projet était-paraît-il-de "décomplexer" le Négro-Africain vis-à-vis des langues importées. But politique, dans la mesure où il fut question d'"exporter" ces langues jusqu'à l'O.N.U., et surtout, de trouver une langue africaine pour tous dans ce "damier linguistique" qu'est l'Afrique. Tentative d'unité et tendance à l’auto-affirmation de soi se conjuguent ici. Ce projet se veut triomphaliste. Il est nécessaire, pour que nos langues soient exportées, de les articuler sur une problématique de la lutte pour la reconnaissance. Cette lutte fait dire au Nègre -tellement obnubilé par le complexe du "nous aussi" -que les langues africaines sont très aptes à l’abstraction, donc à la science et à la philosophie, et même à l'abstraction picturale. Le premier versant veut trouver des ressemblances dans les catégories des langues indo-européennes exprimées chez les philosophes grecs, tandis que le second tente de relier les langues négro-africaines actuelles à l'Egypte pharaonique ancienne.

34 "Nous devons parler et écrire nos langues (...) les utiliser de proche en proche dans les relations interafricaines et à l'extérieur de notre continent... Certains Etats ont déjà adopté à cet égard une politique saine et encourageante. C'est ainsi qu'au Zaïre quelques langues régionales ont été intégrées au programme de l'enseignement primaire... Même sans connaître le lingala..., j'éprouve beaucoup de plaisir à entendre le président Mobutu s'adresser au peuple en ce bel idiome... Pourquoi le Haoussa, le Yoruba, et le Ki-swahili, le Malgache... ne pourraient-ils pas devenir les instruments de travail pour de vastes régions africaines ? Quand le Président Idi Amin s'adressa aux Nations Unies en Ki-swahili, des millions de Noirs de par le monde... vibrèrent de fierté"... 24 .

35 Le projet de parler et d'écrire dans les langues africaines n'est pas dépréciable en soi, ce qui devient problématique reste l'indifférence vis-à-vis d’une question de fond, à savoir l'articulation de la parole et de l'écriture sur les problèmes de l'émancipation renvoyant à celui des modalités d'intégration du dire et de l'écrit dans les stratégies d'hibernation et de réification du Sujet. Qu'un dirigeant politique s'exprime devant le peuple ou ses pairs sur le plan international dans sa langue maternelle ne peut qu'assombrir davantage les pistes de recherche sur l'émancipation du Sujet. S'exprimer (intra-muros) à travers les antennes en langues locales, c'est souvent créer entre le peuple et le pouvoir (politique et intellectuel) une illusion de proximité et d'union qui occulte la coupure (très nette !) entre la bureaucratie au pouvoir et le peuple. Parler, faire un discours en langues africaines, c'est capturer par l'idéologie dominante tous les Sujets que la non compréhension du français (ou du portugais...) aurait pu sauver partiellement du doctrinarisme des intellectuels. L'incrustation des signifiants dans l'horizon imaginaire des Sujets passe -et c'est une technique fort connue et utilisée à diverses fins -dans le cadre des Etats autoritaires (voyez bien la notion de Volksprache) par l'entretien du chauvinisme et de l'orgueil national. S'exprimer dans les langues africaines à l'O.N.U. devient donc une tactique d'attiser l'orgueil national et le chauvinisme douteux. Le devenir-libre du Sujet négro-africain passe, certes, par le développement des langues africaines, mais il ne faut surtout pas croire qu'une fois ces langues étendues et bien parlées, le problème de l'émancipation trouvera mécaniquement sa résolution. Car, si les Noirs ont "vibré de fierté" quand Idi Amin s'exprima naguère en Ki-Swahili à l'O.N.U. comme le dit Hebga, ils sont aussi "fânés de honte", parce que, en Ki-Swahili, le Président Amin ordonna des tortures et des meurtres. Parler, enseigner, "exporter" les langues africaines ne pose ni ne résout le problème de l’autorité et de l'émancipation.

36 Un phénomène qui illustre le caractère illusoire de la problématique de l'extension des langues africaines et de la réappropriation de celles-ci par les institutions africaines (l'école, l'Etat, les Eglises) se trouve être, chez les théologiens catholiques africains, le fameux problème de l'inculturation. Après Vatican II, les Eglises catholiques africaines ont "africanisé" la liturgie. Les instruments de musique africains prirent la place des harmoniums, les langues locales chassèrent sympathiquement le latin. Le sérieux, la sévérité et l’austérité de la messe en latin firent place à la danse africaine à l'Eglise et à la jovialité hilare des fidèles. Ce changement aurait pu nous faire croire à l'émancipation, mais, illusion d'optique ou de perspective, plus que jamais ces Eglises ne sont pas pour autant libérées. Que le personnage du prêtre ne soit plus "Rex secundum ordinem Melchisedech" mais "chef de tribu" ne pose pas a priori les problèmes de l'autorité et de l'émancipation. Ce que nous voulons souligner réside dans le fait que la promotion de la langue dans les écoles, l'emprunt de l'alphabet latin 25 et arabe, l'explication des termes scientifiques dans les langues africaines ne résolvent pas en eux-mêmes le grand problème de l'émancipation à travers le langage. A preuve, les Eglises catholiques africaines qui ont traduit toute la liturgie en costumes et langues locaux n'échappent pas au problème de l'indépendance. Même si la messe est dite en Lingala (Zaïre), cela n'élimine, ni l'action disciplinaire des "épiscopocrates" de la curie romaine, ni la gestion symbolique des affects, ni la vassalité et la dépendance matérielle de ces Eglises vis-à-vis de l'Occident, ni l'impérialisme symbolique du judéo-christianisme. L'illusion triomphaliste consiste à mettre en marche les mécanismes de la célébration d'une victoire et d'une prospérité beaucoup plus supposées que réelles à l'aide de la catégorie du possible illusoire, "il n'y a qu'à...". Pour que les langues africaines parviennent à une meilleure élucidation du rapport entre le Sujet et son historicité... il n'y a qu'à... trouver les accointances avec les Pharaons..., prouver qu'elles sont aptes à la métaphysique..., les enseigner..., les exporter..., les exhiber à l’O.N.U, etc... Le triomphalisme veut exorciser l'histoire africaine en rendant impossibles ces possibles en gestation que notre rapport à la souffrance au cours de l'histoire appelle. En faisant croire à la grandeur de l'Afrique, (à la limite, c'est assez sécurisant psychologiquement pour nous Africains), en célébrant de façon ostentatoire les fêtes faisant suite à l'obtention de la reconnaissance, les intellectuels africains postulent/veulent une histoire africaine guidée par un grand dessein, une Afrique qui se vante d'avoir enseigné les Grecs, et qui considère ses maux présents comme des accidents de parcours qui n'entament en rien la majestuosité de ce "continent berceau de l'humanité". Ces tentatives de rattacher à tout prix le destin actuel de l'Afrique noire-dans ses douloureuses parturitions-à l'Egypte pharaonique relèvent d'une méconnaissance. Vouloir fonder l'historicité présente sur une Egypte éloignée dans le temps est une tentative de masquer les écueils présents ; les fondements cachent l'effondrement  ! ! 26

37 Le concordisme linguistique chez les philosophes africains a eu avant nous plusieurs critiques de direction et de talents différents. La plupart de ces critiques relevaient les incohérences méthodologico-historiques d'une telle démarche. Ce qui n'a pas été traité, et que nous voulons ici souligner, concerne le concordisme comme attitude pathologique qui se traduit par une "haine de soi" (Selbsthasst). Vouloir fonder son historicité à travers la concordance entre le grec d'Aristote et les langues bautoues traduit la haine de soi-même dans la mesure où l'auto-consistance de soi n'est garantie que par le prestige d'autrui. Cette situation de "haine de soi" est un phénomène qui s'était déjà produit dans l'histoire des Juifs de Vienne au début de ce siècle. Le cas du Juif viennois Karl Kraus est très éclairant. Celui-ci, dans son journal "Die Fackel" (la torche), a entrepris une campagne antisioniste contre Theodor Herzl. Pour Kraus, les sionistes voulaient constituer un nouveau ghetto pour les Juifs en Palestine. Selon lui, la décadence était due à la corruption judéo-libérale de la finance et de la presse. Il demanda aux Allemands de ne pas contaminer leur race par les Juifs. Ces recommandations sont dans Die Fackel, n. 413-417, 1915 (Au sujet de la "Selbsthasst", il faut consulter Jacques le Rider, Modernité viennoise et crise de l'identité, Paris, 1984). Dans son délire assimilationiste apparaît le problème du langage. Le rapport du Juif assimilé au langage était une sorte d'auto-exorcisme. Son propre langage était fort déprécié. Le "Mauschel" (Moïse, le pauvre juif errant en Hébreu-yiddish) symbolisait le "jargon" juif. Ce "Mauschel", méprisé par les Allemands l'était aussi par les Juifs comme Karl Kraus et Eduard Engel. Ceux-ci sont devenus de véritables obsédés du bon usage et du purisme de l'allemand. Les études comparatives entre le "Mauschel" et l'allemand était largement favorables à ce dernier, ce qui aboutissait à la dépréciation du "Mauschel". Le concordisme linguistigue des Africains est, malgré les apparences, fort dépréciable pour les langues africaines. Il naît en Afrique, un syndrome fréquent chez les opprimés : la haine de soi. Le concordisme n’est donc pas une simple affaire linguistique, mais un problème pathologique. Albert Memmi exprime bien cette attitude : "il existe une judéophobie du Juif, comme il existe une négrophobie du Noir et un anti-féminisme des femmes, qui sont l'aboutissement logique du refus de soi" (Albert Memmi, Portrait d'un Juif, II, Paris, 1966, p. 92 et sv.).

38 La vision triomphaliste est historiciste, dans la mesure où est présupposé méthodologiquement un principe de continuité (entre les langues africaines, et les catégories d'Aristote, cf. Alexis Kagame, et entre l'égyptien ancien et les langues africaines) lui-même s'inscrivant dans une lecture du développement historique très dix-neuvièmiste. Ce principe de continuité est unilinéaire et presque mécanique chez les philosophes africains. Ce principe continuiste présuppose, toujours dans un cadre très dix-neuvièmiste, un déterminisme rigoureux du passé sur le présent et l'avenir. Ainsi, suivant cette lecture d'une histoire africaine continuiste, le passé glorieux de l'Afrique pharaonique déterminera-t-il le futur de l'Afrique et, puisque ce passé était triomphant, le futur -par le principe de continuité- sera lui aussi triomphant. Le triomphalisme historiciste qu'occultent ces exposés sur les langues africaines, introduit une approche nécessitariste du devenir historique de l'Afrique. Il est vrai, les propos d'un Senghor ont assez agacé, mais la réaction du rétablissement de la dignité des langues africaines a insidieusement opté contre le possible. Senghor affirmait :

39 "Le français est une langue à vocation universelle... parce que le français est une langue "de gentillesse et d'honnêteté". Qui a dit que c'est une langue atone d'ingénieurs et de diplomates ?... Je sais ses ressources pour l'avoir goûté, mâché et enseigné, et qu'il est la langue des Dieux... Et puis, le français nous a fait don de ses mots abstraits-si rares dans nos langues maternelles-... chez nous les mots sont nécessairement nimbés d'un halo de sève et de sang, les mots français rayonnent de mille feux comme les diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit..." 27 .

40 La réfutation de l'auto-négation du Nègre (telle qu'elle transparaît chez Senghor) aurait dû pousser les philosophes africains à examiner les rapports entre le dit, le non-dit et le non-encore dit. Au lieu d'adopter le concordisme ou le triomphalisme, le rapport du Sujet négro-africain au langage-rapport non-encore bien circonscrit et par conséquent opaque-peut s'inscrire dans l'examen laborieux des divers codes à travers lesquels les stratégies de capture du Sujet s'investissent dans la vie des Africains. Comment se place la notion de code relativement à l'idéologie à travers la multiplicité des sociolectes en Afrique ? Tâche linguistique, mais aussi politique dans la mesure où les codes mis en marche par une certaine rhétorique peuvent contribuer au renforcement de la redondance autoritaire. Comment les codes rhétoriques, architecturaux, cinématographiques et iconiques en général peuvent-ils opérer chez les individus des changements de comportements, et, partant, modifier le cours du devenir historique de l'Afrique ?

41 Parlant du langage, Chomsky distingue deux types de discussion dans l'étude du langage et de la pensée : les problèmes et les mystères. Parmi les problèmes, il énumère ceux-ci : "Quels sont les types de structures cognitives développés par l'homme sur la base de ses expériences, et, spécifiquement, dans le cas de l'acquisition du langage ? Quelle est la base de l'acquisition du langage et de ses structures, et comment se développent-elles ?" 28 . A notre avis, le problème du langage posé en ces termes ne concernerait politiquement que très peu l'Afrique. Du point de vue politique, le traitement du langage consisterait à faire éclater ses problèmes en les étendant, des interrogations concernant les structures cognitives à l'action mobilisatrice ou démobilisatrice du langage dans l'histoire de la cité. Quel rôle jouent les effets de rhétorique (figures de pensée et figures de style) dans la distorsion de la communication en Afrique ? Comment les codes architecturaux (l'organisation de l'habitat en ville et en campagne, la disposition topographique, bref l'organisation/gestion de l'espace) et leur décryptage peuvent-ils conduire du simple langage architectural à une interrogation politique concernant la ville, et l'habitat en Afrique ? L'institution-ville en Afrique, avec une nette délimitation entre les quartiers luxueux et les bidonvilles, offre un espace ou plutôt un langage à travers lequel il devient possible de lire la reproduction des rapports de production qui sont dans une certaine mesure les rapports de classe. "La lecture des espaces urbains, périphériques ou centraux, ne se fait pas seulement sur les cartes, en construisant un code abstrait, c'est une lecture symptomale par excellence et non littérale" 29 .

42 Une approche du langage qui se cantonne dans le concordisme et le triomphalisme ne peut qu'éluder la vraie question concernant l'articulation du langage sur l'émancipation et le problème du possible. A notre avis, les philosophes africains n'ont jamais bien posé ce problème, mais ils articulent en toute bonne conscience le langage sur le mythe et le mana. "La religiosité est un prédicat essentiel dans la vie du Nègre". Ce refrain, repris en choeur par les Africains, a investi plusieurs domaines. Si on a pu dire que son art était originairement religieux, le problème relatif à la langue en Afrique ne manquera pas au rendez-vous de la "transcendance" et du "spirituel". La langue est ainsi inféodée à la magie et au mana.

43 Dans La pensée africaine, Alassane Ndaw, développe tout au long de son ouvrage un vitalisme spiritualiste et manifeste un intérêt pour la linguistique. A celle-ci, il assigne une tâche de description des langues africaines, mais, sans poursuivre l'argumentation et tirer les conséquences socio-politiques qui s'imposeraient, il tombe immédiatement dans l'incantation. "Nommer est un acte magique doué d'efficace". Parler, c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques. C'est aussi évoquer le monde non visible des ancêtres et des Dieux. Peut-être devrait-on, plus exactement, parler de mondes au pluriel, et du même coup... il faudrait s'attacher à l'étude des niveaux de langue... Peut-être devrait-on... s'acheminer vers une théorie linguistique de la magie" 30 .

44 Toute étude des langues africaines devra tenir compte de sa "vocation ontologique" 31 et, du coup, la linguistique doit y être "une ontolinguistique" 32 . L’originalité des langues africaines, poursuit Ndaw en toute sérénité, consiste à être des actes magiques, car elles sont substantiellement liées à l'Etre comme force vitale. Et si jamais on traite de ces langues sans en référer à ce qui suit, on ferait de belles théories "désincarnées" et "vides" 33 . L'étude de la linguistique devra s'occuper des niveaux de langue au sein d'une société, en établissant par exemple une nette différence entre le langage profane et celui des initiés (nous y sommes !). La langue aura alors ici une double fonction : "signifier et cacher" 34 , d'ailleurs, on doit conserver ces initiales et ce langage sacré.

45 "Il est juste que la langue profane ne puisse galvauder le sacré" 35 . Brillant, Alassane entreprend l'étude des différences entre la langue secrète Dogon (toujours !) et la langue profane de cette tribu. De la linguistique comparative, Alassane glisse vers une onto-cosmo-théologie qui débouche sur un acte de foi politique : "Le langage organise le monde, c'est-à-dire maintient le statu quo des forces vitales bénéfiques et maléfiques" 36 . Examinons cette inféodation du problème de la langue au mana.

46 D'abord, il n'est pas sûr que "nommer" ne soit qu'un acte magique. Alassane fait dans cette définition une curieuse concession au mythico-religieux. Cette conception de Ndaw se rapproche de la Genèse biblique où Dieu opère à travers la nomination des éléments. La parole, dans ce cas, a une fonction ontogénétique de nature métaphysique incompréhensible pour ceux qui, comme nous, sont habitués à voir dans la nomination un acte linguistique et politique de classification, de disposition et d'assignation des êtres dans leurs statuts respectifs. La seule parole ne crée pas, c'est plutôt l'action de l'homme sur la matière physique et sociale qui peut être porteuse de création. Dire que "parler, c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques" 37 , c'est supposer a) que la nature est animée des forces conscientes, b) qu'il y a une continuité et une connivence de type astrologique entre le Sujet humain et ces forces, c) qu'il existe un méta-monde ou un infra-monde qui contient ces forces bénéfiques. Ces forces mystérieuses, ce topos transhistorique, et ces existences invisibles ouvrent à de brillantes synthèses métaphysiques qui, malheureusement, ne posent pas le problème du rapport entre le langage et l'autorité.

47 La première supposition, à savoir que la Nature est animée de forces maléfiques/bénéfiques est assez curieuse. Historiquement, après la révolution galiléenne, il est tout à fait ahurissant de voir ceux qui prétendent à la philosophie présenter la Nature, non pas en termes de relations séculières, mais comme une espèce de participation vitale et mystérieuse. Cette Nature dont nous parle Ndaw et ses forces vitales rentrent à la fin du vingtième siècle dans un espace d’intelligibilité de la cosmologie pré-copernicienne.

48 L'ancienne conception de la Nature s'articulait selon le schéma astro-bio-anthropo-morphique. Celui-ci privilégiait la qualité et la Nature considérée comme un milieu vital plein d'intentions. Dotée d'une complexité qualitative, l'énergie y est force vivante. Ensuite, l'explication et la compréhension de la réalité/totalité étaient holistiques (le tout expliquait les parties). La causalité y était comprise comme une influence venant du ciel (des astres). La conséquence épistémologique était l’ordonnancement d'une science qui se déclinait sous le mode de la sécurité, car cette science portait sur les essences absolues. Les corollaires de cette science furent une conception d'un espace homogène et isotrope, et d’un temps cyclique isochronique. La vérité, quant à elle, était absolue et tout devait y être conforme aux lois de la mesure (aucune démesure n'était permise !). Dans cette conception de la Nature, le langage avait un statut particulier, celui de participer à l'ordonnancement des qualités de ce complexus. Le verbe y était secondé par une "âme", puisque toute chose nommée est animée et participe aux vibrations dues à l'individuation de la force vitale. La parole servait donc à communiquer des "âmes", ainsi pouvait-on par la simple parole insuffler une âme bienfaisante (les diverses bénédictions), ou une âme malfaisante (cf. toutes les histoires de jeteuses de mauvais sorts au moyen-âge). C'est à l’intérieur de cet espace mental qu'évolue Ndaw, avec des phrases comme "parler, c'est aussi manipuler les forces de la nature bénéfiques ou maléfiques" 38 .

49 Cette conception de la Nature est irrecevable, ainsi que la conception du langage qui y est sous-jacente. La totalité naturelle se conjugue en termes de quantité. Cette totalité, loin d'être magique, se veut mécanique. Ce mécanisme s'articule non plus sur un espace vital d'une complexité insondable, mais sur un espace géométrique que l'on doit pouvoir déchiffrer, préserver, et non dominer en équations. L'énergie y est force calculable, et non vitale, et la compréhension de la Nature n'est plus holistique, mais atomique (les parties peuvent expliquer le tout). Ce qui aboutit à deux conséquences épistémologiques. D'abord, la causalité cesse d'être une influence venant du ciel (astres, etc...) pour devenir l'articulation/désarticulation improbable des structures. Le schéma nécessitariste cède ainsi le pas au schéma probabiliste/dialectique et ouvert. Ensuite, à la vérité des absolus se substituent la vérité du relatif et le caractère provisoire de toute connaissance. Dans ce nouveau schéma, le langage n'évolue pas au sein d'une ontologie de l'Etre vital, mais s'articule pour signifier (donner un sens qui n'est lié ni à une ontogénèse, ni à une cosmogénèse, ni à une ontophanie, ni à une hiérophanie, ni a fortiori à une théophanie !). La temporalité ne sera plus ce cours cyclique enfermé dans une logique répétitive et éternitaire, mais s'ouvrira à l'infinité. Le langage n'exprimera plus "l'être magique" comme le veut Ndaw, sa tâche ne consistera plus, comme il le souhaite, à protéger le sacré 39 , mais sera ce qui traduit intentionnellement ou inconsciemment des significations par la médiation des signes. Le langage sera donc, non pas l'aptitude à répéter, mais à inventer et à utiliser intentionnellement des signes.

50 A travers le rattachement de la problématique du langage au mana est occultée, outre la caducité de sa conception de la Nature, une méconnaissance de nature politique. Alassane Ndaw affirme que le langage a une double fonction : "signifier et cacher". Or, la distorsion de la communication n'a d'autre but à travers le langage que de "cacher", d'occulter, de soustraire à la vigilance et à l'analyse du Sujet certaines réalités. Une vue moins idéologique aurait assigné au langage la double fonction de "signifier et dévoiler/déconstruire la fausse harmonie des totalités répressives". Le Kant du Projet de paix perpétuelle nous a habitué à la notion de publicité concernant l'espace public ; toutes les maximes relatives au droit public dont on ne peut faire la publicité sont "injustes".

51 Le rattachement au mana vise moins à exorciser le langage profane qu'à défendre les intérêts des castes sacerdotales dans certaines sociétés africaines qui ont encore des chefferies et royautés de type féodo-esclavagistes. La défense des intérêts de cette caste vise aussi sur le plan historique à refuser à l'Afrique un langage porteur de négativité qui, ouvrant sur le possible, discriminerait la réalité africaine présente en établissant la tension dialectique en son sein, non entre le "est" (ce qu'elle est) et le "devrait" (ce qu'elle devrait être), mais entre le est et le non-encore. La problématique du langage produit une méconnaissance par la production des oublis.

II.2. Les oublis

Ii.2.a. l'oubli de la critique du langage technocratique.

52 Les rapports de la philosophie africaine avec l'ethnophilosophie opéraient une méconnaisance en voilant la nature politico-économico-sexuelle des catégories structuratrices de ce courant. La méconnaissance étant dans ce cas le décrochage d'un discours vis-à-vis de ses conditions politico-économico-sexuelles de production. De plus, le rapport entre la philosophie africaine et le langage semble également autoritaire par omission. L'omission est d'abord celle de ne pas rattacher les problèmes du langage au langage du pouvoir qui influence, aussi bien en amont qu'en aval, le "langage ordinaire". Le pouvoir dont il s'agit ici s'applique au langage administratif.

53 Pourquoi la référence au langage administratif ? Parce qu'il participe, avec plus ou moins d'efficacité, au discours technocratique dont le but inavoué est de contribuer de manière autoritaire à l’entreprise de dépossession de soi. Le langage administratif contribue à la célébration des attributs du pouvoir presqu’anonyme de la technocratie. On peut légiférer par l'écrit et par le dire, mais l'écrit -puisqu'il ne s'envole pas comme le verbe- reste l'un des meilleurs supports et le champ d'exhibition du pouvoir. L'étude de l'intensité et du poids du pouvoir devra passer par une anthropologie de l'écriture, car celle-ci, en tant qu'elle assemble, dispose, juxtapose, signes et symboles issus d'un champ socio-politique agité/déchiré par les intérêts, est le lieu de lisibilité et/ou d’occultation de l'imaginaire social. Prescriptif le plus souvent, le langage administratif produit des actes illocutoires (actes par lesquels l'emploi du langage a pour effet premier de modifier les comportements entre les interlocuteurs) 40 . La modification des comportements peut aller, soit dans le sens de la perte de soi, soit dans celui de l'émancipation du Sujet. En quoi le langage administratif peut-il intéresser le philosophe en Afrique ? En ce que, sous ce langage dépouillé, se profile le problème des valeurs résumé par ces interrogations : lorsque l'administration pourvoit à notre compréhension des énoncés linguistiques, que valent-ils ? Quels effets l'administration produit-elle par ces actes de langage ? A quelles conditions le fonctionnalisme du langage administratif peut-il réussir à être autoritaire ? Comment l'idéologie s'investit-elle dans l'écriture administrative, autrement dit, à quelles procédures linguistiques l'administration recourt-elle pour imposer son discours et ses symboles au niveau de l'échange symbolique ? Quels procédés discursifs utilise l'administration pour garantir une valeur et une autorité aux normes qu'elle définit ? Comment se tissent les rapports psychologiques, politiques et symboliques entre le texte administratif (le procès-verbal, le rapport, la note, le mémoire, le communiqué, la circulaire, la décision, le décret, l'arrêté...), le Sujet à qui s'adresse ce texte, le contexte dans lequel est émis le texte, et l'anonymat de l'administration cachant le principe d’autorité ?

54 Le langage administratif 41 joue parfois sur une ambiguïté fondamentale ; il se veut à la fois plus près du Sujet récepteur et très éloigné, en fait, de celui-ci. On recommande au rédacteur administratif d'avoir un style sobre à la portée de tout le monde, ce qui exclut le jargon et un style ampoulé. Cette transparence recommandée par le style administratif introduit au moins deux sortes de méconnaissances. La transparence linguistique est la preuve évidente du caractère "démocratique" des institutions. A un langage accessible correspondrait l'ouverture des institutions à tous. La deuxième méconnaissance réside dans "l'impartialité" et la "neutralité" du langage administratif. Si le langage administratif est sobre et accessible à tous, alors l'Etat n'appartient pas à une seule classe et a fortiori ne peut défendre les intérêts d'une faction. L'Etat est un, au-dessus et pour tous. La neutralité du langage administratif vise en fait à atténuer, et même à effacer, toutes les tensions qui peuvent surgir dans le langage issu du tissu social en devenir. Nous aboutissons au langage univoque et obscur à force de transparence. Ce langage monolithique est bien caractérisé par la mise en évidence de "l'oblativité" de l'Etat, car, par ce style limpide, ramassé, économique, et à la portée de tous, l'Etat se veut "Servus servorum" 42 . Le langage administratif 43 introduit une deuxième variante. S'il se veut accessible à tous, il lui faut un recul, une preuve de distinction, de majestuosité, de noblesse, et même d'autorité, susceptible de le distinguer du langage profane. Il se sacralise à travers l'écriture, il s'institue en code sacré agitant le spectre tricéphale (interdiction, transgression, punition). Le langage administratif devient ainsi à cause de sa majestuosité, l'idéal, "la langue promise" 44  ; et le "clerc administratif se mue en objet de désir et d'admiration aux yeux de ceux qui ne maîtrisent pas les codes de ce langage. Pour améliorer les facultés de rédaction, Gaudouin stipule :

"Règle seconde permettant de donner au style sa noblesse... -délicatesse, goût, choix judicieux des expressions, propriété du terme...

55 Règle troisième pour que le style ait à la fois de la force (gravité) et même de la majesté..." 45

56 Du simple problème de style, nous remarquerons une évolution vers l'incrustation des signifiants par lesquels l'autorité s'investit. Robert Catherine, dans son homélie sur le style, opère ce glissement des soins stylistiques à la célébration du pouvoir politique : "Etant donné son rôle et sa place dans l'Etat, le caractère officiel de ses actes, l'importance de ses décisions sur l'activité économique et sociale de ses concitoyens, le délégataire de l'autorité publique se doit non seulement d'écrire en français, mais sous une forme telle que la différence du ton permette à son lecteur de reconnaître qu'il est immédiatement en présence d'un document officiel qui participe à la dignité qui doit accompagner les affaires de l'Etat" 46 .

57 La majestuosité du style est chargée d'établir la distance et le caractère suprême de l'Etat. Les qualités linguistiques exigées du rédacteur administratif introduisent une méconnaissance par identification/substitution. Les qualités linguistiques du texte administratif (la noblesse, la délicatesse, le choix judicieux, la propriété du terme, la force, la gravité et la majestuosité) s'individuent, et par le procédé d'identification, c'est l’administrateur qui incarnera la noblesse, la délicatesse, le choix judicieux, la gravité, etc... Il s'opère ainsi une substitution, ce n'est plus le style qui est délicat, mais l'administrateur. En exigeant la majestuosité, l'administrateur veut se faire valoir. Le discours administratif, par son côté anonyme, prescriptif/menaçant, établit une dialectique entre son ambition de se vouloir transparent et la peur de la transparence caractérisée par le schématisme et la sécheresse de ses stéréotypes. C'est un discours qui suggère l'ordre, le respect, la hiérarchie, et dont "l’objectivité" vise-à travers l'accentuation du caractère impersonnel- le gommage de la subjectivité. Dans l'optique de cette impersonnalisation du, et par le langage administratif, l'expression de la liberté du Sujet se réduit à l'application des prescriptions du texte administratif. L'interrogation et la création s'effacent ainsi au profit de l'application, et la transcendance au profit de l'adaptation. Ce style participe à la reproduction du même par homogénéisation des consciences 47 .

58 Le philosophe négro-africain qui interroge son rapport au langage affiche une indifférence étonnante vis-à-vis du langage administratif (l’une des composantes les plus sophistiquées du langage technocratique). L'exercice du métier de philosophe en Afrique vit et évolue au sein du langage administratif. Non libéré des nécessités matérielles comme certains philosophes-aristocrates d'Athènes, les nécessités matérielles poussent le philosophe négro-africain à avoir comme employeur l'Etat. Celui-ci l'assigne (le consigne) dans une structure administrative bien huilée, l'exercice d'interrogation du philosophe négro-africain devrait donc naturellement porter sur la discrimination de ce langage qui conditionne son exercice en tant que "philosophe-salarié" 48 , mais, curieusement, rien n'est dit sur ce langage fonctionnaliste. On disserte à grands renforts de références sur la parenté entre les langues pharaoniques et les langues négro-africaines, on s'applique (et avec quel zèle !) à voir comment les langues négro-africaines "elles aussi" peuvent être aptes à l’abstraction (et Pathé Diagne de traduire un dialogue socratique en Wolof) 49 . D'autres encore veulent la philosophie en langues nationales, etc... Ce nombrilisme qui rive le problème du langage à l'exhibition des langues tribales et à leurs rapports soit avec l'activité philosophante, soit avec la science, a pour secret l'idéalisme et le refus de la dialectique.

59 Que la philosophie se fasse en Dogon ou en Malinké, que le Wolof exprime avec pertinence la relativité restreinte einsteinienne, qu'il y ait des filiations linguistiques entre l'égyptien ancien et les langues négro-africaines est fort bien, mais ne pose a priori et ne résout pas du tout le problème du rapport entre le discours, le langage et le pouvoir en Afrique. La position du philosophe africain vis-à-vis du langage est une fuite en arrière, on se réfugie dans l'Egypte pharaonique, on se hâte d'user du concordisme entre les catégories de la logique d'Aristote et les langues bantoues, ce qui, indirectement, dédouane aussi bien les clichés administratifs autoritaires que les instances émettrices de ces clichés.

60 Le mutisme du philosophe vis-à-vis du langage administratif s'explique en partie par la place qu'il occupe dans le procès de production en Afrique. Le philosophe est cette fine fleur qui, en Afrique, se veut héritière des Lumières, interprète de l'Etre et du Bien, représentant le Savoir dans une population quasi analphabète, et sismologue transcendantal qui détecte tous les mouvements et tremblements du royaume des Idées. Voilà pourquoi le philosophe négro-africain s'interdit de penser le rapport entre le langage et la technocratie, et entre celle-ci et le possible. La négation déterminée d'une histoire africaine devenue duperie peut aussi passer par la discrimination des clichés du discours du pouvoir.

61 Au lieu de l'exhumation de sa langue tribale à qui on a tôt fait de découvrir des correspondants ontologiques, phénoménologiques, existentialistes et marxistes, un travail de décryptage doit être fait sur le style de ces langues tribales, afin d'y surprendre les clichés autoritaires (passés et actuels). Le rapport du langage au pouvoir doit, en Afrique, partir des traditions africaines et se poursuivre dans la quotidienneté africaine. Dire que le Wolof peut exprimer la relativité n'exclut pas que le problème du pouvoir se soit posé et se pose encore dans la société Wolof. Comment le langage pouvait-il, à travers le discours, exprimer la répression et l'obturation des possibles dans la société traditionnelle Wolof ? Comment, avec l'avènement de la modernité, le changement de paradigmes sociaux, ces clichés autoritaires ont-ils perdu de leur efficacité ou non ? L'Etat sénégalais qui coiffe la société Wolof a-t-il récupéré, renforcé, atténué ou substitué ces clichés autoritaires ? Quelle dialectique pouvait-il y avoir, dans les sociétés traditionnelles, entre le langage officiel des chefs et courtisans féodaux, et les marginaux comme les "fous" dont le langage (consciemment ou inconsciemment) violeur des codes, exprimait la libération du non-encore dit ? Comment se traduisent dans les sociétés africaines actuelles la dialectique entre le langage stabilisateur et le langage de la créativité ? Comment et sous quelles modalités, à travers le langage, s'élabore, s'exprime et se communique le possible ? Si le langage, en nommant les choses, exprime une tension au sein de l'espace public africain, il faut bien démontrer certains oublis en commençant par celui du "faire-croire".

II.2.b. Mépris de l'analyse du "faire-croire"

62 Le problème du transit-du-croire revêt une importance capitale, non seulement pour saisir les liaisons entre le Sujet et la loi, mais aussi pour exprimer cette espèce de méconnaissance qui mine le devenir historique. Le problème de cette méconnaisssance n'a jamais été abordé par le discours philosophique africain. Plusieurs études se sont orientées vers le problème de la croyance. Toutefois on l'a rabattu sur un réductionnisme qui voudrait que la croyance fût réduite aux seules religions. En Afrique, les philosophes n'ont pas assez réfléchi sur le problème de la croyance en général et sur celui du transit-ducroire en particulier. La question se poserait ainsi de savoir comment se fait-il que nous soyons toujours pris de court par le mensonge issu des énoncés institutionnels et que nous nous rendions souvent compte de notre égarement "post festum"  ? Qu'est-ce qui explique la non-simultanéité entre la lucidité rationnelle et les énoncés de croyance ? Quelle explication donner à ce phénomène curieux consistant pour chaque génération à "se faire avoir" ? Comment rendre intelligible ce paradoxe qui consiste pour chaque génération à démasquer les illusions des générations antérieures, tout en les subsumant et en les transformant, pour se nourrir des mêmes illusions avec d'autres oripeaux ? Comment s'opère et fonctionne dans la société africaine le transit-du-croire ? 50 Comment fonctionne l'articulation du triptyque : symbolique/imaginaire/réel en Afrique ?

63 L'importance de la question du transit-du-croire dans l'économie de la réflexion philosophique africaine tient au fait que cette question renvoie à une série d'interrogations qui ouvrent au grand problème de la désubjectivation rampante due à l'excroissance du système managerial. Le transit-du-croire permet une évaluation de la notion de "croire". Qu'est-ce que croire ? Simple adhésion aux énoncés d'un discours et hypostase des procédés narratifs, argumentatifs et rhétoriques ? Ou bien croire, est-ce la production de la fiction dans le réel, ou simplement le processus d'éclipse de la fiction pour une réalité très omniprésente ? Croire est-il une nécessité subjective ou un processus aléatoire ? Comment le Sujet adhère-t-il à un énoncé de croyance, quelle que soit sa provenance et pourquoi ? Et "au nom de quoi" perdure-t-il dans cette adhésion ? Quelle est la fonction de l'autre dans ma propre croyance ? Enfin, comment le Sujet se situe-il, concernant la croyance, à l'intérieur du couple désir-histoire ? Autrement dit, la croyance est-elle un lieu d'assujettissement idéologique ou une modalité du désir productive et explosive ?

64 Pourquoi les philosophes africains n'ont-ils pas réfléchi sur le problème du croire ? Trois hypothèses peuvent expliquer leur mutisme. La première concerne le manque d'une approche esthétique des institutions ; l'absence de réflexion sur le rapport image/pouvoir/investissements. Pourquoi le détour esthétique de l’interrogation des institutions est-il si fondamental ? D'abord, l’esthétique nous permet de travailler sur un matériau malléable dont ne sauraient se passer les montages juridiques et politiques. Ensuite, le fondement objectif du fanatisme s'appuie sur un impératif : la théâtralité et la mise en scène de la Suprême Référence (l'Etat, le Capital ou même le peuple). Et enfin, l'épiphanie des pouvoirs ne peut être efficace que comme visant la fascination, et celle-ci nous touche d'abord de manière sensible (au sens de aisthésis ). L'approche esthétique du pouvoir n'est pas réductible au seul examen des images, elle essaye de donner à l'esthétique son sens plénier qui traite de la sensibilité parce que les pouvoirs sont affaire d'images et de sensibilité. Le deuxième point du désintérêt du discours philosophique africain sur le croire concerne l'absence d'une analyse de la notion de représentation. Quel est "l'efficace de la représentation" ? Qui représente (quis)  ? Quelles sont les médiations entre le représentant et le représenté (quibus auxiliis)  ? Pourquoi représente-t-on ( cur  ?) ? Comment ( quomodo  ?) et quand ( quando  ?) ? Que se passe-t-il dans la distance (espace mental et social) qui sépare le représentant et le représenté ? Le concept de représentation permet, en mesurant l'écart et la tension entre le représentant et le représenté au sein du procès de représentation, de faire ressortir le problème de la méconnaissance lié au double discours. En vue des stratégies d'hibernation, il peut fonctionner en manipulant, d'un côté, l'interdit et, de l'autre, les emblèmes de la permissivité. Le croisement de l'interdit et les emblèmes d’une permissivité tronquée nous indiquent que tout discours au sein de l'espace public est frappé (peu importe l'emballage officiel !) d'une ambiguïté dans laquelle l'articulation du dire implique la production de la méconnaissance liée à ce double langage. Ces problèmes auraient pu donner au discours philosophique africain des instruments théoriques/pratiques par lesquels une prise de conscience est possible. Mais, en réduisant la modernité africaine au catalogue des discours explicites (la philosophie, le développement, l'indépendance, la démocratie, la théologie, les mythes, etc...), le discours philosophique africain manque pour sûr la saisie de l'essentiel, à savoir les principes implicites de la dimension institutionnelle : la production des effets de fiction dans la réalité sociale. Ceux-ci s’articulent et réarticulent le faire-croire. Point de "faire-croire" sans production des fictions, et point de fiction sans cette dimension inconsciente qui met au grand jour ce que la clarté et la distinction rationnelles ne dévoilent pas le plus souvent.

65 La dernière raison qui pousse le discours philosophique africain à ne pas se pencher sur le problème de la méconnaissance et sur celui du transit-du-croire est relative à une saisie générale de la philosophie comme l'instance productrice des certitudes et le lieu même de la transparence rationnelle du discours. Bien sûr, certains philosophes africains admettent ou ont souvent admis l'importance d'une raison dialectique pour le devenir historique africain, mais parfois leur conception de la philosophie et surtout de cette rationalité dialectique en font des instances dans lesquelles l'intelligibilité serait totale. Ce qui est occulté, c'est bien la ruse qui est logée au sein de tout processus, ruse qui, si l'on en croit le Hegel de la Phénoménologie, ferait que le réel ne se dévoile jamais à travers le simple (ou complexe) jeu des contradictions et que les divers faisceaux de la temporalité impliquent toujours une méconnaissance. Repenser les ambiguïtés, les espaces de "clôture" et des "lignes de fuite" ainsi que "l’horizon de la fuite", implique comme le souligne H. Védrine de repenser cet "après-coup" 51 .

66 En Afrique, sauf quelques exceptions (Eboussi dans La crise du Muntu ) 52 , la vocation de la philosophie participe à une espèce de dialectique sacerdotale dans laquelle le philosophe, faisant fi de toutes les méconnaissances et ambiguïtés qui logent au creux du réel, maîtrise la réalité à travers un discours totalisant. Commentant Michel de Certeau, Védrine saisit bien l'importance de cette interrogation sur le croire : "c'est finalement le croire qui façonne l'opinion publique, le consensus, la passivité et qui permet aux structures de domination de coexister avec des tactiques individuelles de contour. Mais ce croire a changé de formes ; fondé autrefois sur le primat de l'invisible sur le visible, il est aujourd'hui totalement voué au visible et au bruit" 53 . Le discours philosophique africain, tout au moins sa grande tendance, est insensible à ces nouvelles modalités du croire où se logent le "visible et le bruit". Aucune analyse n'est faite concernant ces lieux visibles, par exemple la publicité (une excuse, un peu trop facile, est souvent donnée, à savoir que l’étude de ces lieux visibles relèverait soit de la sociologie, soit de l’anthropologie) qui gagne de plus en plus du terrain en Afrique noire, ou l'image, car l'efficacité des emblèmes, les montages du Droit et la méconnaissance politique sont médiés par ces représentations. Le discours philosophique africain, dans sa grande partie, reste un discours autarcique, auto-fondateur et clos sur lui-même. Même Eboussi qui critique le discours de maîtrise de la philosophie, reste dans une position autocratique, il n’étudie pas par exemple pas le rapport entre l'emblématique, le fantasmatique et la politique (image/pouvoir, armoiries/représentations politico-linguistiques). Ce n'est pas un discours qui essaye, à travers l'exploration de ces zones inconnues du réel où loge la méconnaissance, de s'ouvrir à la problématique de l'inconscient. Très sûr de proposer une théorie salvatrice, le philosophe africain ne fait ni l'analyse de la ruse, ni celle, très périlleuse, de son propre dire qui est rongé par la ruse en tant que Sujet écrivant/fantasmant. Pourquoi ne pas prendre sa propre critique de l'Etat, de l'ethnophilosophie comme un d(él)ire inaccompli au sein duquel s'inscrit la méconnaissance ? Il nage en plein système de croyance, celle-ci est prise au sens de "lieu où les sujets investissent des propositions qu'ils tiennent pour vraies et qui guident leurs actions" 54 . On fait des discours pour ou contre les mythes, pour ou contre l’intrusion de l'ethnologie en philosophie, en faveur ou contre le marxisme, pour ou contre la filiation à l'Egypte pharaonique, pour ou contre l'africanisation de l'herméneutique, pour ou contre l'intuition, ce qui est soigneusement tu, c'est l'interrogation sur la méconnaissance générale et fondamentale vis-à-vis du système intellectuel structurateur de leurs énoncés et dont la transparence est loin d'être totale. Examen de leur propre discours ; quelle est la part de méconnaissance logée dans leurs énoncés qui ont une prétention à la validité et à la vérité ? Autrement dit, comment travaillent et quels sont les effets de dénégation quand un philosophe africain s'engage à critiquer, à produire des énoncés sur le Vrai, le Bien, le Beau, le mode de production, etc ?... Quelles sont les différentes liaisons entre la dite dénégation et la situation du Sujet discoureur au sein du procès de production ? Le problème de la méconnaissance, noblement occulté, participe d'une saisie très autoritaire de la philosophie, qui se traduit par une conception très particulière de la Raison.

II.2.c. L'autoréflexivité de la rationalité

67 Quand la philosophie africaine parle ou traite de la Raison, quand on critique l'ethnologie coloniale, les dictatures d'ébène, le développement extraverti, etc..., on le fait au nom des "Lumières"., au nom d'une certaine Raison, mais laquelle ?"On (Hegel de La Raison dans l'Histoire ) nous a expulsés du domaine de la rationalité" se borne-t-on à répéter, mais de quelle rationalité s'agit-il ? Deux observations sont à faire.

68 D’abord, les concepts de rationalité et de Raison qu'emploient les discours philosophiques africains n'ont pas fait une espèce d'auto-élucidation, car, dans ceux-ci, on ne sait pas à quoi renvoie ces concepts. Une chose apparaît cependant : une saisie de la Raison et de la rationalité indépendante des rapports de production existants. C'est ce qui laisse supposer que la Raison et/ou la rationalité ici correspond à une divinité. Loin de nous l'idée de réhabiliter, en faisant cette auto-élucidation du terme Raison chez les Africains, un mode de pensée mythique, parascientifique, ou un sentimentalisme de mauvais aloi, mais plutôt de souligner qu'une conception bâtarde de la Raison se profile dans l'ombre. Celle-là même qui fut utilisée par certains philosophes au XVIII. siècle, à savoir que la Raison est une faculté absolue, immuable et nécessaire. Bien qu'au nom de cette Raison ils aient élaboré des idéaux universalistes et démocratiques (liberté, justice et égalité), une pareille conception de la Raison (qui la "divinisait") opérait sur le plan pratique des occultations. Il s'agissait pour la bourgeoisie au pouvoir de s'emparer de ces idéaux, d'en faire des étendards, brandis sur le plan théorique afin de mieux occulter leur négation pratique.

69 La deuxième observation concernant cette hypostase de la Raison sera relative au manque d’autoréflexivité de cette Raison. C’est, bien sûr, du côté de l’Idéalisme allemand qu’il faut se tourner-tout en n’étant pas dupe des présupposés idéalistes et européocentriques qui entouraient cette notion-pour voir les premiers pas de l'autoréflexivité. L'étendue, le champ, et le pouvoir de la Raison sont examinés par Kant... L'incorporation de l'autoréflexivité de la Raison en Afrique permettrait aux philosophes de ne plus faire cette approche massive et hypostasiante de la Raison.

70 Tous les philosophes qui luttent contre les mythes et autres logiques aliénantes n'ont usé implicitement jusque-là que d'un concept de Raison conçu sur le mode instrumental. Le rapport de ces philosophies à la Nature est un rapport de domination. Tous les Africains philosophes, quand ils ne conçoivent pas la Nature en termes de forces, en termes magico-vitalistes (A. NDaw), considèrent la Nature comme une instance que l'on doit dominer.

71 L'oubli fondamental de la philosophie africaine concernant le concept de rationalité, et celui de Raison, est relatif à une saisie pathologique de l'action de la rationalité dans l'existence. C'est Habermas qui, à la suite d'Adorno et Horkheimer et tout en les modifiant, essaye de repenser la contemporanéité, en y soulignant l'effectuation déformante de la Raison dans l’histoire 55 . L'effet de la déformation de la Raison dans l'histoire se manifeste en Afrique par le désir de la technique, et du pouvoir où, les mythes une fois rejetés, le Nègre pourra enfin, en toute clarté et distinction, utiliser le calcul pour dominer la Nature (physique et humaine !). "Dès lors la matière doit être dominée enfin sans qu'on l'imagine habitée par des forces... occultes. Tout ce qui ne se conforme pas aux critères du calcul et de l'utilité est suspect à la Raison" 56 . Réélaborer un nouveau concept de rationalité devient plus que jamais fort important en Afrique aujourd'hui et ce, pour plusieurs raisons :

  • Ceci mettra en lumière tous les subjectivismes qui, avec cette critique de la rationalité, pourraient introduire en Afrique une pensée agonistique. Celle-ci soutient, sous couvert de post-modernisme, un scepticisme démobilisateur où, la Raison humiliée et "l'Aufklärung" 57 désavoué, le Sujet n'aurait plus de support pour penser et orienter sa praxis.
  • La deuxième utilité de cet examen de la rationalité sous l'angle de son effectuation déformante serait une réévaluation de la position du Sujet en Afrique à l'heure des bouleversements.

72 A cause du sous-développement matériel, le salut de l'Afrique a été subordonné, comme il a été dit précédemment, à l'acquisition des instruments d'exploration des potentialités de la Nature afin de la maîtriser. Force est de constater aujourd'hui que la rationalité dont il s'agit chez les Africains concernerait ce que Hegel nomme la rationalité de l'entendement, il s'agit non pas du "Vernunft", mais bien du "Verstand", car il y a réduction de la Raison à la rationalité instrumentale. Ce qui se profile à l'horizon, c'est la réhabilitation philosophique du Sujet autoréférentiel et autotélique.

73 On continue paisiblement à parler de la Raison comme une espèce de "Ratio perennis", sans en faire une approche pathologique quant à son effectuation dans l'histoire, sans nuancer son gauchissement instrumental 58 . La conception massive de la Raison ouvre aussi la voie à une conception massive du politique.

II.2.d. Et les apories du politique...

74 Le discours philosophique africain n'a pas bien examiné les problèmes liés à une pragmatique du politique. Cette pragmatique du politique concerne le problème de la décision du politique, décision qui peut être interrogée selon l'axe de l'espace et celui du temps avec leurs apories respectives relatives au pouvoir. L'interrogation pragmatique du politique déplace la question du politique. Dorénavant, il ne s'agit plus des problèmes théoriques liés à la légitimation du pouvoir, celle-ci renvoyant au point de vue du droit, mais de s'interroger sur une théorie du gouvernement dans laquelle le pouvoir passe à l'acte, sur un problème relatif à l'action, à la décision.

75 Or, l'action du pouvoir du prince se fait autour de cette notion qui le lie aux Sujets à savoir le "coup d'Etat". L'action du prince se déroule sur le mode du coup d'Etat et les Sujets sont aussi liés au prince par cette notion de coup d'Etat permanent. Il faut d’abord préciser ce thème de "coup d'Etat". L'usage restrictif fait de ce terme aujourd'hui l'action par laquelle une personne ou un groupe de pression casse momentanément la continuité des institutions étatiques pour fonder un nouvel ordre institutionnel, action violente (symbolique ou réelle) par excellence. Or, cette connotation tardive gomme le sens profond de la notion de coup d'Etat. Naudé la définissait déjà au XVIII. siècle comme l'ensemble de tous les artifices et règles par lesquels un prince peut "policer" et "administrer" les Etats et les Empires. Ces règles et ces artifices doivent rester secrets. Les coups d'Etat sont donc l'ensemble des secrets du gouvernement 59 . Si le coup d'Etat s'identifie à tout secret du gouvernement chez Naudé, il a un sens plus profond au XVIII. siècle européen : à savoir le "coup de théâtre" et le "coup d'éclat" du prince.

76 Réfléchir sur la pragmatique du politique par la médiation de la catégorie du "coup d'Etat" exige un travail de cette notion dans sa multivocité, afin d'en dégager l'opacité et la déchirure qui déterminent le caractère aporétique du pouvoir politique. Le coup d'Etat, entendu comme coup d'éclat du prince et coup de théâtre, est un acte de rupture et curieusement de fondation. Si le coup d'Etat (d'éclat !) vient du prince, celui-là a pour but de rompre avec la continuité historique (libérer tout d'un coup des otages provoquera une sorte d'arrêt historique et de rupture avec le temps des jérémiades à propos des otages), et, par ce "coup d'histoire", le prince assure une nouvelle fondation de son pouvoir. Mais si ce coup d'Etat est pris au sens de prise de pouvoir et éviction du prince, la violence qui s'ensuit est aussi en même temps rupture avec l'ancien ordre et fondation d'un nouvel ordre. Dans tous les cas, cette notion indique le caractère aporétique de l'action politique. Cette déchirure, cette béance, ce caractère contradictoire rendent très difficile une réflexion sur une pragmatique du politique. Mais le caractère aporétique du passage à l'acte du politique exprime une tension entre la continuité et la discontinuité de l'Etat de droit. Cette tension peut être pensée sous l'angle de l'espace d'abord. Comment, et qu'est-ce qui rend aporétique et distendu le lieu du pouvoir ?

77 Pour répondre à cette question, nous faisons appel à la notion de sublime. Nous prenons sublime au sens où l'entend Kant : "est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit" 60 . Le prince, dans un espace public soustrait au pluralisme, veut toujours être l'incomparable, il n'est comparable à rien d'autre qu'à lui-même. Et c'est parce que son incomparabilité doit s'inscrire dans l'espace qu'il construit ou fait construire des monuments ou palais qui, au sein de l'espace, annoncent sa grandeur et sa sublimité. Voici ce qu'on disait au temps du Roi Soleil du Louvre et de Versailles : "Le Louvre est assurément le plus superbe palais qu'il y ait au monde... Cette maison de Versailles regarde bien plus le plaisir et le divertissement de votre Majesté que sa gloire... Quelle pitié que le plus grand Roi fût mesuré à l'aune de Versailles... Votre Majesté observera de plus qu'elle est entre les mains de deux hommes, Louis Le Vau, premier architecte, André le Nôtre, premier jardinier" 61 . Ce texte met en lumière l'aporie de l'inscription du prince dans l'espace. En même temps, il y a ostentation de la grandeur et de la beauté par la réalisation d'oeuvres sublimes, mais aussi constatation de la limite de cette grandeur, dans la mesure où elle est suspendue, limitée, à l'habileté de l'architecte. Le fait que le palais soit assigné à un lieu (Versailles ou Louvre) traduit, en tant que ce lieu est la représentation/personnification de la grandeur du prince, la limitation spatiale de sa grandeur. L'aporie de l'inscription du prince dans l’espace aurait pu inciter les philosophes africains à la réflexion, mais il n'en a rien été.

78 Le lieu du pouvoir offre aussi une espèce de tension du temps du pouvoir. Si le sublime que donne à voir le pouvoir se révèle en fait limité, très aporétique, il faudrait penser ces apories du pouvoir avec une figure : la tempête. La logique du pouvoir politique se décline en termes tempétueux. Mais, dans le temps du pouvoir, ou de la tempête, peut se lire le moment de l'instant (symbolisé par l'éclair dans une tempête). Dans l'économie de la temporalité, l'instant est cet indicible que je ne peux nommer... mais que je nomme pourtant, car au moment de la nomination de l'instant (ou de l'éclair) celui-ci est déjà dans le passé. Cette aporie temporelle de l'innommable nommé traduit dans la politique la notion d'évènement brusque. L'exemple d'une violence qui change les régimes politiques est à ce sujet fort éclairant. La violence de l'assassinat d'un prince, et, partant la suspension des institutions est une rupture et une fondation. Par cette action, la société donne à voir une situation d'exception qui est en même temps retour à l'Etat de nature par l'abolition du droit, et retour à l’Etat civil par la fondation d’un nouvel état de droit. L'événement politique, en général, porte en creux, outre ce caractère aporétique, une opacité consubstantielle, parce que nous ne pouvons rien dire du déroulement de l'instant irruptif, destructeur et fondateur. Lors de l’irruption/destruction, il y a suspension de la visibilité et du dire, c'est après l'irruption qu’il est possible de trouver des chaînes causales, d'expliquer les signes prémonitoires, etc... Cette lisibilité de l'histoire "post festum", sans être une excuse pour ne pas réfléchir sur l'action politique, introduit la réflexion aux arcanes de la méconnaissance inscrite dans le dire politique. Cette distension/opacité du pouvoir doit inciter à la prudence dans l'appréciation du passage à l'acte du politique. Tout simplement parce que, aussi bien ceux qui gèrent les pouvoirs politiques que ceux qui les critiquent de manière viscérale, ne savent rien du moment irruptif destructeur/fondateur. Quelles sont les conditions de possibilité d'une pragmatique de l'action et de la décision politique ? La question reste ouverte.

79 Cette aporie du pouvoir absolu est présente dans tous les régimes politiques, et jusque-là, les philosophes africains, qui ont une approche très massive (se reflétant dans leurs critiques) du phénomène politique, n’ont pas réfléchi sur cette espèce de défi que lancent les apories de la pratique politique à l'intelligence humaine. Les apories du politique nou introduisent dans l'optique d'une réflexion sur le temps, réflexion intensive dont la philosophie africaine fait dans une certaine mesure l'économie.

II.2.e....Pour une saisie intensive du Temps

80 Bien sûr, il est possible d'arguer que des réflexions sur le développement, sur le mythe, sur la possibilité d'une philosophie négro-africaine, sur l'Egypte pharaonique, sur la rationalité technologique, s'occupent, non pas des hypostases de la Raison pure, mais bien d'une histoire insérée dans la temporalité. Laissée dans cet état, la question de la temporalité risque de se résoudre dans des traitements empiriques des divers domaines du savoir philosophique, et manquer, par là même, l'essentiel de la problématique philosophique liée aux relations entre le temps, la praxis, le Sujet et le réel. Mais posé de cette façon, le problème du temps risquerait d'avoir une appréhension chosiste dans laquelle le temps existerait "in re" et entrerait en quelque sorte en rapport avec la praxis, avec le Sujet auteur de celle-ci, et le réel qui englobe les deux. Nous devons souligner que, dans les couples Temps/praxis, Temps/Sujet et Temps/réel, le temps n'est pas pris comme une "res", mais se trouve imbriqué dans une constellation qui englobe le "locus", le "subjectum” et finalement le "facere".

81 Le problème du temps est fort important aujourd'hui en Afrique, car à travers une certaine forme de saisie du temps, peuvent se profiler le transcendantalisme (qui pose l'invariabilité des catégories dans un "locus" méta-temporel) et le téléologisme (celui-ci se conjugue sous deux modalités : d'abord, il invite à une fuite en avant à travers la justification des eschatologies, ensuite cette fuite prend le caractère d'un nécessitarisme rigoureux ne laissant aucune place au "nonencore", au "non-prévu", au "non-encore-pensé", bref, aucun espace n'est plus laissé au "non" tout court). A la suite de Sigwart, Horkheimer a raison d'affirmer que "tout être particulier nous est donné dans le temps... il s’ensuit que le rapport au temps, est inhérent à tous nos jugements sur l’existence, les qualités, les activités et les relations de choses particulières'' 62 .

82 Les penseurs africains ne s'arrêtent qu'assez superficiellement pour réfléchir sur cette instance conditionnante de leurs activités pratiques et théoriques. Pourtant, la question du temps doit se poser pour la modernité africaine, car dans celle-ci, se profile quelque chose comme une "crise du temps".

83 Loin de nous l'idée de traiter la notion de temps comme fondement originaire à l'intérieur duquel tout étant trouve son fondement, en attendant le dévoilement de ce qui est en retrait, autrement dit, en scrutant les diverses manifestations de l'Etre. Il ne sera pas question de prendre le temps comme "un ordre possible de succession" à côté de l'espace, autre ordre possible, mais cette fois, de coexistence ! Notre propos ne consistera pas à l'associer à une saisie spatialisante. La conception du temps qui nous intéresse saisit celui-ci comme déchirure, et distension. Et, c'est bien entendu à la saisie augustinienne des formes du temps que nous pensons. Le temps comme déchirure s'ouvre sur une aporie chez Augustin : "Mais je ne mesure pas l'avenir qui n’est pas encore, je ne mesure pas le présent, car il n'a pas d'étendue, je ne mesure pas le passé puisqu'il n'est plus..." 63 . Cette aporie du temps le définit comme une distension 64 . Sans toutefois assumer le fait que chez Augustin la distension du temps trouve sa résolution dans l'éternité, il est possible de dégager les trois paramètres que cette distension met en vue : l'attente, la tension et le souvenir 65 .

84 L'attente est prise ici, non pas comme un état, mais comme processus, une attente au sens de "adventus". Mais, chez Augustin, c'est l'attente de Dieu. Qu'il nous soit permis de pervertir cette notion d'attente afin de penser la temporalité en Afrique à l'aide de cette catégorie, mais sécularisée. Nous excluons aussi de cette notion d'attente la conception judaïque, telle que nous la retrouvons exprimée chez Ernst Bloch. Dans son but de trouver un système ouvert des catégories dans lequel la mobilité de celles-ci pourra constituer un terreau viable pour la "conscience anticipante", Bloch développe une théorie de l'attente (fortement liée à sa conception de l’espérance) qui est subtilement teintée de messianisme juif. Cette attente est celle qui soupçonne toujours la venue d'un Messie qui peut à tout moment apparaître. Peut-on supposer que cette attente messianique équivaut à la situation du "Dasein" heideggerien, attendant et guettant l'Etre qui peut à tout moment apparaître ou plutôt se dévoiler ? Certes, la comparaison serait ridicule ! Bloch préconise une philosophie matérialiste qui saisit la matière dans sa processualité, alors que Heidegger n'aime pas beaucoup cette dégradation de l'Etre qui essaye de le fixer dans des catégories. Toujours est-il que Bloch, tout en fondant une ontologie matérialiste, veut aussi en même temps avoir une foi de type eschatologique en la venue du non-encore. Il y a, comme chez St Augustin, une espèce de téléologie chez Bloch, à cette différence que tout converge vers "l'amor dei" chez Augustin, alors que Bloch, tout en reconnaissant comme essentielle l'aspiration à un "sujet-nous", admet un point final eschatologique de l'histoire 66 . Cette attente biochienne, bien qu'admettant "l'anticipation" et "la processualité", ne convient pas aujourd'hui comme prémisse essentielle pour penser la déchirure du temps en Afrique. Entre une eschatologie sécularisée à la manière biochienne et une eschatologie mystique, la frontière est difficilement perceptible. L'attente dont il sera question ici est celle qui soupçonne dans l'épaisseur du réel les éléments en gestation. Ernst Bloch a aussi la même conception de l'attente, mais chez lui, elle est doublée de messianisme. Une attente qui tente, et devient, une tension vers. Tension qui exprime l'attention que nous portons sur l'histoire qui n'a de consistance que dans le souvenir. La tension qu'exprime le temps ici impliquera pour nous une conception non spatiale du temps 67 . En Afrique prévaut le plus souvent une propension à spatialiser le temps. La spatialisation du temps borne la temporalité en passé, présent et futur. Cette saisie peut être rectiligne et très idéologique en Afrique, car la nostalgie du passé pousse souvent à une fuite en avant qui évite le présent. Repenser le temps en Afrique aujourd'hui signifie ne plus se cantonner dans la rectilinéarité de l'avant et de l'après, mais de concevoir le temps dans son intensité sur le mode de l'accompli et du non-accompli. L'accompli et le non-accompli placent le temps dans la praxis transformatrice à l'intérieur de laquelle la déchirure de la vie est médiée par le travail.

85 Cette lecture du temps en accompli et non-accompli impose au négro africain une autre évaluation du souvenir. L'hypostase du passé, les louanges des traditions, effacent la problématique de l'accomplissement, or, saisir la tradition comme processus, saisir notre mémoire, et partant, le souvenir comme devenir implique une recherche, selon la belle formule d'Ernst Bloch "de l'avenir dans le passé". Rechercher dans l'histoire passée et présente les éléments non-accomplis signifie traiter la temporalité sous l'angle du possible, car le possible demeure ce qui demande à être accompli.

86 Finalement, à travers la notion d'accompli et de non-accompli, nous pouvons travailler sur les multiples relations qui peuvent exister entre le temps et le réel, entre le temps et l'action, et entre le temps et le Sujet. Comment le réel peut-il se concevoir et se comprendre comme le non-accompli en gestation ? A quelles conditions l'action accomplit-elle tous les prédicats qui lui sont inhérents ? Quant au Sujet, quelles sont les conditions de possibilité de l'éclosion de ses prédicats ?

87 Il est clair qu’une conception du temps comme distension (bien sûr épurée de l'attirail idéaliste que lui donnait St Augustin) introduit la réflexion aux limites de la conception du possible. Car, celui-ci se veut latence-tendance et, par conséquent, tension et distension. La philosophie en Afrique en reste souvent au présupposé d'un temps linéaire : avant/après (la colonisation, l'invasion, l'esclavage, etc...). Cependant la réintroduction du temps sous le mode de l'accompli et du non-accompli aura cet avantage de considérer aussi bien "l'avant" que "l’après" comme des réalités processuelles qu'il ne faut ni hypostasier, ni prendre de manière atomiste. Mais un oubli se construit et obéit à certains implicites, oublier le temps comme distension/tension relève d'une pratique nécessitariste... Le temps s'investit dans le texte, l'écrit exprime aussi une modalité du temps, la manière d'écrire ouvre et/ou couvre le mouvement du négatif. Autrement dit, l'écriture du temps débouche sur une temporalisation de l'écrit.

II.2.f. Ecriture et harmonie : la tentative anatreptique

88 Que l'écriture soit le lieu du pouvoir ne fait aucun doute. Mais une certaine forme d'écriture qui brise les codes et pense le réel dans sa multiplicité peut être susceptible, en tant qu'instance de marquage symbolique, de se retourner contre les lieux producteurs des codes : l'écriture des philosophes. Comment les philosophes en Afrique construisent-ils leurs textes ? Le réel dans sa multivocité, interpellant le philosophe dans ses écrits, une certaine forme d'écriture peut mimer la logique identifiante, classificatoire et fonctionnaliste, la manière d'écrire peut refléter la consonance/l'harmonie. Une certaine manière d’écrire-et là, ce n'est pas une simple affaire de style-peut, à travers l'amour du "jargon" et de la cohérence, investir l'espace de lisibilité au point d'y loger, avec méthode, des clichés autoritaires. La hantise de la systématique peut cacher la clôture conceptuelle... Le problème du style d'écriture philosophique africaine, n'est pas un problème de pure esthétique où le style serait une certaine modalité de l'expression, mais bien plus un problème politique, parce que "toute pratique, en effet, comporte un style, et que le style est inséparable d'une pratique" 68 . Toute pratique implique une manière de faire, le contenu de la pratique étant inséparable de la manière. Granger définit le style comme "usage du symbolisme ; il ne concerne pas seulement la texture de ce dernier, mais aussi son rapport à une expérience qui l'enveloppe" 69 . Dans ce symbolisme passent les diverses pratiques de pouvoir. En attendant, une étude des stratégies discursives et socio-langagières relatives à la narration, à la rhétorique et à l'argumentation du discours des philosophes africains, il est possible de faire quand même une remarque générale. Chez tous les philosophes africains, il n'y a pas l'ombre d’une écriture désarticulée, par exemple sous forme d'aphorismes, ou sous une autre forme susceptible de piéger la cohérence. C'est une écriture continue se voulant rigoureuse, qui enchaîne, de manière soit inductive, soit déductive des raisons et des causes, une écriture qui tient compte de la mesure dans la bonne optique apollinienne. De cette écriture est proscrite la césure et l'incohérence. L'allure de ces textes est souvent épidictique, l'auteur y écrit un discours du genre démonstratif (leurs textes philosophiques comme les discours d'Isocrate sont des textes d’apparat !) et même réfutatif. "Demonstratio" et "refutatio" sont aussi les vieux réflexes du droit romain et, aujourd'hui, de la répression du droit pénal, par exemple l’établissement de l'aveu obéit à une procédure de "demonstratio et refutatio". Cette stratégie discursive épidictique s'organise en une thèse centrale réfutative (soit de l'ethnophilosophie, soit du marxisme, soit du sous-développement), qui subordonne donc autour d’elle la chaîne des arguments (chaîne est prise ici au sens du manque d'autonomie de la part des arguments) qui militent pour ou contre cette thèse. Cette cohérence des chaînes de raisons est un discours total, c'est-à-dire clos sur lui-même et ceci pour plusieurs raisons.

89 Ce modèle épidictique manque, à cause de sa manie de la cohérence et même parfois du jargon, d'aérer le discours afin d'y voir comment se logent les diverses dénégations, et surtout comment s’effectue le jeu entre le texte, le Sujet et le désir. Autrement dit, "dans l'écriture, le ratage est le performatif du Sujet qui rejoue son avènement dans l'acte de manquer l’objet de son désir" 70 . La cohérence du texte qui évite les ratages fixe et fige le texte. Celui-ci cesse d'être une présence et une absence qui indiquent à travers ces trous et ces ratages que l'écriture est justement ce lieu où le Sujet pose à la fois sa prétention à la saisie du réel et sa rencontre, toujours manquée (le réel déborde notre saisie scripturaire et conceptuelle !), avec ce réel.

90 "L'éloquence professorale" de cette philosophie africaine évite, à travers la phobie de l'incohérence et du ratage, d'introduire la discontinuité au sein du continuum répressif. Discontinuité qui est fondatrice dans la mesure où elle peut anticiper son devenir. La dimension proleptique est à l'intérieur de ces ratages. En adoptant un mode d’exposition philosophique "cohérent" et "technique" (il vaut mieux dire technocratique !), le philosophe africain, à son niveau, mime un mode de pensée cybernétique, celui-là même qui fonctionne dans la parfaite harmonie et la cohérence. Dans cette écriture philosophique qui occulte la dimension polyrythmique du réel et de la philosophie son produit, réside une négation de la dimension fondamentale du temps du Sujet. Ce temps qui est celui de l'erreur se veut aussi le temps de la création 71 .

91 Une écriture philosophique qui ne met pas en scène les concepts et leurs mouvements est une écriture morte. Le philosophe doit utiliser l'effet d’hypotypose où les concepts auront une vie très incohérente que l'on met en scène à travers l'écriture. On doit, dans cette écriture, utiliser les variations de la langue, les modulations et une tension qui orientent le discours philosophique vers un "dehors", exprimant ainsi une ligne de fuite. La variation du style, c’est la variation de la vie dans ce qu'elle a de contradictoire : "le style en philosophie, c'est le mouvement du concept. Bien sûr, celui-ci n'existe pas hors des phrases... c'est une mise en variation de la langue... En philosophie, c'est comme dans un roman : on doit se demander : "qu'est-ce qui va arriver ?" "Qu’est-ce qui s'est passé ?" Seulement les personnages sont des concepts, et les milieux, les paysages sont des espaces-temps. On écrit toujours pour donner la vie... pour tracer les lignes de fuite. Pour cela, il faut que le langage ne soit pas homogène, mais un déséquilibre, toujours hétérogène : le style creuse des différences de potentiels entre lesquelles quelque chose peut passer, un éclair... va sortir du langage même..." 72 .

92 La philosophie africaine est une écriture monocorde, le style des phrases n'admet pas une tension entre une principale et une subordonnée, "l'éloquence professorale" des tropiques ne supporte pas entre les phrases une sorte de "zig-zag" 73 , il lui faut des phrases toutes droites. Ce qui manque au style des philosophes africains, c'est un peu de musicalité dans l'écriture, une polytonalité qui saisira le réel dans ses multiples aspects.

93 L'exemple type du style d'écriture philosophique polytonale est l’aphorisme que nous rencontrons déjà chez Nietzsche, chez Schelling 74 et surtout chez Adorno. Chez celui-ci, même si son écriture aphoristique très travaillée peut déboucher sur "un maniérisme formaliste qui peut aller jusqu'à l'hermétisme" 75 , l'aphorisme est cette écriture d'indication et d'incitation qui introduit au sein de la béatitude linéaire un scandale stylistique et une provocation à penser. Le fragment comme élément privilégié de cette écriture indique plusieurs choses ; d'abord la fêlure de l'écriture et par conséquent de cette fausse Totalité qui mutile la vie, ensuite, le fragment libère le processus, parce qu'il est le résultat d'une fragmentation passée et la promesse d'une fragmentation future. Avec le fragment, la négativité se met à l'abri de la vengeance des hypostases et des glaciations conceptuelles : les "aphorismes mettent l'accent sur la négativité" 76 .

94 Bien sûr, l’aphorisme n'est pas le seul mode d'écriture discontinue, on pourrait créer de nouveaux concepts et une nouvelle manière de pratiquer la césure et la béance dans l'écrit en Afrique. L'écrit, s'il ne se fragmente pas, a tôt fait de se figer en institution. Les discours des philosophes africains sont réfutatifs/démonstratifs et, en tant que tels, se figent dans les institutions où les textes contre l'ethnophilosophie, la colonisation, ou qui militent pour une Egypte pharaonique nègre ont une valeur sacrée pour les générations futures qui se livreront à une hagiographie de type talmudique. La tendance générale de la philosophie africaine privilégie la positivité et se méfie de la dialectique. Bien sûr, nous fera-t-on remarquer, que la plupart des philosophes de ce continent sont, soit des "hégéliens", soit des "marxiens" qui privilégient la dialectique, à preuve, ils luttent pour le changement et l'avènement en Afrique d'un autre exister où puissent s'épanouir les prédicats de l'homme : la Liberté et la Raison. A supposer que ces philosophes luttent (l’impensé de cette lutte n'a pas encore été mis à jour !) pour l'Afrique, il n'en demeure pas moins que leurs philosophies refusent la négativité, ou plutôt, leur dialectique n'est pas assez négative. Leur discours est réfutatif, mais se fige, car ne sécrétant pas de par sa forme, les éléments de son propre dépassement et de sa propre dislocation. Réfutatifs, ces discours sur le marxisme, sur l'ethnologie, sur l'Afrique, sur le développement, sur les traditions, se constituent en institutions qui pensent avoir une vue panoptique sur le devenir africain. Un discours qui ne veut pas se figer en catéchisme devra être anatreptique. Le discours anatreptique est ce discours qui se retourne contre lui-même, afin d’être non seulement réfutateur, mais aussi auto-réfutateur. Car la ruse du système voudrait qu’un discours, quelque critique qu'il soit, s'incruste en un objet figé. Le discours anatreptique est celui qui s'annonce et s'énonce comme moment transitoire, comme une réalité en cours de fragmentation. Bien sûr, les "dialectiques sacerdotales" et leurs vieux réflexes pseudo-platoniciens feront remarquer que cette façon de mettre le négatif en marche confine au scepticisme, car on ne pourrait jamais rien affirmer, il leur faut toujours un "arché" stable sur lequel s'appuyer.

95 L'optique de l'auto-dislocation construit et affirme, mais à la différence des "dialectiques sacerdotales", l'affirmation n'est qu'un moment transitoire et la construction est impliquée dans une processualité qui empêche toute hypostase. Pour l'instant, le discours philosophique africain s'écrit de manière très autoritaire où on trouve trop de prescriptions ("on doit...", "il faut...") teintées d'un moralisme fort douteux dans lequel le "devoir-être" fonctionne comme une hypostase. Discours de capture par la manie de la prescription moralisante, mais aussi par sa hantise de maîtriser la Totalité à travers le concept, celui-ci se comporte de manière conquérante et la Nature chez ces philosophes n'est qu'un objet qu'il faut "maîtriser", tout cela fonctionne dans la bonne optique de la rationalité instrumentale. Ce discours ne va pas vers le réel avec la modestie d'y trouver des ambiguïtés, des trous, des manquements, la part de méconnaissance qui se glisse dans le rapport entre le concept et la réalité, mais explique, critique, expose ce qu'est la crise du Muntu, ce qu'est le réel africain, et ce qu'il devrait être. "Pour qu'il y ait développement, il n'y a qu'à... Discours suffisant, où le philosophe, mieux, l'intellectuel, ignorant la méconnaissance qui se loge dans tout dire, dicte et prescrit le devenir de l'Afrique.

96 Nous avons ici affaire au développement d'une espèce particulière de notre modernité : "les prêtres masqués" dont parlait Nietzsche et Max Stirner 77 . Le specimen du "prêtre masqué" est dans la littérature philosophique africaine Njoh Mouellé. L'oeuvre fondamentale de ce penseur tourne autour d'une idée-force : le passage du Négro-Africain de sa situation de médiocrité à l'excellence 78 . Le médiocre étant celui qui reste dans l'immédiateté du culte de l'Avoir, l'excellence sera la finalisation de l'Avoir pour la profondeur de l'Etre 79 . Plusieurs remarques sont à faire sur ce programme.

97 Les deux concepts d'Avoir et d'Etre qu'utilise Njoh manquent d'originalité. Il ne signale pas qu'il s'inspire de la fameuse opposition établie par le philosophe catholique Gabriel Marcel dans un livre déjà bien vieux sur Etre et avoir 80 . Njoh les réutilise en les mâtinant de théories personnalistes chrétiennes que nous connaissons depuis Mounier. Dans Développer la richesse... où il est dit que "l'Avoir doit être subordonné à l'Etre" (cf. présentation), ce thème, qui est le poumon de l'ouvrage, est une reprise mécanique de Gabriel Marcel. Celui-ci, parlant de connaturalité entre le Qui et le Quid, préconise d'éliminer la distance et l'extrériorité qui semblent opposer ces deux notions, il faudrait arriver à objectiver l'Etre, au mieux à "transformer l'Avoir en Etre". Quant aux deux autres concepts que Njoh emploie : la médiocrité et l'excellence, c'est une reprise gauchie de Nietzsche. Le thème du combat contre la médiocrité sillonne toute l'oeuvre de Nietzsche (les luttes de Zarathoustra contre la "massification", "deviens qui tu es" dans Ainsi parlait Zarathoustra, "deviens ce que tu es "dans Le Gai savoir ). S'agissant du thème de "l’excellence", c'est le "Surhomme" de Nietzsche falsifié. Falsifié parce que "l'excellence" de Njoh conseille un retour au culte de l'intériorité, alors que la sortie hors du "brave bétail grégaire" (Ecce Homo) implique l'introduction du "dehors" et de "l'hétérogène" dans nos façons de penser et d'agir, ce qui n'a rien à voir avec une intériorité hypostasiante conseillée par Njoh. Le philosophe qui indique où est "l'excellence" et où se loge "la médiocrité", exprime une attitude propre à notre modernité : le cléricalisme cynique.

98 En Afrique noire, les élites ont confisqué le dire en se constituant en une oligarchie (coupée des "médiocres") qui s'estime par nature destinée à dire et à décider pour la société. Sélectionnée par les appareils (universitaires et politiques), elle (l'élite) parle de l'Homme aux hommes avec une condescendance bienveillante, un cynisme aimable et un sourire bien élevé. Ce faisant, elle considère que d'un côté il y a la médiocrité et de l'autre l'excellence. Ce schéma dualiste, binaire et franchement manichéen est inconsciemment un réflexe politique d'une période qui a structuré nos schèmes intellectuels, à savoir la guerre froide : d'un côté les preux et, de l'autre, les nuis. Le brouillage des schémas, le déplacement des repères et l'extrême fluidité de notre histoire pourraient nous empêcher de nager dans cette illusion du panoptique, où l'intellectuel, parce qu’il a saisi une petite face du devenir, croit maîtriser celui-ci à travers le concept.

99 La position de Njoh fait penser à ces "prêtres masqués" dont parle Nietzsche. "Le philosophe enseigne les qualités qui lui sont propres comme les seules qualités nécessaires pour arriver au bien supérieur (...) Il laisse s'élever graduellement toutes les espèces d'hommes, jusqu'à ce qu'elles aient atteint son type, le type supérieur. Il méprise ce qui est généralement apprécié ; il ouvre un gouffre entre les valeurs supérieures du prêtre et les valeurs du monde. Il sait ce qui est vrai, ce qui est le but, ce qui est le chemin... Le philosophe-type est ici dogmatique absolu" 81 . Culpabiliser les pratiques de la "métis" comme étant "médiocres" et s'élever vers "l'excellence" est une ruse du cléricalisme : "les prêtres - et, avec les demi-prêtres les philosophes, ont appelé... vérité une doctrine dont l'effet éducateur était bienfaisant... une doctrine qui rendait "meilleur". Ils ressemblent par là... à un faiseur de miracle sorti du peuple, qui, parce qu'il s'est servi d'un poison comme remède nie que c'est un poison... Vous les reconnaîtrez à leurs fruits" 82 (Nietzsche, op. cit, p. 271). L'excellence et la médiocrité sont des figures processuelles qui, dans leur présence, exprimeraient leur absence. L'excellence serait ainsi, non seulement sa propre absence, mais un moment et une figure du déploiement de la médiocrité. Et celle-ci se déclinerait comme "image-essai" (E. Bloch) de l'excellence. Ainsi comprise, la médiocrité serait alors l'action par laquelle les "sans-espoir", reconnaissant la règle truquée du jeu social et la comédie des surfaces, bifurquent pour rester "hors-jeu" et inventer un lieu qui est pour l'instant un "non-encore" (nondum).

100 Un discours qui dicte au peuple les critères de "l'excellence" peut-il se considérer comme une institution qui doit non seulement mettre en marche le mouvement du négatif, mais se saisir comme un moment appelé à être dépassé ? La forme d'écriture reflète un certain esprit suffisant de l'intellectuel qui, sautant au-dessus de toutes les méconnaissances et ruses du système, opère donc une douce réconciliation entre le Sujet et le réel décadent.

101 A travers le problème de l'écriture se profile l'examen de la place de l'intellectuel dans l'économie du devenir africain. Les intellectuels qui disputent avec l'Etat post-colonial le rôle de "phares", de "klaxons-avertisseurs solennels", détiennent aujourd'hui un pouvoir en Afrique : "celui du discours", de la parole. Se sont-ils interrogés pour savoir si c'est leur seul talent qui leur ouvre toutes grandes les portes des mass-médias ? Se demandent-ils qui est aujourd'hui exclu de la prise de parole, alors qu'eux ne cessent de s'expliquer sur leurs motivations, ce qu'ils souhaitent, ce que doit être le devenir de l'Afrique, etc... ? Se sont-ils interrogés sur le "lieu de leur discours" ? Articulent-ils leur discours sur la place qu'ils occupent à l'intérieur du procès de production ? Analysent-ils la place du Nègre dans le monde au XXI. siècle ? Se posent-ils des questions sur un certain libéralisme qu'on présente aujourd'hui, à la suite de la faillite du marxisme autoritaire, comme la clé de la réussite ? Aucun de ces philosophes ne montre très clairement que son discours est d'abord une hypo-thèse, une erreur et que, finalement, le travail d'élucidation qui compose les diverses strates de leurs thèses n'est qu'un fragment mal assuré parce qu'en attente d'un dehors et promesse d'une future fragmentation. Une écriture philosophique sacerdotale est celle qui critique sans montrer en quoi elle-même peut être une impasse. Dans un opéra inachevé et composé en 1930 par Schönberg : Moïse et Aaron 83 , se lit cette impossibilité qui arrive à toute pensée de s'incarner dans la parole (et surtout dans l'écrit). Dans cette oeuvre, l'Idée et le Réel sont confrontés : Moïse "sachant penser mais non parler", et Aaron étant "parole et action". L'antagonisme et l'impasse résident entre la pensée et les images (peu importe que celles-ci soient iconographiques ou graphiques) qui prétendent la relayer. Moïse s'exclame : "...Ainsi je suis battu... Ainsi tout ce que j'ai pensé était insensé... O Parole, toi, parole qui me manques !". En vue d'une ouverture de son discours, le philosophe africain devrait arriver à cette impossiblité et reconnaître comme Moïse de Schönberg dans cet inachèvement de son dire une force stimulant le non-encore. Si la majorité des intellectuels africains sont muets sur ces questions, il faut quand même voir qui est exclu de leurs discours.

II.2.g. La "géronto-phallo-sophie" : la démasculinisation des philosphèmes

102 La philosophie telle qu'elle est pratiquée en Afrique est un discours de maîtrise, car elle fonctionne de manière patriarcale. Celle-ci est entendue au double sens de gouvernement des Pères (ceux qui sont âgés !) et d'autorité des hommes (homme au sens latin de "vir"). Ce qui est omis, c'est le discours de l'enfant et celui des femmes.

103 En Afrique, le logos des philosophes a omis, non pas de parler de l'enfant -les brillantes thèses en matière de didactique des langues étrangères le font- mais de laisser parler les enfants. Sans doute, une vieille tradition philosophique occidentale ne laisse que peu de place à la parole de l'enfant -celui-ci étant supposé être une pâte à informer dont la seule activité ne sera que la répétition des modèles des adultes- mais la philosophie africaine s'appuie sur un indécrottable réflexe inconscient tapi sur la "grande tradition" du respect des "vieux". Le silence de (imposé à...) l'enfant sécurise cette philosophie africaine. L'interrogation de l'enfant qui, dans son processus de socialisation, navigue entre le réel, la fiction et l'imaginaire peut constituer un terreau de possibilités pour l'avenir du non-encore. Du "trivium" au "quadrivium", l'enfant en Occident n'avait de tête que pour recevoir la violence symbolique des institutions.

104 Mais cette philosophie "gérontocratique" qui exclut les enfants dans l'espace de parole est aussi autoritaire, car elle se conjugue au masculin 84 , c'est-qu'on pardonne le barbarisme -une "phallosophie". L'absence du discours sexuel dans l'économie de la philosophie africaine est assez curieux. Certes, le discours philosophique africain a plus ou moins été nourri dans les schèmes patriarcaux de la philosophie occidentale qui vient seulement de prendre en considération (assez tardivement) le problème sexuel. Aucun texte de philosophie africaine contemporaine, à notre connaissance, n'explore les problèmes africains sous l'angle de l'inconscient. Ils ne parlent pas de sexualité. Tout se passe comme si le problème sexuel et la cohorte des désublimations répressives qu'il permet de mettre à jour n'importaient pas. Quand il leur arrive de faire allusion à la sexualité, c'est pour la rabattre sur une analyse moralisante, pharisienne et superficielle où l'on condamne la prostitution, la polygamie, la dot 85 , alors qu'il faudrait discriminer la "sexuation" du discours en philosophie ainsi que la "masculinisation" des philosophèmes qui permettent à ces philosophes africains d'appréhender la société. Il s'agit moins de "moraliser" les rapports avec les femmes, de se poser en donneur de leçons que de "démasculiniser" (c'est-à-dire se déposséder du pouvoir) ce pouvoir symbolique par lequel on a prise sur le réel africain. Et ceci en réinstaurant un nouveau "contrat socio-symbolique" avec le féminin ; position qui ferait voler en éclat les codes et le langage philosophiques ambiants pour trouver un nouveau discours.

105 En ce qu'elle ne laisse pas la parole aux "exclus" du discours que sont les femmes et les enfants, la philosophie négro-africaine mime les mêmes schèmes autoritaires d'une philosophie occidentale qui n'a laissé que très peu de place au cours de son histoire à la femme et à l'enfant. Le discours philosophique africain a une pratique d'exclusion et un discours de maîtrise. Un discours de maîtrise est celui qui refuse la Négativité, un discours autosuffisant qui, par sa forme d'écriture, fige le devenir.

II.2.h. Citation et déontologie

106 Quand on écrit, le désir fonctionne à plusieurs niveaux. On peut écrire pour satisfaire au "désir d'éternité" (selon la belle formule de Ferdinand Alquié !). Au-delà de sa forme commerciale d'objet d'échange, l'écriture reste pour le Sujet ce qui, après sa mort, se transmettra de générations en générations, ad infinitum. Par l'écriture, il y a comme une recherche d'éternité du Sujet et une quête d’éternité de l'écriture. Chaque lettre est interprétée comme un objet qui divinise/éternise le souvenir de son auteur.

107 L'écrit entre aussi dans les stratégies de pouvoir et peut garantir un contrat. Celui-ci peut être de nature explicite (économique, politique, historique) ou implicite. Quand il devient implicite, le contrat s'investit dans la croyance. Le contrat implicite de croyance est reglé non pas par des protagonistes présents dans l'acte interlocutif, mais par la place qu'ils occupent au sein du procès interlocutif. Ce contrat implicite de croyance fait que dans une salle de classe, sans avoir placé un mot, le professeur est légitimé a priori comme détenteur du savoir, entre lui et ses élèves il y a un "contrat implicite de croyance" qui circule. Ce contrat de croyance lie le plus souvent le lecteur à un livre, d'ailleurs, comme l'avertit Lacan : "lier et lire, c'est les mêmes lettres, faites y attention" 86 . Cette liaison presqu'affective à un auteur prend diverses formes selon que ce dernier occupe ou non une place de dignitaire dans l'échiquier du savoir. Ceci rend souvent difficile la mise en perspective de certaines oeuvres, car elles sont légitimées a priori par le cotexte (l'environnement verbal) et le contexte (l'environnement situationnel) qui perpétuent le "contrat implicite de croyance". Ce contrat implicite de croyance lie les lecteurs à La crise du Muntu d'Eboussi Boulaga. La critique de ce livre peut être empêchée par le cotexte prompt à développer un sophisme ad ignorantiam. Celui-ci mise sur "l'ignorance en ce qui concerne les raisons de croire le contraire de ce qui est avancé" 87 , ignorance basée sur notre manque d'informations sur le sujet donné. "L'oeuvre X (La crise du Muntu) n'a jamais eu de critique, donc elle est irréprochable". En fait, cette attitude dérive de notre ignorance des preuves qui peuvent invalider les thèses de l'oeuvre X (La crise du Muntu). L'environnement verbal peut aussi produire un sophisme ad populem  : on essaye alors de (se) persuader en faisant appel à l'émotion. C'est une non-argumentation qui recourt au pathos en invoquant "à l'appui d’un point de vue les éléments culturels jouissant d'un grand prestige, mais, qui, en eux-mêmes ne constituent pas une raison... rigoureuse d'adhérer à ce point de vue" 88 . Ce sophisme peut exploiter les prestiges liés à la modernité et à la tradition. Les notions de "crise" et "d’authenticité" qu'utilise Eboussi dans La crise du Muntu correspondent aux grands besoins de la modernité africaine dont tout le monde s'accorde à y décéler la crise. Alors, au nom de quoi ne justifierait-on pas une oeuvre qui fait appel et qui traite de la crise et de l'authenticité ? Critiquer La crise du Muntu serait nier cette "crise" et refuser "l'authenticité" !

108 Si l’environnement verbal (le cotexte) qui entoure La crise du Muntu peut engendrer des sophismes "ad ignorantiam" et "ad populem”, l'environnement situationnel (le contexte) pourrait faire surgir le sophisme "tu quoque”. Ce dernier refuserait une critique dirigée contre La crise du Muntu en la retournant contre celui qui ose critiquer ce livre. Par exemple, certains aspects du livre sont du plagiat et la réplique sera : "les passages du tien aussi". C’est un argument qui rejette à la face de l'autre la critique qu'il nous a formulée. Sans parvenir à le réfuter, on se contente de dire, "... lui aussi fait la même chose". Ce sophisme "tu quoque" (toi aussi) peut parfois prendre l'aspect d'une attaque contre la personne 89 . L'exemple pourrait être celui-ci, La crise du Muntu est souvent un plagiat, la réponse serait :"voyez un peu qui dit cela... lui aussi ? " 90 . Le contexte favorise aussi une position relevant du sophisme ad misericordiam. Ce dernier convoque la pitié, en invoquant la gentillesse d'un auteur pour ne pas critiquer l'oeuvre de celui-ci : "tu ne peux pas dire ça du livre X, son auteur est si gentil", "qu'est-ce l'auteur de La crise du Muntu lui a fait pour qu'il puisse critiquer son livre ? ". Comme dans le cas de l'attaque ad hominem, nous passons subrepticement de l'oeuvre à critiquer à la personnalité/crédibilité de l'auteur et du lecteur. Parfois, le sophisme ad misericordiam peut être secondé par le sophisme ad baculum (baculum en latin veut dire bâton), par ce dernier, on tente de faire accepter une idée en usant de la force et de l'intimidation. On peut illustrer ce sophisme de la façon suivante : "en critiquant le livre X, tu devrais tenir compte de ce que tu auras contre toi comme critique". La texture de l'oeuvre à examiner dans tous les cas est laissée de côté au profit des considérations liées à la situation de l'oeuvre. L’argument consistant à affaiblir l'interlocuteur par le recours à la compétence (supposée ou vraie !) ou à l'autorité de l'auteur sera un sorte de sophisme ad verecundiam. Celui-ci laisse de côté le texte pour décréter la vérité de l'oeuvre en s'appuyant sur les compétences et les attributs de l'auteur ou sur les compétences et le prestige de celui qui déclare la vérité de ce texte. "Oser critiquer l'oeuvre X, mais son auteur est professeur agrégé, il est internationalement connu !".

109 Nous nous proposons de mettre en perspective La crise du Muntu sur un aspect précis : son rapport à la citation. Sur 237 pages on cherche en vain les référents qui, pourtant, sont plus que présents. La crise du Muntu est un puzzle dans lequel la copie, le plagiat et le pastiche se disputent.

110 Nous y dénotons alors la "copie". Celle-ci "se distingue... de la reproduction en ce qu'elle demande l'intervention d'un nouveau réalisateur qui effectue une seconde oeuvre d'après la première, c'est pourquoi la manière dont il aura vu, lu, compris l'original... empêche la copie d'être rigoureusement identique à l'original" 91 . Eboussi copie, il ne reproduit pas, il intègre ce que les autres ont dit sans les citer. Des exemples abondent. La troisième proposition de sa problématique (p. 11) stipule : " l'abstraction des conditions de naissance et d'excercice des discours à prétention philosophique, les transforme en principes déterminants dans la construction philosophique : celle-ci devient ainsi une idéologie au service des rapports de force que la prise en considération des conditions aurait manifesté". Pourquoi Eboussi ne dit pas qu'il reprend l'argument principal de L'Idéologie allemande de Marx, puisqu'avant lui, Marx a qualifié d'idéologique toute institution (y compris la philosophie) qui occulte ses "conditions de naissance", sa manière d'être produite et reproduite ? Dans les pages 118-119, où il traite de "la logique de l'appartenance", Eboussi fait l'analyse du "Menon" de Platon et arrive à cette constatation : "ce petit esclave pense-t-il vraiment par lui-même ? N'est-il pas vrai que le dialogue avec Socrate est fictif ? C'est Socrate qui invente les questions, et il les pose de telle manière que l'autre n'a plus qu'à acquiescer", p. 119. Cette critique de Socrate n'est pas d'Eboussi, mais de Nietzsche. Observons les figures de Socrate chez Nietzsche et nous retrouvons cette "analyse" d'Eboussi dans Naissance de la tragédie et La philosophie de l'époque tragique des grecs. A la page 129, Eboussi fait une observation sur le mot "philosophique" qui devient un article de commerce : "la marchandise est ici une certaine littérature" p. 129. Nous reconnaissons là la critique de la "Kulturindustrie" faite par Adorno et Horkheimer vers les années 1940. Pour ceux-ci, l'industrie de la culture avait réduit la littérature, la peinture, la musique en articles de vente dans le marché des biens symboliques (Cf. La dialectique de la raison ). Comment ne pas voir une reprise des analyses de Ricoeur sur la métaphore dans les pages 57 et 58 ? Comment ne pas surprendre une reprise de Merleau-Ponty dans La phénoménologie de la perception, (Paris, 1945 réed. 1983 1er paragraphe p. 251) avec cette phrase qu'Eboussi développe en page 211 : "le sentir est la communication originelle avec le monde" ? Comment ne pas penser à Marcuse de La fin de l’utopie avec des phrases comme "le rêve et l'utopie... sont des forces de transformation plus puissantes qu'une rationalité qui ne se comprend pas elle-même", p. 215 ? La critique d'une rationalité instrumentale (Eboussi est parmi les rares Africains à la faire) que nous retrouvons à la page 215 : "une rationalité qui... se donne une éternité illusoire parce qu'abstraite et intemporelle plus qu'une rationalité serve, parce qu'elle est raison entravée et bloquée", c'est la vieille critique de Nietzsche reprise par l'Ecole de Francfort vers les années 1940 (Cf. Horkheimer, L'éclipse de la raison ).

111 Quand Eboussi traite de la question linguistique (pp. 132-133), il décrit les aberrations du fantasme du colonisé à savoir parler la langue du colonisateur, et la dictature de l'écrit sur "l'oral". Il note que la raison coloniale "est grammairienne" (p. 133), "lexicale" (p. 133) et surtout que cette "raison grammairienne, normative et prescriptive" (p. 134) aboutit à une "grammmaire" comme "science paradigmatique de la raison coloniale” (p. 134). Pourquoi Eboussi n'avoue-t-il pas qu'il reprend ici les analyses de Michel de Certeau sur les rapports entre les langues dominantes et les langues dominées ? Que la grammaire exerce des "prescriptions", "ordonne", "légitime" (p. 134), c'est bien de Certeau qui, bien avant Eboussi, a dénoncé cette législature. Parlant du "français gélé dans les livres" ( La culture au pluriel, Paris, 1974. p. 141), de Certeau pense que "la langue des maîtres" (p. 141) tend à "substituer la multiplication des pratiques actuelles à la préservation d'une origine législative dont les grammaires exerçeraient la magistrature" p. 141. Ces analyses seront complétées quand de Certeau expliquera la brimade que le français a exercé sur le basque et le breton (voir de Certeau, J. Revel, D. Julia, Une politique de la langue )

112 La notion de rire qui est utilisée tout au long de La crise du Muntu est nietzschéenne. "L'éclat de rire (qui) produit une faille dans le sérieux compact d'un discours..."(Eboussi, p. 132) nous rappelle la fonction corrosive du rire dans Le gai savoir de Nietzsche (liv. IV, 327, "Prendre au sérieux").

113 S'agissant de la notion de mémoire vigilante et du refus du "triomphalisme historique" dont parle Eboussi à la page 154, c'est un thème que nous retrouvons déjà vers les années 1935-1940". "Brosser l'histoire à rebrousse-poil" était pour Walter Benjamin la lutte contre une vision historiciste, continuiste et triomphaliste de l'histoire. Quand Eboussi dit : "celle-ci (l'histoire) n'est pas une épopée de part en part. La servitude initiale doit être reconnue, elle ne doit pas être attribuée uniquement à des forces extérieures" (p. 154), comment ne pas penser à cette phrase de Benjamin : "Il n'est aucun document de la culture qui ne soit aussi document de barbarie. Et la même barbarie qui les affecte, affecte tout aussi bien le processus de leur transmission de main en main !” ( Essais, p. 199). Parfois on croit entendre l'ontologie fondamentale de Heidegger, la copie est si bien faite qu'Eboussi imite Heidegger jusqu'aux définitions circulaires. Comment définit-il "l'origine" ? L'origine c'est la permanence de l'origine !" L'origine dont il est question n'est pas le commencement, mais l'actualité en tant que permanence de l'origine" p. 212. De l'origine nous aboutissons à l'origine ! Quid de l'origine ?

114 L'oeuvre entière donne l'impression d’un pastiche très cohérent. Nous employons pastiche au sens du XVIII. siècle français : "on nomma pastiches, les opéras formés par la réunion de plusieurs morceaux appartenant à différents ouvrages" 92 .

115 Parfois, il s'agit tout simplement du plagiat. "Le plagiaire (c'est) celui qui fait passer pour sienne l'oeuvre d'autrui. Le véritable auteur est donc frustré du profit ou de la réputation qui lui seraient revenus... le plagiat n'est pas seulement une malhonnêteté ; c'est aussi une dévalorisation de l'oeuvre du plagiaire... Le plagiat se distingue 1, de la citation, car celle-ci est attribuée à son auteur 2, de la documentation, qui entre dans le travail nouveau et original 3, de l'adaptation car l'oeuvre adaptée est modifiée et d'ailleurs son auteur est reconnu". 93 Chez Eboussi, dans A contretemps (Paris, 1991), le plagiat est plus que criant. Dans la dernière partie de ce livre intitulée "l'agir", l'auteur reproche à un autre auteur l'usage abusif de la citation et utilise avec mesure ses sources. Il cite Michel de Certeau (pp. 245, 248), Michel Foucault (pp. 224, 248), Wittgenstein (p. 253), Rowlands et Warnier (p. 255), Léo Strauss (p. 256), Ignace de Loyola (pp. 257, 258), Kierkegaard (p. 259), Merleau-Ponty (p. 260), Péguy (p. 261). Mais, fidèle à la procédure du plagiat, il cite et utilise les termes d'autrui sans revéler ses sources. A la page 242 dans laquelle l'auteur étudie le dogme comme énoncé, nous y reconnaissons les analyses de Saül Kripke dans la Logique des noms propres, Paris, 1980. Le terme de "désignateur rigide" qu'Eboussi utilise, bien que mis entre guillemets, est de Kripke. Pourquoi Eboussi n'a pas signalé-en mettant entre parenthèses le nom de Kripke, comme il le fait en page 247 concernant René Thom-que ce terme n'est pas de lui ? 94 En page 246, Eboussi indique le vieux thème de "l'impossibilité du langage" que nous connaissons depuis les tergiversations des sceptiques jusqu'à la théologie négative. Eboussi dit : "nous heurtant aux quatre "impossibilités du langage" qui affligeaient les écrivains juifs de l'époque et de la culture de Kafka : "... l'impossibilité de ne pas écrire, l'impossibilité d'écrire en allemand, l'impossibilité d'écrire dans une autre langue, ce à quoi on pourrait ajouter l'impossibilité d'écrire....". Cette citation laissée ainsi, le lecteur pourrait croire qu'Eboussi cite Kafka puisqu'il utilise les guillemets. On pourrait aussi suggérer qu'Eboussi "adapte" cette citation à partir de l'oeuvre de Kafka qu'il a peut-être lue. Mais, ne signalant pas dans quelle oeuvre (de Kafka) il a puisé cette citation, une question s'est posé, pourquoi cite-til ailleurs en mettant l'oeuvre et les références et, dans ce cas précis, il n'indique rien ? Dans quelle oeuvre de Kafka puise-t-il cette citation ? Recherches faites, ce n'est pas une citation de Kafka, c'est plutôt un commentaire de Deleuze sur Kafka qu'Eboussi plagie en taisant le nom de Deleuze. Il fait comme si c'était sa lecture de Kafka alors que c'est bien le commentaire deleuzien qui est reproduit de manière tronquée (car Eboussi change le verbe parler en verbe écrire). Deleuze dit : "Il faut parler de la création comme traçant son chemin entre les impossibilités... C'est Kafka qui expliquait : l'impossibilité pour un écrivain juif de parler allemand, l'impossibilité de parler tchèque, l'impossibilité de ne pas parler. Pierre Perrault retrouve le problème : impossibilité de ne pas parler, de ne parler anglais, de parler français..." Pourparlers, Paris, 1990, p. 182. Nous signalons que le texte d’Eboussi est paru en 1991, chronologiquement Eboussi a eu en main ce texte de Deleuze. C’est la même citation que nous retrouvons chez Eboussi (p. 246) mais très falsifiée. Peut-être devrions-nous nous poser cette question de Jacques D'Hondt concernant Hegel ? "Faut-il surveiller les lectures des philosophes ? On n'exige pas habituellement qu'ils les confessent. Mais c'est dommage... car la connaissance de ce qu'ils lisent faciliterait souvent l'intelligence de ce qu'ils disent. Parfois, une inflexion surprenante de leur discours laisse soupçonner qu'ils reprennent la parole d'un autre sans prévenir. Ils la transposent, et elle devient comme un écho brisé, presqu'indéchiffrable. L'énigme des formules ne se délie que si l'on retrouve le texte original." (Avant Propos, Hegel secret, 2. éd, Paris, 1968, p. l). La crise du Muntu nous a semblé l'une des rares oeuvres de philosophie africaine où nous trouvons une esquisse de pensée anatreptique (autoréfutatrice). Eboussi indique que son livre n'est pas l'unique voie d’accès au vrai (p. 218), et que "l'appel à l'existence raisonnable" que fait le philosophe "sonnerait comme un message de salut" (p. 232), la relativité de sa position ne justifierait pas "un privilège aussi exorbitant" (p. 233). Finalement, cette pensée (de la crise) "confesse sa modestie et sa banalité originelles, en se reconnaissant comme oubli surmonté, tentation refusée ou mieux à surmonter.... pour une franche acceptation des limites et de la mortalité... de ce qui est, à commencer et à finir par soi-même" (p. 236). Ces très belles paroles d'Eboussi qui nous rappellent Nietzsche (Cf. Les doctrinaires du but de l'existence, dans Le gai savoir ) sont à méditer. Mais La crise du Muntu se ferme à cette ouverture esquissée et traduit la clôture. Clôture, parce que ce texte est comme la plupart en philosophie africaine, un texte de "rétention anale", gage d'efficacité théorique et de politesse philosophique. Ce texte ne laisse pas parler le fantasme, il ne parle pas de ces fonctions corporelles par lesquelles le corps s'exprime. Rien n'est dit sur le sexe et ses montages rhétorico-politico-symboliques en Afrique. Semblable à un Sujet bien élévé qui serre ses concavités anales pour ne pas laisser s'échapper un gaz, le philosophe nègre serre ses neurones pour ne pas laisser sortir le bouillonnement fantasmatique constitutif de chaque subjectivité. Discours de maîtrise qui ne laisse s'exprimer ni les femmes, ni les enfants, ni même le peuple. Pratique patriarcale qui pense en place et lieu des "exclus". Plaidoyer qui souligne ses limites mais au nom d'une vérité que le texte défend. Pourquoi n'avoir pas reconnu que le texte ( La crise du Muntu  !) est une erreur  ? Errer c'est s'ouvrir au possible. L'erreur n'est-elle pas une modalité du vivre ? Pourquoi se laisser enchaîner dans la mystique de la vérité ? Laquelle ? Depuis les années 60 les politiciens et les intellectuels ont confisqué la parole en Afrique. Une transformation des clameurs populaires en énoncés doctes est en Afrique un mensonge ! 95 La crise du Muntu brise plusieurs idoles, mais n'arrive pas à briser sa propre idole qui est son propre discours à travers un démembrement formel. Celui-ci, à travers les décrochages syntaxiques, les séries interrogatives ponctuées d'oxymores, les fragments romancés dans une diversité contrastive de tons, la polyphonie discontinue, ouvre le Sujet philosophant/fantasmant à l'inconnu. Au contraire, le fait de ne pas briser l'écriture obéit à l'illusion continuiste et identitaire. Celle-ci suppose a) que le Sujet écrivant est identité et pure présence à soi et, b) que le texte philosophique produit de cette identité serait une totalité non fissurée n'admettant aucune incohérence. Tout texte, et a fortiori un texte philosophique, devrait être bâti comme une "hyphologie" (hyphos, tissu de la toile d'araignée en grec) 96 . Roland Barthes insiste sur ce fait que le "texte veut dire tissu" 97 donc diversité et hétérogénéité des fibres/strates.

116 A travers cette écriture qui refuse l'incohérence d'une syntaxe syncopée, quand le philosophe africain évite l’inintelligibilité, le manque d'ordre et le chaos, quand son discours philosophique n'est pas ponctué par des interpolations diverses, des kyrielles et des paradoxes, il ne fait que traduire l'esprit de système (qui est dans une certaine mesure l’esprit du système !) se caractérisant par une continuité narrative. "L'esprit de système" avec ses modélisations dissertatives et ses logicités abstraites, articule la vieille "dispositio" rhétorique. Sa hantise est l'équilibre mutuel des parties d'un texte et, sa vérité se soude à un finalisme d'une pensée téléologique qui sait toujours ce qu'elle cherche, où elle va, quel est le lieu et le but de son discours. L'exposition paratactique et anatreptique -jouant sur des substitutions instantanées, des brisures, des répétitions, des destructions, des modélisations éphémères avec une mosaïque de débuts et de fins- inquiète, car elle révèle à chaque auteur muré dans sa suffisance que son savoir est incomplétude. Dans son rapport à la réalité, le concept bute sur des disruptions qui révèlent la liaison opaque entre son ipséité et sa matérialisation scripturaire. En parlant de la crise du Muntu, de nos langues, de notre rapport à la modernité et de la religiosité des Etats post-coloniaux, il faudrait peut-être essayer de le dire en désarticulant notre dire, afin de réhabiliter l'idée d'inconnu à notre savoir triomphant.

117 L'identité du Sujet nègre qui croit articuler des raisons (comme s'il était unité) se veut une identité différenciante qui, dans son travail de totalisation interne, indique qu'elle est affirmation parce que négation, présence parce qu'absence, articulation parce que désarticulation, savoir parce que et à cause de l'ignorance. Cette structure antithétique/fragmentaire cohabite donc au sein d'un même qui n'est déjà plus même mais autre parce qu'étant en voie d'altération et de fragmentation.

118 Quand le Sujet philosophant écrit, il vacille parce qu'il accède, comme dirait Lacan, dans l'ordre du symbolique. Le Sujet n'y apparaît que comme "éclipse de Sujet". En écrivant, le Sujet rejoue parfois le drame de l'impossibilité de sa condition, drame dans lequel la scène de l'écriture se donne comme une mise en abyme où le Sujet et l'objet de son discours adviennent sous forme d'une absence/présence. "Le réel ne saurait s'inscrire que d'une impasse de la formalisation" 98 . Le philosophe n'est confronté aux concepts que dans l'acte même de les manquer, il faudrait bien -et c'est valable pour la plupart des intellectuels quand ils parlent doctement-reconsidérer l'écriture comme le suspens et la suspension du sens. Ecrire et articuler les concepts désignent le paradoxe consistant à trouver dans l'absence le lieu même de la communication.

119 Un livre ne vaut pas seulement par ce qu'il dit (son champ), mais aussi par ce qu'il ne dit pas ou n'a pas su dire (tout le hors-champ). La crise du Muntu se légitime donc par ce qu'il ne dit pas (son hors-champ) et par des "structures d'appel" (W. Iser) qu'il secrète à travers la pluralité des thèmes abordés. Ce que nous voulions souligner, c'est le respect des règles de déontologie quant à l'appropriation et à l'utilisation des thématiques et tics de langage élaborés par d’autres : une simple affaire d'honnêteté intellectuelle. A moins que La crise du Muntu, violant les codes de la tradition constituée en philosophie avec sa manie des renvois, des filiations, des citations, des sources et paradigmes, inaugure un genre qui existe déjà dans les arts : les collages. En arts plastiques, les artistes dadaïstes ont utilisé les collages pour lutter contre la tendance mimétique en peinture. Dans la musique contemporaine, le collage s'appelle "citation" et sert à introduire des éléments composites dans l'oeuvre. Ce qui a pour but de briser l'unité de celle-ci en mettant un peu de "hasard" dans le continuum musical. Concernant les procédés d'écriture, le collage consiste à insérer dans un roman des lettres écrites par des inconnus de la rue, des prospectus et des slogans. C'est ainsi que sont construits certains romans d'Aragon et de Breton. Si c'est bien une philosophie des collages que préconise La crise du Muntu, au moins, cette oeuvre doit signaler qu'elle emprunte ailleurs-l'esthétique des collages avoue ses emprunts et ne prétend en aucun cas dissoudre l'emprunt dans la création initialeafin que le lecteur soit averti. C'est une précaution pédagogique de citer et de ne pas cacher le référent. Le poète, le musicien et le romancier qui "collent" ne cachent pas qu'ils "collent", ils le proclament parce qu'ils veulent briser la logique unitaire et continuiste. L'oeuvre est toujours appelée à être transmise aux générations futures, cette déontologie de l'emprunt-qui est très bien représentée dans l'opéra Votre Faust de Michel Butor et Henri Pousseur-devrait être respectée afin que les futurs lecteurs puissent distinguer dans La crise du Muntu le texte, ses emprunts et ses réfutations. Le texte de La crise du Muntu, en réalisant l'exploit de parler des autres et par d’autres sans les citer participe à l'illusion continuiste, car la citation rompt la linéarité de la pensée de l'écrivain 99 . L'acte d'écriture comporte des dangers dont celui de citer ses sources. Citer ses référents devient souvent un danger dans la mesure où l'on voit ce que l'on croit savoir se transmuer en non-savoir (c'est-à-dire, en savoir d'autrui, en un savoir déjà formulé ailleurs et qui ne nous est pas propre !). La crise du Muntu, en ne citant pas ses sources, exprime cette angoisse inconsciente de se voir retourné en non-savoir, en savoir d'autrui. Au-delà de la peur inconsciente de se découvrir non-savant, se profile une attitude autoritaire très utilisée par les politiques : la mise-en-silence. Cette politique de mise-en-silence se traduit comme suit : "on dit X pour ne pas (laisser) dire Y" 100 . Les tactiques de la domination utilisent le silence, les "sans-espoir" aussi. En tant que figure autoritaire, la mise-en-silence peut aussi s'investir dans les manières d'écrire. Il y a un silence qui fait taire la voix de l'autre, et "un silence du plagiat, où vient s'effacer sous son propre nom la voix du Sujet qui énonce" 101 . Le plagiaire, en ne citant pas ses sources, impose un silence à celles-ci et, imposer le silence à ses sources pour faire triompher sa propre voix est un procédé politique autoritaire. Les Etats autoritaires ne font rien d'autre que d’étouffer les autres voix. Le plagiaire est peu ou prou un autoritaire. "Savoir faire et savoir montrer, c'est double savoir" 102 , par conséquent savoir écrire, c'est aussi savoir montrer où on a puisé ses sources.

120 Cette partie avait pour but de surprendre les diverses stratégies par lesquelles un devenir historique autre s'efface. Une lutte se fait jour dans l’espace public africain entre un imaginaire instituant et la gestation du non-encore-advenu. A quelles conditions, dans l'optique de la Théorie Critique, l’avènement du possible dans la temporalité peut-il s'effectuer ? Les critiques formulées à l'égard de l’organisation instrumentale du réel négro-africain n’avaient pas pour but de verser dans "l"afro-pessimisme" ou dans "le tribal-populisme". Ce que nous voulions souligner, c'est que plusieurs fondements subsistent dans cette société africaine, cependant le contenu de ceux-ci n’est ni définitif, ni déterminé, mais au contraire ouvert à l’inachèvement, ils demandent à chaque fois une re-construction. Dans la philosophie africaine, un travail intéressant s’est fait 103 et notre intervention a consisté à mettre en garde les textes de cette philosophie contre les méconnaissances des institutions, y compris l’institution de la critique. Ces oeuvres, comme toute oeuvre d'art, comportent des lacunes. Et, en tant que telles, elles sécrètent un "horizon d'attente" (H.R. Jauss) et une "structure d’appel" (W. Iser) qui prouvent leur indéterminité, leur processualité et leur fécondité. L'avenir de l'Etre africain est au prix de la considération du "non-encore"...

Notes de bas de page

1 J. M. Van Parys, "Philosophie en Afrique", Séminaire sur la Philosophie-Africaine à Addis-Abeba (1-3 décembre 1976), Mélanges de philosophie africaine, 1978, pp. 33-69.

2 P.E.A Elungu, "La philosophie Africaine hier et aujourd'hui", op. cit, p. 10.

3 Idem, L'Eveil philosophique africain, Paris, 1986.

4 P.F. Diagne, L'Europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, Dakar, 1981.

5 Ibidem, p. 11.

6 Ibidem, p. 11.

7 A. Aly Dieng, Hegel, Marx et les problèmes d'Afrique Noire, Dakar, 1978 ; le second ouvrage est intitulé, Contribution à l'étude des problèmes philosophiques en Afrique, Paris, 1983.

8 Ibidem, p. 9.

9 Ce que nous appelons "Ecole" n'est pas un groupe de penseurs travaillant dans le même sens. Au sein de la pensée philosophique sénégalaise ou zaïroise, il ya des oppositions, le terme d'Ecole ne devrait donc pas tromper, il sert à caractériser la tendance dominante en philosophie dans ces deux contextes, extrêmement complexes une fois de plus...

10 Azombo-Menda-Meyongo , Précis de philosophie pour l'Afrique, Paris, 1981.

11 On aura remarqué au passage que nous évoquons Teilhard de Chardin. Celui-ci est le fer de lance des africanistes, en commençant par Senghor. Si la présentation de l'histoire en général obéit aux intérêts inavouablement politiques, la représentation et/ou la classification de l'histoire de la philosophie recèle souvent des obstructions. L'une d'entre elles étant de présenter et de désigner un foyer mondial unique de la philosophie (la Grèce pour les uns, l'Egypte pharaonique et nègre pour les autres) ou d'exclure certains peuples de la trajectoire du pélerinage de l'Idée.

12 Hountondji rabâche les mêmes discours sur Tempels, "L'effet Tempels" Encyclopédie philosophique universelle, vol I, L'univers philosophique Sous la dir. d'A. Jacob, Paris, 1989. Pourquoi ne pas aussi caractériser le discours de Tempels du point de vue sexuel ? Certes, son dire était une ruse de la politique coloniale, on peut aussi compléter en ajoutant que c'était aussi une ruse de la phallocratie.

13 Tempels La Philosophie bantoue, Paris, 1957.

14 Présenter/classer la philosophie en Afrique comme un mouvement de dépassement et progressif à l'intérieur de la problématique de l'existence de la philosophie africaine, revient implicitement à opter pour une conception du temps historique qui privilégie dans une certaine mesure la nécessité. Tout se passe comme si la philosophie africaine, par cette "assomption", était appelée, à travers ces dépassements, à un grand dessein, à une certaine Parousie où le Nègre, enfin dressé comme une quille hiératique, exhibera son système des catégories.

15 En débusquant cette idée de progrès derrière la classification des thèmes liés à cette notion, en l'occurrence, l'objet du progrès, le sujet du progrès et l'unité ou l'opposition entre les deux, on peut se demander qui parle du progrès et dans quelles conditions, qui ne veut pas en parler et pourquoi ? Si progrès il y a, quel est son sens véritable. Ce progrès est-il créateur du neuf ou accumulation sur le même ?

16 P. Lantz, "Progrès et Projet", Le progrès en question, vol. 1, Paris, 1978, p. 184. Le progrès suggéré par ces classifications est dangereux parce que, pris de manière radicale, il sert à justifier les politiques mégalomaniaques qui enferment l'Histoire africaine et son devenir dans des frontières autoritairement tracées a priori. Si la contradiction est l'essence même des réalités naturelles et historiques, la philosophie, en tant que produit de ce réel historique, doit épouser les caractères de la contradiction. Ce qui, de facto, doit exclure sa présentation de manière progressivement ascendante et triomphaliste. Ce que les présentateurs de la philosophie en Afrique ne montrent pas, c'est cette lutte qu'il y a au sein de toute philosophie entre les éléments émancipateurs et les pesanteurs de stabilisation.

17 Nous récusons la présentation de J. Smet et Nkombe dans "Panorama de la philosophie", Mélanges de philosophie africaine, Kinshasa, 1978, pp. 263-282. Ces deux auteurs indiquent une structure dite interne et une autre externe. La structure externe dégage les rapports entre la philosophie africaine, le savoir européen et la sagesse africaine ; l'emploi des deux substantifs : savoir (européen) et sagesse (africaine) est dans la droite ligne du senghorisme qui voulut qu'aux uns échût la "Raison analytique", superficielle, déshumanisante, etc..., et aux autres la "grande sagesse" d’une émotion qui dirige vers les profondeurs de la "participation vitale". Ce qui est occulté par cette théorie, c'est l'union du Sujet avec le mana. La structure interne, se compose, quant à elle, d'un courant idéologique, d'un courant de reconnaissance, d'une phase critique et de la variante synthétique. Ce qui semble gênant dans cette présentation, c'est l'amalgame fait entre les oeuvres littéraires (Maryse Condé, Cf. p. 270), les manifestes politiques (Mobutu, Nyéréré, Kaunda, Lumumba cf. pp. 268 et sv.), les ethnologues et les textes de philosophie. Ces différents secteurs, pour les auteurs précités, sont des moments de "grande marche" de la philosophie africaine... vers quels abîmes ?

18 Cf. Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Yaoundé, 1971. F. Eboussi, "Le Bantou problématique", Paris, 1968, La crise du Muntu, Paris, 1977. P. Hountondji, Sur la philosophie africaine, Paris, 1977. S. Adotevi, Négritude et Négrologues, Paris, p. 1972, Elungu P. Elungu , "Authencitité et culture", Revue Zaïroise de psychologie et pédagogie, n. 1, 1973. "La philosophie africaine, hier et aujourd'hui, Mélanges de philosophie africaine, publié par A. J. Smet, Kinshasa, 1978, pp. 9-32. L'éveil philosophique africain, Paris, 1984.

19 Y. Mbargane Guissé , Philosophie, culture et devenir social en Afrique Noire, Dakar, 1979. Ceux qui ont été qualifiés d'ethnophilosophes occupaient bien une place spéciale dans le processus économique (ils étaient en majorité ecclésiastiques les RR. PP. Tempels, V. Mulago, A. Kagame, Makarakiza, Mabona, J. Mbiti, F.M Lufuluabo, Tshiamalenga Ntumba). Leurs places et leurs discours devaient aussi avoir un rapport particulier avec la sexualité.

20 Towa dans une certaine mesure s'est orienté vers cette voie. Il a parfois expliqué que l'ethnophilosophe Tempels a écrit sa Philosophie bantoue pour venir à bout, moyennant l'évangélisation, des révoltes des Nègres chargés de travailler dans les mines et firmes coloniales de l'ancien Congo-Léopoldville. Mais, ce que Towa ne fait pas, c'est analyser certaines catégories de l'économie de marché (l'échange, la valeur, l’investissement...) afin de voir leur transfert, leur réfraction et surtout leur légitimation dans les philosophèmes (idéologèmes) émaillant des textes ethnophilosophiques. Hountondji et Eboussi, eux-aussi, n'utilisent pas cet axe de recherche.

21 Un exemple éclairera l'interrogation que nous formulons à l'égard des promptes critiques de l'ethnophilosophie. La critique qui revient le plus souvent contre l'ethnophilosophie concerne le processus de fétichisation de la culture qu'elle opère. Dans la mesure où la dynamique contradictoire qui existe entre les éléments d'une même culture est occultée, l'ethnophilosophie peut être rejetée. Mais alors, ce concept de fétichisme de la culture africaine ne peut trouver son explication qu'à travers les autres fétichismes : celui de l’Etat autoritaire et l'universalisation de l'aspect marchandise, corollaire du fétichisme de la marchandise. Se limiter à une critique de l'ethnophilosophie en s'arrêtant au seul confusionnisme méthodologique que celle-ci réalise, aux cercles de son expression, relèverait d'une critique idéaliste et romantique (au mauvais sens du mot !). Les cercles qui sont relevés dans le discours et la pratique de l'ethnophilosophie (Cf. F. Eboussi, La crise du Muntu, Paris, 1977, pp. 60-61) devraient aussi s'étendre et rejoindre, ceux non moins importants dans lesquels s'enferment les Etats autoritaires et les économies de marché en Afrique. Si on ne parle, en traitant de l'ethnophilosophie, ni de l'Etat et ses investissements sur le Sujet, ni du sort de celui-ci dans ses désinvestissements/réinvestissements, on abstrait, et on critique l'ethnophilosophie sur un fond de méconnaissance.

22 Nous n'entrerons pas dans le débat trop connu et lassant sur la méthode de ces "ethnophilosophes". Nous signalons : A. Kagame, La philosophie BantuRwandaise de l'Etre, Bruxelles, 1956, La philosophie Bantu comparée, Paris, 1978. Tierrou, Le Nom africain ou langage des traditions, Paris, 1977. F.M. Lufu Luabo, Vers une théodicée Bantu, Tournai, 1961, La notion Luba de l'Etre, Tournai, 1964. Une critique récente met en perspective "l'hypothèse relativiste" concernant la méthode de Kagame dont le côté aristotélicien se "méprend sur sa propre généalogie", Cf. P. Hountondji, "Langues africaines et philosophie : l'hypothèse relativiste", Etudes philosophiques, Paris, n. 4, oct-déc, 1982, p. 393 et sv. Un peu plus loin, il y a une critique violente de Kagame par Mukendi Ntite, "Les langues Africaines et vision du monde", Présence Africaine, n. 103, 3è trim, 1977. Mais d'autres courants fleurissent, entre autres le concordisme égypto-négro-pharaonique. L'enjeu de ce versant du concordisme est simple, si l'Egypte pharaonique/nègre a été le berceau de la civilisation grecque qui donne tant de suffisance et d'arrogance à l’Occident, alors l'établissement des filiations entre l'égyptien ancien et les langues nègres devrait bien restituer au Noir sa fierté et sa dignité.

23 Il s'agit du versant qui regarde vers la Grèce et de celui qui retourne à l'Egypte

24 M.P. Hebga, "L'homme vit aussi de fierté", Présence Africaine, n. 99-100, 3. et 4. trim, 1976, pp. 26-27.

25 Cette proposition est de Y. Mbargane, Philosophie, culture et devenir social en Afrique, p. 135.

26 Cheik Anta Diop a fait une oeuvre archéologique en parlant des rapports entre l'Egypte pharaonique et la culture négro-africaine, mais le risque est grand aujourd'hui chez ses laudateurs d'hypostasier cette oeuvre féconde par la louange inconsidérée de l'Egypte pharaonique. La ruse de l'histoire voudrait souvent qu’un concept fécond soit statufié et monumentalisé par la postérité, l'expurgeant de par le fait même de sa charge explosive. Anta Diop s'est occupé du passé par amour du présent. A nos générations de trouver à cette oeuvre archéologique une dimension proleptique. Une étude, non faite par Anta Diop, peut s'amorcer pour savoir comment cette société négro-africaine gérait le problème de l'exclusion. Tout se passe le plus souvent comme si égypto-négro-africaine, cette société du simple fait qu'elle était de même couleur, vivait sans contradictions. Dans une société -peut-on lire le plus souvent-les niveaux de langues différencient les divers groupes (l’ouvrier de Sarcelles bien que s'exprimant en français parle une langue différente de celle d'un énarque). Comment s'articulait la lutte entre le langage des "sans-espoir" dans cette Egypte-là et celui de l'aristocratie pharaonique ? Quelle était la culture des "sans-espoir" ? Et sous quelles modalités s’investissait l'emblématique dans les stratégies d'hibernation ? Autant de questions qui font de ce rapport négro-africain à l'Egypte tout un programme.

27 L.S. Senghor, Liberté I, Négritude et humanisme, Paris, 1964, pp. 225-226.

28 N. Chomsky, Réflexions sur le langage, trad. J. Milner, Vauterin et Fiala, Paris, 1981, p. 169.

29 H. Lefebvre, Le droit à la ville, suivi de Espace et politique, Paris, 1972, p. 2.

30 Alassane Ndaw , La pensée africaine, Dakar, 1983, p. 250.

31 Ibidem, p. 251.

32 Ibidem, p. 251.

33 Ibidem, p. 251.

34 Ibidem, p. 251.

35 Ibidem, p. 251.

36 Ibidem, p. 252.

38 Alassane Ndaw, op. cit.

39 Cf. p. 251.

40 Pour une vue assez technique de ce problème d'actes illocutoires, lire. O. Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, 1972. J.R Searle, Les actes du langage, Essai de philosophie du langage, Paris, 1972.

41 En réponse à la question : comment améliorer la rédaction administrative, Gaudouin énonce la première règle "indispensable" : "posséder son sujet-réfléchir assez-établir un plan harmonieux, équilibré-établir un plan rigoureux-précision, simplicité, clarté, homogénéité, vivacité, cohérence". J. Gaudouin , "Entre les documents d'information et les documents d'instruction" Correspondance et rédaction administratives, Paris, 1980, pp. 141-151. Il est très important de souligner que l’universalisation tentaculaire de l’Etat et le problème de l'assimilation du colonisé justifient le fait qu'en Afrique Noire l'écriture administrative suive les mêmes canons d'écriture et de légitimation qu'en Europe occidentale. Comme le montre G. Conac, "il est facile de reconnaître aujourd'hui encore dans les institutions administratives des divers Etats décolonisés par la France et l’Angleterre l'empreinte métropolitaine...", "Le développement administratif des Etats d'Afrique Noire", Les Institutions Administratives des Etats francophones d'Afrique Noire, sous la dir. de G. Gonac. Paris, 1979, p. XIX.

42 Gaudouin, op cit, p. 84, dit : "Une administration animée d'un esprit intégral de service public doit tout mettre en oeuvre pour être comprise de ceux pour qui elle travaille et pour les associer à son action... il y a là plus qu'une question de forme. Il y a là un impératif catégorique de la morale administrative".

43 E. Landowski insiste longuement sur la méconnaisance introduite par le langage administratif qui devient "un langage sans frontière de classe". L'impartialité affichée ne sert que les intérêts autoritaires des obturateurs des possibles. Ceux-ci, à travers les suggestions administratives imposent une nouvelle légitimation, un nouveau "faire-valoir". "Le langage administratif", L'administration, Paris, 1974, pp. 358-389.

44 E. Landowski, op. cit. p. 371.

45 Gaudouin, op. cit, p. 84. La juxtaposition entre force, gravité, majesté est très significative.

46 Robert Catherine, Le style administratif, Paris, 1967, pp. 17-18.

47 Gaudouin  :"Les caractères spécifiques de l'administration, le respect de la hiérarchie, la responsabilité, l'objectivité. Le caractère de l'administration qui transparaît dans ses écrits, c'est l'objectivité. L'administration est au service du bien public, elle sert, non des intérêts particuliers, mais l'intérêt général, elle se doit donc d’être, et elle l'est d’ailleurs, impartiale, sereine et objective. Cette impartialité a pour conséquence de rejeter de la rédaction tous les termes... qui ont un caractère subjectif... il en résulte un style impersonnel assez froid, mais qui donne dans son ensemble une impression d'homogénéité et de pérennité". Op. cit, p. 87.

48 Cf. Ferrari, Les philosophe salariés, texte présenté par S. Douailler et P. Vermeren, Paris, 1983.

49 P. Diagne, L'Europhilosophie face à la pensée du Négro-Africain, Dakar, 1981.

50 Explicitons bien notre interrogation. Quand nous parlons du croire, nous ne voulons pas dire croyance religieuse, car attraper le "croire" par la religion, c'est déjà le circonscrire et donner à penser que croire n'est attribuable qu'à ceux-là seuls qui revendiquent une appartenance religieuse. Réduire la croyance au religieux, comme le font un certain nombre de discours africains, c'est limiter le religieux aux Eglises et aux "sectes", alors qu'une religiosité très laïque se développe avec le fétichisme généralisé (l'attitude religieuse à l'égard de l'argent, la fétichisation de l'art, la divinisation (virginisation ?) de la "femme", le culte de la personnalité des vedettes, la sacralisation de la sexualité, le sacerdoce du travail, le sacrifice de la militance et du "bénévolat", et la religion de soi-même ; l'autolâtrie, dans laquelle on est tout et les autres rien).

51 H. Védrine , Les ruses de la Raison, Paris, 1982, p. 196.

52 Eboussi. Boulaga, La crise du Muntu, Paris, 1977.

53 Ibidem, p. 189.

54 Ibidem, p. 189.

55 Jürgen Habermas, "Dialectique de la rationalisation", interview avec A. Honneth, Cahiers de Philosophie 3, Habermas, L'activité communicationnelle, Lille, 1987.

56 Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La Dialectique de la Raison, p. 24.

57 L'Aufklärung a été particulièrement absente dans la défense des droits humains des Nègres, mais rien n'empêche que le Nègre puisse récupérer et utiliser à son profit les idéaux qui ne lui étaient pas destinés. Lire Louis Sala Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, 1987.

58 Ce qu'analyse Horkheimer dans un texte "Raison et conservation de soi", Eclipse de la Raison.

59 Cf. Naude, Considérations politiques sur les coups d'Etat, Paris, 1988, p. 89.

60 Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Oeuvres Philosophiques, tome 2, Paris, 1985, p. 1017

61 Cité par Bernard Teyssedre, L'art au siècle de Louis XIV, Paris, 1967, p. 46.

62 Max Horkheimer, Théorie Critique, p. 171.

63 St. Augustin, Les confessions, trad. J. Trabucco, Paris, 1964 p. 276.

64 Ibidem, p. 273.

65 Ibidem, p. 278.

66 Ernst Bloch, L'esprit de l'utopie, Paris, 1977, lire particulièrement le chapitre "Karl Marx", la mort et l'Apocalypse".

67 La conception non-intensive du temps a été critiquée par Bergson qui oppose la durée à la spatialisation du temps. Mais une conception intensive vue sous l'angle bergsonien est lourde de présupposés idéalistes, cf. la critique que fait Max Horkheimer de l'hypostase du temps bergsonien, "la métaphysique bergsonnienne du temps", trad. Ph. Soulez, L'homme et la société, N. 69-70, Déc, 1983, pp. 11-21.

68 Gilles G. Granger, Essai d'une philosophie du style, 2. éd. Paris, 1988, p. 11.

69 Ibidem, p. 10.

70 Collectif, Anthropologie de l'écriture, sous la dir. de R. Laffont, Paris, 1984, p. 241.

71 Une écriture discontinue, qui privilégie la césure et le ratage, est une écriture qui est en devenir, car étant en attente de l'improbable. La discontinuité, la césure introduite au sein de la linéarité de l'écriture amène une espèce de suspension de l'écriture dans laquelle le Sujet est en attente d'une rencontre avec le réel dont il continue inlassablement à maintenir l'exigence. L'écriture continue qui ne s'occupe pas de la violation du sens devient close, car à la polysémie du scriptural, on oppose les praxèmes figés dans une syntaxe non ambiguë.

72 Gilles Deleuze, "Signes et événements", entretien avec R. Bellour et F. Ewald, Magazine littéraire, n° 257, Sept 1988, p. 19.

73 Ibidem, p. 19.

74 Cf. F.W. Schelling, "Aphorismes pour introduire à la philosophie de la nature" (1805) et "Aphorismes sur la philosophie de la nature" (1806), OEuvres métaphysiques, Paris, trad. Courtine, Martineau, Paris, 1980.

75 Jean R. Ladmiral, "Dialectique négative de l'écriture aphoristique", Revue d'Esthétique n. 8, 1985, p. 99.

76 T.W. Adorno , Minima Moralia, p. 11.

77 Cf. M. Stirner, L'Unique et sa propriété, Paris, 1978 ; "Les prêtres ; c'est-à-dire, les théologiens, les philosophes, les hommes d'Etat, les philistins", p. 438.

78 E. Njoh Mouellé, De la médiocrité à l'excellence, Yaoundé, 1970.

79 C'est l'idée centrale de Développer la richesse humaine, Yaoundé, 1980.

80 Gabriel Marcel, Etre et avoir, Paris, 1935. Comparons les deux définitions suivantes de l'Avoir. Gabriel Marcel dit : "ce qu'on a présente évidemment une certaine extériorité par rapport à soi... je ne puis avoir... que quelque chose qui possède une existence... indépendante de moi... je n'ai que ce dont je peux en quelque manière... disposer" p. 225. Njoh reprend presque la même chose dans sa définition de l'avoir : "Avoir, c'est avoir nécessairement quelque chose qui se distingue de nous, que nous pouvons tenir à distance, et dont nous pouvons disposer à notre guise", op. cit. p. 8. Un auteur américain du siècle dernier, A. Bierce définit le verbe piller comme suit : "prendre les biens d'un autre sans observer les réticences coutumières des voleurs. Effectuer un changement de propriété avec l'accompagnement candide d'une fanfare. Arracher à B la richesse de A, pendant que C se lamente sur une occasion perdue". Dictionnaire du diable, Paris, 1987.p.

81 F. Nietzsche, La volonté de puisance, trad. H. Albert, Paris, 1991, p. 271. Nous laissons au exégètes le soin d'établir dans ce livre la part de la pensée du philosophe Nietzsche et les ajouts de sa soeur Elisabeth.

82 Ibidem, p. 250. Nietzsche attire son attention sur la susceptibilité du type clérical en philosophie. "Il considère une attaque contre lui comme une attaque dirigée contre la morale, la vertu, la religion, l'ordre, il sait faire tomber ses adversaires dans le décri... en somme tant qu'il lutte, il lutte exactement comme un prêtre, comme un membre du clergé." pp. 276-277.

83 A. Schönberg, Moïse et Aaron, trad. D. Huillet, J.M. Straub, Toulouse, 1990.

84 La plupart des thèses se font sur l'oppression des femmes en Afrique, ce sont des thèses dont l'essentiel du discours est ethnologique, la seule en philosophie qui essaye de secouer l'establishment phallocrate est celle de Ndeye Awa Thiam , Continents Noirs, Paris, 1984. La limite de cette thèse est de n'avoir pas pu analyser au niveau des stratégies discursives comment se profilent les idéologèmes phallocrates, autrement dit, il manque à cette thèse une étude génétique de la sexuation du discours.

85 Njoh Mouellé, ( Développer la richesse humaine, p. 21 et sv.) condamne la prostitution, et opte pour la responsabilisation et la libération de la femme. Il existe certainement dans la philosophie africaine d'autres textes luttant contre la "chosification" de la femme. C'est la dernière trouvaille du cynisme philosophique phallocrate africain consistant pour le vainqueur à prendre la . défense du vaincu. Il n'est pas commode de dire que le réel est déformé sans avoir pu, au préalable, corriger les lunettes qui vous déforment le réel. D'ailleurs, parler des femmes est différent de laisser parler les femmes. L'important n'est pas de changer de réponse à propos de la question féminine en Afrique, mais de changer la forme et le contenu du questionnement en philosophie africaine. La question n'est pas : comment les femmes peuvent s'en sortir, mais plutôt, comment sortir, en philosophes, de nos réflexes androcrates ? La philosophie africaine deviendra alors le lieu incertain où le philosophe procède à travers les règles du discours (syntaxe, sémantique, typographie) à la dé-possession du pouvoir masculin. Dé-masculiniser les catégories philosophiques est une affaire beaucoup plus importante que le discours hypocrite des phallo-sophes sur les femmes. Le discours philosophique négro-africain n'a pas du tout parlé du corps. Eboussi, certes, disserte sur le corps, mais c'est un corps épuré, il vaut mieux dire qu'il parle de la corporéité (Cf. son analyse du sentir dans La crise du Muntu, pp. 211 et sv.). La philosophie africaine, en omettant d'aller du "haut" vers le "bas", en refusant de laisser s'exprimer la sueur, les pets, les fèces et les fesses, en donnant à l'espace public des concepts graves et tristes, sans senteur et humour, tombe sans le savoir dans le piège de l'immaculée conception. Dans celle-ci, ce qui compte c'est le résultat, propre, dégagé de toute souillure corporelle. Dans la rhétorique philosophique africaine qui ne se compromet jamais dans "l'épithuméia", ce qui importe, c'est le concept propre, c'est à dire affranchi de toute souillure de la sexuation. Le discours philosophique africain actuel serait-il une ruse de "l'immaculée conception" ? "La souveraineté des cerveaux est toujours une fausse souveraineté" (P. Sloterdijk, op. cit, p. 16). Le jour où la philosophie africaine osera parler, sans sourciller, des lèvres, des vulves, des saignements et écoulements, du sperme et du pus, elle aura alors fait un grand pas hors de ses concepts patriarcaux et immaculés. Toute "immaculée conception" (formulation des concepts dépourvus d'affectivité) est une ruse du patriarcat. Celui-ci nous livre, comme concepts philosophiques, des entités froides, impassibles, distantes, arrogantes et indifférentes à la viscosité du réel que nous aimons voir dégouliner.

86 Jacques Lacan, Le séminaire, liv. XX, Encore, Paris, 1975, p. 190

87 Cf. Joseph Blais, La logique, une introduction, Montréal, 1985, p. 152. Ce terme vient de Locke dans son traitement des "fallacies".

88 P. Talbot et J. Doyon, La logique du raisonnement, théorie de l’inférence propositionnelle et application, Québec, 1986, p. 152. Ces deux penseurs estiment que ce sophisme exploite les privilèges en faveur du progrès, de la science, de la crise, de l'authenticité, pour tout ce qui est moderne ou d'avant-garde. Le raisonnement implicite de ce genre d’argument est : si une critique porte sur la "crise" ou "l'authenticité" alors elle est vraie (ou justifiée) Or ce livre porte sur la "crise" et "l'authenticité". Donc cette critique est vraie (justifiée).

89 Frans Van Eemeren, Rob Grootendorst, "les sophismes dans une perspective-pragmatico-linguistique", L'argumentation, colloque de Cérisy sous la direction d'Alain Lempereur, Liège, 1991, p. 175.

90 La forme "tu quoque" qui se mue en attaque "ad personam" vise "à éliminer l'interlocuteur comme participant sérieux à la discussion... en déconsidérant sa compétence, son objectivité... ou sa crédibilité". Ibidem, p. 175.

91 A. Souriau, Vocabulaire d'esthétique, Paris, 1990, p. 495.

92 Ibidem, p. 1113.

93 Ibidem, pp. 1136-1137.

94 Il ne prend pas la précaution épistémologique de justifier et spécifier dans quel contexte ce terme complexe est "adapté". Se définissant comme la constance référentielle d'un individu dans tous les mondes possibles, le désignateur rigide a au moins trois sens. Il existe une rigidité "de jure", "de facto et étendue. Eboussi n'indique pas dans quel sens il utilise sa "rigidité". Lire Pascal Engel, La norme du vrai, Paris, 1989, p. 197.

95 La crise du Muntu soulève des ambiguïtés qui doivent être interrogées ; quel est le statut du désir (conatus ? cupiditas ?) Au nom de quel fondement "exercer" la vigilance vis-à-vis du savoir (p. 206) ? Au nom de quel principe ? Ce dernier sera-t-il un savoir ou un non-savoir ? Qu'en est-il du mythe comme parole originaire ? Qu’est-ce que l'originaire ? L'originaire est-il ici pris au sens du fondement (Grund), ou au sens de "Ursprung" ? Quid des rapport entre art et instant (pp. 215-216) ? Comment s’articule la notion de lieu (du discours, du rire) ?

96 Roland Barthes, Le plaisir du texte, Paris, 1973, p. 101.

97 Ibidem,, p. 100.

98 Lacan, op. cit. p. 85.

99 Il serait intéressant de voir tout le travail de Walter Benjamin sur la citation. Celle-ci, brise la continuité et le paradigme du progrès dans un texte. La citation fend l'oeuvre et l'oriente vers un dehors qui, telle une semence, vient la féconder. Citer, c’est donner un rendez-vous, ( citar en espagnol c'est donner un rendez-vous) à la nouveauté et souligner par là l’incomplétude/richesse de notre dire.

100 E. Pulcinelli-orlandi, "Hétérogénéités et silences", Le sens et ses hétérogénéités, p. 208. Les modalités de mise-en-silence peuvent être : "prendre la parole, oter la parole à quelqu'un, empecher de dire, interdire certains sens, faire taire, censurer".

101 J.J. Courtine, C. Haroche, "Silences du langage, langages du visage à l'âge classique", préface à la présentation de l’abbé Dinouart, op. cit, p. 28.

102 B. Gracian, L'Homme de cour, trad. Hamelot de la Houssaie, Paris, 1987, p. 77. Pour l’historien de la philosophie, il faudrait peut-être comparer la 3. proposition de la page 11 de La crise du Muntu d’Eboussi et toute la page 83 de l'Idéologie allemande, trad. Auger, Badia, Baudrillard, Cartelle, Paris, Ed. Sociales 1976. On pourrait aussi confronter (si on peut confronter ce qui n'est qu'une reprise d'une même pensée !) La critique de la maïeutique/dialectique socratique d’Eboussi aux pages 118-119 à la critique nietzschéenne de la même dialectique/maïeutique socratique à l'aphorisme 7, de la page 84 du livre très connu. Le Crépuscule des idoles, trad. H. Albert, 1985, pp.  84-85.

103 Théophile Obenga, La philosophie Africaine de la période pharaonique, Paris, 1990.

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Couverture Y a-t-il du sacré dans la nature ?

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Catherine Larrère et Bérangère Hurand (dir.)

Couverture Formalisme, jeu des formes

Formalisme, jeu des formes

Eveline Pinto (dir.)

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Ce livre est cité par

  • (1997) Le Bien Commun La Palabre . DOI: 10.3917/micha.bidim.1997.01.0125
  • (2017) Le Concept et le roman . DOI: 10.3917/herm.diall.2017.01.0223
  • Mbele, Charles Romain. (2020) La question d’une philosophie des marges, entre vérité, solidarité et justice. Diogène , n° 263-264. DOI: 10.3917/dio.263.0075
  • Tahirou Younoussi Meda, Adama. (2022) Adoption des pratiques du foguain chawara dans la filiale d’une multinationale au Niger : la mobilisation des connaissances locales. Management international , 26. DOI: 10.7202/1090300ar
  • Bidima, Jean-Godefroy. McGeoch, Beatrice. (1998) Philosophical Sketches on African Becomings. Diogenes , 46. DOI: 10.1177/039219219804618417
  • Foé, Nkolo. (2012) Les politiques de la philosophie en Afrique. Diogène , n° 235-236. DOI: 10.3917/dio.235.0174
  • Foé, Nkolo. (2012) The Multiple Politics of Philosophy in Africa: Emancipation, Postcolonialisms, Hermeneutics, and Governance. Diogenes , 59. DOI: 10.1177/0392192114543748
  • Seck, Abdourahmane. (2016) Après le développement : détours paradigmatiques et philosophie de l’histoire au Sénégal. Présence Africaine , N° 192. DOI: 10.3917/presa.192.0013
  • Ouattara, Bourahima. (2016) Senghor, lecteur de Barrès. Présence Africaine , N° 191. DOI: 10.3917/presa.191.0215
  • Ouattara, Bourahima. (2017) Senghor, lecteur de Barrès. Études de lettres . DOI: 10.4000/edl.1062
  • Kane, Oumar. (2012) Épistémologie de la recherche qualitative en terrains africains : considérations liminaires. Recherches qualitatives , 31. DOI: 10.7202/1085027ar

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La philosophie négro-africaine : essai de présentation générale

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Creators/contributors, contents/summary.

  • Des renouvellements incertains
  • "Comment penser le temps" ?
  • Le dernier des Mohicans
  • Obsolète, inutile, dangereux
  • L'urgence de la pensée
  • Un seul livre
  • Des titres déroutants
  • Une autre fanfaronnade philosophique : tana ahanda
  • Mpala Mpala Mbabula : avis de recherche et position intermédiaire
  • Des femmes et des hommes de la philosophie africaine
  • Les cadres theoriques de la philosophie africaine
  • La notion de pensee africaine
  • La pensée, essai de définition
  • La pensée et ses différentes options
  • Que signifie dès lors l'expression "pensée africaine" ?
  • L'extension du concept
  • Le statut epistemologique de la philosophie africaine
  • Le problème de l'antériorité égyptienne
  • Le mot et la chose
  • Socrate et l'oralite, ou le paradoxe du "phedre"
  • Socrate comme Osiris
  • Oralité par option et non par nécessité
  • Les thèmes du "Phèdre"
  • L'option socratique et le paradoxe du "Phèdre"
  • La dialectique de l'écrit et de l'oral
  • Sens et valeur du texte
  • De la theorie a la pratique
  • L'histoire de la philosophie comme essence de la philosophie
  • L'histoire de la Philosophie et sa théorie
  • Aristote et ses devanciers
  • Hegel et l'histoire de la philosophie
  • L'histoire de la Philosophie comme question pratique
  • Une "matière" d'enseignement
  • Débat sur l'histoire de la philosophie africaine
  • Annexe : A l'ombre des pyramides
  • Philosophie africaine et transition espagnole
  • L'africanisme espagnol
  • Quelques éléments de métaphysique égyptienne
  • La question de l'antériorité
  • Eléments de métaphysique égyptienne*
  • La transition ionienne
  • La transition espagnole
  • Le regard de Picasso
  • Philosophie africaine et formes symboliques
  • L'arsenal symbolique
  • La fonction du symbole
  • Symbole et Concept
  • Le procès de l'image
  • La nécessité épistémologique du symbole
  • Herméneutique et Philosophie
  • De l'usage des cosmogonies en philosophie africaine
  • La conscience de l'homme dans le cosmos
  • La cosmogonie : essai de définition
  • Intérêt philosophique des cosmogonies
  • Valeur rhétorique et métaphysique
  • Modernité et enracinement dans la tradition : Jacob Emmanuel Mabe
  • Esquisse d'un panorama de la philosophie africaine
  • L'histoire de la philosophie
  • Les rapports de l'être et de l'avoir
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  • Pius Ondoua : l'éthico-axiologie contre l'idéologie techniciste/technocratique
  • Towa, Senghor, Hountondji
  • Le retour du philosophe Bwele
  • Le rationalisme cartésien et nous
  • Debat sur l'ethnopielosophie
  • La termitière de Kishani
  • Henry Odera Oruka et son rôle dans l'animation du débat
  • Les trois écoles et la "philosophie-sagesse"
  • La philosophie-sagesse
  • Ogetemmêli : métaphysique et cosmogonie Dogon
  • Kocc Barma Fall : maximes et proverbes antiques
  • Kocc Barma Fall et ses touffes de cheveux
  • La philosophie morale et politique
  • Antoine-Guillaume Amo et les droits de l'homme
  • Le socialisme africain
  • Le communautarisme comme socialisme virtuel
  • La réaction du socialisme scientifique
  • La problématique du genre avec les femmes elles-mêmes
  • Post scriptum
  • La philosophie du développement
  • Pierre Nzinzi
  • L'éducation en Afrique
  • Le problème du pouvoir et de la démocratie
  • Le panafricanisme
  • Le réalisme politique
  • Mais d'abord l'Authenticité africaine
  • La Renaissance africaine
  • Actualité de la Renaissance africaine
  • Renaissance et Rébellion : un discours fondateur
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  • Une pensée post-coloniale
  • Approche logique et epistemologique
  • L'épistémologie : esquisse d'une définition
  • Quelques spécialistes africains
  • Dialogue sur la vérité
  • Recherches formalistes
  • Souleymane Bachir Diagne : Philosophie symbolique et algèbre de la logique
  • Débat sur le néo-positivisme
  • Penser la modernité
  • Roger Mondoué sur Ludwig Wittgenstein
  • Une philosophie africaine nouvelle : inflexionnalité et existentialité
  • L'avenir des sciences humaines dans l'Afrique de demain
  • La question de l'objectivité
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  • Esquisse d'une définition de la bioéthique
  • La bioéthique en Afrique
  • La vision africaine de la bioéthique
  • Renaissance africaine et anthropologie égyptienne
  • Le principe de la " Bisoïté " : humanisme et communauté
  • Des bases métaphysiques : dualisme et pluralisme
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  • Le temps dans la philosophie africaine
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CHAP II : LA PHILOSOPHIE EN AFRIQUE

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Kakmeni Schaller

En quoi la philosophie peut-elle être aujourd’hui utile en Afrique ? Que peut-on retenir de pertinent et d’essentiel dans l'étude de l'histoire de la philosophie négro-africaine ? Notre réflexion est une analyse de l’histoire de la philosophie africaine. Elle va de ses origines égypto-nubiennes dans l’Antiquité, de son déploiement au Moyen-âge avec les écoles de Tombouctou, de Gao ou de Djenné à nos jours. Un tel parcours a pour souci de révéler la dynamique de l’activité philosophique en Afrique, malgré la ténacité du préjugé raciste qui est née en plein modernité et fondée pour l’essentiel sur le rejet de l’Afrique de l’Histoire. Une telle idéologie a sans doute contribué à justifier et à pérenniser la traite et l’esclavage durant trois siècles. Elle a également motivé l’Europe conquérante dans sa prétendue mission civilisatrice à coloniser l’Afrique. Ces actions de déshumanisation et d’exploitation systématique furent une véritable tragédie pour l’Afrique. Toutefois, il importe de souligner que c'est durant cette période douloureuse que le désir de liberté et de libération a été particulièrement recherché , notamment avec les actions initiées par les « Noirs » de la diaspora. Leur abnégation et leur militantisme a motivé les luttes de libération dans les colonies à travers le mouvement de décolonisation. C’est dans ce contexte de lutte pour les indépendances que se situe le débat autour de l’existence de la Philosophie Africaine suite à la publication de La philosophie bantoue de Tempels, ainsi que des controverses et critiques qui vont animées ce débat. Sans vouloir nier la pertinence des points vue sur le débat sur l’existence de la Philosophie africaine, nous tenons à préciser que l’intérêt de philosophie apparaît dans l’étude de son histoire et de son impact sur la transformation des sociétés. Notre souci est d’inviter les philosophes africains à repenser le discours philosophique africain, c’est-à-dire à réinterroger sa problématique afin de la rendre plus opérante. Car la question que chacun devrait désormais se poser est la suivante : qu’est-ce que le discours philosophique peut nous procurer comme arme redoutable pour le développement de l’Afrique ? Comme solution nous pensons qu’il est nécessaire de se réapproprier de notre passé, non pas en terme de possession ou d’exhumation mais de manière à ce qu’il puisse nous aider à comprendre et à vivre le présent, d’améliorer notre vivre-ensemble afin de construire l’avenir. Aussi, d’adopter une attitude de gagnant, de vainqueur et non de perdant, une attitude d’action et non de passivité devant la vie et les événements. D’où l’urgence d’une philosophie de la libération et du développement à laquelle nous vous invitons. Agir ainsi, c’est être capable d’orienter le discours philosophique négro-africain dans l’unique optique de la transformation radicale de la société africaine, afin de susciter une prise de conscience réelle de notre identité culturelle et d’encourager chaque africain où qu’il soit à une ouverture d’esprit et à adopter une mentalité de développement. Voilà tout l’intérêt de notre étude.

Yannick Essengue

Yannick ESSENGUE

Ethnophilosophy does not represent what should be called here African philosophy. Such is the clarification which Marcian Towa attempts, when he reacts after the publication Bantou philosophy by Placide Tempels. He characterizes such philosophy in a pejorative way as being ethno-philosophy, a double treason of both ethnology and philosophy. The same criticism is equally resounding in Fabien Eboussi, who proposes to clarify the conditions of a "use and re-use of philosophy". Here we would like to suggest through the hermenetics perspective, the contrary and the reverse side of an expression (ethnophilosophy) that still bears until today, misunderstandings.

Revue philosophique de Louvain

Philipp W . Rosemann

This is an extended review of the book by D. A. Masolo, "African Philosophy in Search of Identity," originally published in 1994.

Revista Labirinto

We choose to reflect on certain and provisional nexus between philosophy and hermeneutics in the context of postcolonial Africa. This consideration is situated in the movement of hermeneutics considered essentially as philosophical with in the scope that is at once theological, juridical and philological, even when in reality, the hermeneutical quest looks like a sheer abandonnement oh human beings in the face of the absurdity of the incomprehensible. For us, the definition would represent one of the hermeneutical path that deserves to be taken seriously, which announces the end of the subject's rapprochement with the real. So, how could we bring together, Gadamer's diactectical hermeneutics and Kinyongo's discursivity (hermeneutical theory in African philosophy)? If the postcoonial is understood as "politics of life" (Achille Mbembe), hense our attestation would be that the African historicity is dialectical, which necessitates interpretation. It is here that we would prefer to pay attention to by means of historical defining paremiology.

Herman Lodewyckx

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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine

Amo. Le philosophe africain des Lumières

Connaissez-vous Anton Wilhelm Amo ? Ce nom ne vous évoque peut-être rien, mais son destin est extraordinaire. Arraché au XVIII e  siècle à sa terre natale, au bord du golfe de Guinée, et « offert » à un prince allemand, il deviendra le premier Noir docteur en philosophie d’une université européenne. Un parcours hors norme propice à bien des récupérations, mais aussi une pensée à découvrir.

Ce fut par le plus grand des hasards. Une professeure de philosophie proche du journal s’apprêtait à intégrer un programme d’aide à des élèves en situation de décrochage scolaire, à Sarcelles. Avant d’animer son premier atelier, elle fut briefée par une collègue : les adolescents posent souvent des questions qui défient le politiquement correct. Parmi elles, l’une revient avec insistance : « La philosophie n’est-elle pas une invention et un discours de Blancs ? Y a-t-il eu dans l’histoire des philosophes noirs, africains ? » Selon cette collègue, un nom pouvait être avancé : celui d’Anton Wilhelm Amo, penseur des Lumières. Réaction de la professeure ? La même que la nôtre : Amo ? Jamais entendu parler. Interloqué, on ouvre l’épais Dictionnaire des philosophes paru aux Presses universitaires de France. Rien. Persévérant, on consulte un dictionnaire des noms propres. Rebelote, nada . On googlise alors le nom. Et là, on découvre que la page qui lui est consacrée sur Wikipédia est assez fournie. Qu’il existe des ouvrages et des articles entiers, des blogs de spécialistes sur lui. Bref, cet Amo a tout de l’inconnu célèbre. Avec cette particularité : « Il est sans doute, dixit Wikipédia, la première personne originaire d’Afrique subsaharienne à avoir étudié dans une université européenne, et le premier Africain à avoir obtenu un doctorat dans une université européenne. »

Le philosophe africain des Lumières. Le scénario est presque trop « énorme »… On hésite – depuis quand la couleur de la peau aurait-elle une importance lorsqu’il s’agit de philosopher ? N’est-il pas suspect, pour ne pas dire plus, de s’intéresser à un penseur seulement parce qu’il est Noir ? Puis on commence à lire, à approfondir son histoire. Et l’on est pris. Et l’on se lance.

Au commencement, le déracinement. C’est un enfant âgé d’à peine 4 ans que l’on emmène vers l’Europe. Le flou entoure sa naissance : il est possible qu’il ait vu le jour en 1703, à Axim ou dans une localité proche de cette ville côtière, située au sud-ouest de l’actuel Ghana. À l’époque, toute la zone du golfe de Guinée est l’objet des convoitises des puissances européennes. Elles y installent des forts à vocation militaire et commerciale, se répartissent ou conquièrent de nouveaux territoires au gré d’intenses rivalités. D’abord aux mains des Portugais, Axim passe sous tutelle hollandaise en 1642. Lorsque l’enfant naît, c’est un important port et centre de production. De l’or y est acheminé des terres ; on y vend aussi du sel, du riz, des produits agricoles et artisanaux. Mais une autre marchandise transite par les forts des Européens : des hommes. Ils sont enchaînés, destinés à être convoyés vers le Nouveau Monde. La traite des esclaves a commencé dès l’installation des Portugais, elle s’est accélérée dans la seconde moitié du XVII e  siècle. Côté hollandais, c’est la toute-puissante Compagnie des Indes occidentales qui chaperonne les basses œuvres du commerce triangulaire.

L’enfant, donc, est embarqué sur un navire. Comment s’est-il retrouvé là ? Premier scénario, le plus rocambolesque, le moins crédible aussi : il aurait été kidnappé par des pirates, tandis qu’il s’amusait sur une plage avec ses camarades. Deuxième scénario, le plus édifiant, mais qui reste improbable : à l’instar de tant d’autres, il aurait été vendu comme esclave. Troisième scénario, le plus plausible : il aurait été repéré à Axim par un pasteur hollandais qui l’aurait envoyé en Europe afin qu’il suive une éducation religieuse. Toujours est-il qu’en 1707, un bateau de la Compagnie des Indes occidentales le dépose à Amsterdam. Mais au lieu d’être placé dans un pensionnat, il est « offert » à un aristocrate ayant de bonnes relations avec la Compagnie. Le voici confié au duc Anton Ulrich (1633-1714), qui règne sur la principauté de Brunswick-Wolfenbüttel. C’est un promoteur des arts et des sciences, possesseur d’une impressionnante bibliothèque et écrivain. On peut supposer que ce duc éclairé accueille l’enfant avec des sentiments philanthropiques. Toutefois, il convient d’indiquer que ce type de « cadeau » était monnaie courante en ce temps où les grands de ce monde se plaisaient à s’entourer de Noirs d’Afrique – signes ostentatoires de richesse et de progressisme, amenant un frisson d’exotisme à la cour ?

dissertation sur la philosophie africaine

Une identité entre deux héritages

Juillet 1707 : les archives de la chapelle locale mentionnent qu’un « petit Noir » ( « ein kleiner Mohr » – « Mohr » ayant aussi la signification péjorative de « Nègre ») a été baptisé. Il reçoit deux prénoms, celui du duc, Anton, et celui de l’un de ses fils, appelé à lui succéder, Wilhelm August. Son identité civile est fixée, au carrefour de deux héritages : il s’appellera Anton Wilhelm Amo (Amo étant apparemment son nom de naissance). De son enfance et de son adolescence, on ne sait rien d’assuré. Comment était-il regardé dans la haute société ? A-t-il servi comme page, comme l’ont affirmé certains biographes ? A-t-il rencontré Leibniz, qui fut bibliothécaire à Brunswick-Wolfenbüttel ? Une certitude : les Ulrich se posent comme ses protecteurs et ses mécènes. Entre 16 et 18 ans, Amo touche des sommes d’argent qui financent son éducation. Dans une académie locale puis une université voisine, il acquiert une formation classique. Ce n’est qu’un début. Il a déjà quitté la cour.

Une notation manuscrite sur un registre d’inscription de faculté. À côté de son nom, il a lui-même écrit Ab Aximo in Guinea Africana (« d’Axim en Guinée, Afrique »). C’est avec le souci de marquer ses origines qu’Amo s’immatricule, le 9 juin 1727, à l’université de Halle, ville rattachée au royaume de Prusse. Créée en 1694, l’institution s’impose comme un bastion des Lumières naissantes dans le monde allemand. Entre ces murs, la raison entame son combat contre les forces de la tradition et du cléricalisme, avec des figures de proue comme le métaphysicien Christian Wolff (1679-1754), qui élabore un vaste système embrassant la totalité ou presque des disciplines. Cependant, la cause univoque de Dieu possède encore de puissants zélateurs à Halle. Le camp des théologiens conservateurs obtient ainsi, avec l’appui du roi de Prusse Frédéric-Guillaume I er – souverain tenant l’intellectualité en aversion –, le renvoi de Wolff, forcé à l’exil sous peine de pendaison…

“Lorsque le prince-électeur de Saxe visite l’université de Halle, c’est Amo qui dirige la cérémonie”

C’est dans cette arène qu’Amo débarque et plonge. Il y poursuit sa formation, notamment en philosophie, et se spécialise en droit. En 1729, il livre un premier travail universitaire en latin, qui lui vaut le grade de Magister Legens (l’équivalent de docteur en droit). Le sujet est explosif et le concerne au plus près : il s’agit d’une Dissertation sur les droits des Maures en Europe (« Maures », maurorum en latin, étant synonyme ici de « Noirs »)… Las ! cette contribution a été perdue. Son contenu, néanmoins, est résumé dans une notice d’une revue locale. Dans un premier temps, Amo effectue un détour par l’Histoire et le droit : il montre que, dans l’Antiquité, les empereurs romains faisaient des « rois » des provinces d’Afrique leurs « vassaux », habilités à gouverner par un « mandat ». Traduisons : les chefs et les sujets africains de l’Empire possédaient un statut juridique et avaient à ce titre la garantie de droits imprescriptibles. Dans un second temps, revenant vers son époque, Amo se demande dans quelle mesure « la liberté ou la servitude des Maures amenés en Europe par les chrétiens, est conforme aux lois communes ». Impossible d’être formel, mais il est vraisemblable qu’Amo, de manière explicite ou oblique, ait dénoncé l’esclavage comme une pratique illégale… Un pionnier de l’abolitionnisme ? Deux points saillants : tout d’abord, il aborde la question non sur le plan des affects, mais sur le terrain dépassionné, rationnel, du droit ; ensuite, on devine une tonalité irrévérencieuse dans son propos. En son temps, l’Empire romain est un modèle mythifié ; en outre, Amo mentionne Justinien, empereur byzantin ardemment chrétien. Si une personnalité de cette stature a accordé l’autonomie aux Africains, les chrétiens du XVIII e  siècle qui se réclament de lui et de Rome tout en acceptant l’esclavage ne sont-ils pas pris en flagrant délit d’incohérence et même d’hérésie ? La traite n’est-elle pas un scandale au carré, double offense faite à la raison et à la religion ? Amo aurait par conséquent manié des références hautement stratégiques pour secouer ses contemporains, renverser contre eux leur propre héritage. Une manœuvre subtile, à l’ironie mordante : plutôt culotté en contexte.

Il n’est pas exclu que ce travail ait créé du remous. Et, à Halle, les coups de semonce des obscurantistes redoublent d’intensité… Peut-être à la recherche d’un asile plus accueillant pour les idées nouvelles, Amo s’inscrit en septembre 1730 à l’université rivale de Wittenberg, en Saxe. Transfert réussi : à peine un mois après son intégration, il reçoit cette fois le grade de Magister (docteur) en philosophie, alors qu’il n’a pas encore soutenu de thèse dans ce domaine. Le titre lui permet, parallèlement à ses études de médecine, de métaphysique ou de logique, de donner ses premiers cours. Période épanouissante pour Amo, qui trouve estime et reconnaissance : le recteur de Wittenberg lui rend un hommage public appuyé, saluant ses compétences et l’inscrivant dans la lignée des illustres auteurs de l’Antiquité nés en Afrique (du Nord) – Térence, Tertullien et saint Augustin en tête. Cette valorisation d’Amo se traduit dans les faits : lorsque le roi de Pologne et prince-électeur de Saxe Auguste III visite l’université, c’est lui qui est choisi pour diriger en tenue cérémonielle un cortège qui se présente au souverain. Comment ce dernier, plus versé dans la boisson que dans les lettres, a-t-il réagi en voyant le philosophe à la peau noire s’avancer vers lui ? L’a-t-il avisé avec perplexité, ignorance ou répulsion ? Le regard d’Amo s’est-il empli d’orgueil ou de défiance ? La scène embrase l’esprit romanesque… Mais il fut bel et bien élevé au rang symbolique d’étendard du savoir.

dissertation sur la philosophie africaine

Réhabiliter le corps

Son couronnement académique ne tarde pas. En avril 1734, il soutient sa thèse de philosophie, une première en Europe pour un penseur né en Afrique. Le travail a pour titre raccourci De l’absence de sensation dans l’esprit humain ( De humanae mentis apatheia ). L’intitulé condense l’idée-force : Amo considère que l’esprit (con­fondu avec l’âme) n’a pas la faculté de sentir ou de percevoir ; il en va d’une clarification conceptuelle, d’une rectification de type métaphysique : « L’homme sent les choses matérielles non pas par son âme, mais par son corps vivant et organique. » Si la thèse peut paraître élémentaire aujourd’hui, à l’époque, elle sent le soufre. Amo ferraille ici avec Descartes. Il conteste un point précis de sa doctrine : l’idée selon laquelle l’âme peut « agir et compatir avec [le corps]  », comme l’écrit Descartes lui-même dans une lettre citée par Amo. L’âme cartésienne est une chose qui pense, qui sent aussi ; elle est le siège d’une « certaine faculté passive de sentir » ( Sixième Méditation métaphysique ), ce qui fait qu’elle ressent de la douleur, par exemple, lorsque le corps est blessé. Voilà ce dont Amo ne veut pas entendre parler. Renouant avec la tactique impertinente employée dans sa Dissertation sur le droit des Maures en Europe, il retourne Descartes contre lui-même : si l’âme est vraiment une substance immatérielle, comme le père du cogito l’affirme, comment pourrait-elle sentir, être affectée par des choses matérielles, ce qu’il maintient aussi ? Il y a une contradiction quelque part…

Descartes n’est pas sa seule cible. Amo prend également position dans un débat qui fait rage là même où il travaille. Une dispute philosophico-scientifique oppose les partisans du mécanisme et les « stahliens », les disciples du chimiste Georg Ernst Stahl (1659-1734), professeur à Halle. La ligne de front ? Les mécanistes voient dans le corps une machine sophistiquée qui fonctionne de manière autonome. Les stahliens, eux, posent qu’il reste dans la dépendance de l’âme, cette énergie ou « force active » (Stahl) qui le meut. Dans la bataille, Amo se range du côté des mécanistes. Il nie que l’âme soit un principe de vie et de mouvement, et va même jusqu’à comparer l’esprit à une pierre, l’inertie basculant de camp… Démystification de l’âme, réhabilitation du corps, lequel, loin d’être un instrument ou un pantin, est le vecteur, la surface de contact avec le monde : dans sa thèse, Amo joue aussi le jeu de l’esprit scientifique – les théologiens ont une forte tendance à sanctifier l’esprit –, même s’il prétend que ses thèses sont étayées par certains passages des Écritures. La religion au soutien de la science et de la philosophie : prudence ou nouvelle provocation tacite ?

“Amo tisse un pont entre deux mondes reliés alors par les rapports exclusifs de la domination”

Dégagement, parenthèse : la pensée d’Amo est en prise directe avec les problématiques et les controverses de son temps. De ce point de vue, il ne délivre pas de philosophie « noire » ou « africaine » – sauf à dire, ce qui est contestable, qu’il suffit d’être né en Afrique pour faire de la philosophie africaine ( lire l’encadré ci-contre )… Non, Amo est un métaphysicien allemand, animé par l’ambition universelle des Lumières. Le tableau, cela dit, est-il complet ? Souvenons-nous de sa dissertation en droit, du rappel de ses origines dans le registre de Halle. Et ajoutons qu’Amo paraphera très souvent ses documents et ses contributions en se présentant comme un Africain – il signe Amo Afer, Amo Guinea-Afer (afer, particule latine pour « Africain ») ou encore Amo Guinea-Africanus. Loin de forclore sa provenance, il l’affirme. Par intériorisation de sa différence, laquelle n’a certainement pas manqué de lui être renvoyée à la figure ? Autre piste interprétative : cette différence, il l’aurait revendiquée avec constance, courage, fierté. Amo ou l’ambivalence, celle d’un être double, hybride : penseur « assimilé » et homme conscient de sa spécificité. Même et autre. Dedans et dehors. Il ne pouvait pas ne pas penser comme les autres ; il ne pouvait pas ne pas se défaire, ou être défait de sa singularité. Amo, donc, ou la coappartenance, la coexistence parfois non pacifique – comme en témoigne sa charge présumée contre les chrétiens esclavagistes – de ses deux identités, européenne et africaine, pareillement, simultanément assumées. Peut-être fut-ce là le foyer d’un déchirement, d’âpres négociations intérieures. Peut-être cette condition, qui le plaçait sous le signe de l’entre, de l’écart, fut vécue par lui comme la possibilité d’un pari : être un passage, un pont entre deux mondes reliés alors par les rapports exclusifs de la domination.

Après sa soutenance de thèse, Amo reste encore deux ans à Wittenberg, avant de poursuivre ailleurs sa carrière universitaire : d’abord à Halle où il retourne et achève un Traité sur l’art de philosopher de manière simple et précise (1738) ; puis à l’université d’Iéna qu’il rejoint en 1739. Là, il enseigne la philosophie, la psychologie et la médecine, mais aussi l’astrologie, la cryptologie ou les techniques de divination tout en donnant une conférence sur la réfutation des superstitions populaires… Esprit manifestement encyclopédique, Amo multiplie les cours pour des raisons matérielles : n’ayant plus le soutien financier des Ulrich, il a le statut de Privatdozent, enseignant rémunéré par ses étudiants. Précarité de sa situation, combinée à un contexte où les résistances contre l’esprit des Lumières sont encore vives : la conjoncture semble nourrir chez Amo un certain fatalisme. Sur un album tenu par un ami, il consigne une formule : « Quiconque a consenti, comme il faut, à la Nécessité / Est à nos yeux un sage et connaît les choses divines. » La maxime est d’Épictète, une reprise tout sauf anodine : le philosophe antique fut un esclave affranchi. Amo s’est-il identifié à lui, esquissant un lointain cousinage ? Sa réappropriation du credo stoïcien de l’impassibilité et de la soumission au destin laisse en tout cas suggérer que le grinçant de son ironie s’est teinté d’un voile de mélancolie.

Retour à la terre natale

Alors que la suite de sa vie se perd une nouvelle fois dans les limbes –  certaines sources rapportent qu’il fut nommé conseiller d’État à Berlin par Frédéric II, le nouveau « despote éclairé » de Prusse favorable aux philosophes –, Amo réapparaît avec un coup de théâtre. Vers 1747-48, il quitte l’Allemagne et l’Europe pour revenir en Afrique. Pourquoi cet exil paradoxal ? Une explica­tion avancée tient à une moquerie dont il est la victime. À Halle, un obscur plumitif du nom de Philippi rédige et diffuse un poème satirique où il met en scène Amo déclarant sa flamme à une étudiante, « Mademoiselle Astrine ». Et la jeune femme de l’éconduire, arguant qu’elle ne saurait « tout de même pas aimer de Nègre »… Il n’est pas impossible que l’histoire ait été inspirée de faits réels, amplifiés grossièrement. Ce serait sous le coup de cette déception sentimentale et de la honte qu’il aurait décidé de larguer les amarres. Nébuleux, l’épisode montre qu’il aura connu, hélas ! sans surprise, les morsures du racisme ordinaire, larvé ou déclaré.

À son retour, si l’on se fie au témoignage d’un chirurgien de navire hollandais, Amo s’installe à Axim où il vit tel un ermite, acquérant la réputation d’un sage, d’un devin. Il retrouve son père et sa sœur, et apprend qu’il a un frère, Atta, esclave au Surinam. Il aurait tenté de le faire revenir, en vain. Ses démarches ont-elles fait d’Amo un élément perturbateur de la traite « officielle » ? Toujours est-il qu’il part vivre dans une autre ville côtière, à Shama. Il réside dans un fort tenu par les Hollandais, où, selon toute vraisemblance, il est assigné à résidence… C’est là qu’il finit ses jours, à une date inconnue de la décennie 1750. Sur sa tombe édifiée bien plus tard, il sera inscrit « 1784 » – un sage octogénaire l’est d’autant plus.

Même nimbée d’incertitude, la mort d’Amo résonne comme une cruelle ironie de l’histoire. Elle laisse l’impression d’une destruction impitoyable de l’héritage d’une vie. Amo n’est certes pas un génie oublié, ni même un très grand philosophe, mais un penseur à l’œuvre et à la carrière respectables. Qu’il ait été représentatif des idéaux des Lumières, cela a déjà affleuré nettement. Soulignons-le encore. Dans son Traité sur l’art de philosopher de manière simple et précise, Amo développe des motifs typiques des premiers Aufklärer. C’est la définition classique de la philosophie comme ce qui doit conduire au « perfectionnement moral » et au bonheur. C’est aussi la fronde contre les préjugés, ces «  [énoncés faux et erronés] dont l’origine est liée à la négligence et à l’ignorance », fondés qu’ils sont sur la « tradition » et « l’autorité ». C’est, enfin, l’appel à faire un usage public et réglé de la raison. Amo consacre toute une section à l’art de la critique et du débat oral ; dans la confrontation d’idées, les interlocuteurs doivent se prémunir contre les élans de la passion, argumenter encore et toujours ( « rien ne doit être affirmé ou nié sans cause » ), et ce « en vue de l’établissement d’une vérité encore plus solide » et partagée.

dissertation sur la philosophie africaine

Le côté obscur des Lumières

Égrainant ces lieux communs, mais forts, Amo aurait pu se donner comme maxime Sapere aude, « Ose savoir ». On sait que dans son Qu’est-ce que les Lumières ? (1784), Kant emploie la même formule latine. «  Sapere Aude  ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières »  : pour l’auteur de la Critique de la raison pure, né vingt ans après Amo, en 1724, les Lumières correspondent à un mouvement d’émancipation. Elles désignent « la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle » intellectuelle, le passage de l’hétéronomie (la soumission mécanique et consentie à un maître) à l’autonomie comme « résolution » à penser par soi-même. Si l’on retient cette conception, force est de le constater : Amo cadre. Tout chez lui témoigne de ce processus d’affranchissement : sa pensée –  « dans bon nombre d’esprits, l’autorité est synonyme de vérité, pas l’inverse », note-t-il – comme sa vie, tellement en son temps la couleur de sa peau devait être spontanément associée à l’état subalterne… Devenu universitaire, il s’est érigé en héraut vivant des Lumières. Mais ici, les choses se compliquent : Kant aurait-il été d’accord avec cette intronisation ? Rien n’est moins sûr. Car le chantre du criticisme et du cosmopolitisme s’est également fendu de déclarations racistes atterrantes. Dans ses Observations sur le beau et le sublime, il s’exclame : « si essentielle est la différence entre ces deux races ! », les Blancs d’Europe et « les Nègres d’Afrique », décrits comme stupides, superstitieux, « vaniteux » et « si bavards qu’il faut les séparer et les disperser à coups de bâton »… Que de telles assertions relèvent des pires clichés de l’époque est loin de tout excuser, sachant que Kant n’est pas un cas isolé. Il cite lui-même pour l’approuver le fer de lance des « Lumières écossaises », Hume, lequel, dans une note de son essai « Les caractères nationaux », estime que les « nègres sont naturellement inférieurs », ajoutant qu’ « il n’y a jamais eu de nation civilisée, ni même d’individu qui se soit distingué par ses actions ou par sa pensée, qui fussent d’une couleur autre que blanche ». La tentation est grande de dézinguer ce suprématisme : alors on dira que la pensée de Hume est très proche sur un point de celle… d’Amo. Dans l’empirisme de l’Écossais, tout commence avec les sensations ou les perceptions immédiates, dont les idées dérivent ensuite, « copies » de moindre intensité ; si je forge la notion de chaleur, c’est d’abord parce que je me suis brûlé. Or chez Amo, l’idée est aussi secondaire ; cette opération de l’âme correspond à une « sensation représentée » ou « répétée » du corps. Je sens, puis je pense. L’un de ces « Nègres » aura anticipé les développements de Hume pour lequel « il n’y a chez eux ni inventions ingénieuses, ni arts, ni sciences »  : à bon entendeur, (point de) salut.

Il y a un paradoxe Amo : d’un côté, il reflète et incarne l’esprit des Lumières ; de l’autre, sa trajectoire amène à en faire ressortir le côté obscur. Tout comme l’expansion économique de l’Europe aura eu l’esclavagisme massif comme condition de possibilité, les Lumières sont lestées d’une ombre, ineffaçable ; historiquement, elles sont concomitantes, et parfois complices, de l’essor du discours sur l’inégalité des races. Elles se réclament de l’universalisme, mais un universalisme bien relatif, restreint et sélectif. Elles ne s’autorisent que de la raison, mais, dans un retour du refoulé, les références discriminatoires à la « nature », aux « espèces » d’hommes, s’immiscent dans ce discours (on a cité Kant et Hume, mais on trouve aussi chez Voltaire le tolérant des affirmations à caractère raciste  1 ). Une machine d’exclusion, un dispositif de ségrégation : si l’on suit cette pente corrosive, tel est le négatif, y compris au sens photographique, des Lumières.

La construction d’un symbole

En ce sens, le cas d’Amo invite à en produire la contre-histoire. Et de fait, après sa mort, son nom sera notamment brandi contre les dévoiements du modèle européen dont il a été l’enfant à part. C’est le temps de sa captation mémorielle – naissance, construction d’un symbole.

Ce travail commence très tôt. Amo apparaît sous la plume d’un acteur emblématique de la Révolution française, l’abbé Grégoire (1750-1831). Rallié au tiers état, membre de la Constituante, il est aussi partisan de l’abolitionnisme. En 1808, il publie De la littérature des Nègres, où la traite est brocardée comme un « crime » contre l’humanité : « Depuis trois siècles, l’Europe, qui se dit chrétienne et civilisée, torture, sans pitié, sans relâche, en Amérique et en Afrique, des peuples qu’elle appelle sauvages et barbares. » Les vrais barbares, c’est nous… Pour pulvériser les stéréotypes et répliquer aux « détracteurs des Nègres », l’abbé liste et présente des personnalités noires qui « se sont [distinguées] par leurs talents et leurs ouvrages » au cours de l’Histoire. Amo en est. Grégoire propose une biographie courte mais élogieuse. Il apprend que le philosophe était polyglotte, maîtrisant six langues (latin, grec, hébreu, néerlandais, allemand et français), et, rappelant l’estime dont il a été l’objet, note que « l’université de Wittenberg n’avait pas, sur la différence de couleur, les préjugés absurdes de tant d’hommes qui se disent éclairés ». La pique n’aurait pas déplu à Amo, preuve éclatante de l’inanité des considérations de race, antidote au poison de la catégorie de « Nègre ».

“L’Europe qui se dit chrétienne et civilisée torture sans pitié, sans relâche des peuples qu’elle appelle sauvages”

Abbé grégoire, de la littérature des nègres (1808).

Dans la suite du XIX e  siècle et la première moitié du XX e , quelques travaux, assez rares, reviennent sur son parcours, toujours pour souligner l’aspect extraordinaire de sa vie, au détriment de son œuvre. Mais dans le contexte de la guerre froide et des décolonisations, des renvois plus insistants et consistants vont se faire jour. Amo est alors enrôlé dans le combat pour l’émancipation sous toutes ses formes. Un homme politique africain, également philosophe, se réfère à lui : Kwame Nkrumah (1909-1972), artisan de l’indépendance du Ghana, en 1957. Ayant étudié à l’étranger, Nkrumah se fait con­naître comme l’un des chantres du panafricanisme, soit l’ambition d’unifier sous la bannière d’une histoire et d’une spiritualité communes les pays africains spoliés par le colonialisme. Il pourfend également le capitalisme et souhaite engager son pays dans la voie contraire du socialisme. Ce qu’il fera après l’indépendance, une fois élu président… Africain et socialiste, Nkrumah se réapproprie Amo sur ces deux versants qu’il solidarise. Dans une lettre, il salue Amo comme « un patriote africain, qui défendait avec énergie son individualité, sa personnalité africaine et son droit indiscutable à l’égalité et la liberté ». Et dans son principal ouvrage philosophique, Le Consciencisme, il renvoie à la thèse de 1734, en l’actualisant selon un prisme de lecture pour le moins biaisé. C’est un billard à trois bandes : pour Nkrumah, Amo critique Descartes, ce qui en fait un adversaire de l’idéalisme, cette doctrine qui méprise le corps, les réalités effectives, tout en aspirant à les soumettre par l’esprit omnipotent. Anti-idéaliste, Amo est en ce sens un penseur matérialiste ; refusant la tyrannie de l’âme, la tyrannie tout court, il est humaniste et communiste, personnifie la conscience africaine tournée vers l’égalité (si l’on suit le raisonnement de Nkrumah). Amo devient un esprit tutélaire de l’anticolonialisme et de la négritude – pour reprendre la notion popularisée au même moment par Senghor –, soluble dans le marxisme-léninisme.

Un axe ou une internationale se crée autour de cette récupération. Dans une conjoncture où les pays du bloc de l’Est nourrissent des échanges avec les nations africaines, la RDA met également Amo en avant, instrumentalisant sa mémoire – elle a accueilli et formé un intellectuel noir : manifeste du communisme comme progressisme, havre de l’humanité générique. L’université de Halle-Wittenberg – les deux institutions se sont réunifiées en 1817 – est la locomotive de cette valorisation parallèle d’Amo et de la RDA : au mitan des années 1960, une équipe de chercheurs pilote la traduction de ses œuvres en allemand, en anglais et en français. Un professeur d’archéologie, Burchard Brentjes (1929-2012), publie ensuite une monographie incontournable, Anton Wilhelm Amo. Le philosophe noir de Halle (non traduit). Selon Brentjes, comprendre l’itinéraire du philosophe suppose ce rappel imprescriptible : « C’est sur le sang et la sueur [de] 100 millions d’Africains que les puissances coloniales, à commencer par la France et l’Angleterre, ont construit leur domination économique, le progrès techno-économique du capitalisme sur la base duquel on a fait passer jusqu’alors des crimes comme l’apartheid pour le résultat nécessaire de la supériorité raciale des Blancs. » Nouvelle offensive, nette dans son inclination politique, contre le capitalisme synonyme de barbarie et d’impérialisme total –  « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme », selon le slogan fameux de Lénine. Dernier avatar de la mise en exergue symbolique d’Amo : sur le campus de Halle-Wittenberg, un monument-mémorial est érigé en son honneur. Il représente un couple d’Africains et ne va pas sans susciter une certaine gêne : le message, certes, est limpide tant les deux personnages ont l’allure fière des insoumis (ils tiennent debout face à l’exploitation) ; cependant, il peut sembler étrange de rendre hommage à Amo en reprenant les standards de l’imaginaire colonial (l’homme est en pagne et en sandales, son torse est avantageusement musculeux…). Pour le dire autrement : on flirte avec la contradiction performative.

Amo, précurseur de l’anticapitalisme ?

Postérité d’une postérité : au Ghana, Nkrumah amorcera un virage dictatorial avec promulgation d’un régime à parti unique et culte paranoïaque de la personnalité ; son économie planifiée sera entachée de désastres, et, une fois renversé, il mourra réfugié dans la Roumanie de Ceaușescu. Après la chute du Mur, l’université de Halle-Wittenberg n’oubliera pas tout à fait son rejeton : depuis 1994, un prix Amo est décerné à des étudiants méritants. Clap de fin pour l’embrigadement anticapitaliste du philosophe ? Pas tout à fait. Il apparaît dans la série documentaire Capitalisme, du réalisateur Ilan Ziv, diffusée fin 2014 en France. Cette saga en six épisodes démonte la boîte noire du capitalisme aux crashs récurrents en adoptant un regard sur la longue durée. Le deuxième volet s’attache en particulier à déconstruire la base intellectuelle du capitalisme, le libéralisme, à travers une analyse de l’œuvre d’Adam Smith. C’est tout l’envers du décor qui est montré, cru et cruel : les dogmes de la main invisible, de la liberté d’entreprendre se sont imposés dans une déconnexion, un masquage de leur ressort réel, à savoir le pillage des ressources et la mise en servitude généralisés – l’esclavage comme tabou du totem libéral. À ce moment, sur l’écran, des images du Ghana, de Shama. À côté d’un fort décati, des hommes se recueillent sur une tombe, celle d’Amo. La voix off le présente comme un « contemporain d’Adam Smith, ancien esclave et philosophe ». Première torsion : on a vu que, très vraisemblablement, il ne fut pas esclave… Le commentaire enchaîne : « Amo fut le premier à pointer l’aberration d’une science échafaudée sans tenir compte des réalités humaines du capitalisme. » Ambiguïté, quand tu nous tiens : le propos vise à faire d’Amo un précurseur subversif, un contre-Adam Smith exhibant les impensés du libéralisme. Une telle reconstitution se justifie si l’on extrapole à partir de sa dissertation sur le droit des Noirs, de la dénonciation de l’esclavage qu’on peut lui prêter. Mais il s’agit en quelque sorte d’un passage en force dans la mesure où, apparemment, Amo n’a pas fait œuvre d’économiste, ni critiqué explicitement le capitalisme. La fin de la séquence succombe au démon du storytelling, qui a ses raisons que la raison ignore : « Au XVIII e  siècle, la pensée critique d’un philosophe africain ne pouvait être entendue. Amo dut fuir l’Europe et mourut ici, à Shama. Alors que La Richesse des nations [de Smith] devenait la Bible de l’économie, les livres d’Anton Wilhelm Amo furent brûlés, et son travail presque oublié. » L’effet de dramatisation, réussi, se heurte aux faits, flous mais têtus : Amo a peut-être quitté l’Europe suite à une désillusion sentimentale – en tout cas, il n’existe pas de preuve d’un acharnement ou d’une cabale intellectuelle contre lui – et dans les travaux de référence, à notre connaissance, nulle mention n’est faite d’autodafés… Étrange, tout de même, de voir un documentaire plutôt à charge contre le capitalisme brosser le portrait d’Amo sur un mode passablement hollywoodien – à quand le biopic  ?

Un phare contre le racisme

Mais voilà : son existence le condamnait presque à devenir un mythe, aussi discret que continu. Figure possible de la critique de l’Occident, Amo reste également un phare potentiel de l’antiracisme. En Allemagne, certaines associations, Amo Books par exemple, se sont emparées en ce sens de son histoire – et il est salutaire de la remémorer notamment à Halle et en Saxe en général, en proie depuis le début des années 2000 à des actes fréquents de xénophobie, et où l’extrême droite accomplit des percées significatives (aux élections régionales de mars 2016, sur fond de crise des migrants, le mouvement populiste Alternativ für Deutschland a obtenu près de 24 % des suffrages en Saxe-Anhalt). Alors, oui, sur ces terres, il y eut Amo Afer.

En France, il a été mis en avant dans le livre de l’ancien footballeur Lilian Thuram, Mes étoiles noires. Partant de sa scolarité, où les Noirs n’étaient mentionnés dans les manuels qu’en référence à l’esclavage, Thuram s’attache à des personnalités noires aux parcours remarquables. Un peu à la façon de l’abbé Grégoire jadis. La vie d’Amo est relatée dans ce cadre, dans un texte parfois empreint de pointes d’héroïsation : le chapitre laisse entendre, une fois de plus, qu’Amo était esclave ; il est présenté comme un « surdoué » ayant atteint des « sommets académiques ». Le rendre si exceptionnel, hors norme, n’est-ce pas en diminuer la portée exemplaire ? Qu’il ait été un philosophe « normal » de son temps rend son cas, nous semble-t-il, plus fort encore… Quoi qu’il en soit, Thuram répond à la question dont nous étions partis (« Y a-t-il eu dans l’Histoire des philosophes [ou plus largement des intellectuels, des scientifiques, etc.] noirs, africains ? »), dans une démarche dialectique : la couleur est un message qui doit s’autodétruire. Les « étoiles noires » sont scrutées afin de susciter un choc et de répandre cette idée : « l’âme noire, le peuple noir, la pensée noire n’existent pas plus que l’âme blanche, le peuple blanc ou la pensée blanche. » Avec raison, Thuram met en garde contre toute reprise identitaire d’Amo. Sa trajectoire est telle qu’elle pourrait être préemptée, mise au service d’une perspective différentialiste. Il serait alors transformé en un symbole de la seule « fierté noire » – un discours militant surtout présent aux États-Unis, mais qui trouve en France des relais d’expression –, voire d’un séparatisme ou d’un radicalisme noir, où il s’agit de segmenter la vie et les institutions de la Cité en fonction de la couleur de peau, quand il n’en va pas, dans une logique d’inversion délétère, d’un « racisme anti-blanc ».

Le paradoxe Amo, encore et toujours. D’une part, ce fils des Lumières pourra toujours permettre de les démythifier, d’en révéler la face sombre – et il faut continuer à ne pas, à ne plus l’occulter, à revenir sur l’histoire, que nous avons tant de mal à reconnaître ou à imposer, des crimes et discriminations opérés au nom de la « race ». Mais d’autre part, son nom pourra toujours être mobilisé pour défendre l’héritage même des Lumières, contre tous ceux qui voudraient le « communautariser », le cloisonner dans une identité de couleur. Il a incarné cet esprit, ce souffle universaliste dans sa vie comme dans sa pensée. Et là, si l’on se refuse à éclipser son œuvre de philosophe, revient en mémoire l’inoubliable apostrophe de Jean Genet dans Les Nègres  : « Qu’est-ce donc, un Noir ? Et d’abord, c’est de quelle couleur ? »  

Parmi les œuvres d’Amo, sa thèse  De l’absence de sensation dans l’esprit humain  et son  Traité sur l’art de philosopher avec précision et sans fioritures  ont été traduits et commentés par Simon Mougnol (L’Harmattan, 2010). Parmi les travaux de référence, citons l’article en anglais de William Abraham,  « The life and times of Anton Wilhelm Amo »  (dans la revue  Transactions of the Historical Society of Ghana,  1964) et le livre en allemand de Burchard Brentjes,  Anton Wilhelm Amo. Der schwarze Philosoph in Halle  (Halle/Leipzig, Koehler & Amelang, 1976). En français, on lira l’article de Christiane Damis,  « Le philosophe connu pour sa peau noire : Anton Wilhelm Amo »  ( Rue Descartes,  2002) et le chapitre que lui consacre Lilian Thuram dans   Mes étoiles noires  (Philippe Rey, 2010, repris en Points/Seuil). Sur Internet, on trouve un blog tenu par Justin Smith,  Theamoproject.org.  Enfin, à voir, la série documentaire  Capitalisme,  d’Ilan Ziv (Arte Éditions, 2014).

Merci à Chiara Pastorini, Anne-Sophie Moreau et Céline Kocher.

1. « la race des nègres est une espèce d’hommes différente de la nôtre, comme la race des épagneuls l’est des lévriers […]. on peut dire que, si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre entendement, elle est fort inférieure. » voltaire, essai sur les mœurs et l’esprit des nations., expresso : les parcours interactifs.

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persee.fr

Hountondji (Paulin J.) - Sur la "philosophie africaine", Critique de l'ethnophilosophie . Eboussi Boulaga (F.) - La crise du Muntu, Authenticité africaine et philosophie

[compte-rendu].

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  • Référence bibliographique

Bayart Jean-François. Hountondji (Paulin J.) - Sur la "philosophie africaine", Critique de l'ethnophilosophie . ; Eboussi Boulaga (F.) - La crise du Muntu, Authenticité africaine et philosophie . In: Revue française de science politique , 28ᵉ année, n°2, 1978. pp. 376-377.

www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1978_num_28_2_393780_t1_0376_0000_000

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Texte intégral

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

- Paris, F. Maspero, 1977. 22cm, 257 p. (Textes à l'appui) . - Paris, Présence africaine, 1977. 22 cm, 240 p. (Situations et perspectives.) Le prétexte de ces deux ouvrages est le même la dénonciation de eth nophilosophie définie par P.J Hountondji comme la recherche imaginaire une philosophie collective immuable commune tous les Africains quoique sous une forme inconsciente 21 ethnophilosophie repose sur un mythe celui de unanimité primitive sur une illusion celle de la philosophie comme système et non comme histoire sur un abus celui de considérer comme philo sophiques des littératures orales qui ne se posent pas comme telles origine de cette inconsistance un fait brutal et déterminant La philosophie afri caine contemporaine dans la mesure où elle reste une ethnophilosophie été élaborée avant tout pour un public européen 35 Ou selon les termes de Fabien Eboussi Boulaga qui écrit ce propos des pages admirables acuité La philosophie apparaît en son statut comme un des objets de la poursuite mimétique du mode existence des maîtres qui achève par occupation de leur place dans le système de positions dont la structure reste inchangée 15 De cette double critique naît la revendication une pensée libre un débat autonome qui ne soit plus un appendice lointain des débats européens mais qui confronte directement les philosophes africains entre eux créant ainsi au sein de Afrique un milieu humain dans lequel et par lequel puissent être posés les problèmes théoriques les plus ardus P.J Hountondji 48 Hountondji et Eboussi savent leur démarche politique Néanmoins aucun moment ils ne attardent un nationalisme culturel facile et simpliste ni ne prônent un repli sur soi de Africain La science et la technologie ne sont pas autre du Muntu Eboussi Boulaga 228) Le problème majeur qui se pose une théorie de la dépendance est de prendre acte de historicité propre des sociétés Au niveau culturel ceci revient formuler la question en termes authenticité Le propos de Fabien Eboussi Boulaga ce sujet va plus loin mon sens que ouvrage un peu dis parate et répétitif Hountondji et renouvelle un débat passablement confus Après autres Eboussi remarque qu il pas de tradition africaine parce il pas Africain 145 et que le dénominateur commun entre les peuples du continent émane de la domination coloniale subie ensemble Son véritable apport consiste dissocier le couple contradictoire de la tradition passé modernité avenir) percevoir que chacune des moitiés est quali tativement différente de autre et que les confusions proviennent de leur nivellement alors elles remplissent des fonctions irréductibles 147 Jetant les bases un bon usage de la tradition 152) le théologien came rounais en rend saillantes les contributions possibles

ce niveau la démarche Eboussi est très neuve Il faut pour apprécier sa juste valeur se référer aux conditions de sa production conditions que auteur juge déterminantes mais sur lesquelles il observe lui-même en occur rence un silence pudique une pratique sociale et communautaire étaye son ouvrage une pratique villageoise Un itinéraire personnel aussi dont quel ques phrases retenues in fine nous suggèrent la rigueur nous incitant pro portionner le savoir expérience le discours la pratique nous invitant briser peu peu les rituels enchantés de la dissimulation soi nous con viant initiation pp 234 et suivantes Pour une fois le lecteur est confronté une pensée qui indissolublement est aussi un mode de vie et action Et est bien sûr ce qui lui confère tout son poids en même temps que son importance politique On aura compris Afrique nous donne nouveau un grand livre Jean-Fran ois BAYART Centre études et de recherches internationales

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Philosophie africaine

Par MOMAREK   •  23 Avril 2019  •  Dissertation  •  1 482 Mots (6 Pages)  •  14 917 Vues

INTRODUCTION

La pensée africaine issue des traditions orales comme celle des Yorubas ou des Bantous est l'objet d'études modernes relevant de l'ethnophilosophie et consistant à reconstruire les représentations du monde de ces peuples selon les termes et les méthodes de l'ethnologie.

Cependant, ces dernières décennies, les historiens de la philosophie africaine, comme Tempels, Abdoulaye Elimane Kane, Ebenezer N’JOH Mouelle, soutiennent que les africains ont bel et bien développé une pensée philosophique. Mais cette position est loin de faire l’unanimité. Elle sera battue en brèche par Marcien Towa, Paulin Jidenu Hountondji, qui la qualifie d’ethnophilosophie. Mais ces derniers seront à leur tour critiqués par ceux qui se chargent de réhabiliter         l’ethnophilosophie comme N’JOH Mouelle, Elimane, entre autres.

  • LES PREJUGES RACISTES

L'Africain, à tout point de vue, échoue à faire reconnaître sa spécificité, sa particularité ; en un mot sa manière d'être au, monde, au Blanc. Tant de cris, tant de hargne, n'auraient pas suffi pour faire plier l'échine qu'est le Blanc et l'amener à reconnaître désormais le Noir, non comme le supplément d'âme qu'il lui faut pour sa propre affirmation, mais comme un être doté d'une raison semblable à la sienne ou tout au plus un être à part entière. C’est dans ce sens que l’on peut  comprendre que le Noir, est celui que l’on doit encore éduquer, élever, civiliser. Le Blanc, c'est toujours celui qui éduque, élève, civilise. C'est pourquoi il doit connaître et comprendre le domaine de la pensée noire afin de donner plus d'efficacité à son action. HOUNTONDJI tire à ce sujet cette conclusion qui laisse transparaître les motivations réelles du Père Franciscain : « (...) Le Noir continue de ce fait, d'être tout le contraire d'un interlocuteur : il est ce dont on parle, un visage sans voix qu'on tente de déchiffrer entre soi, objet à définir et non sujet d'un discours possible.»(Dans son ouvrage intitulé la philosophie bantou en  1945).

Cette position est aussi conservée par Hegel, connu pour son extrémisme impérialiste voire raciste. Il soutient, dans son œuvre intitulé la raison dans l’histoire  à la page 251, que  « pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de la sauvagerie et de barbarie, le nègre représente le naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline ». Cela veut dire le nègre ne peut pas accéder à la rationalité, il manque d’objectivité, de logique et de morale.

Hegel considère que l’africain est assimilable à un sauvage, à un primitif dépouillé de toute pensée. En somme il trouve que l’Afrique est sans histoire et réside dans ce qu’il appelle un état d’innocence.

  • L’ETHNOPHILOSOPHIE

Le terme d'ethnophilosophie a été créé par le Camerounais Marcien Towa pour désigner un courant de pensée à dominante africaine, inspiré par l'ouvrage de Placide Tempels sur la Philosophie bantoue, et qui consiste à identifier la philosophie d'une société à sa vision du monde, à son système de valeurs ancré dans le fond du psychisme et lisible à travers mythes et rites, proverbes et coutumes. Selon cette conception, toute société dite traditionnelle aurait une philosophie implicite que le philosophe se chargerait de mettre en évidence par l'étude des éléments culturels, et d'expliquer en soulignant à la fois la cohérence de la pensée et le lien entre conception du monde et orientation de l'action. Selon cette logique, la meilleure méthode pour connaître un peuple serait d'étudier son système implicite de pensée, de le déterrer en tant que philosophie collective.

Par contre il ne met guère en cause le statut même de l'objet que l'on prétend révéler à travers cette démarche équivoque: la philosophie comme système collectif de croyances, faisant l'unanimité entre tous les membres de la société" Sur la philosophie africaine de Marcien towa p. 244. Ainsi chez notre auteur, l'ethnophilosophie est un discours mystifié, une description onirique d'une pensée onirique et collective qui n'existe que dans la tête de celui qui l'invente.

D'un autre côté, l'ironie de l'histoire a voulu que ce soient des philosophes africains contemporains (Hountondji, Eboussi Boulaga) qui ont entamé la critique la plus radicale des thèses de Tempels sur la "philosophie bantou"..

LA CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

Sur « la philosophie africaine » critique de l'ethnophilosophie comme son nom l'indique est une critique de l'ethnophilosophie et de toute sa problématique aux fins de montrer notamment qu'il n'existe pas de philosophie unanimiste, inconsciente et qui résiderait quelque part dans le subconscient collectif d'un peuple dans l'attente d'être exhumée par l'interprétation d'éléments culturels. Plus que cela, l'auteur voudrait que le débat sur la problématique philosophique africaine soit reconsidéré et que ses termes aussi bien théoriques qu'épistémologiques soient réorientés pour être à l'image de la discipline spécifique qu'est la philosophie ; plus précisément à l'image de celle-ci telle qu'elle a toujours fonctionné dans la tradition internationale. Pour cela, il estime qu'entre autre rôles qui reviennent à la philosophie sur le continent africain, il y a la transformation du discours ethno philosophique en un véhicule d'un débat contradictoire qui non seulement engage les Africains entre eux ; mais aussi qui traite des questions les plus diverses, même si celles-ci n'ont aucun rapport avec l'Afrique. Cela signifie plus précisément un débat qui s'éloigne de ce qu'il appelle le mythe de l'ethnophilosophie.

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